Media Rights Agenda c. Nigeria,
Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 224/98,
28e Session Ordinaire, Cotonou, Bénin, 6 novembre 2000.
224/98 - Media Rights Agenda c/ Nigeria
Rapporteur :
25ème session : Commissaire Ben Salem
26ème session : Commissaire Ben Salem
27ème session : Commissaire Ben Salem
28ème session : Commissaire Ben Salem
29ème session : Commissaire Ben Salem
Résumé des faits :
1. Cette communication, qui a été envoyée par e-mail, date du 25 mai 1998.
Elle a été
reçue au Secrétariat le 26 mai 1998.
2. Elle est introduite par Media Rights Agenda, une ONG nigériane des droits
de l'homme
basée à Lagos, au nom de Niran Malaolu, éditeur d'un quotidien nigérian
indépendant,
The Diet.
3. Le requérant se plaint que M. Niran Malaolu a été arrêté avec trois
autres employés du
quotidien par des militaires armés dans les bureaux de The Diet à Lagos
le 28 décembre
1997.
4. Ni Niran Malaolu, ni aucun des trois autres collègues arrêtés n'ont
été informés des
raisons de leur arrestation ou n'ont vu le mandat d'arrêt.
5. Les trois autres collègues arrêtés avec Malaolu ont été ensuite libérés.
6. Niran Malaolu est resté détenu sans inculpation jusqu'au 14 février
1998 lorsqu'il a
comparu devant un tribunal militaire spécial pour son implication alléguée
dans un
coup.
7. Tout au long de la période de son incarcération, Niran Malaolu n'avait
pas accès à son
avocat, ni au médecin, ni aux visites des membres de sa famille.
8. Le 28 avril 1998, à l'issu d'un procès à huis clos, il a été jugé coupable
de dissimulation
de trahison et il a été condamné à un emprisonnement à vie.
9. Le requérant allègue en outre que la prétendue implication de Niran
Malaolu dans un
coup était liée aux nouvelles publiées dans son journal sur la tentative
de coup qui
impliquait le chef d'Etat major général d'alors, Lieutenant général Oladipo
Diya, ainsi
que d'autres officiers militaires et des civils qui ont également été condamnés
à des
peines allant de la prison à vie à la peine de mort par fusillade.
10. Une de ces histoires était un article intitulé «les militaires grommellent
encore», qui a
été publié dans The Diet du dimanche 28 décembre 1997 suite à l'annonce
de la
prétendue tentative de coup d'Etat découverte par le Gouvernement militaire.
11.Le requérant ajoute que Niran Malaolu n'a pas eu le droit de se faire
défendre par des
avocats de son choix et qu'un avocat militaire lui a plutôt été assigné
par le tribunal en
violation du droit à un procès équitable.
12. Le tribunal militaire spécial qui a jugé la victime n'était ni compétent,
ni indépendant, ni
impartial dans la mesure où ses membres étaient soigneusement sélectionnés
par le chef
de l'Etat, Général Sani Abacha et le Conseil de gouvernement provisoire
(PRC) contre
qui l'infraction était sensée avoir été commise. En outre, le Président
du tribunal, le
Major général Victor Malu, est aussi membre du PRC qui est habilité par
le décret n°1
de 1986 relatif à la trahison et autres crimes (tribunal militaire spécial),
à confirmer les
peines de mort prononcées par le tribunal. Il s'agirait d'une violation
des règles de
justice naturelle et en particulier l'article 7 (b) de la Charte.
13. La comparution et le procès de Niran Malaolu, un civil, devant le tribunal
militaire
spécial utilisant des procédures spéciales, constituent une violation du
paragraphe n°5
des principes des Nations Unies sur l'indépendance de la magistrature et
de l'article 7 de
la Charte.
14. Le plaignant allègue aussi que suivant les dispositions du décret n°1
de 1986 relatif à la
trahison et autres crimes (tribunal militaire spécial), qui a mis en place
le tribunal ayant
jugé et condamné les accusés, le droit d'appel auprès d'une juridiction
supérieure est complètement
annulé et ceux qui sont condamnés ne peuvent faire appel qu'auprès du
PRC, dont la composition et les intérêts sont indiqués au paragraphe 12.
