222/98 et 229/99 - Law Office of Ghazi Suleiman / Soudan
Rapporteur :
24ème session : Commissaire Pityana
25ème session : Commissaire Pityana
26ème session : Commissaire Pityana
27ème session : Commissaire Pityana
28ème session : Commissaire Pityana
29ème Session : Commissaire Pityana
30ème Session : Commissaire Pityana
31ème Session : Commissaire Pityana
32ème Session :
33ème Session : Commissaire Dankwa
Résumé des faits
1. La communication 222/98 est introduite par Law Office of Ghazi Suleiman,
un
Cabinet d’Avocats basé à Khartoum, Soudan, au nom d’Abdulrhman Abd Allah
Abdulrhman Nugdalla (chômeur), Abd Elmahmoud Abu Ibrahim (Religieux) et
Gabriel Matong Ding (Ingénieur).
2. Il est allégué que les trois plaignants ont été emprisonnés et les enquêtes
nécessaires effectuées, conformément à la loi de 1994 relative à la sécurité
nationale. Les actes des plaignants avaient des objectifs terroristes
et
propagandistes visant à mettre en péril la sécurité et la paix du pays
et des
citoyens civils innocents.
3. Le requérant allègue que ces personnes dont il est question ont été
arrêtées le 1er
juillet 1998 ou autour de cette date et qu’elles ont été détenues par le
Gouvernement soudanais sans inculpation ni accès aux avocats ou à leurs
familles.
4. Il ajoute que leurs avocats ont demandé, en vain, aux instances compétentes,
y
compris la Court Suprême (Branche constitutionnelle), l’autorisation de
rendre
visite à leurs clients. La dernière de ces demandes a été rejetée le 5
août 1998. Il
est affirmé qu’il y a des raisons de croire que les détenus sont torturés.
5. Le même cabinet Law office of Ghazi Suleiman a introduit une communication
similaire 2229/99 au nom de 26 civils. Ces victimes sont des civils faisant
l’objet
d’un procès devant le Tribunal militaire pour des infractions de déstabilisation
du
système constitutionnel, d’incitation à la guerre ou d’engagement de la
guerre
contre l’Etat, d’appel à l’opposition contre le gouvernement et d’assistance
à
l’organisation criminelle ou terroriste suivant la loi soudanaise.
6. Il est allégué que ce Tribunal est créé par Décret présidentiel et qu’il
est
principalement composé d’officiers militaires. Des quatre membres de la
Cour,
trois sont des militaires en activité. La communication ajoute que la cour
est
habilitée à élaborer son propre règlement intérieur, qui ne doit pas se
conformer
aux règles de procès équitable établies.
7. Le requérant allègue aussi que toutes les personnes accusées n’ont pas
eu le droit
de se faire assister par des défenseurs de leur choix, ni suffisamment
de temps et
d’accès aux dossiers pour préparer leur défense. La violation du droit
à la défense
par des avocats de leur choix serait basée sur le jugement rendu par le
Tribunal
militaire, le 11 octobre 1998, pour empêcher les avocats choisis par les
accusés de
les représenter. M. Ghazi Suleiman, principal actionnaire du Cabinet plaignant,
est l’un de ces avocats. Il est rapporté en outre que la décision de ce
tribunal est
sans appel.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
8. Le plaignant allègue la violation des articles 5, 6 et 7(a), (b), (c)
et (d) de la
Charte africaine.
Procédure :
9. La communication a été reçue au Secrétariat de la Commission le 28 septembre
1998.
10. A sa 25ème Session ordinaire tenue du 26 avril au 5 mai 1999 à Bujumbura,
Burundi, la Commission a décidé d’être saisie de la communication.
11. Le 11 mai 1999, le Secrétariat de la Commission a notifié cette décision
aux
parties.
12. La Commission a examiné la communication à sa 26è Session Ordinaire
tenue du
1er au 15 novembre 1999 à Kigali, Rwanda, et a demandé au plaignant de
soumettre par écrit ses observations sur la question de l’épuisement des
voix de
recours internes. En outre, elle a demandé aux parties de lui fournir la
législation
et les décisions de justice pertinentes (en anglais ou en français).
13. Le 21 janvier 2000, le Secrétariat de la Commission a écrit aux parties
pour les
informer de la décision de la Commission.
