Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme
et des Peuples c.
Burkina Faso, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication
204/97,
29e Session Ordinaire, Tripoli, Libye, 23 avril 2001.
204/97 - Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme
et des Peuples/Burkina Faso
Rapporteur :
23ème session : Commissaire Ben Salem
24ème session : Commissaire Ben Salem
25ème session : Commissaire Ben Salem
26ème session : Commissaire Ben Salem
27ème session : Commissaire Ben Salem
28ème session : Commissaire Ben Salem
29ème session : Commissaire Ben Salem
Résumé des faits :
1. Le demandeur est le Président du Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme
et
des Peuples (MBDHP), une ONG jouissant du statut d’observateur auprès de
la
Commission. Il allègue une série de violations des droits de l’homme qui
seraient
intervenues au Burkina Faso depuis l’époque du gouvernement révolutionnaire
jusqu’à
nos jours. Aussi demande-t-il à la Commission d’oeuvrer à la manifestation
de la vérité
dans chacun des cas qui seraient restés sans suite auprès des instances
compétentes de
son pays.
2. Selon le requérant, le 11 décembre 1991, le Burkina Faso renouait avec
l’Etat de droit
en adoptant une nouvelle constitution. Celle-ci avait fait naître l’espoir
que toutes les
violations des droits de l’homme commises entre 1983 et 1991 seraient traitées,
pour le
plus grand bien des populations de ce pays. Il n’en fut malheureusement
rien. D’autres
actes attentatoires aux libertés civiles et politiques seront même enregistrés.
3. Le requérant soutient que depuis la création en 1989 du Mouvement Burkinabé
des
Droits de l’Homme et des Peuples, celui-ci a répertorié plusieurs cas de
violations des
droits de l’homme dans le pays après avoir souvent été saisi par leurs
victimes et qu'il
aurait demandé sans succès à la justice d’examiner lesdits cas. Le dossier
le plus
consistant dont serait saisie cette ONG est celui de la suspension, de
la radiation et du
dégagement des magistrats intervenus le 10 juin 1987. l’Etat aurait par
la suite pris une
mesure d’amnistie dans le cadre de la réhabilitation des travailleurs abusivement
licenciés sous le régime dit du Conseil National de la Révolution qui
a
gouverné le
Burkina Faso de 1983 à 1987. De nombreux travailleurs auraient ainsi vu
leur situation
rétablie, tandis que celle de plusieurs autres serait demeurée inchangée.
4. Le Président du MBDHP, M. Halidou Ouédraogo, magistrat de son état,
relèverait de
cette seconde catégorie, ainsi qu'un autre magistrat, M. Compaoré Christophe.
Tous
deux demandent à être dédommagés en nature. Leur requête serait demeurée
vaine à ce
jour. La Cour Suprême qui aurait été saisie du dossier depuis plus de quinze
ans n’a pas
encore statué.
5. Selon le demandeur, si la situation s’est quelque peu améliorée, des
magistrats
continueraient de souffrir de nombreuses tracasseries allant des affectations
arbitraires
aux manipulations du Conseil Supérieur de la Magistrature, en passant par
des
irrégularités dans la procédure d’avancement de certains magistrats. Les
deux syndicats
de la magistrature auraient ainsi, dans un communiqué conjoint, dénoncé
la mise sous
dépendance de leur corps, la corruption des juges et les irrégularités
constatées dans la
procédure des délibérations du Conseil Supérieur de la Magistrature.
6. Le requérant allègue que de nombreux dossiers introduits par lui devant
les juridictions
pénales en 1990, 1991, 1994 et 1996 seraient restés sans suite.
7. Au mois d’octobre 1991, l’Organisation pour la Démocratie, Mouvement
du Travail
(ODP/MT), le parti au pouvoir aurait fait mettre le feu à la voiture de
marque 505
Peugeot appartenant au Président du MBDHP par le biais de ses militants.
Cet incident
aurait eu lieu devant le siège d’un autre parti politique aujourd’hui dissout,
la
Convention pour le Peuple (CNPP/PS) dont les militants craignant de voir
brûler leur
siège, auraient fait appel à M. Halidou Ouédraogo pour empêcher le forfait.