15. Le requérant affirme aussi que le procès à huis clos de Niran Malaolu
constituait une
violation des normes internationales des droits de l'homme reconnues, particulièrement
le droit à un procès équitable et public.
16. Enfin, l'arrestation, la détention, la comparution, le jugement et
la condamnation de
Malaolu auraient été une grave violation des normes d'un procès équitable
tel qu'énoncé
par la Charte.
GRIEFS :
17. Le requérant allègue la violation des articles 6, 7, 9 et 26 de la
Charte Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples.
LA PROCEDURE
18. Au cours de la 25ème session tenue à Bujumbura, Burundi, la Commission
décidé de se
saisir de la communication et a demandé au Secrétariat de le notifier au
gouvernement
du Nigeria. Elle a en outre demandé au Secrétariat de lui donner un avis
juridique sur la
recevabilité de la plainte, en ce qui concerne particulièrement l'article
56(7) de la Charte
et eu égard à la situation politique prévalant au Nigeria.
19. Le 19 août 1999, les parties ont été informées de cette décision par
le Secrétariat.
20. A sa 26ème session à Kigali, Rwanda, la Commission a déclaré la communication
recevable et a demandé aux parties de présenter leurs arguments sur le
fond de l'affaire.
21. Le 17 janvier 2000, le Secrétariat a notifié les parties de cette décision.
22. Le 17 février 2000, le Secrétariat a reçu une note verbale du Haut
Commissariat de la
République fédérale du Nigeria à Banjul, se référant à la correspondance
susmentionnée
et demandant à la Commission de transmettre aux autorités compétentes du
Nigeria les
documents suivants pour leur permettre de préparer des réponses appropriées
aux
violations alléguées : a) Projet de l'ordre du jour de la 27ème session
et une lettre
d'invitation à la session venant du Secrétariat ; b) une copie de la plainte
qui était
attachée à la lettre du Secrétariat ; c) une copie du rapport de la 26ème
session.
23. Le 8 mars 2000, le Secrétariat de la Commission a fait suite à cette
demande et a
envoyé tous les documents, à l'exception du rapport de la 26ème session
ordinaire,
accompagnés d'une copie du résumé et d'une note sur l'état d'avancement
des
communications contre le Nigeria qui ont été examinées par la 26ème session
de la
Commission, d'une copie de chacune des trois communications (nos. 218/98,
224/98
et 225/98) telles que présentées et une copie de la réponse écrite sur
le fond de la
communication 224/98.
24. A sa 27ème session ordinaire tenue en Algérie, la Commission a examiné
le cas et l’a
reporté à sa prochaine session pour permettre au Gouvernement du Nigeria
de faire
suite à sa demande des arguments sur le fond de la communication.
25. Le 31 mai 2000, le Secrétariat a reçu une lettre du plaignant demandant
la décision
prise par la Commission à sa 27ème session ordinaire.
26. Cette décision a été communiquée aux parties le 6 juillet 2000. Le
Secrétariat a
également accusé réception de la lettre du plaignant du 31 mai 2000.
27. Le 27 septembre 2000, le Secrétariat a reçu une Note verbale du Haut
Commissariat de
l’Etat défendeur en Gambie supposée contenir des arguments sur le fond
des
communications 224/98 et 225/98. Cependant, la substance ne concernait
que la
première communication.
28. Le 3 octobre 2000, le Secrétariat de la Commission a accusé réception
de la Note
verbale et a relevé l’anomalie. Une copie de cette note a également été
transmise au
plaignant pour commentaires.
29. Au cours de la session de la Commission au Bénin, l'Etat défendeur
a soumis des
arguments supplémentaires sur le fond de l'affaire.
La réponse de l’Etat défendeur
30. Le Gouvernement du Nigeria soutient que le procès s’est déroulé dans
le cadre d’une
loi qui était légalement promulguée par l’autorité compétente de l’époque.