14. A la 27ème session ordinaire tenue du 27 avril au 11 mai 2000 en Algérie,
la
Commission a entendu la présentation orale des parties et a décidé la jonction
de
toutes les communications introduites contre le Soudan. La Commission
Africaine leur a demandé de lui fournir par écrit les arguments relatifs
à
l’épuisement des voies de recours internes.
15. Le 30 juin 2000, ces décisions ont été communiquées aux parties.
16. Lors de la 28è session ordinaire tenue du 23 octobre au 6 novembre
2000 à
Cotonou, Bénin, la Commission africaine a reporté l’examen de cette
communication à la 29è session ordinaire et a demandé au Secrétariat
d’incorporer les observations orales de l’Etat Défendeur ainsi que les
observations écrites de l’avocat des plaignants dans le projet de décision
afin de
permettre de statuer sur la recevabilité en pleine connaissance de cause.
17. A la 29ème session ordinaire tenue du 23 avril au 7 mai 2001 à Tripoli,
la
Commission africaine a entendu les parties à l’affaire. Suite à des débats
approfondis, la Commission a noté que le plaignant avait soumis un dossier
détaillé de l’affaire. Il a par conséquent été recommandé que l’examen
de cette
communication soit reporté à la 30ème session, en attendant la soumission
de
réponses détaillées par l’Etat défendeur.
18. Le 19 juin 2001, le Secrétariat de la Commission africaine a informé
les parties de
la décision ci-dessus et a demandé à l’Etat défendeur de lui faire parvenir
ses
observations écrites dans les deux (2) mois qui suivent la date de notification
de
cette décision.
19. Au cours de la 30ème session ordinaire tenue 13 au 27 octobre 2001
à Banjul,
Gambie, la Commission a entendu les présentations orales de l’Etat défendeur
et
les observations orales du Dr Curtis Deobbler et a reporté que l’examen
de ces
communications soit reporté à la 31ème Session en attendant que le gouvernement
soudanais réponde aux observations soumises par la partie plaignante.
20. Le 15 novembre 2002, le Secrétariat de la Commission a informé les
parties de la
décision de la Commission et a demandé à l’Etat défendeur de soumettre
ses
observations écrites dans les deux mois à partir de la notification de
la dite
décision
21. Lors de sa 31ème Session ordinaire tenue à Pretoria, Afrique du Sud
du 2 au 16
mai 2002, la Commission Africaine a entendu les observations orales des
deux
parties, elle a déclaré la communication recevable et a décidé de joindre
les
communications 222/98 et 229/99 en raison de la similitude des allégations.
22. Le 29 mai 2002, l’Etat défendeur et les plaignants ont été notifiés
de la décision
prise par la Commission Africaine.
23. Lors de la 32ème session ordinaire tenue du 17 au 23 octobre 2002 à
Banjul,
Gambie, le Représentant de l’Etat défendeur a présenté ses moyens oralement
et
par écrit pour demander à la Commission Africaine de revoir sa décision
sur la
recevabilité de toutes les communications soumises contre le gouvernement
soudanais. La Commission Africaine a informé l’Etat Défendeur qu’elle
avait
déjà
statué sur la question de la recevabilité des communications et que l’Etat
Défendeur devrait présenter ses observations sur le fond.
24. Lors de la 33ème session ordinaire tenue du 15 au 29 mai 2003 à Niamey,
Niger, la
Commission Africaine a examiné cette communication et a décidé de rendre
sa
décision sur le fond.
Observations du requérant
25. Le plaignant informe la Commission que les victimes ont été libérées
à la fin de
1999, après avoir bénéficié de la grâce du Président du Soudan. Lorsque
les
victimes ont été libérées, le gouvernement a annoncé que l’affaire était
classée et
qu’aucune autre action ne pouvait être ou ne serait initiée. La grâce avait
été
accordée à la seule condition que les victimes renoncent à leur droit de
faire
appel.
26. Le requérant informe la Commission qu’il n’existe aucune voie de recours
effective, que même lorsque l’on fait appel à la Cour constitutionnelle
cela n’est
d’aucun effet à cause de l’état d’urgence en vigueur. Il ajoute que le
manque de
voies de recours appropriées résulte des limitions politiques qui n’en
permettent
pas la mise en application.
