228/99 - Law Office of Ghazi Suleiman /Soudan
Rapporteur :
25ème session : Commissaire Pityana
26ème session : Commissaire Pityana
27ème session : Commissaire Pityana
28ème session : Commissaire Pityana
29ème session : Commissaire Pityana
30ème Session : Commissaire Pityana
31ème Session : Commissaire Pityana
32ème Session :
33ème Session : Commissaire Pityana
Résumé des faits
1. Le requérant est un Cabinet d’Avocats basé à Khartoum, Soudan. La plainte
date
du 1er janvier 1999 et a été reçue au Secrétariat le 29 janvier 1999.
2. Elle est introduite au nom de M. Ghazi Suleiman, actionnaire principal
du
Cabinet Ghazi Suleiman.
3. Le plaignant allègue que M. Ghazi Suleiman avait été invité par un groupe
de
défenseurs des droits de l’homme pour faire une conférence publique à Sinnar,
Etat du Nil Bleu, le 3 janvier 1999 et des officiers de police lui ont
interdit d’aller
à Sinnar, en menaçant de l’arrêter s’il effectuait le voyage.
4. La plainte ajoute que ces menaces et les menaces implicites de répercussions
sur
le groupe ont empêché la victime de faire le voyage.
Informations supplémentaires
5. Le plaignant prétend que les actions suivantes ont été dirigées contre
M. Ghazi
Suleiman dans la période entre janvier 1998 et mai 2002 couverte par cette
communication :
a. Des menaces par les forces de sécurité du Gouvernement du Soudan,
l’empêchant d’aller à Sinnar le 3 janvier 1999
b. Une arrestation le 7 avril 1999
c. Une arrestation le 8 juin 1999
d. Une attaque à son bureau et contre sa personne le 17 novembre 1999
e. Une arrestation le 26 mars 2000
f. Une arrestation le 9 décembre 2000
g. Une arrestation le 9 mai 2002.
La Plainte
6. Le plaignant allègue la violation des articles 9, 10, 11 et 12 de la
Charte Africaine
des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) et précise que tous ces
droits
ont été suspendus aux termes de la loi de 1994 sur la Sécurité nationale,
telle
qu’amendée en 1996.
La Procédure
7. Lors de sa 25ème session ordinaire tenue du 26 avril au 5 mai 1999 à
Bujumbura,
Burundi, la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la
Commission Africaine) a décidé de se saisir de la communication.
8. Le 18 août 1999, le Secrétariat de la Commission a notifié cette décision
aux
parties.
9. La Commission Africaine a examiné la communication à sa 26ème session
ordinaire tenue du 1er au 15 novembre 1999 à Kigali, Rwanda, et a demandé
au
plaignant de soumettre, par écrit, ses observations sur la question de
l’épuisement
des voies de recours internes. En outre, les parties devraient lui fournir
la
législation et les décisions de justice pertinentes (en anglais ou en français).
10. Le 21 janvier 2000, le Secrétariat de la Commission Africaine a écrit
aux parties
pour les informer de la décision de la Commission.
11. A la 27ème session ordinaire tenue du 27 avril au 11 mai 2000 à Alger,
Algérie, la
Commission africaine a entendu la présentation orale des parties et a décidé
la
jonction de toutes les communications introduites contre le Soudan. Elle
leur a
demandé de lui fournir par écrit les arguments relatifs à l’épuisement
des voies de
recours internes.
12. Le 30 juin 2000, ces décisions ont été communiquées aux parties.
13. Lors de la 28è session ordinaire tenue du 23 octobre au 6 novembre
2000 à
Cotonou, Bénin, la Commission africaine a reporté l’examen de cette
communication à la 29è session ordinaire et a demandé au Secrétariat
d’incorporer les observations orales de l’Etat Défendeur ainsi que les
observations écrites de l’avocat des plaignants dans le projet de décision
afin de
lui permettre de statuer sur la recevabilité en pleine connaissance de
cause.