La loi relative
à la trahison et autres crimes (Tribunal militaire spécial), section 444
du Code des lois
de la République fédérale du Nigeria de 1990, dans le cadre duquel Malaolu
a été jugé, a
remplacé le Décret no. 1 de 1986 relatif à la trahison et autres délits
(Tribunal militaire
spécial), promulgué par le Gouvernement militaire dirigé par le Général
Ibrahim
Babangida (Rtd). Malaolu a donc été inculpé, jugé et condamné à l’emprisonnement
à
vie conformément aux dispositions d’une loi bien connue.
31. Le Gouvernement affirme que Malaolu a été jugé avec d’autres personnes
accusées
d’implication dans un coup allégué, qui visait à renverser le feu Général
Sani Abacha. Il
affirme que sans parler du bien ou du non fondé du procès, l’affaire n’est
pas un cas
apparent de victimisation dirigée contre Malaolu ou sa profession. En effet,
un ou deux
autres journalistes ont été condamnés à une peine de prison au cours du
même procès.
32. Il affirme que toute cette histoire s’est déroulée sous le règne d’un
régime militaire
prolongé. Le monde entier sait que les régimes militaires sont des systèmes
anormaux et
une aberration pénible. Il n’y avait aucun moyen de contrôler les abus
des droits
humains fondamentaux par une junte militaire déterminée à rester au pouvoir
à tout
prix.
33. S’agissant de l’allégation que le procès n’était pas équitable, le
gouvernement explique
que le droit à un procès équitable et public était soumis à une clause
que la cour ou le
tribunal peut exclure toute personne autre que les parties dans l’intérêt
de la défense de
la sécurité et de l’ordre public.
34. Le gouvernement du Nigeria affirme et réitère sa capacité et sa détermination
à
défendre et à promouvoir les droits de ses citoyens et se propose d’envoyer
une bonne
représentation à l’audition de ce cas.
Réponse supplémentaire par l'Etat défendeur
35. M. Malaolu a été arrêté, détenu, jugé et condamné sous une existante
législation
promulguée par une administration militaire "légitime" qui
a été imposée au peuple du
Nigeria :
Néanmoins, le régime militaire du Général Abubakar a fait que M. Malaolu
puisse
bénéficier du pardon et qu'il puisse intenter une action devant une cour
ordinaire pour
violation de ses droits et introduire une pétition devant la Commission
Judiciaire d'enquête
sur les violations des Droits de l'Homme. Entre-temps, l'abominable législation
a été
annulée.
LE DROIT
La recevabilité
36. À sa 25ème session ordinaire tenue à Bujumbura, Burundi, la Commission
a demandé
au Secrétariat de lui donner son avis sur l'article 56(7) de la Charte
compte tenu de la
situation politique prévalant au Nigeria. Se basant sur la jurisprudence
de la
Commission, le Secrétariat a fondé son avis sur le principe de droit international
bien
connu qu'un nouveau gouvernement hérite des engagements internationaux
du
gouvernement qui l'a précédé, y compris la responsabilité des forfaits
de ce
gouvernement précédent (voir le Krishna Achutan et Amnesty International
c/
Malawi, communications 62/92, 68/92 et 78/92).
37. La commission a toujours traité les communications en statuant sur
les faits allégués
au moment de la présentation de la communication (voir communications 27/89,
46/91 et 99/93). Par conséquent, même si la situation s'est améliorée,
de manière à
permettre la libération des détenus, l'abrogation des lois offensantes
et la lutte contre
l'impunité, la position reste inchangée en ce qui concerne la responsabilité
du
gouvernement actuel du Nigeria pour les actes de violation des droits de
l'homme
perpétrés par ses prédécesseurs.
38. De même, il a été noté que bien que le Nigeria soit dirigé par un gouvernement
démocratiquement élu, la nouvelle constitution prévoit en sa section 6(6)(d)
qu'aucune
action judiciaire ne peut être intentée contre ' une loi existante promulguée
le 15
janvier 1966 ou après, pour connaître d'un problème ou question relative
à la
compétence d'une autorité ou d'une personne à édicter de telles lois '.