Observations de l’Etat Défendeur
27. Dans ses observations écrites, l’Etat défendeur souligne que l’acte
perpétré par
les accusés constitue un crime terroriste mettant en péril la paix et la
sécurité
nationale. Etant donné la cruauté du crime caractérisé par l’utilisation
d’armes
meurtrières et vu que ces crimes sont prévus dans les parties 5, 6 et 7
du Code
pénal soudanais de 1991, les accusés ont été jugés par un tribunal militaire
conformément à la loi relative aux forces populaires armées de 1986, après
accord du ministre de la justice demandé par l’autorité militaire tel
que
prévu par
la loi. Les séances des tribunaux militaires étaient publiques et les accusés
ont été
traités conformément à la loi qui leur garantit le droit à un procès équitable.
Ils
ont exercé leur droit de choisir librement leurs représentants juridiques.
Le
conseil de la défense était composé de 9 ténors du barreau soudanais présidés
par maître
Abel Alaire ex-Vice Président de la République du Soudan.
28. Les avocats de la défense ont introduit un recours auprès de la cour
constitutionnelle suspendant ainsi le cours de la procédure militaire.
La cour
constitutionnelle a émis un jugement définitif annulant le jugement des
accusés
par le tribunal militaire.
29. Le Président de la République a ensuite proclamé la grâce des accusés
dans cette
affaire pénale en vue de parachever la concorde et la paix nationale auxquelles
aspire toujours le Soudan et afin de préparer un climat d’entente et de
paix
globales. Sur la base de cette proclamation présidentielle, le ministre
de la justice a
ordonné l’arrêt des poursuites judiciaires et la libération immédiate des
accusés.
30. La grâce a été annoncée par l’ensemble des médias et nulle part dans
la
déclaration du Président de la République ou dans la décision du Ministre
de la
justice, il n’a été fait mention d’une condition expresse ou tacite interdisant
aux
accusés de recourir aux tribunaux ou à la justice ou les obligeant de renoncer
à
l`un de leurs droits.
31. Il a la ferme conviction que le gouvernement soudanais a respecté dans
l’ensemble des procédures suivies, les dispositions d e la Charte africaine
des
Droits de l’Homme et des Peuples ainsi que les coutumes et principes du
droit
international des droits de l’homme.
Du Droit
De la Recevabilité
32. La recevabilité des communications introduites conformément à l’Article
55 de la
Charte est régie par les conditions énoncées à l’article 56 de la même
Charte. La
disposition qui s’applique dans ce cas particulier est celle de l’article
56(5) qui
stipule notamment que: “les communications…pour être examinées, doivent
remplir les conditions ci - après: …être postérieures à l’épuisement des
voies de
recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission
que la procédure de ces recours ne se prolonge d’une façon anormale…”
33. Le cas sous examen est une jonction de deux communications que la
Commission a décidé d’examiner ensemble en raison de la similitude des
allégations.
34. Dans ses observations orales, le délégué de l’Etat informe la Commission
qu’après la nouvelle Constitution de 1998, la situation politique du Soudan
a
connu des développements politiques importants qui se sont traduits par
le
retour de beaucoup de figures de l’opposition soudanaise et de chefs de
partis
politiques vivant à l’étranger, qui ont pu poursuivre leurs activités politiques
à l’intérieur du pays dans un climat de coexistence pacifique,
de liberté, de pardon
et de dialogue en vue de bâtir l’unité du Soudan. Au cours de cette période,
le
Soudan s’est caractérisé par son respect et son engagement à l’encontre
de la
Charte des Nations Unies et de la Charte de l’OUA dans ses relations avec
les
Etats voisins et a pu rétablir ses relations dans le but de réaliser une
coopération
et une confiance à même de renforcer l’unité et la solidarité africaines.
A la suite
de ces développements politiques, l’Etat a cessé les poursuites pénales
engagées
contre les plaignants. Depuis cette date, ils poursuivent leurs activités
politiques
en toute liberté dans un climat de pardon et de fraternité.
35. L’Etat défendeur insiste sur le fait que les plaignants ont eu accès
à la justice et
n’ont pas été privés de leur droit à présenter une requête sur la protection
de
leurs droits constitutionnels. Il considère que les plaignants ont pu jouir
de
l’ensemble des droits prévus à l’article 9 du Pacte International relatif
aux Droits
Civils et Politiques.
36. Le requérant allègue qu’il n’existe aucun recours effectif puisque
les demandeurs
ont été forcés de renoncer à leur droit d’intenter une action en justice
contre le
gouvernement. Ils ont été graciés et mis en liberté à la condition qu’ils
renoncent
à leur droit de demander réparation au gouvernement. En renonçant au droit
de
demander réparation, les voies de recours ne sont plus accessibles aux
plaignants, mais ils ne sont pas censés pour autant avoir renoncé à leur
droit de
revendiquer leurs droits humains devant un organisme international.