Le
requérant soutient que les auteurs de cet acte de vandalisme sont connus
et que
certains d’entre eux auraient aujourd’hui repris du service avec pour mission
d’intimider toute personne soupçonnée d’être contre le pouvoir en place,
notamment
les travailleurs et les étudiants.
8. Suite à la destruction sus-évoquée de son véhicule, la plainte déposée
devant le
Tribunal pénal de Ouagadougou par M. Ouédraogo en octobre 1991, n’aurait
jamais
abouti.
9. En juin 1994, après avoir achevé sa journée de travail, M. Ouédraogo
aurait été victime
d’une tentative d’assassinat. Au moment où il mettait en marche sa voiture,
celle-ci aurait
explosé et il n’aurait survécu à l’explosion que grâce à un "miracle".
Une plainte
introduite contre X auprès du Tribunal pénal de Ouagadougou pour tentative
d’assassinat et destruction de bien mobilier n’aurait pas abouti.
10. Le demandeur allègue qu’en mai 1995, dans la localité de Garango située
à deux cents
kilomètres de Ouagadougou, une manifestation d’élèves aurait tourné au
drame. Un
gendarme identifié par le MBDHP aurait tiré à bout portant et abattu deux
élèves.
L’enquête diligentée par ledit Mouvement et qui a abouti à la saisine du
Tribunal pénal
de la localité serait restée sans suite. Par contre, un certain Ouiya Bertin,
député de son
état, aurait accusé le Président du MBDHP de manipuler les élèves et étudiants.
Ce
dernier aurait déclaré au cours d’un meeting qu’il fallait en finir avec
M. Halidou
Ouédraogo et que de toute façon, ‘des dispositions auraient été prises
pour le liquider
physiquement’ ! Le MBDHP a porté plainte pour diffamation et menaces de
mort
contre son Président. Celle-ci également n’aurait pas abouti à ce jour.
11. Le requérant allègue également plusieurs autres cas de violations des
droits de
l’homme, ainsi que des menaces qui auraient été dirigées contre son mouvement
et sa
personne lors des grèves successives des étudiants burkinabé en février,
mars et avril
1997.
12. Faisant référence à la situation politique trouble dont le Burkina
Faso a été le théâtre
entre 1989 et 1990, le requérant allègue la survenance de nombreux rapts
suivis
d’exécutions. Il cite des cas de disparition de personnes alors soupçonnées
ou accusées
de complot contre le pouvoir en place dont M. Guillaume Sessouma, qui à
l’époque de
son enlèvement/arrestation était enseignant à l’Université de Ouagadougou
et dont on
est sans nouvelle depuis 1989. De même, l’étudiant en médecine Dabo Boukary,
arrêté
en mai 1990 par la garde présidentielle n’a pas réapparu à ce jour. Selon
le requérant,
les autorités auraient soutenu que ce dernier se serait évadé.
13. Quant aux assassinats, il cite ceux de M. Clément Oumarou Ouédraogo,
professeur
d’Université et naguère représentant du Burkina Faso auprès de l’UNESCO,
abattu en
pleine rue à Ouagadougou le 9 décembre 1991 ; de deux paysans tués en 1996,
à 120
kilomètres de Ouagadougou au cours d’un contrôle policier dit de routine
; ainsi que
l’assassinat courant 1994/95 d’autres personnes dans la localité de Kaya
(Nahouri). Il
allègue que les commandos de la garnison militaire de Po seraient mêlés
à ces derniers
assassinats.