39. Par ces motifs, et aussi compte tenu du fait que, comme allégué, il
n'y avait aucune
possibilité d'épuisement des voies de recours internes, la Commission a
déclaré la
communication recevable.
Le fond
40. Le plaignant allègue que l'arrestation et la détention de
Malaolu étaient arbitraires dans
la mesure où aucun mandat d'arrêt ne lui a été montré et qu'il n'a pas
été informé des
charges portées contre lui. En outre, il ajoute que Malaolu a été arrêté
par des militaires
armés de la direction de la Sécurité militaire à son bureau le 28 décembre
1997 et
détenu au secret dans un camp militaire à Lagos jusqu'à son transfert à
Jos, où a eu lieu
son procès.
41. Le plaignant affirme que cela constitue une violation de l'article
6 de la Charte
Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples qui dispose que :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul
ne peut être privé de sa liberté
sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminées par
la loi ; en particulier nul ne
peut être arrêté ou détenu arbitrairement.
42. En plus de cela, le requérant ajoute que jusqu'au 14 février 1998 (soit
environ deux
mois après son arrestation) lorsqu'il a comparu devant un tribunal militaire
spécial pour
son implication alléguée dans un coup, l'accusé n'avait été ni informé
des raisons de
son arrestation ni inculpé.
43. En développant les garanties du droit au procès équitable dans le cadre
de la Charte, la
Commission, dans sa résolution sur le droit de recours et à un procès équitable,
a fait
observer ce qui suit :
... le droit à un procès équitable comprend, entre autres, ce qui suit
:
b) les personnes arrêtées seront informées, lors de leur arrestation, et
dans une langue qu'elles
comprennent, des motifs de leur arrestation ; elles devront également être
rapidement informées de toute
charge retenue contre elles.
44. L'incapacité et/ou la négligence des agents de sécurité qui ont arrêté
l'accusé à
respecter scrupuleusement ces conditions constituent donc une violation
du droit à un
procès équitable tel que garanti par l'article 7 de la Charte Africaine.
45. Le plaignant dénonce une violation de l'article 7 (1) (a) de la Charte
Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples qui stipule que :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend
: a) Le droit de saisir les
juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux
qui lui sont reconnus et
garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur
;
46. Le plaignant affirme que la décision du tribunal qui a jugé et condamné
Malaolu est
sans appel, mais qu'elle est sujette à confirmation par le Conseil de gouvernement
provisoire dont la composition est complètement partisane. Le non-respect
de cette
condition par les autorités du Nigeria constitue une violation de l'article
7 (1) (a) de la
Charte.
47. Le plaignant allègue une violation de l'article 7 (1) (b) de la Charte
qui prévoit que :
Toute personne a..... droit à la présomption d'innocence, jusqu'à ce que
sa culpabilité soit établie par
une juridiction compétente.
Le plaignant allègue à cet effet qu'avant la mise en place du tribunal,
le gouvernement
militaire du Nigeria a organisé une intense publicité pour persuader le
public qu'il y
avait eu tentative de coup et que ceux qui avaient été arrêtés dans ce
cadre étaient
coupables de trahison. A cet effet, la communication allègue que le prétexte
de
sauvegarde de la sécurité nationale en excluant le public et la presse
du procès, ne peut
pas se justifier et constitue donc une violation du droit à un procès équitable,
particulièrement le droit à la présomption d'innocence.
48. Le Gouvernement n’a pas contesté la véracité des allégations du plaignant.
Dans ces
conditions, la Commission se trouve d’accepter les faits tels quels et
considère par
conséquent que le gouvernement du Nigeria a violé l'article 7 (1) (d) de
la Charte.
49. Le plaignant allègue que l’exclusion du public et de la presse du procès,
ne peut pas se
justifier et constitue donc une violation du droit à un procès équitable.
50. Le Gouvernement affirme que le droit à un procès équitable et public
était soumis à
une clause que la cour ou le tribunal peut exclure toute personne autre
que les parties
dans l’intérêt de la défense de la sécurité et de l’ordre public.
