Forum of Conscience c. Sierra Leone,
Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 223/98,
28e Session Ordinaire, Cotonou, Bénin, 6 novembre 2000.
223/98 Forum of Conscience c/Sierra Leone
Rapporteur :
25ème session : Commissaire Dankwa
26ème session : Commissaire Dankwa
27ème session : Commissaire Dankwa
28ème session : Commissaire Dankwa
Résumé des faits
1. La plainte est introduite par le Forum of Conscience, une ONG des droits
de
l’homme de Sierra Leone au nom de 24 militaires qui ont été exécutés le
19 octobre
1998 à Freetown, Sierra Leone.
2. Le plaignant prétend que les 24 militaires ont été jugés et condamnés
à mort par une
Cour martiale pour des rôles qu’ils auraient joués dans le Coup qui a renversé
le
Gouvernement élu de Tejan Kabah.
3. La communication allègue en outre que le procès de ces militaires devant
la Cour
martiale était caractérisé par le vice de forme et la violation des obligations
de l’Etat de
Sierra Leone à l’égard de la Charte Africaine.
4. Il est ajouté que cette Cour martiale qui a jugé et condamné les victimes
ci-dessus
mentionnées, ne leur a laissé aucun droit d’appel contre la condamnation
ou la
sentence devant une juridiction supérieure, et cela, en violation des dispositions
de la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
5. Le requérant prétend que l’exécution publique des 24 militaires, le
19 octobre 1998,
après leur avoir refusé le droit d’appel constitue aussi un déni arbitraire
du droit à la
vie énoncé par la Charte Africaine.
Plainte:
Le plaignant allègue la violation des articles suivants de la Charte africaine:
articles 1,
4 et 7(1) (a) et 7 (1) (d).
Procédure:
6. La communication a été reçue par le Secrétariat le 24 octobre 1998.
7. A sa 25ème session ordinaire tenue à Bujumbura, Burundi, la Commission
a reporté
l’examen de la communication à sa 26ème session ordinaire.
8. Le 11 mai 1999, le Secrétariat de la Commission a notifié cette décision
aux parties.
9. A sa 26ème session ordinaire tenue à Kigali, Rwanda, la Commission a
décidé d’être
saisie de cette communication.
10. Entre les 14 et 19 février 2000, lorsque la délégation de la Commission
a effectué
une mission de promotion en Sierra Leone, la question de la plainte a été
soulevée
auprès des autorités compétentes gouvernementales, notamment le Procureur
Général
de Sierra Leone.
11. Le 2 mars 2000, le Secrétariat de la Commission a informé les parties
de la décision
de la Commission.
12. Le 11 avril 2000, le plaignant a répondu à la demande indiquée ci-dessus.
13. A sa 27ème session ordinaire tenue en Algérie, la Commission a examiné
le cas et l'a
déclaré recevable. Elle a demandé aux parties de lui fournir des arguments
de fond sur
ce cas.
14. La décision pré-citée a été communiquée aux parties le 12 juillet 2000.
ACTION REQUISE
La Recevabilité
15. La Commission prend note du fait que la plainte est introduite au nom
de personnes
déjà exécutées. A cet effet, la Commission convient qu'il n'existe pas
de recours
locaux que le plaignant peut formuler. Cependant, même si une telle possibilité
existait, l'exécution des victimes a définitivement forclos un tel recours.
Le Fond:
16. Le plaignant allègue que la décision de la cour martiale ne peut faire
l'objet d'un appel
et constitue par conséquent une violation des droits des victimes à un
procès
équitable.
17. Les faits, tels que soumis par le plaignant, rapportent que les 24
militaires ont été
exécutés publiquement après avoir été privés de leur droit d'appel devant
une
juridiction supérieure. Dans sa Résolution sur le Droit à un Procès Equitable
et à
l'Assistance Juridique en Afrique, la Commission a noté lors de l'adoption
de la
Déclaration et des Recommandations de Dakar, que: “ Dans de nombreux pays
africains, des Tribunaux militaires et des Cours spéciales existent
parallèlement aux institutions judiciaires ordinaires. L'objectif des tribunaux
militaires est de déterminer les délits de nature purement militaire perpétrés
par le personnel militaire. Dans l'exercice de cette fonction, les tribunaux
militaires doivent respecter les normes de procès équitable. ”
18. La Commission note que le procès en question est de nature purement
militaire, c'est
à dire qu'il est fondé sur les rôles qu'ils auraient joués dans le coup
ayant renversé le
Gouvernement élu. La Commission doit cependant affirmer que le déni des
droits
d'appel des victimes devant les juridictions nationales compétentes dans
un délit aussi
grave que celui-ci, est une violation des normes de procès équitable attendues
de ces
cours. L'exécution des 24 militaires est par conséquent une violation de
l'article 7(1)(a)
de la Charte. Ceci est d'autant plus grave que la dite violation est irréversible.
L’article 7(1)(a) de la Charte stipule :
“ Toute personne a … le droit de saisir les juridictions nationales
compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont
reconnus… ”
19. Le plaignant allègue la violation de l’article 4 de la Charte Africaine
des Droits de
l’Homme et des Peuples qui prévoit que :
“ La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect
de sa vie… Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. ”
20. Le droit à la vie est la base de tous les autres droits. C’est la source
d’où découlent les
autres droits, et toute violation injustifiée de ce droit équivaut à une
privation
arbitraire. Ayant constaté que le procès des 24 militaires constitue une
violation de la
procédure juridique telle que garantie par l’Article 7(1)(a) de la Charte,
la Commission
déclare leur exécution comme étant une privation arbitraire de leurs droits
à la vie
prévus à l’article 4 de la Charte. L’article 4 de la Charte stipule :
“ La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect
de
sa vie et à l’intégralité physique et morale de sa personne. Nul ne peut
être
privé arbitrairement de ce droit. ”
Bien que cette procédure ne puisse ramener les victimes à la vie, elle
n’exempte pas le
Gouvernement de Sierra Leone de ses obligations pris en vertu de la Charte.
21. La Commission note que les autorités compétentes de la République de
Sierra Leone
n’ont pas répondu à sa requête concernant les informations complémentaires
et les
arguments relatifs à la recevabilité et au fond du cas. La Commission a
pris note des
explications données par le Ministre de la Justice et Garde des Sceaux
à la mission de
la Commission à savoir que le règlement militaire n'autorisait pas l'appel.
Par ailleurs,
aux yeux de la Commisson, la Charte constitue la base pour constater les
violations.
Les textes régissant la cour martiale, pour autant qu'ils n'autorisent
pas le recours en
appel, violent la Charte. Cependant, la Commission a noté avec satisfaction
que la loi
a été amendée suite à la mission de celle-ci en Sierra Leone pour la mettre
en
conformité avec la Charte.
Pour les raisons ci-dessus évoquées, la Commission :
Déclare le Gouvernement de Sierra Leone en violation avec les articles
4 et 7(1)(a)
de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Recommande au Gouvernement de Sierra Leone de conformer sa législation
à la
Charte.
Fait à Conotou, Bénin, le 6 novembre 2000