14. Le requérant fait valoir que son organisation a saisi de tous ces cas
de violation des
droits de l’homme les institutions burkinabé suivantes sans réponse à ce
jour :
- Les juridictions compétentes ;
- Les Ministères intéressés ( Justice, Intérieur et Défense nationale)
;
- Le Premier Ministre ;
- Le Président de la République du Burkina Faso.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
15. Le demandeur soutient la violation par l’Etat du Burkina Faso des articles
3, 4, 5, 6, 7,
8, 9 (2), 10, 11, 12 et 13 (2) de la Charte Africaine des Droits de l’Homme
et des
Peuples. Il requiert qu’il plaise à la Commission de constater lesdites
violations et
d’amener l’Etat défendeur à :
- Dire ce qu’il est advenu de l’étudiant Dabo Boukary ;
- Rendre public les résultats de l’enquête sur l’assassinat de M. Clément
Oumarou Ouédraogo ;
- Prendre des mesures permettant une solution judiciaire de tous ces cas
de
violations des droits de l’homme ;
- Indemniser les victimes de ces violations.
16. A l’appui de sa requête, le demandeur a versé au dossier une abondante
documentation
sur la plupart des cas de violations des droits de l’homme alléguées.
La procédure :
17. La communication est datée du 25 avril 1997. Elle a été reçue au Secrétariat
de la
Commission par télécopie le 25 mai 1997 ; toutefois, le requérant ayant
signalé des
annexes à la communication, le Secrétariat a dû attendre de les recevoir.
18. Le 20 août 1997, le Secrétariat a accusé réception de la communication
et a demandé
au requérant de lui indiquer avec précision les points (nombreux) contenus
dans la
communication sur lesquels il entendait voir la Commission se pencher,
mais aussi
d’attacher les documents annoncés et non joints.
19. Le même jour, une Note Verbale a été adressée par télécopie au Ministère
burkinabé
des Relations Extérieures et de la Coopération, lui transmettant copie
de la
communication pour réaction dans les trois mois, conformément aux dispositions
pertinentes du Règlement Intérieur. Cette Note Verbale est demeurée sans
suite.
20. Le 5 décembre 1997, le Secrétariat a reçu du requérant en lieu et place
des précisions
demandées, une correspondance répétant mot pour mot les griefs déjà énoncés
dans sa
première lettre.
21. Au cours de la 23ème session, la Commission a décidé d’être saisie
de la communication
et a renvoyé à la 24ème session la question de la recevabilité.
22. Le 1er juin 1998, une Note Verbale adressée au gouvernement burkinabé
l’informant de
cette décision et sollicitant sa réaction quant à la recevabilité de la
communication a été
envoyée. Une correspondance dans le même sens a également été adressée
au
requérant.
23. Le 13 juillet 1998, une correspondance signée du ministre burkinabé
de la Justice,
Garde des Sceaux a été reçue par télécopie au Secrétariat, l’informant
de ce que son département
venait juste d’être informé par son homologue des Affaires Etrangères de
l’existence d’une communication introduite contre son pays auprès de la
Commission
par le Mouvement Burkinabé des Droits de l’Homme et des Peuples. Elle soulignait
par ailleurs que la communication est rédigée en anglais, alors que la
langue de travail
du Burkina Faso est le français. Pour terminer, le garde des sceaux demandait
au
Secrétariat de lui faire tenir la version française de la plainte du MBDHP.
24. Le même jour, le Secrétariat a réagi à la télécopie du garde des sceaux
en faisant
remarquer que la communication est l’objet d’une décision de saisine prise
par la
Commission et il lui a été demandé de faire connaître la position de son
pays sur la
question de la recevabilité qui sera examinée par la 24ème session prévue
en octobre
1998.
25. A sa 24ème Session Ordinaire, la Commission a entendu les parties.
Celles-ci ont
exprimé leur volonté de régler le différend à l’amiable et ont sollicité
l’assistance de la
Commission à cet effet.
26. La Commission après en avoir délibéré, a déclaré la communication recevable,
et pris
acte de la volonté des parties de régler le différend à l’amiable, offrant
ses bons offices
à cette fin.
27. Le 10 novembre 1998, les parties ont été informées par le Secrétariat
de la décision de
la Commission.
28. A la 25ème session, la Commission a instruit le Secrétariat de s’enquérir
de l’évolution
des pourparlers entamés entre les parties.