51. Ni la Charte Africaine, ni la Résolution de la Commission relative
au droit de recours à
la procédure et à un procès équitable ne contiennent une disposition spécifique
sur le
droit au procès public. Malgré cela, la Commission est habilitée par les
articles 60 et 61
de la Charte Africaine à s’inspirer de la législation internationale en
matière des droits
de l’homme et des peuples et de prendre en considération les mesures subsidiaires
autres que les conventions internationales générales ou spéciales, les
coutumes
généralement acceptées comme lois, les principes généraux de droit reconnus
par les
Etats africains ainsi que la jurisprudence et la doctrine. En invoquant
ces dispositions, la
Commission se réfère au Commentaire 13 du Comité des droits de l’homme
de l’ONU
sur le droit au procès équitable. Le paragraphe 6 de ce Commentaire stipule
que :
La publicité du procès est une mesure de sauvegarde importante de l’intérêt
des individus et de la
société dans son ensemble. En même temps, l’article 14 reconnaît au paragraphe
1er que les
tribunaux ont la capacité d’exclure tout ou une partie du public pour les
raisons énoncées dans ce
paragraphe. Il convient de noter qu’en dehors de ces circonstances exceptionnelles,
le Comité
considère qu’un procès doit être ouvert au public en général, y compris
aux membres de la presse,
et ne doit pas, par exemple, se limiter à une seule catégorie de personnes
…
52. Les circonstances exceptionnelles sont les besoins de la morale, de
l’ordre public et de
la sécurité nationale dans une société démocratique, ou lorsque l’intérêt
de la vie privée
des parties l’exige, ou lorsque, de l’avis de la cour, cela est strictement
nécessaire, dans
une situation particulière où la publicité serait préjudiciable aux intérêts
de la justice. La
Commission note que ces circonstances sont exhaustives, tel que le reflète
l’expression
«en dehors de ces circonstances exceptionnelles ».
53. Dans sa défense sur la question relative au droit à un procès public,
le gouvernement
n’a présenté qu’une déclaration de portée générale que le droit à un procès
équitable et
public était soumis à une clause que la cour ou le tribunal peut exclure
toute personne
autre que les parties dans l’intérêt de la défense de la sécurité et de
l’ordre public. Il n’a
pas indiqué avec précision lesquelles de ces circonstances l’ont amené
à exclure le
public de ce procès. La Commission considère donc que cet argument du
gouvernement n’est pas convaincant.
54. Considérant le fait que, comme allégué, qu'avant la mise en place du
tribunal, le
gouvernement militaire du Nigeria a organisé une intense publicité pour
persuader le
public qu'il y avait eu tentative de coup et que ceux qui étaient arrêtés
étaient impliqués,
la Commission se trouve dans l’obligation de conclure que l’exclusion du
même public
de ce procès ne se justifie pas et constitue donc une violation du droit
de la victime à un
procès équitable tel que garanti par l’article 7 de la Charte.
55. Il est allégué qu’avant de comparaître, précisément pendant 49 jours,
le prévenu, M.
Malaolu, n'a pas eu droit au contact avec son avocat, et il n'a pas eu
le droit de se faire
représenter et défendre par un avocat de son choix. Le tribunal lui a plutôt
assigné un
avocat militaire. Il est allégué que cela constitue une violation de l'article
7 (1) (c) de la
Charte qui prévoit que :
Toute personne a droit à la défense, y compris celui de se faire assister
par un défenseur de son
choix.
56. Dans sa résolution relative au droit de recours et à un procès équitable,
pour
insister sur l'importance de ce droit, la Commission a déclaré ce qui suit
au paragraphe
2 (e) :
Dans la détermination des chefs d'inculpation contre les individus, ces
derniers auront le droit :
de pouvoir communiquer, en toute discrétion, avec un avocat de leur choix
Le déni de ce droit constitue donc une violation de ce principe fondamental.
57. Il est allégué que le tribunal militaire spécial qui a jugé la victime
n'était ni compétent,
ni indépendant, ni impartial dans la mesure où ses membres étaient soigneusement
sélectionnés par le chef de l'Etat, Général Sani Abacha, et le Conseil
de gouvernement
provisoire (PRC) contre qui l'infraction était sensée avoir été commise.
