206/97-Centre for Free Speech c/Nigeria
Rapporteur :
23ème session : Commissaire Pityana
24ème session : Commissaire Pityana
25ème session : Commissaire Pityana
26ème session : Commissaire Pityana
Résumé des faits :
1. Le requérant allègue l’arrestation, la détention, le jugement et la
condamnation arbitraires de
quatre journalistes nigérians par le tribunal militaire présidé par Patrick
Aziza.
2. Il est par ailleurs allégué que ces journalistes ont été condamnés pour
avoir publié, dans
leurs différents journaux et magazines, des articles sur la tentative supposée
de coup d’Etat
de 1995. Ces journalistes sont M. George Mba de ‘‘TELL Magazine’’, M. Kunle
Ajibade de
‘THE NEWS Magazine’’, M. Ben Charles Obi de ‘‘CLASSIQUE Magazine’’ et Mme
Chris
Anyanwu de ‘‘TSM Magazine’’.
3. Le journaliste allègue que le procès des journalistes s’est déroulé
en secret et qu’ils n’ont pas
eu droit à l’assistance des avocats de leur choix.
4. Les journalistes ont été condamnés à différentes peines d’emprisonnement.
5. En outre, la communication allègue que les journalistes en question
ne pouvaient pas
interjeter appel contre leur condamnation en raison des divers décrets
promulgués par le
régime militaire, qui révoquent la compétence des juridictions ordinaires
à connaître des
appels contre les jugements d’un tribunal militaire.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
Le plaignant soutient la violation des articles ci-après de la Charte africaine
:
Articles 6, 7 et 24, ainsi que le Principe n° 5 des Règles des Nations
Unies relatives à l
'indépendance de la magistrature.
La procédure
6. La communication est datée du 14 juillet 1997, elle a été reçue au Secrétariat
de la
Commission le 23 septembre 1997.
7. Des correspondances ont été échangées entre le Secrétariat et les parties
en vue de
compléter le dossier et de tenir ces dernières informées de la procédure.
LE DROIT
La recevabilité
8. Pour qu’une communication relative aux droits de l’homme et des peuples
présentée en vertu
de l’article 55 de la Charte soit recevable, elle doit remplir toutes les
conditions stipulées à
l’article 56 de la Charte Africaine. Ces conditions doivent être examinées
en tenant compte
des circonstances particulières de chaque cas. Dans le cas d’espèce, la
communication est
prima facie conforme aux conditions exigées. La seule question qui peut
être soulevée
concerne l’épuisement des voies de recours internes tel que le prévoit
l’article 56 (5) de la
Charte.
9. L’article 56(5) dispose que :
Les communications visées à l’article 55 reçues à la Commission et relatives
aux droits de
l’homme et des peuples doivent nécessairement, pour être examinées, remplir
les
conditions ci-après :
...
Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à
moins qu’il ne
soit manifeste à la Commission que la procédure de ces recours se prolonge
d’une
façon anormale.”
10. Les juridictions de l’ordre judiciaire ont été dépouillées de leurs
compétences par le
“Treason and Treasonable offences Decree” (Tribunal militaire spécial).
En conformité avec
sa position dans la communication 60/91 relative au tribunal sur les vols
et les armes à feu,
la communication 87/93 relative au tribunal sur les perturbations de l’ordre
public, la
communication 101/92 concernant le Décret régissant les praticiens du droit
et la
communication 129/94 relative au Décret sur la Constitution suspension
et modification) et
sur les partis politiques (dissolution), la Commission estime que dans
le cas de la présente
communication, les voies de recours internes sont inexistantes ou inefficaces.
Par ces motifs, la Commission déclare la communication recevable.
LE FOND
11. Le requérant allègue que l’arrestation et la détention arbitraires
des journalistes constituent
une violation du droit à la liberté et à la sécurité de leur personne tel
qu’énoncé à l’article 6
de la Charte Africaine.
L’article 6 dispose que :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul
ne peut être privé
de sa liberté, sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement
déterminés par
la loi ; en particulier, nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.
12.Le plaignant allègue également la violation de l’article 7 de la Charte
et du principe 5 des
Principes fondamentaux des Nations unies relatifs à l’indépendance de la
magistrature du
fait que, les journalistes ont été jugés en secret, qu’ils n’ont pas eu
accès au conseil de leur
choix et qu’ils ont été condamnés à diverses peines d’emprisonnement dans
ces conditions.