29. Au cours de sa 26ème session ordinaire tenue du 1er au 15 novembre
1999, à Kigali
Rwanda, la Commission a été informée qu'il n'y avait eu aucune réaction
de la part des
parties relativement au règlement de l'affaire et a par conséquent décidé
de reporter
l'examen au fond de la communication à la 27ème session.
30. Le 10 décembre 1999, le Secrétariat a informé les parties de cette
décision.
31. A la 27ème session ordinaire tenue à Alger, Algérie, la Commission
a entendu les parties
et a décidé que l'Etat défendeur devrait prendre l'initiative d'inviter
le plaignant à un
règlement à l'amiable du différend, faute de quoi la Commission examinerait
le dossier
quant au fond.
32. Le 20 juillet 2000, le Secrétariat a communiqué cette décision aux
parties concernées.
33. Le 17 août 2000, le Secrétariat de la Commission a reçu une Note Verbale
du Ministre
de la Justice et Garde des Sceaux de la République du Burkina Faso l'informant
de son
exécution de la décision de la Commission en invitant le plaignant à un
réunion le 14
août 2000.
34. A la 28ème session ordinaire, la Commission a entendu les parties concernées
et a été
informée par l'Etat défendeur que la question des victimes des massacres
commis par
des policiers avait été réglée tandis que d’autres questions demeuraient
en suspens.
Le plaignant a confirmé qu’une réunion entre les parties avait été tenue
mais qu’aucun
progrès n’avait été enregistré.
Le Droit :
La Recevabilité.
35. L'article 56 (5) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples requiert
avant tout recours adressé à la Commission que les communications reçues
au titre
de l'article 55, soient "…postérieures
à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins
qu'il ne soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours
se prolonge d'une façon
anormale".
36. Dans le cas de l’espèce, le requérant a adressé divers recours aux
instances nationales
compétentes, en vue d'obtenir réparation des violations alléguées et clarifier
les cas de
disparitions et d'assassinats restés impunis. Au cours de sa 24ème session
ordinaire, la
Commission a entendu les parties. Celles-ci ont exprimé leur volonté de
régler le
différend à l’amiable et ont sollicité son assistance à cet effet. La Commission
par le
biais de son Secrétariat a saisi les parties quant à l'offre de médiation
qu'elles avaient
acceptée mais, cette démarche est demeurée sans suite. Devant le silence
qui a ainsi été
observé, la Commission a décidé de la recevabilité de la communication.
Le Fond :
37. L'article 3 de la Charte en ses alinéas 2 et 3 dispose que :
(1) Toutes les personnes bénéficient d'une totale égalité devant la loi.
(2) Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
38. Pour mettre un terme aux décisions de suspension, de radiation et de
dégagement des
magistrats intervenus le 10 juin 1987, l’Etat burkinabé a pris une mesure
d’amnistie
dans le cadre de la réhabilitation des travailleurs abusivement licenciés
sous le régime
dit du "Conseil
National de la Révolution" qui
a gouverné le Burkina Faso de 1983 à
1987. Dans le cadre de ladite mesure, de nombreux travailleurs ont vu leur
situation
rétablie, tendis que celle de plusieurs autres, selon les informations
dont dispose la
Commission, serait demeurée inchangée. Le requérant, en l'occurrence, les
sieurs
Halidou Ouédraogo et Compaoré Christophe, relèvent de cette seconde catégorie.
Tous deux demandent à être dédommagés en nature. La requête introduite
par le sieur
Compaoré à cet effet est demeurée sans suite jusqu’à ce jour. La Cour Suprême
qui a
été saisie du dossier depuis plus de quinze ans n'a pas statué sur l'affaire.
La
Commission constate par ailleurs qu'aucune raison de droit n'a été donnée
pour
justifier ce retard de procédure. En outre, l'Etat défendeur ne donne pas
davantage de
raison de droit qui motiverait le maintien des sanctions prises à l'encontre
de ces deux
magistrats. La Commission considère par conséquent qu'il s'agit là d'une
violation des
articles 18 et 19 des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance
de la
magistrature tels qu'adoptés par le septième Congrès des Nations Unies
pour la
prévention du crime et le traitement des délinquants tenu du 26 août au
6 septembre
1985 et confirmés par l'Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du
29
novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985.