Certains des
membres de la Cour sont des officiers militaires en activité. En outre,
le Président du
tribunal, le Major général Victor Malu, est aussi membre du PRC qui est
habilité par le
décret n°1 de 1986 relatif à la trahison et autres crimes (tribunal militaire
spécial), à
confirmer les peines de mort prononcées par le tribunal. Il s'agirait d'une
violation du
droit à un procès équitable tel que stipulé dans l'article 7 (1) (d) de
la Charte qui dispose
que :
Toute personne a le droit d'être jugé par…. une juridiction impartiale.
58. Le gouvernement n’a pas réfuté cette affirmation spécifique. Il a juste
déclaré que la loi
relative à la trahison et autres crimes (Tribunal militaire spécial), section
444 du Code
des lois de la République Fédérale du Nigeria de 1990, dans le cadre duquel
Malaolu a
été jugé, a remplacé le Décret no. 1 de 1986 relatif à la trahison et autres
délits (Tribunal
militaire spécial), promulgué par le Gouvernement militaire dirigé par
le Général
Ibrahim Babangida (Rtd). Il affirme plus loin que sa présentation ne traite
pas du bien
fondé ou non du procès en question.
59. La Commission ne traite pas de l’historique et des origines des lois
et elle n’a pas
besoin de savoir pourquoi elles ont été promulguées. Ce qui l’intéresse
ici c’est de
savoir si le procès dont il est question s’est déroulé conformément aux
normes d’un
procès équitable aux termes de la Charte. Le point de vue de la Commission
est que
pour répondre à cette question, elle doit nécessairement examiner le bien
fondé ou non
du procès, une question dans laquelle le gouvernement ne veut pas s’impliquer.
60. En conséquence, la Commission considère que la sélection d'officiers
militaires en
activité, sans aucune formation en droit, pour jouer le rôle de magistrat
constitue une
violation du paragraphe 10 des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance
de la
magistrature qui dispose que :
Les personnes sélectionnées pour remplir les fonctions de magistrat doivent
être intègres et
compétentes et justifier d'une formation et de qualifications juridiques
suffisantes. .
61. De même, la comparution, le jugement et la condamnation de
Malaolu, un civil, par un
tribunal militaire spécial, présidé par des officiers militaires en activité,
qui sont encore
régis par le règlement militaire, est, sans plus, préjudiciable aux principes
fondamentaux
du procès équitable tel que stipulé par l’article 7 de la Charte.
62. A cet égard, il importe de rappeler la position générale de la Commission
sur la
question de jugement des civils par des tribunaux militaires. Dans sa Résolution
sur le
droit à un procès équitable et à l’aide judiciaire en Afrique, lors de
l’adoption de la
Déclaration et les Recommandations de Dakar, la Commission a observé que
: Dans
beaucoup de pays africains, les tribunaux militaires ou spéciaux existent
parallèlement aux institutions judiciaires ordinaires pour connaître des
délits
d’un caractère purement militaire commis par le personnel militaire. Dans
l’exercice de cette fonction, les tribunaux militaires doivent respecter
les normes
d’un procès équitable. Ils ne devraient en aucun cas juger des civils.
De même,
les tribunaux spéciaux ne devraient pas connaître des délits qui sont de
la compétence
des juridictions ordinaires.
63. La Commission considère aussi que ce procès, qui n’a pas été réfuté
par le
gouvernement, à part le fait qu’il s’est déroulé conformément à une loi
légalement
promulguée par l’autorité compétente d’alors, constitue une violation du
droit à un
procès équitable énoncé à l’article 7 de la Charte. La Commission considère
également
que la création de ce tribunal pour connaître des crimes de trahison et
autres crimes
connexes constitue une entrave à l’indépendance de la magistrature, dans
la mesure où
ces crimes sont reconnus au Nigeria comme étant de la compétence des juridictions
ordinaires.