14. A la 29ème session ordinaire tenue du 23 avril au 7 mai 2001 à Tripoli,
la
Commission Africaine a noté que le plaignant avait soumis un dossier détaillé
de
l’affaire. Il a par conséquent été décidé que l’examen de cette communication
soit
reporté à la 30ème session, en attendant la soumission de réponses détaillées
par
l’Etat défendeur.
15. Le 19 juin 2001, le Secrétariat de la Commission Africaine a informé
les parties
de la décision ci-dessus et a demandé à l’Etat défendeur de lui faire parvenir
ses
observations écrites dans les deux (2) mois qui suivent la date de notification
de
cette décision.
16. Au cours de la 30ème session ordinaire tenue du 13 au 27 octobre 2001
à Banjul,
Gambie, la Commission Africaine a noté que l’Etat défendeur ne répondait
pas
aux questions soulevées par le Plaignant. Elle a aussi entendu les observations
orales du Dr Curtis Deobbler. La Commission Africaine a par conséquent
reporté l’examen de ces communications à la 31ème Session en attendant
que le
gouvernement soudanais réponde par écrit aux observations soumises par
la
partie plaignante.
17. Le 15 novembre 2002, le Secrétariat de la Commission a informé les
parties de
cette décision et a demandé à l’Etat défendeur de soumettre ses observations
écrites dans les deux mois qui suivent la date de notification de la dite
décision.
18. Lors de sa 31ème Session ordinaire tenue à Pretoria, Afrique du Sud
du 2 au 16
mai 2002, la Commission Africaine a entendu les plaidoiries des deux parties
et a
déclaré la communication recevable.
19. Le 29 mai 2002, l’Etat défendeur et les plaignants ont été notifiés
de la décision
prise par la Commission Africaine..
20. Lors de la 32ème Session ordinaire tenue du 17 au 23 octobre 2002 à
Banjul,
Gambie, le Représentant de l’Etat défendeur a présenté ses moyens oralement
et
par écrit pour demander à la Commission Africaine de revoir sa décision
sur la
recevabilité de toutes les communications soumises contre le gouvernement
soudanais. La Commission Africaine a informé l’Etat Défendeur qu’elle
avait
déjà
statué sur la question de la recevabilité des communications et que l’Etat
Défendeur devrait présenter ses observations sur le fond.
21. Lors de la 33ème session ordinaire tenue du 15 au 29 mai 2003 à Niamey,
Niger, la
Commission Africaine a examiné cette communication et a décidé de rendre
sa
décision sur le fond.
DU DROIT
De la Recevabilité
22. L’Article 56(5) de la Charte Africaine stipule que les communications
relatives
aux droits de l’homme … reçues par la Commission devront être examinées
si
elles … sont envoyées après l’épuisement des voies de recours internes,
s’il en
existe, à moins qu’il ne soit évident que cette procédure se prolonge de
façon
anormale.
23. Le Plaignant allègue qu’aucun recours efficace n’existait au moment
de cette
violation des droits de l’homme parce que les actes des agents de sécurité
au
Soudan n’étaient pas sujets à vérification par les autorités judiciaires
et que les
agents de sécurité étaient protégés contre des poursuites judiciaires par
la Loi de
1994 sur la sécurité nationale.
24. Le plaignant reconnaît que la Loi de 1994 sur la sécurité nationale
qui était en
vigueur au moment de l’arrestation de M. Ghazi Suleiman, “garantissait,
par ses
termes, que les forces de sécurité pourraient agir tout à fait en dehors
de la loi’’.
Le résultat est que les menaces proférées par les agents de sécurité contre
M.
Ghazi Suleiman, ainsi que leur capacité à les exécuter, étaient des actes
perpétrés
dans l’impunité et contre lesquels M. Suleiman n’avait pas de recours interne.
25. Il déclare que dans la pratique, les procédures prévues pour réparer
les violations
des droits de l’homme par le gouvernement soudanais sont souvent inaccessibles
aux individus dont les droits humains ont été violés, parce que les recours
administratifs et judiciaires habituels sont jonchés de grands obstacles
qui en
empêchent l’utilisation.
