153/96 - Constitutional Rights Project c/ Nigeria
Rapporteur :
22ème session : Commissaire Dankwa
23ème session : Commissaire Dankwa
24ème session : Commissaire Dankwa
25ème session : Commissaire Dankwa
26ème session : Commissaire Dankwa
Résumé des Faits :
1. Entre les mois de mai et juin 1995, la police nigériane a arrêté dans
l’Etat
fédéré d’Owerri, les nommés Vincent Obidiozor Duru, Nnemaka Sydney
Onyecheaghe, Patrick Okoroafor, Collins Ndulaka et Amanze Onuoha. De
graves charges allant du vol à main armée à l'enlèvement pesaient sur eux.
2. La Police a fini son enquête et a déposé son rapport sur l'affaire le
25 juillet
1995. Dans ce rapport, elle fait le lien entre les suspects et divers vols
à
main armée et enlèvements avec demandes de rançons. Parmi les enfants
enlevés, un seul a pu s’échapper. Les autres sont restés introuvables,
bien
que les rançons demandées aient été payées. Le rapport a recommandé que
les suspects soient détenus en application du décret n° 2 de 1984 (qui
autorise la détention pour une période de trois mois sans inculpation)
pour
permettre à la police de mener de plus amples investigations visant
d'inculper les suspects pour vols à main armée et enlèvements. A ce jour,
les
suspects sont toujours en détention sans inculpation.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
3. La communication allègue la violation des articles 6 et 7 de la Charte.
La Procédure:
La communication date du 5 février 1996, elle a été reçue au Secrétariat
le 28 février 1996.
4. A sa 20ème session tenue à Grand Baie, Île Maurice en octobre 1996,
la Commission
a déclaré la communication recevable et a décidé qu'elle serait discutée
avec les
autorités compétentes lors de la mission qui devra se rendre au Nigeria.
La mission a
eu lieu du 7 au 14 mars 1997. Le Rapport de mission a été présenté à la
Commission.
5. Les parties ont été dûment informées de la procédure.
LE DROIT
La Recevabilité :
6. A première vue, la communication répond à toutes les conditions de recevabilité
prévues par
l'article 56. La seule question qui peut se poser concerne l'épuisement
des voies de recours
internes exigé par l'article 56.5. L'article 56.5 veut que les plaignants
aient épuisé toutes les
voies de recours internes disponible, ou alors prouver que la procédure
de ces recours est
anormalement prolongée.
7. La véritable violation alléguée dans ce cas est que les victimes sont
détenues sans inculpation
ni jugement, ce qui constitue une détention arbitraire. La solution normale
dans ce cas est que
les victimes introduisent une demande de l'ordre de habeas corpus, une
action collatérale par
laquelle le tribunal peut ordonner à la police de faire comparaître une
personne ou de justifier
sa détention.
8. Cependant, le rapport de la police contenu dans le dossier recommande
que les suspects soient
détenus conformément au Décret no.2 de 1984 (Document réf. No.
CR:3000/IMS/Y/Vol,33/172, p.10 para 7). Par le décret no. 14 amendé, 1994,
le
gouvernement a interdit à tout tribunal du Nigeria de donner l'ordre de
habeas corpus ou toute
prérogative d'ordonner la comparution d'une personne emprisonnée dans le
cadre du décret
no.2 (1984).
9. Ainsi, même la solution de habeas corpus n'existe pas dans cette situation.
Il n'y a donc pas de
recours disponible pour les victimes et la communication a par conséquent
été déclarée
recevable.
Le Fond :
10. L'article 6 de la Charte prévoit que:
"
... Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des
conditions préalablement déterminées par la loi. En particulier nul ne
peut être arrêté ou détenu
arbitrairement".
11. L'Acte relatif à la sécurité de l'Etat (Détention de personnes) prévoit
que le Chef de l'Etat
major peut ordonner qu'une personne soit détenue s'il est "
convaincu que cette personne est ou a été récemment impliquée dans des
actes qui
portent préjudice à la sécurité de l'Etat ou a contribué à la détérioration
économique de la
nation, ou dans la préparation ou instigation de ce genre d'acte..."
12. Des personnes peuvent être détenues indéfiniment si la détention est
révisée toutes les six
semaines par un jury de neuf personnes dont six sont nommées par le Président,
les autres
trois étant l'Attorney General, le Directeur des prisons et un représentant
de l'Inspecteur
général de la police. Ce jury ne doit pas être d'accord avec le maintien
de la personne en
détention: la détention est renouvelée, sauf si le jury est convaincu que
les circonstances ne
nécessitent plus le maintien en détention de cette personne.
13. Les détenus ont été arrêtés entre mai et juin 1995, il y a environ
deux ans. Aujourd'hui, ils
sont encore emprisonnés sans inculpation.
14. Même si les révisions exigées par l'Acte sont effectuées,
le jury n'est en aucun cas objectif:
une majorité absolue des membres sont désignés par le Président et les
trois autres sont des
représentants de la branche exécutive. Le jury ne doit pas justifier
le maintien en détention de
ces personnes, il ne donne des ordres qu'en cas de libération.
15. Ce jury ne peut pas être considéré comme impartial, ni même légal.
Ainsi, même si ses
réunions sont responsables du maintien des victimes en détention, celle-ci
doit être considérée
comme arbitraire, en violation de l'article 6.
16. L'article 7.1 de la Charte prévoit que toute personne a le droit
de saisir les juridictions
nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux et
le droit d'être jugé dans
un délai raisonnable par une juridiction impartiale.
17. Les réunions du jury de révision, même à supposer qu'elles aient
lieu, ne peuvent pas être
considérées comme un organe national compétent. Comme il semble que même
le droit de
demander l'ordre de habeas corpus n'est pas accessible aux accusés, ils
ont été déniés leurs
droits prévus par l'article 7.1(a).
18. Une question subsidiaire concerne la durée qui s'est écoulée depuis
leur arrestation. Dans une
affaire criminelle, spécialement lorsque les accusés sont en détention
préventive, le procès doit
se faire le plus rapidement possible, afin de minimiser les effets néfastes
sur la vie d'une
personne qui, en fin de compte, peut être innocente.
19. Qu’environ deux ans s’écoulent sans que les victimes ne soient même
inculpées constitue un
retard indu. Ainsi les droits des détenus garantis par l'article 7.1(d)
ont été violés.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION :
Déclare qu'il y a eu violation des articles 6, 7.1(a) et (d) de la Charte
;
Recommande instamment au gouvernement du Nigeria d'inculper immédiatement
les
détenus ou alors de les libérer.
Fait à Kigali, le 15 novembre 1999