Ka zeem Aminu c.
Nigeria, Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication
205/97, 27e Session Ordinaire, Alger, 11 mai
2000.
205/97 – Ka zeem Aminu c/ Nigeria
Rapporteur :
22ème session : Commissaire Dankwa
23ème session : Commissaire Dankwa
24ème session : Commissaire Dankwa
25ème session : Commissaire Dankwa
26ème session : Commissaire Dankwa
27ème session : Commissaire Dankwa
Résumé des faits :
1. Le requérant allègue que le sieur Ayodele Ameen (ci-après dénommé le
client), un citoyen
nigérian, a été, à maintes occasions entre 1995 et la date de la communication,
arbitrairement
arrêté et torturé par les responsables de la Sécurité nationale nigériane.
2. Il allègue en outre qu’une fois, au cours de sa détention, M. Ayodele
s’est vu refuser
l'assistance médicale et aurait subi un traitement inhumain.
3. Le requérant soutient que son client est poursuivi par les services
de sécurité en raison de ses
opinions politiques qui se manifestent à travers le rôle qu’il joue et
son implication dans
l’agitation au sein de la société nigériane afin que les élections annulées
le 22 juin 1994 par le
Gouvernement militaire soient validées.
4. Il soutient aussi que son client aurait eu recours aux tribunaux pour
assurer sa protection, mais
cela aurait été vain compte tenu des dispositions du décret no. 2 de 1984
tel qu’amendé.
5. Le requérant allègue que jusqu’à la date de la communication, son client
vivait en cachette
après avoir échappé à une arrestation à l’aéroport international Aminu
Kano, au moment où il
voulait se rendre au Soudan.
6. Le requérant soutient que l'affaire n'a été portée devant aucune instance
juridictionnelle.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
7. Le requérant allègue que les articles ci-après de la Charte Africaine
ont été violés :
Articles 3(2), 4, 6 et 10(1).
La procédure :
8. La communication est datée du 11 juillet 1997, Elle a été reçue au Secrétariat
de la
Commission le 18 août 1997.
9. A sa 23ème session tenue à Banjul (Gambie), la Commission a décidé d’être
saisie de la
communication et d’en informer l’Etat défendeur. Elle a par ailleurs exprimé
le besoin de
disposer d’informations supplémentaires sur la situation de la victime.
10. A sa 26ème session tenue à Kigali, Rwanda, la Commission a déclaré
la communication
recevable et a demandé aux parties de présenter leurs arguments sur le
fond.
LE DROIT
La recevabilité
11. La condition de recevabilité de la présente communication était basée
sur l'article 56 (5) de
la Charte Africaine. Cette disposition exige l'épuisement préalable des
voies de recours
internes avant que la communication ne soit examinée par la Commission.
12. Le plaignant allègue que son client avait cherché en vain la protection
des tribunaux
nationaux, en raison de l'existence du Décret numéro 2 de 1984, tel qu'amendé.
Il est
allégué que ce décret contient une clause dérogatoire, qui comme la plupart
des autres
décrets promulgués par le gouvernement militaire du Nigeria interdit aux
juridictions
ordinaires de connaître des affaires ou procédures y relatives.
13. S'appuyant sur sa jurisprudence (voir les communications 87/93, 101/93
et 129/94), la
Commission a déclaré que les voies de recours internes seraient non seulement
inefficaces,
mais n'aboutiraient à coup sûr à aucun résultat positif. De même, la Commission
a noté
que le client du plaignant restait caché et craignait toujours pour sa
vie. À cet égard, la
Commission invoque la déclaration du représentant du Nigeria dans la communication
102/93 au sujet de la situation " chaotique " qui
a prévalu après l'annulation des élections
(voir paragraphe 57), dont le plaignant réclame la validation. Etant donné
cette situation, et
forte de la connaissance qu'avait la Commission au sujet de la situation
prévalant au
Nigéria sous le régime militaire, elle a décidé qu'il ne serait pas approprié
d'insister
davantage sur la réalisation de cette condition.
Par ces motifs, la Commission déclare la communication recevable.
Le fond
14. Le plaignant allègue la violation de l'article 3(2) de la Charte par
l'Etat défendeur. L'article
3(2) prévoit que :
Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
15. La Commission considère que les arrestations et la détention de M.
Kazeem Aminu par les
services de la sécurité du Nigeria, qui l'ont en fin de compte poussé à
se cacher par peur
pour sa vie, constituent un déni de son droit à une égale protection de
la loi reconnu par
l'article 3 de la Charte.
16. Le plaignant a allégué qu'à plusieurs occasions, son client avait été
torturé et subi un
traitement inhumain de la part des responsables des services de la sécurité
du Nigéria.