26. L’Etat défendeur demande l’annulation et le retrait de cette plainte
au motif
qu’elle manque de véracité, de preuve ou de justification. Il souligne
que l’avocat
du Plaignant essaie de porter préjudice au système judiciaire soudanais
en se
basant sur des allégations sans fondement et sans aucune relation avec
le fond de
la plainte.
27. L’Etat défendeur souligne que le plaignant, qui est un défenseur des
droits de
l’homme au Soudan, ne pouvait pas, en sa qualité d’avocat plaidant pour
les
droits et libertés consacrés par la Constitution soudanaise et les conventions
internationales des droits de l’homme, ne pas réagir à cette menace, si
elle a
effectivement eu lieu. Il déclare que le plaignant aurait dû exercer ses
droits
constitutionnels en introduisant une action en justice contre les forces
de sécurité
pour non respect et violation de la Constitution et de la loi.
28. Le Représentant de l’Etat a fourni des preuves de recours internes
efficaces sous
forme de lois et de cas de jurisprudence.
29. La règle de l’épuisement des recours internes est l’une des conditions
les plus
importantes pour la recevabilité des communications, il n’y a donc aucun
doute
que dans toutes les communications dont s’est saisie la Commission Africaine,
la
première exigence concerne l’épuisement des voies de recours internes,
conformément à l’Article 56 (5) de la Charte.
30. L’Article 56(5) de la Charte exige : “ l’épuisement de toutes les voies
de recours
internes, si elles sont de nature judiciaire, sont efficaces et ne sont
pas
subordonnées au pouvoir discrétionnaire des autorités publiques’’ (Voir
para. 37
des Communications 48/90,50/91 et 89/93 Amnesty International & al.
/ Soudan.)
31. Par ailleurs, la Commission Africaine soutient “ qu’un recours est
considéré
disponible lorsque le plaignant peut y accéder sans entrave ; il est jugé
efficace s’il
offre une chance de succès et si l’on trouve qu’il est capable de réparer
le
préjudice’’. (Voir para. 32. des Communications 147/95 et 149/96 Sir Dawda
K.
Jawara/ Gambie.)
32. Par conséquent, l’assertion de l’Etat défendeur de non épuisement des
voies de
recours internes sera examinée sous cette optique. L’existence d’un recours
doit
être suffisamment certain, non seulement en théorie, mais aussi en pratique,
faute
de quoi, il lui manquera l’accessibilité et l’efficacité nécessaires. Dans
le cas
présent, le Plaignant ne pouvait pas s’adresser au pouvoir judiciaire du
Soudan
par crainte pour sa vie.
33. Pour épuiser les voies de recours internes conformément à l’esprit
de l’Article
56(5) de la Charte, il faut d’abord y accéder ; mais si M. Suleiman était
constamment menacé, harcelé et emprisonné, il ne pouvait pas y avoir accès
et
l’on pourrait considérer que les recours internes étaient indisponibles
pour lui.
34. La Loi de 1994 sur la Sécurité nationale introduit un aspect regrettable
de
l’inexistence de recours en stipulant que : “Aucune action judiciaire n’est
entreprise, aucun appel n’est fait contre une décision quelconque prise
dans le
cadre de cette loi”. Cette disposition rend manifestement la procédure
moins
protectrice à l’égard de la victime.
35. Le droit d’interjeter appel est un droit qui relève du droit à ce que
sa cause soit
entendue, tel que prévu aux termes de l’Article 7 de la Charte. Le droit
d’interjeter
appel est également déterminant dans la réalisation des exigences de l’Article
56(5) de la Charte.
36. Le plaignant soutient que l’application réelle de la loi avait également
été rendue
difficile à cause de l’état d’urgence décrété dans le pays durant cette
période. Les
plaignants allèguent qu’ils avaient des difficultés à accéder aux instances
judiciaires et à épuiser les voies de recours internes, du fait de la
situation
politique qui prévalait dans le pays. Dans ce cas, ‘‘il est raisonnable
de supposer
que, non seulement la procédure de recours internes serait trop longue,
mais aussi
qu’elle ne produirait aucun résultat.” Voir Communication 129/94 Civil
Liberties
Organisation/Nigeria.