64. La Commission considère également que ce procès constitue une violation
des
dispositions du paragraphe 5 des Principes fondamentaux relatifs à l'indépendance
de la magistrature (Principes fondamentaux de l'ONU) et l'article 7(1)
(d) de la Charte
Africaine. Le paragraphe 5 des Principes fondamentaux de l'ONU stipule
que :
Chacun a le droit d'être jugé par les juridictions ordinaires selon les
procédures légales établies. Il n'est
pas créé de juridictions n'employant pas les procédures dûment établies
conformément à la loi afin de
priver les juridictions ordinaires de leur compétence.
65. En outre, dans son commentaire général sur l'article 14 du Pacte International
relatif aux Droits Civils et Politiques, le Comité des Droits de l'Homme
a fait
l'observation suivante :
Les dispositions d e l'article 14 s'appliquent à tous les cours et tribunaux
qu'ils soient ordinaires
ou spécialisés. Le Comité note l'existence, dans beaucoup de pays, de tribunaux
militaires ou
spéciaux pour juger des civils. Cela pourrait présenter de graves problèmes
en ce qui concerne
l'administration équitable, impartiale et indépendante de la justice. .
Alors que le Pacte n'interdit
pas ces catégories de juridictions, les conditions qu'il définit clairement
indiquent néanmoins que le
jugement des civils par ces tribunaux devrait être exceptionnel et se dérouler
dans des conditions
qui permettent la jouissance totale des droits garantis par les dispositions
de l'article 14.
(Voir aussi son Commentaire sur le Rapport de l'Egypte - UN Doc. CCPR/79/Add.
3,
paragraphe a - Août 1993).
66. L'on ne peut dire que le jugement et la condamnation de Malaolu par
un tribunal
militaire spécial présidé par un officier en activité qui est aussi membre
du PRC, un
organe habilité à confirmer la sentence, s'est déroulé dans des conditions
garantissant
le procès équitable tel que prévu par l'article 7 de la Charte. Cela est
aussi une
violation de l'article 26 de la Charte qui prévoit que :
Les Etats parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l'indépendance
des tribunaux et
de permettre l'établissement et le perfectionnement d'institutions nationales
appropriées chargées de
la promotion et de la protection des droits et libertés garantis par la
présente Charte.
67. Le requérant allègue en outre que l’implication de Niran Malaolu dans
un coup est liée
aux nouvelles publiées dans son journal sur la tentative de coup qui impliquait
le chef
d'Etat major général d'alors, Lieutenant général Oladipo Diya, ainsi que
d'autres
officiers militaires et des civils. Il s'agirait d'une violation du droit
à la liberté
d’expression garanti par l'article 9 de la Charte.
68. Le Gouvernement affirme que Malaolu a été jugé avec d’autres personnes
accusées
d’implication dans un coup allégué, qui visait à renverser le feu Général
Sani Abacha. Il
affirme que sans parler du bien ou du non fondé du procès, l’affaire n’est
pas un cas
apparent de victimisation dirigée contre Malaolu ou sa profession. En effet,
un ou deux
autres journalistes ont été condamnés à une peine de prison au cours du
même procès.
69. Considérant les faits dont elle dispose et la réponse apportée par
le gouvernement
défendeur, la Commission estime que c'est seulement la publication de Monsieur
Malaolu qui a conduit à son arrestation, à son jugement et condamnation,
et ce, en
violation de l'Article 9 de la Charte comme il a été allégué :
70. Le plaignant affirme qu'au cours de sa détention, M. Malaolu a subi
un traitement
cruel, inhumain ou dégradant, notamment en lui enchaînant les pieds et
les mains jour
et nuit, au sol. Depuis son arrestation jusqu'au jour où il a été condamné
par le tribunal,
pendant une période de 147 jours au total, il ne lui a pas été permis de
prendre son
bain. Il mangeait deux fois par jour, et tout au long de sa détention,
à Lagos et Jos,
avant de comparaître devant le Jury spécial d'enquête qui a précédé le
procès au tribunal
militaire spécial, il a été gardé au secret dans une cellule réservée aux
criminels. Le
plaignant déclare plus loin que le traitement cruel infligé à M. Malaolu
constitue une
violation de l'article 5 de la Charte qui stipule que :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la
reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes les formes d'exploitation
et d'avilissement de l'homme,
notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou
morale, et les
peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants, sont interdites.