39. Dans la communication 39/90, A. Pagnoule (pour le compte de A. Mazou)
/Cameroun, para. 17, la Commission avait relevé que : "
Etant donné que le cas d'espèce concerne la possibilité pour le sieur Mazou
d'exercer sa
profession et qu'il y a des personnes qui, sans aucun doute, compte sur
lui pour leur survie, deux
ans sans aucun acte de procédure ne soit accompli … constituent une violation…
de la Charte."
40. En outre, ainsi que la Commission l'a déjà fait remarquer, l'Etat défendeur
ne donne
pas les raisons pour lesquelles la mesure de réhabilitation des travailleurs
a été
appliquée de manière sélective. La Commission s'interroge également sur
les raisons
qui motiveraient le silence de la Cour Suprême. Quinze ans sans qu'aucun
acte de
procédure ne soit pris et sans aucune décision se prononçant sur le sort
des personnes
concernées ni sur les réparations sollicitées, constituent un déni de justice
et une
violation de l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Il s'agit également
d'une violation
de l'article 7(1.d) qui proclame le droit d'être jugé dans un délai raisonnable
par une
juridiction impartiale.
41. L'article 4 de la Charte dispose que : "
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect
de sa vie et à l'intégrité
physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé de ce droit."
42. La communication contient des noms de nombreuses personnes qui ont
été victimes
d'assassinats, de disparitions forcées, d'atteintes et de tentatives d'atteinte
à leur
intégrité physique et d'actes d'intimidation. Ces faits n'ont pas été démentis
par l'Etat
défendeur. De même, ce dernier n'a jamais rendu public les résultats de
la commission
d'enquête constituée au lendemain de l'assassinat du sieur Clément Oumarou
Ouédraogo, pas plus qu'il n'a identifié les auteurs des actes incriminés,
ni pris des
mesures contres eux. Respectant sa propre jurisprudence aux termes de laquelle "
lorsque les allégations d'abus des droits de l'homme ne sont pas contestées
par l'Etat
défendeur…la Commission décide sur la base des faits fournis par le requérant
et traite
ces faits tels qu'ils lui sont fournis…" cf.
notamment communications 25/89, 47/90,
56/93 et 100/93, para. 49, elle applique le même raisonnement aux faits
relatés dans la
présente communication. La Commission tient par ailleurs à réitérer un
principe
fondamental énoncé dans le texte de l'article premier de la Charte selon
lequel, non
seulement les Etats parties reconnaissent les droits, devoirs et libertés
énoncés dans la
Charte, mais ils s'engagent à les respecter et à prendre des mesures pour
les appliquer.
En d'autres termes, si un Etat partie néglige d'assurer le respect des
droits contenus
dans la Charte Africaine, cela constitue une violation de ladite Charte.
Même si cet Etat
ou ses agents ne sont pas les auteurs directs de cette violation. Cf. communication
74/92, para. 35.
43. La communication indique une série de violations des droits de l'homme
liées à
certains événements intervenus au Burkina Faso en 1995 et des éléments
additionnels
versés au dossier décrivent les violations des droits de l'homme perpétrées
à Garango,
Kaya Navio, ainsi que de l'assassinat d'un jeune paysan à Réo. La communication
fait
également état entre autres de la mort de citoyens abattus par balles ou
décédés des
suites de tortures, de même que de la mort du décès de deux jeunes élèves
descendus
dans la rue avec leurs camarades pour exprimer certaines revendications
et soutenir
celles des enseignants du secondaire et du supérieur. La Commission déplore
l'usage
abusif des moyens de violence de l'Etat contre des manifestants ; même
lorsqu'il s'agit
de manifestations non autorisées par l'autorité administrative compétente.
Elle
considère que les pouvoirs publics disposent de moyens adéquats pour disperser
les foules
et que les responsables du maintien de l'ordre doivent s'efforcer dans
ce genre
d'opérations, de ne causer que le minimum de dommages et d'atteintes à
l'intégrité
physique, de respecter et de préserver la vie humaine.