37. Le plaignant et l’Etat défendeur sont d’accord sur le fait que les
demandeurs ont
intenté une action contre la Cour suprême (Division constitutionnelle)
qui a
décidé le 13 août 1998 que l’Acte sur la sécurité nationale de 1994 primait
sur le
droit international en matière de droits de la personne, y compris la Charte
africaine des droits de la personne et des peuples.
38. Le plaignant ajoute que bien que les demandeurs aient été relâchés
à une date
ultérieure, il n’y a pas eu réparation pour la violation de leurs droits
humains. Il
affirme par ailleurs que les demandeurs ont épuisé toutes les voies de
recours
internes en vue de la réparation de la violation de leurs droits humains
par la
décision la Cour Suprême (Division constitutionnelle) en date du 13 août
1998.
39. La Commission estime que les obligations auxquelles sont tenus les
Etats sont
d’une nature erga omnes, et ne dépendent pas de leurs citoyens. En tout
état de
cause, le fait que les victimes aient été libérées ne constitue pas une
réparation de
la violation. La Commission prend bonne note des changements de la part
du
gouvernement soudanais dans le sens plus protecteur des droits humains
mais
tient à préciser que ces changements n’ont aucun effet sur les violations
passées
et qu’elle est tenue, en vertu de son mandat de protection, de statuer
sur les
communications.
40. S’appuyant sur sa jurisprudence, la Commission a toujours traité les
communications en statuant sur les faits allégués au moment de la présentation
de la communication (voir Communications 27/89, 46/91 et 99/93 Organisation
mondiale contre la torture& al
/ Rwanda.) Par conséquent, même si la situation s'est
améliorée, de manière à permettre la libération des détenus, la position
reste
inchangée en ce qui concerne la responsabilité du gouvernement pour les
actes de
violation des droits de l'homme perpétrés.
41. Par ces motifs, la Commission déclare la communication recevable.
Du Fond
42. L’article 5 de la Charte dispose que :
“ Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la
reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d’exploitation
et d’avilissement de
l’homme notamment …… la torture physique ou morale, et les peines ou les
traitements cruels,
inhumains ou dégradants sont interdites.”
43. Le requérant allègue que pendant les deux mois de leur arrestation,
les détenus
ont été emprisonnés, torturés et privés de leurs droits. Ils ont contesté
leur
détention et le traitement subi, comme étant contraires au droit international
en
matière de droits de la personne ainsi qu’à la législation au Soudan.
44. En outre, détenir des personnes sans leur permettre aucun contact avec
leurs
familles et refuser d’informer les familles du fait et du lieu de la détention
de ces
personnes constituent un traitement inhumain aussi bien pour les détenus
que pour
leurs familles.
45. La torture est interdite par le code pénal du Soudan et ses auteurs
sont punis d’un
emprisonnement allant jusqu’à trois mois ou d’une amende.
46. La Commission apprécie l’action du gouvernement consistant à poursuivre
ceux qui
ont commis des actes de torture mais l’envergure des mesures prises par
le
gouvernement n’est pas proportionnelle à l’ampleur des abus. Il est important
de
prendre des mesures préventives comme l’arrêt des détentions en secret,
la
recherche de solutions efficaces dans un système légal transparent et la
poursuite
des enquêtes sur les allégations de torture.
47. Comme les actes de torture allégués ont été reconnus par l’Etat défendeur,
bien qu’il
n’a pas spécifié si ceux qui les ont commis ont été traduit en justice,
la Commission
considère que ces actes illustrent la responsabilité du gouvernement pour
violations
des dispositions de l’article 5 de la Charte africaine.
48. L’article 6 de la Charte stipule que:
« Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul
ne peut être privé de sa
liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminées
par la loi; en particulier
nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. »
49. La communication 222/98 allègue que les demandeurs ont été arrêtés
et détenus
sans qu’on ne leur en dise les raisons et sans inculpation. Le plaignant
soutient que
leur arrestation était arbitraire et ne se basait pas sur une législation
en vigueur
dans le pays et que leur détention sans a ccès à leurs avocats violait
les normes qui
interdisent les traitements inhumains et dégradants et qui prévoient le
droit a un
procès équitable.