Le principe 1er de l'ensemble des principes pour la protection de toutes
les
personnes soumises à la détention ou à l'emprisonnement stipule que :
Toutes les personnes soumises à la détention ou à l'emprisonnement sont
traitées d'une
façon humaine et avec le respect pour la dignité inhérente à la personne
humaine.
En outre, le principe 6 dispose que :
Aucune personne soumise à la détention ou à l'emprisonnement ne sera soumise
à la
torture ou à des peines ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Aucune
circonstance ne peut être invoquée pour justifier la torture ou toute autre
forme de peine
ou traitement cruel, inhumain ou dégradant.
71. Il importe de noter que l'expression "peine
ou traitement cruel, inhumain ou
dégradant" doit être interprétée de manière
à inclure la protection la plus large
possible contre les abus, tant physiques que mentaux.
72. Le gouvernement n’a pas réfuté ces allégations. En effet, il a indiqué
clairement qu’il
ne voulait pas s’exprimer sur le bien fondé ou non de ce procès. En l’absence
de
toute information contraire de la part du gouvernement, la Commission considère
les
diverses formes de traitement infligés à M. Malaolu au cours de sa détention
comme
une violation du droit des victimes au respect et à la dignité et de leur
droit de ne pas
être soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants tel qu'énoncé
par
l’article 5 de la Charte et renforcé par les principes fondamentaux susmentionnés.
(Voir communications 64/92, 68/92 et 78/92 (Krishna Achutan pour le compte
de
Aleke Banda et Amnesty International pour le compte de Orton et Vera Chirwa)
c/
Malawi), communications 27/89, 46/91, 49/91 et 99/93 (Organisation mondiale
contre la torture et Association internationale des juristes démocrates,
Commission
internationale des juristes (CIJ), Organisation mondiale contre la torture
et Union
Interafricaine des Droits de l’Homme c/le Rwanda), respectivement.
73. Bien que cela ne pose aucun problème, la Commission note que ces violations
ont
été commises sous le règne d’un régime militaire prolongé, et que ces régimes
sont à
juste titre qualifiés par le gouvernement comme des systèmes anormaux (voir
Résolution adoptée par la Commission au cours de sa 16ème session tenue
à Banjul,
Gambie, sur les gouvernements militaires). La Commission compatit avec
le
gouvernement du Nigeria pour cette situation embarrassante, mais elle affirme
cependant que cela ne le dispense pas de ses obligations à l’égard de
la
Charte.
74. Enfin la Commission estime qu’il est nécessaire de préciser sa position
sur l’argument
du gouvernement, à savoir que le procès s’est déroulé conformément à une
loi
légalement promulguée par l’autorité compétente de l’époque, et que la
victime a été
inculpée, jugée et condamnée conformément aux dispositions de cette loi.
75. A cet égard, la Commission rappelle sa décision dans les communications
147/95 et
149/96, Sir Dawda Jawara c/Gambie, où elle déclaré que : « Pour qu'un Etat
puisse se
prévaloir de cet argument, il doit démontrer que cette loi est conforme
à ses
obligations à l'égard de la Charte ». Il ne suffit donc pas qu’un Etat
plaide l’existence
d’une loi, il faut qu’il prouve que cette loi est conforme aux restrictions
acceptables
aux termes de la Charte et qu’elle est donc en conformité avec les obligations
énoncées par la Charte. Aucune de ces raisons n’a été fournie dans le cas
présent. La
Commission rejette par conséquent cet argument.
Par ces motifs, la Commission
Retient la violation des articles 3(2), 5, 6, 7 (1) (a), (b), (c), (d)
de la Charte, du Principe
5 des Principes fondamentaux de l'ONU sur l'Indépendance de la magistrature,
ainsi que
des articles 9 et 26 de la Charte.
Demande instamment au gouvernement du Nigeria de conformer ses lois aux
dispositions de la Charte.
Fait à la 28e Session Ordinaire à Cotonou, Bénin, le 6 novembre 2000.