148/96 Constitutional Rights Project c/Nigeria
Rapporteur:
19ème session: Commissaire Dankwa
20ème session: Commissaire Dankwa
21ème session: Commissaire Dankwa
22ème session : Commissaire Dankwa
23ème session : Commissaire Dankwa
24ème session : Commissaire Dankwa
25ème session : Commissaire Dankwa
26ème session : Commissaire Dankwa
Résumé des faits :
1. La communication allègue que 11 soldats de l’armée nigériane dont les
noms
suivent: WO1 Samson Elo, WO2 Jomu James, Ex. WO2 David Umukoro,
Sat. Gartue Ortoo, LCPI Pullen Blacky, Ex LCPI Lucky Iviero, PVT
Fakolade Taiwo, PVT Adelabi Ojejide, PVT Chris Miebi, Ex PVT Otem
Anang, and WO2 Austin Ogbeowe. Ils ont été arrêtés en avril 1990.
Soupçonnés d'avoir participé à un complot visant à perpétrer un coup d’Etat,
ils avaient été jugés deux fois. Une première fois en 1990 et une seconde
fois
en 1991. Ils ont été acquittés mais n’ont pas été libérés. Le 31 octobre
1991,
ils ont été graciés par le Conseil de gouvernement provisoire de l’époque.
Cependant, ils demeurent détenus à la prison de Kirikiri dans de très
mauvaises conditions. Le plaignant affirme qu'il n'y aurait plus de voies
de
recours internes disponibles dans la mesure où les tribunaux de l’ordre
judiciaire ont été dépouillés de tout pouvoir par décret du gouvernement militaire
en ce qui concerne ce genre d’infraction.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
2. Le requérant soutient que le gouvernement a violé l'article 6 de la
Charte
Africaine.
La Procédure :
3. La communication date du 22 août 1995. Elle a été reçue au Secrétariat
le 18
septembre 1995.
4. A sa 20ème session tenue a Grand Baie, Île Maurice, la Commission a
déclaré la communication recevable et a décidé qu'elle serait discutée
avec
les autorités compétentes lors de la mission qui devait se rendre au Nigeria.
Une mission s'est rendue au Nigeria du 7 au 14 mars 1997, et un rapport
a été
soumis à la Commission.
5. Les parties ont été informées de toute la procédure.
LE DROIT
La Recevabilité :
6. L'article 56 de la Charte prévoit que :
"
Les communications... pour être examinées, [doivent] remplir les conditions
ciaprès:
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent,
à moins qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces
recours se prolonge
d'une façon anormale".
7. Celle-ci est juste l'une des sept conditions prévues par l'article 56,
mais c'est le plus souvent elle
qui requiert plus d'attention. Comme l'article 56 est nécessairement le
premier que doit
examiner la Commission avant tout examen du fond d'une communication, il
a déjà fait l'objet
d'une interprétation substantielle. Dans la jurisprudence de la Commission
Africaine, il y a
beaucoup de précédents importants.
8. Plus particulièrement, dans les quatre décisions que la Commission a
déjà prises concernant le
Nigeria, l'article 56.5 est examiné dans le contexte nigérian. La communication
60/91
(Décision ACHPR 160/91) concernant le Tribunal pour vols et armes à feu
; la communication
87/93 (Décision ACHPR/87/93) concernant le Tribunal pour la perturbation
de l'ordre public ;
la communication 101/93 (Décision ACHPR/101/930 sur le décret régissant
les praticiens du
droit ; et la communication 129/94 (ACHPR/129/94) concernant le décret
relatif à la
Constitution (modification et suspension) et le décret relatif aux partis
politiques (dissolution).
9. Tous ces décrets dont il est question dans ces communications contiennent
des clauses
dérogatoires. Dans le cas des tribunaux spéciaux, ces clauses interdisent
aux tribunaux
ordinaires d'examiner tout appel interjeté contre des décisions prises
par les tribunaux spéciaux.
(ACHPR/60/91:23 et ACHPR/87/93:22). Le décret régissant les praticiens
du droit précise
qu'il ne peut être contesté devant aucun tribunal et que quiconque tente
de le faire commet une
infraction (ACHPR/101/93:14-15). Le décret relatif à la suspension et modification
de la
Constitution en interdit toute contestation devant les tribunaux nigérians
(ACHPR/129/94:14-
15).
10.Dans tous ces cas précités, la Commission a conclu que ces clauses dérogatoires
rendaient les recours
internes inexistants, inefficaces ou illégaux. Les clauses dérogatoires
créent une
situation juridique où le judiciaire ne peut exercer aucun contrôle sur
la branche exécutive du
gouvernement. Un certain nombre de Tribunaux du district de Lagos, s’appuyant
sur le droit
coutumier, ont conclu que les tribunaux sont compétents pour examiner certains
de ces décrets
en dépit des clauses dérogatoires, lorsque ces décrets sont «de nature
offensante et tout à fait
irrationnels». Il reste à savoir si les tribunaux du Nigeria seront suffisamment
courageux pour
appliquer cette décision, et si, dans cette éventualité, ce dernier se
conformera aux décisions
prises.
11. La même situation se retrouve dans la présente communication. Les tribunaux
ordinaires ont
été dépouillés de leur compétence juridictionnelle. Ainsi, même une affaire
de violation la plus
flagrante des libertés de la personne ne peut être traitée par les tribunaux.
Par ces motifs et
compte tenu des faits et de la jurisprudence de la Commission, la communication
est déclarée
recevable.
Le Fond :
12. L'article 6 de la Charte stipule que :
"
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Nul
ne peut être
privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement
déterminés par la loi; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu
arbitrairement".
13. Le gouvernement n'a pas contesté les faits présentés par Constitutional
Rights Project.
14.Dans plusieurs de ses décisions antérieures, la Commission a établi
le principe que lorsque des
allégations d'abus des droits de l'homme ne sont pas contestées par le
gouvernement visé,
même après des notifications répétées, la commission doit statuer sur base
des faits fournis par
le plaignant et les traiter tels qu'ils sont.(Voir par exemple: Décisions
sur les communications
59/91, 60/91, 64/91, 87/91 et 101/93).
15. Le gouvernement n'ayant pas présenté une autre explication pour la
détention des 11 soldats,
la Commission doit considérer qu'ils sont encore détenus pour des faits
dont ils ont été
acquittés au cours de deux procès séparés. Cela est une violation flagrante
de l'article 6 et
dénote d'un manque de respect choquant des jugements des tribunaux par
le gouvernement
nigérian.
16. Plus tard, (bien que ce n'était plus nécessaire comme ils avaient été
jugés innocents), ces
militaires ont été graciés, mais n'ont pas été libérés. Il s'agit encore
une fois d'une violation de
l'article 6 et il est incompréhensible que ces détenus ne soient pas encore
libérés.
Par Ces Motifs la Commission :
Déclare qu'il y a eu violation de l'article 6 de la Charte;
Recommande au gouvernement de se conformer aux jugements des tribunaux
nationaux et de
libérer les 11 militaires.
Fait à Kigali, le 15 novembre 1999