50. L’Etat Défendeur confirme que les détenus ont introduit une requête
pour contester
leur arrestation et les traitements subis lors de leur détention. Toutefois
l’Etat
défendeur indique que les plaignants n’ont pas suivi la longue procédure
requise
pour être rétablis dans leurs droits, par conséquent le tribunal a prononcé
le rejet
de ladite requête par décision n. M/A/AD/1998. Il faut souligner notamment
que l’Etat défendeur ne conteste pas que les victimes ont été gardées
aux
arrêts
sans inculpation, ni chef d’accusation. Cela constitue à première vue une
violation
au droit de ne pas être arbitrairement détenu, tel que prévu par l’article
6 de la
Charte africaine.
51. Le plaignant allègue la violation de l’article 7.1. de la Charte africaine
qui stipule
que :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend:
(a) Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout
acte
violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis
par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur;
(b) le droit à la présomption d’innocence, jusqu'à ce que sa culpabilité
soit établie par une juridiction compétente ;
(c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un
défenseur de son choix;
(d) le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction
impartiale.
52. Toutes ces dispositions sont liées entre elles et lorsque le droit
d’être entendu est
violé, d’autres violations peuvent aussi être commises, de telle sorte
que les
détentions deviennent arbitraires et portent préjudice au déroulement d’un
procès
équitable en bonne et due forme.
53. En outre, au niveau de la forme, le fait que les décisions du tribunal
militaire
soient sans appel et que des civils soient traduits devant une juridiction
militaire
constitue de jure un vice de procédure. Par conséquent interdire l’introduction
d’un recours auprès des instances nationales compétentes constitue une
violation
l’article 7.1(a) et aggrave le risque de ne pas corriger de graves irrégularités.
54. Dans la communication cas sous examen, le plaignant allègue que les
victimes ont
été publiquement déclarées coupables par les enquêteurs et par des officiers
hauts
placés du gouvernement. Il est allégué que le gouvernement a organisé une
intense publicité pour persuader le public qu'il y avait eu tentative
de
coup et que
ceux qui étaient arrêtés étaient impliqués. Le gouvernement a manifesté
une
hostilité ouverte envers les plaignants, en déclarant que “ ceux qui sont
responsables des bombardements” seront exécutés.
55. Le requérant allègue que, pour reconstituer les faits, le tribunal
militaire a exigé
les plaignants d’agir comme s’ils commentaient des crimes en leur dictant
ce qu’ils
devaient faire et ces images ont été filmées et utilisées lors du procès.
Les
autorités officielles auraient attesté de la culpabilité des accusés sur
base de ces
confessions. La Commission n’a aucune preuve pour démontrer que ces officiers
étaient les mêmes que ceux qui ont présidé ou fait partie du tribunal
militaire
les
ayant jugés. Ces images n’ont pas été présentées à la Commission comme
preuve.
Dans de telles conditions, la Commission ne peut procéder à une enquête
sur la
base des preuves non démontrées.
56. Toutefois, la Commission Africaine condamne le fait de la publicité
faite par les
officiers de l’Etat visant à culpabiliser les coupables d’un délit avant
que leur
culpabilité ne soit établie par un tribunal compétent. Par conséquent,
la publicité
négative de la part du gouvernement viole le droit de présomption d’innocence,
protégé par l’article 7(1)(b) de la Charte africaine.
57. Tel qu’indiqué dans le résumé des faits, les plaignants n’ont pas
obtenu la
permission de se faire assister par les défenseurs et ceux qui les ont
défendu n’ont
pas eu suffisamment de temps d’accéder aux dossiers pour préparer la défense.
58. L’avocat des victimes Ghazi Suleiman n’a pas été autorisé d’apparaître
devant le
tribunal et malgré les différentes tentatives, on lui a toutefois refusé
le droit de
représenter ses clients et même de les contacter.
59. Concernant la question du droit à la défense, les communications 48/90,50/91,
52/91, 89/93 Amnesty International & autres
/ Soudan sont claires à ce sujet. La
Commission Africaine soutient dans ces communications que : « Le droit
de choisir
librement un conseil est fondamental pour la garantie d’un procès équitable.