37. Par ces motifs, la Commission Africaine déclare la communication recevable.
38. Par ailleurs, la Commission Africaine prend acte des informations fournies
par
l’Etat Défendeur au sujet des efforts déployés par le gouvernement du Soudan
en
procédant à des réformes constitutionnelles visant à garantir les libertés
civiles de
ses citoyens et ainsi qu’à des réformes du système judiciaire du pays.
La
Commission espère qu’avec ces changements, le système judiciaire permettra
de
régler rapidement des questions relatives aux violations des droits de
l’homme.
Du Fond
39. L’Article 9 de la Charte prévoit que :“ Toute personne a droit à l’information.
Toute
personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre
des lois et règlements”.
40. La Commission Africaine reconnaît “l’importance fondamentale de la
liberté
d’expression et d’information comme étant un droit humain individuel, une
expression du fondement de la démocratie et un moyen de garantir le respect
de
tous les droits de l’homme et des libertés fondamentales”1.
41. La Commission Africaine estime également que l’Article 9 “consacre
le fait que la
liberté d’expression est un droit humain fondamental, essentiel au développement
personnel de l’individu, à sa conscience politique et à sa participation
à la gestion
des affaires publiques du pays” Communications 105/93, 128/94, 130/ 94
et 152/96
Media Agenda et Constitutional Rights Project/Nigeria.
42. La communication allègue que M. Ghazi Suleiman a été arrêté, détenu,
maltraité
et puni pour avoir promu et encouragé le respect des droits de l’homme,
actes
que l’Etat défendeur considère comme étant incompatibles avec ses lois.
Ces
activités concernent le fait de dénoncer les violations des droits de l’homme,
d’exhorter le gouvernement à respecter les droits de l’homme, d’encourager
la
démocratie dans ses discours et interviews publics et de discuter de la
démocratie
et des droits de l’homme avec d’autres personnes. Pendant des années, M.
Ghazi
Suleiman a mené ses activités publiquement et non de manière clandestine.
43. Il est allégué que M. Ghazi Suleiman exerçait son droit à la liberté
d’expression en
vue de promouvoir les droits de l’homme et la démocratie au Soudan et qu’il
avait été arrêté alors qu’il envisageait d’exercer ses droits humains
pour
les mêmes
raisons mais qu’on l’en avait empêché.
44. Lors de la 27ème session ordinaire de la Commission Africaine, le Représentant
de
l’Etat défendeur n’avait pas contesté les faits invoqués par le plaignant,
mais il
avait toutefois déclaré que la Constitution du Soudan de 1998 garantissait
le droit
de circuler librement (Article 23), le droit à la liberté d’expression
(Article 25) et le
droit à la liberté d’association (Article 26). Il n’a pas présenté d’arguments
de
défense sur les allégations d’arrestations, de détentions et d’intimidation
de M.
Ghazi Suleiman.
45. L’Etat défendeur n’a pas présenté ses moyens de défense quant au fond
de cette
communication. En conséquence, la Commission Africaine basera sa décision
sur
les éléments fournis par le Plaignant et constatera l’incapacité de l’Etat
défendeur
à présenter ses conclusions écrites quant au fond de l’affaire.
46. Dans sa Résolution sur le Droit à la Liberté d’association, la Commission
Africaine a noté que les gouvernements devraient particulièrement faire
attention
à ce que, ‘‘en réglementant l’usage de ce droit, les autorités compétentes
n’adoptent pas des dispositions qui limiteraient l’exercice de cette liberté
… [et
que]…la réglementation de l’exercice de la liberté d’association devrait
être
conforme aux obligations de l’Etat au titre de la Charte Africaine des
Droits de
l’Homme et des Peuples.” 2
47. L’Article 60 de la Charte prévoit que la Commission Africaine s’inspire
du droit
international relatif aux droits de l’homme et des peuples.