44. L'article 5 de la Charte garantit le respect de la dignité inhérente
à la personne humaine
et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Ce texte interdit
par ailleurs toutes
formes d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage,
la traite des
personnes, la torture physique ou morale et les peines ou les traitements
cruels,
inhumains ou dégradants. En outre, la garantie de l'intégrité physique
et de la sécurité
de sa personne est également proclamée par l'article 6 de la Charte Africaine,
ainsi que
par la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les
disparitions
forcées adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution
47/133
du 18 décembre 1992, dont l'article 1(2) stipule que " Tout
acte conduisant à une disparition
forcée soustrait la victime de cet acte à la protection de la loi et cause
de graves souffrances à la victime
elle-même, et à sa famille. Il constitue une violation des règles du droit
international, notamment celles
qui garantissent à chacun le droit à la reconnaissance de sa personnalité
juridique, le droit à la liberté
et à la sécurité de sa personne et le droit de ne pas être soumis à la
torture ni à d'autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il viole en outre le droit
à la vie ou le met gravement en
danger." La
disparition de personnes soupçonnées ou accusées de complot contre le
pouvoir en place dont M. Guillaume Sessouma et l'étudiant en médecine Dabo
Boukary, arrêté en mai 1990 par la garde présidentielle et qui n'a pas
reparu à ce jour
constituent une violation des textes et principes évoqués plus haut. Dans
cette dernière
affaire, la Commission prend acte du dépôt d’une plainte le 16 octobre
2000.
45. L'article 8 de la Charte est relatif à la garantie de la liberté de
conscience, à la garantie
de la profession et la pratique libre de la religion. Bien que le requérant
ait soutenu la
violation de ces dispositions conventionnelles, la communication ne contient
cependant pas d'éléments susceptibles de conduire raisonnablement à une
telle
conclusion. Les informations parvenues à la Commission n'indiquent pas
davantage
comment le requérant ou l'une quelconque des personnes citées dans la
communication aurait essayé d'exprimer ou d'exercer sa liberté de conscience
ou de
professer sa foi. La Commission estime par conséquent que la violation
du texte susévoqué
n'est pas établie. Elle tient le même raisonnement quant aux allégations
relatives à la violation des articles 9(2), 10 et 11 de la Charte.
46. L'article 12 (2) dispose que : "
Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de
revenir dans son pays. Ce
droit ne peut faire l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues
par la loi, nécessaires pour
protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité
publiques."
47.
La communication allègue l'interdiction faite le 6 août 1995, au sieur
Nongma Ernest
Ouédraogo, Secrétaire Général du parti politique dénommé "Bloc
Socialiste
Burkinabé" de sortir du territoire national,
suite à la publication par ledit parti d'une
déclaration sur la situation du pays. Les informations à la disposition
de la Commission
ne font pas état d'une quelconque menace à la sécurité ou à la moralité
publiques que le
voyage ni même la personne de l'intéressé auraient pu représenter. Par
conséquent, elle
retient une violation de l'article 12 (2).
48. Le requérant soutient le licenciement de plusieurs travailleurs de
Poura pour fait de
grève. Malheureusement, les informations mis à la disposition de la Commission
ne lui
permettent pas d'établir de manière certaine une violation de l'article
13 (2).
Par ces Motifs :
La Commission retient que le Burkina Faso a violé les articles 3, 4, 5,
6, 7(1.d), et 12 (2).
Recommande au Burkina Faso de tirer toutes les conséquences de droit de
la présente
décision, notamment en :
- Identifiant et poursuivant en justice les responsables des violations
des droits
de l’homme ci-dessus indiquées ;
- Faisant diligence pour les affaires judiciaires encore pendantes devant
les
tribunaux ;
- Procédant aux réparations dues aux victimes des violations des droits
de
l’homme objet de la présente décision.
Fait à la 29ème Session Ordinaire, tenue à Tripoli, en Libye,
du 23 avril au 07 mai 2001