Aucun élément n'a été fourni pour appuyer cette allégation. En l'absence
d'informations
spécifiques sur la nature des actes dénoncés, la Commission est dans l'impossibilité
de
confirmer la violation alléguée.
17. Le plaignant a aussi déclaré que l'ensemble des arrestations et des
périodes de détention
subies par son client, et la décision qui s'en est suivie de se tenir en
cachette, constituent une
violation de son droit à la vie énoncé par l'article 4 de la Charte.
18. La Commission note que le client du plaignant (victime) est encore
vivant, mais qu'il vit
caché par peur pour sa vie. Ce serait une interprétation étroite de ce
droit de croire qu'il ne
peut être violé que lorsque l'on en est privé. On ne peut pas dire que
le droit au respect de sa
vie et de la dignité inhérente à la personne humaine, que garantit cet
article serait protégé
dans un état de peur et/ou de menaces constantes, comme le vit M.. Kazeem
Aminu. La
Commission considère donc les actes ci-dessus perpétrés par les responsables
des services de
la sécurité de l'Etat défendeur constituent une violation de l'article
4 de la Charte. L'article 4
dispose que :
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect
de sa vie et à
l'intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement
de
ce droit.
19. Il est allégué que M. Kazeem Aminu a été arbitrairement arrêté et détenu
à plusieurs
occasions entre 1995 et la date de réception de cette communication (11
juillet 1997). Dans
son explication, le plaignant affirme que son client avait cherché en vain
la protection des
tribunaux nationaux, en raison de l'existence du Décret numéro 2 de 1984,
tel qu'amendé. Il
est allégué que ce décret contient une clause dérogatoire, qui comme la
plupart des autres
décrets promulgués par le gouvernement militaire du Nigéria, interdit aux
juridictions
ordinaires de connaître des affaires ou procédures y relatives.
20. Il est du devoir de l'Etat partie d'appréhender toute personne qui
est raisonnablement
susceptible d'avoir commis ou est sur le point de commettre une infraction
reconnue par ses
lois. Cependant, de telles arrestations et/ou détention doivent être conformes
aux lois
connues, qui à leur tour doivent être conformes aux dispositions de la
Charte.
21. Dans le cas sous examen, la Commission considère cette situation, où
quasiment le client du
plaignant est constamment en état d'arrestation et de détention, sans inculpation
ni possibilité
de recours auprès des tribunaux pour la réparation des préjudices, comme
étant une violation
de l'article 6 de la Charte. L'article 6 prévoit que :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.
Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf pour des motifs et dans des
conditions
préalablement déterminés par loi; en particulier, nul ne peut être arrêté
ou détenu
arbitrairement.
22. Le plaignant allègue en outre que l'Etat défendeur a violé l'article
10(1) de la Charte, du fait
que son client est recherché par les agents de la sécurité du Nigéria pour
ses opinions
politiques qu'il a manifestées par sa participation dans la mobilisation
pour la validation des
élections annulées du 12 juin. L'article 10(1) stipule que : "
Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec
d'autres, sous
réserve de se conformer aux règles édictées par la loi".
23. Eu égard à ce qui précède, la Commission prend dûment acte du problème
créé par
l'annulation des élections au Nigéria et sa décision antérieure sur la
question (voir décision
sur la communication 102/93). Dans ces conditions, la Commission considère
les actes des
agents des services de la sécurité envers M. Kazeem Aminu comme une violation
de son droit
de constituer librement une association tel que garanti par l'article 10(1)
de la Charte.
24. Malheureusement, le gouvernement du Nigéria n'a pas répondu aux multiples
demandes de la
Commission pour avoir sa réaction sur la communication.
25. Dans plusieurs de ses décisions antérieures, la Commission africaine
a établi le principe que
là où les allégations des violations des droits de l'homme ne sont pas
contestées,
particulièrement après des notifications ou des demandes répétées d'informations
sur le cas, la
Commission statue sur base des faits fournis par le plaignant et traite
ces faits comme étant
prouvés (voir les communications numéro 59/91, 60/91, 64/91, 87/93 et 101/93).
26. Dans ces circonstances, la Commission se trouve dans l'obligation de
déclarer que les faits
allégués par le plaignant sont fondés.
Pour ces motifs, la Commission :
- Déclare que la République fédérale du Nigéria a violé les droits de M.
Kazeem Aminu
énoncés par les articles 3(2), 4, 5, 6 et 10(1) de la Charte ;
- Demande au gouvernement nigérian de prendre les mesures nécessaires en
vue de se
conformer à ses obligations découlant de la Charte.
Fait à Alger, le 11 mai 2000