48. La Cour européenne des Droits de l’Homme reconnaît que “la liberté
de débat
politique est au coeur même du concept d’une société démocratique…” 3
49. Le point de vue de la Commission Africaine est appuyé par celui de
la Cour
interaméricaine des droits de l’homme qui soutient que : “ la liberté d’expression
est un fondement sur lequel repose l’existence même d’une société. Elle
est
indispensable pour la formation de l’opinion publique. C’est également
une
condition sine qua non pour le développement des partis politiques, des
syndicats,
des associations culturelles et, en général, de ceux qui souhaitent influencer
le
public. Bref, la liberté d’expression constitue le moyen qui permet à la
communauté d’être bien informée lorsqu’elle fait ses choix. En conséquence,
l’on
peut dire qu’une société mal informée est une société qui n’est pas réellement
libre. 4
50. La Cour interaméricaine estime que : “lorsque la liberté d’expression
d’un
individu est illégalement restreinte, ce n’est pas seulement le droit de
cet individu
qui est violé, mais aussi le droit de tous les autres de ‘‘recevoir’’ des
informations
et des idées”. 5 C’est particulièrement grave lorsque l’information déniée
aux
autres concerne les droits de l’homme, comme c’est dans chacun des cas
où M.
Ghazi Suleiman a été arrêté.
51. Les accusations portées contre M. Ghazi Suleiman par le gouvernement
du
Soudan indiquent que ce dernier estime que le plaidoyer de M. Ghazi Suleiman
menace la sécurité nationale et l’ordre public.
52. Etant donné que le discours de M. Suleiman était axé sur la promotion
et la
protection des droits de l’homme, “elle est d’une valeur considérable pour
la
société et mérite une protection particulière.”6
53. En se conformant à son rôle important de promotion de la démocratie
sur le
Continent, la Commission Africaine trouve que la liberté d’expression qui
contribue au débat politique doit être protégée. Les dénis de la liberté
d’expression de M. Ghazi Suleiman par le gouvernement soudanais violent
son
droit tel que garanti par l’Article 9 de la Charte Africaine. Par ailleurs,
les
allégations d’arrestations, de détentions et de menaces constituent une
violation
de l’Article 6 de la Charte.
54. L’Article 10 de la Charte prévoit : “Toute personne a le droit de constituer
librement des
associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées
par la loi »
55. L’Article 11 de la Charte prévoit : “ Toute personne a le droit de
se réunir librement avec
d’autres. Ce droit s’exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires
édictées par les lois et
règlements, notamment dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté
d’autrui, de la santé,
de la morale ou des droits et libertés des personnes.”
56. L’interdiction à M. Ghazi Suleiman de se réunir avec d’autres personnes
pour
discuter des droits de l’homme et la punition infligée parce qu’il l’a
fait,
constituent une violation par l’Etat défendeur, des droits à la liberté
d’association
et de réunion tels que garantis par les articles 10 et 11 de la Charte
Africaine.
57. Le droit de circuler librement est garanti par l’Article 12 de la Charte
qui stipule,
en son paragraphe 1 : “Toute personne a le droit de circuler librement
et de choisir sa
résidence à l’intérieur d’un Etat, sous réserve de se conformer aux règles
édictées par la loi. »
58. La communication allègue que certains des policiers qui avaient interdit
à Ghazi
Suleiman d’aller à Sinnar, l’ont menacé d’arrestation s’il effectuait ce
voyage.
59. Le Plaignant déclare que M. Ghazi Suleiman a été arrêté et relâché
après avoir été
reconnu coupable, condamné et incarcéré. Avant sa libération, il a refusé
de
signer une déclaration restreignant sa liberté future.
60. La République du Soudan soutient qu’il n’a jamais été interdit à M.
Ghazi
Suleiman de faire des conférences sur les droits de l’homme. Il a déclaré
que M.
Ghazi Suleiman était libre de voyager et a même participé à une conférence
sur
les droits de l’homme tenue à Milan, Italie, sans aucune intervention de
la part
des autorités. Il a ajouté qu’au Soudan il n’y a pas de contrôle des déplacements
sur le territoire national ce qui est en parfaite harmonie avec l’article
12 de la
Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
61. M. Ghazi Suleiman agissait en vue de promouvoir et de protéger les
droits de
l’homme dans son pays, le Soudan. Ceci n’est pas seulement illustré par
sa longue
histoire de défense des droits de l’homme, mais aussi par des événements
survenus au moment de chaque arrestation ou harcèlement. Ces évènements
concernaient toujours les actions ou déclarations en rapport avec la défense
les
droits de l’homme.