Il ajoute aussi le fait que les journalistes condamnés ne puissent pas
interjeter appel en
raison des différents décrets promulgués par le gouvernement militaire
qui privaient les
juridictions de l’ordre judiciaire de leurs compétences dans le jugement
de telles affaires.
L’article 7(1) de la Charte prévoit que :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend
: a) le droit
de saisir les juridictions compétentes de tout acte violant les droits
fondamentaux qui
lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements
et coutumes en
vigueur;
Le principe 5 des Principes fondamentaux des Nations Unies énonce que :
Chacun a le droit d’être jugé par les juridictions ordinaires selon les
procédures légales
établies. Il n’est pas créé de juridictions n’employant pas les procédures
dûment
établies conformément à la loi afin de priver les juridictions ordinaires
de leurs
compétences.
13.Il est allégué que les personnes condamnées n’ont eu ni l’accès à leurs
avocats, ni
l’opportunité de se faire représenter et défendre par un avocat de leur
choix au cours du
procès. L’article 7(1) (c ) de la Charte dispose que :
Toute personne a le droit à la défense, y compris celui de se faire assister
par un
défenseur de son choix.
14. Dans sa Résolution relative au droit de recours et à un procès équitable,
en vue de renforcer
cette garantie, au paragraphe 2(e) (i ), la Commission a tenu à préciser
que :
Dans la détermination des charges retenues contre elle, toute personne
a droit, en
particulier :
i) …à communiquer confidentiellement avec un défenseur de son choix .
Le déni de ce droit constitue donc une violation de l’article 7(1) (c)
de la Charte.
15. La question de la mise en accusation et du jugement des journalistes
concernés doit
également être examinée ici. Le requérant allègue que les journalistes
ont été inculpés, jugés
et condamnés par un Tribunal militaire spécial, présidé par un officier
d’active et dont les
membres comprenaient également d’autres officiers d’active. Cela constitue
une violation
de l’article 7 de la Charte et du principe 5 des Principes fondamentaux
des Nations Unies
relatifs à l’indépendance de la magistrature.
Le principe 5 des Principes fondamentaux des Nations Unies énonce que :
Chacun a le droit d’être jugé par les juridictions ordinaires selon les
procédures légales
établies. Il n’est pas créé de juridictions n’employant pas les procédures
dûment
établies conformément à la loi afin de priver les juridictions ordinaires
de leur
compétence.
16. On ne peut pas dire que le procès et la condamnation des quatre journalistes
par un tribunal
militaire spécial présidé par un officier d’active qui est également membre
du PRC, organe
habilité à confirmer le jugement, se soient déroulés dans des conditions
qui garantissaient
réellement le principe du procès équitable tel que prévu par l’article
7 de la Charte et les
Principes fondamentaux susmentionnés. Cet acte constitue par ailleurs une
violation de
l’article 26 de la Charte.
L’article 26 de la Charte dispose que :
Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l’indépendance
des
tribunaux et de permettre l’établissement et le perfectionnement d’institutions
nationales appopriées chargées de la promotion et de la protection des
droits et libertés
garantis par la présente Charte.
17. Malheureusement, le gouvernement du Nigeria n’a pas daigné répondre
aux multiples
demandes à lui adressées par la Commission pour qu’il donne son avis sur
la présente
communication. Dans plusieurs de ses décisions antérieures, la Commission
Africaine a
établi le principe que lorsque les allégations de violation des droits
de l’homme ne sont pas
contestées par le gouvernement mis en cause, particulièrement après des
notifications et des
demandes d’informations répétées sur le cas, elle statue sur la base des
faits communiqués
par le requérant et considère ces faits comme étant avérés (Cf. communications
nos. 59/91,
60/91, 64/91, 87/93 et 101/93).
18. Dans les circonstances présentes, la Commission se trouve dans l’obligation
de considérer
que les faits allégués par le requérant sont établis.
Par ces motifs, la Commission :
Conclut qu’il y a eu violation des articles 6 et 7(1)(a),(c) et 26 de la
Charte Africaine;
Invite le gouvernement nigérian à ordonner la libération des quatre journalistes.
Fait à Kigali, le 15 novembre 1999