Reconnaître au tribunal le droit de veto sur le choix d’un avocat constitue
une
violation inacceptable de ce droit. Il devrait y avoir un système objectif
d’agrément
des avocats, pour que les avocats agréés ne soient plus interdits d’intervention
dans
des affaires données. Il est essentiel que le barreau national soit un
organe
indépendant qui réglemente la profession des avocats, et que les tribunaux
euxmêmes
ne jouent plus ce rôle en violation du droit à la défense. »
60. En refusant aux victimes le droit de se faire représenter par l’avocat
de leur choix,
Ghazi Suleiman, constitue une violation de l’article 7 (1) (c) de la Charte
africaine.
61. Il est allégué que le tribunal militaire qui a jugé les victimes n'était
ni compétent,
ni indépendant, ni impartial dans la mesure où ses membres étaient
soigneusement sélectionnés par le chef de l'Etat. Certains des membres
de la
Cour sont des officiers militaires en activité. Le gouvernement n’a pas
réfuté
cette affirmation spécifique, il a juste déclaré que les avocats de la
défense ont
introduit un recours auprès de la cour constitutionnelle suspendant ainsi
le cours
de la procédure militaire. La cour constitutionnelle a émis un jugement
définitif
annulant le jugement des accusés par le tribunal militaire.
62. La Commission africaine dans sa Résolution sur le Nigeria (adoptée
à la 17ème
session) a indiqué que parmi les violations graves et massives qui se déroulaient
dans ce pays, il y avait “ la limitation de l’indépendance du pouvoir
judiciaire
et la mise sur
pied de tribunaux militaires sans indépendance ni règles de procédure pour
juger les personnes
soupçonnées d’être des opposants du régime militaire”
63. Le gouvernement a confirmé les allégations des plaignants en ce qui
concerne la
composition du tribunal militaire. Il a informé la Commission dans ses
observations écrites que le Tribunal militaire a été créé par Décret présidentiel
et
qu’il est principalement composé d’officiers militaires, des quatre membres
de la
Cour, trois sont des militaires en activité et que le procès s’était déroulé
en toute
légalité.
64. Cette seule composition du tribunal militaire donne la mesure du manque
d’impartialité. La comparution et le jugement des civils par un tribunal
militaire,
présidé par des officiers militaires en activité, qui sont encore régis
par le
règlement militaire viole les principes fondamentaux du procès équitable.
De
même, le fait de priver le tribunal d’un personnel qualifié pour garantir
son
impartialité est préjudiciable au droit d’avoir sa cause entendue par des
organes
compétents.
65. A cet égard, il importe de rappeler la position générale de la Commission
sur la
question de jugement des civils par des tribunaux militaires. Dans sa Résolution
sur le droit à un procès équitable et à l’aide judiciaire en Afrique,
lors
de
l’adoption de la Déclaration et les Recommandations de Dakar, la Commission
a
observé que : Dans beaucoup de pays africains, les tribunaux militaires
ou
spéciaux existent parallèlement aux institutions judiciaires ordinaires
pour
connaître des délits d’un caractère purement militaire commis par le
personnel militaire. Dans l’exercice de cette fonction, les tribunaux
militaires doivent respecter les normes d’un procès équitable. Ils ne
devraient en aucun cas juger des civils. De même, les tribunaux militaires
ne
devraient pas connaître des délits qui sont de la compétence des juridictions
ordinaires.
66. En conséquence, la Commission Africaine considère que la sélection
d'officiers
militaires en activité pour jouer le rôle de magistrat constitue une violation
du
paragraphe 10 des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance de la
magistrature qui dispose que : « Les personnes sélectionnées pour remplir
les fonctions de
magistrat doivent être intègres et compétentes et justifier d'une formation
et de qualifications
juridiques suffisantes. » Voir Communication 224/98 -Media Rights Agenda
c/
Nigeria.
67. L’article 7.1 (d) de la Charte veut que la cour ou le tribunal soit
impartial. Mis à
part le caractère des membres de ce tribunal militaire, sa seule composition
crée
l’apparence, sinon l’absence d’une impartialité. Ce qui constitue, par
conséquent,
une violation de l’article 7.1(d) de la Charte africaine.
Par ces motifs, la Commission Africaine :
Constate que la République du Soudan est en violation des dispositions
de l’article 5,
6 et 7(1) de la Charte africaine;
Exhorte le gouvernement du Soudan à conformer sa législation à celle de
la Charte
africaine ;
Demande au gouvernement du Soudan d’indemniser les victimes comme il se
doit.
Fait à la 33è session ordinaire à Niamey, Niger le 29 mai 2003.