62. De telles actions et expressions font partie des exercices les plus
importants des
droits de l’homme et, en tant que telles, devraient bénéficier d’une grande
protection qui ne permet pas à l’Etat de suspendre ces droits pour des
raisons
frivoles et de manière disproportionnée par rapport à son ingérence dans
la
jouissance de ces droits fondamentaux.
63. Les actions disproportionnées du gouvernement du Soudan menées contre
M.
Ghazi Suleiman sont prouvées par le fait que le gouvernement n’a pas offert
à ce
dernier une autre possibilité d’exprimer à chaque occasion son soutien
aux droits
de l’homme. Au contraire, l’Etat défendeur a, soit interdit à M. Ghazi
Suleiman
d’exercer ses droits humains par la menace, soit malmené ce dernier après
un
procès sommaire et sans considération aucune pour de l’importance de ses
actions de protection et de promotion des droits de l’homme.
64. En empêchant M. Ghazi Suleiman d’aller à Sinnar qui se trouve à l’Etat
du Nil
Bleu, dans la partie du pays contrôlée par le gouvernement du Soudan, et
de
parler à un groupe de défenseurs des droits de l’homme, le gouvernement
du
Soudan a violé le droit de M. Ghazi Suleiman de circuler librement dans
son
propre pays. Ceci constitue une violation de l’article 12 de la Charte.
65. Le fait que M. Ghazi Suleiman ne prône que des actions pacifiques et
que son
plaidoyer n’ait jamais causé de troubles sociaux constituent une preuve
supplémentaire que les actions blâmées de l’Etat défendeur n’étaient pas
proportionnées ni nécessaires à la réalisation d’un quelconque objectif
légitime.
Par ailleurs, les actions du gouvernement du Soudan n’empêchent pas seulement
M. Ghazi Suleiman d’exercer ses droits humains, mais elles ont sérieusement
réduit l’impact sur les autres qui auraient également contribué à promouvoir
et à
protéger les droits de l’homme au Soudan.
66. Pour toutes ces raisons, la violation des droits à la liberté d’expression,
d’association et de réunion ne peut être justifiée.
Par ces motifs, la Commission Africaine :
Constate que la République du Soudan est en violation des articles 6, 9,
10, 11 et
12 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples,
Demande au gouvernement du Soudan d’amender sa législation actuelle en
vue
de fournir une protection de jure des droits à la liberté d’expression,
de réunion,
d’association et de mouvement.
Fait à la 33ème Session ordinaire tenue à Niamey, Niger, du 15 au 29 mai
2003.
______________________
1. Declaration of Principles on Freedom of Expression in Africa adopted by the
African Commission on
Human and Peoples' Rights 32nd Ordinary Session Oct. 2002.
2. Voir Résolution sur la Liberté d’Association, adoptée à la 11ème Session
ordinaire
à Tunis, du 2 au 9 mars
1992.
3. Lingens c./ Austria, Jugement de la Cour européenne des droits de l’homme,
séries A. N. 236 (Avril 1992)
et Thorgeirson c./ Islande, Jugement de la Cour européenne des droits de l’homme,
Séries A. N. 239 (Juin
1992).
4. Compulsory Membership in an Association Prescribed by Law for the Practice
of Journalism (articles 13 et 29 de la
Convention américaine relative aux droits de l’homme) Advisory Opinion OC-5/85,
Série A. N.5,
Novembre 1985, para.70.
5. Compulsory Membership in an Association Prescribed by Law for the Practice
of Journalism (Arts 13 et 29 de la
Convention américaine relative aux droits de l’homme) Advisory Opinion OC-5/85,
Novembre 13, 1985, Cour
interaméricaine des droits de l’homme, Série .A. N.5, para.30.
6. Article 6 de la Déclaration des Défenseurs des Droits de l’Homme des Nations
Unies.