John K. Modise c. Botswana,
Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Communication 97/93,
28e Session Ordinaire, Cotonou, Bénin, 6 novembre 2000.
97/93 John K. Modise c/ Botswana
Rapporteur:
17ème session: Commissaire Umozurike
18ème session: Commissaire Umozurike
19ème session: Commissaire Umozurike
20ème session: Commissaire Umozurike
21ème session: Commissaire Umozurike
22ème session: Commissaire Dankwa
23ème session: Commissaire Dankwa
24ème session : Commissaire Dankwa
25ème session : Commissaire Dankwa
26ème session : Commissaire Dankwa
27ème session : Commissaire Dankwa
28ème session : Commissaire Dankwa
______________________________________________________________
Résumé des faits :
1. Le requérant revendique la citoyenneté botswanaise dans les circonstances
ciaprès
: Son père, citoyen botswanais, a immigré en Afrique du Sud pour y
travailler. Pendant son séjour, il s'est marié et le requérant est issu
de ce mariage.
Sa mère étant décédée quelque temps après sa naissance, il a été amené
au
Botswana où il a grandi. Le demandeur revendique par conséquent la nationalité
botswanaise par les liens du sang.
2. Il allègue qu’en 1987, il était l’un des fondateurs et responsables
du parti
d’opposition “Botswana National Front”. Il estime que c’est à cause de
ses
activités politiques qu’il a été déclaré “immigré indésirable” au Botswana
par
le gouvernement.
3. Le 17 octobre 1978, il a été arrêté et remis à la police sud-africaine
sans
avoir comparu devant un tribunal. Il avait déjà une action judiciaire en
instance devant un tribunal du Botswana concernant un permis de travail
temporaire, mais suite à sa déportation, il n'a pas pu poursuivre le procès.
4. Revenu au Botswana, il a de nouveau été arrêté et déporté sans jugement.
Après sa troisième tentative de retour, il a été inculpé, condamné pour
entrée illégale et déclaré immigré indésirable. Il purgeait une peine
d'emprisonnement de dix mois et avait interjeté appel lorsqu'il a été
déporté
pour la quatrième fois vers l'Afrique du Sud, avant que la procédure
n'aboutisse.
5. Le requérant n'ayant pas la nationalité sud-africaine, a été obligé
de s’établir
dans le ‘homeland’ du Baphutatswana. Il y a vécu pendant sept ans jusqu'à
ce que le gouvernement du Baphutatswana émette à son encontre un ordre
de déportation et qu’il se retrouve dans un no man's land entre le
Baphutatswana et le Botswana où il est resté pendant cinq semaines avant
d'être admis au Botswana sur une base humanitaire. Il a obtenu un permis
de séjours d'une durée de trois mois renouvelable à l'entière discrétion
du
Ministère compétent, jusqu’au mois de juin 1995.
6. Le demandeur ne possède pas et n'a jamais été en possession ni du
passeport sud-africain, ni de la nationalité du Baphutatswana.
7. Il allègue avoir subi de lourdes pertes financières dans la mesure où
ses
biens et sa propriété ont été confisqués par le gouvernement du Botswana.
Il ne peut pas travailler parce qu'il n'en a pas l'autorisation, et il
est
constamment menacé de déportation. Il a déployé de nombreux efforts
pour prouver sa nationalité botswanaise, et l’appel interjeté contre sa
peine
d'emprisonnement demeure en instance. Il affirme ne plus disposer d'argent
pour poursuivre la procédure devant les juridictions locales.
8. Il demande au gouvernement de lui reconnaître sa nationalité à la naissance.
Dispositions de la Charte dont la violation est alléguée :
Le plaignant allègue avoir été injustement privé de sa véritable nationalité
et
soutient la violation des articles 3(2), 5, 7 1(a), 12(1) et (2), 13(1)
et (2), 14, 16(1) et
(2) et 18(1) de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples
par l'Etat
défendeur.
La procédure :
9. La communication a été présentée par John K. Modise le 3 mars 1993.
10. La Commission en a été saisie à sa 13ème session tenue en mars 1993.
11. Notification en a été faite au gouvernement le 12 avril 1993, sans
aucune réaction
de sa part..
12. Le 13 mai 1993, une lettre a été adressée à M. John K. Modise l’informant
que la
communication avait été examinée au cours de la 13ème session, et que la
Commission avait besoin d’éclaircissements de sa part sur le point relatif
à
l’épuisement des recours internes.
13. Une seconde notification a été adressée au gouvernement le 12 août
1993,
sans plus de succès.
14. Le 7 septembre, le demandeur a répondu à la lettre du Secrétariat datée
du
13 mai 1993 en soulignant qu'il avait épuisé les voies de recours internes
disponibles. Il a précisé qu'il n'avait pas pu poursuivre son action devant
les
juridictions nationales faute de moyens financiers.
15. Une autre notification a été faite au gouvernement le 29 janvier 1994
avec
copie au plaignant.
16. Le 30 janvier 1994, le Secrétariat de la Commission a reçu une
correspondance émanant de l’épouse du requérant, soulignant que M. John
K. Modise n'avait plus d'argent pour poursuivre l'action engagée devant
les
juridictions nationales, ce dans la mesure où il avait été forcé à l'exil
et qu'il
avait subi de lourdes pertes financières suite à la confiscation de ses
biens
par la Police du Botswana.
17. Le 22 février 1994, le requérant a accusé réception de la copie de
la
notification adressée par le Secrétariat au gouvernement le 29 janvier
1994.
Il demandait par ailleurs à la Commission de considérer son cas dans la
mesure où il pensait avoir épuisé toutes les voies de recours disponibles.
Un
bref historique de l'affaire était annexé à cette correspondance.
18. Le demandeur a de nouveau écrit le 24 octobre 1994 en réponse à la
correspondance du Secrétariat datée du 8 août 1994, pour confirmer
l'épuisement des voies de recours internes.
19. A sa 16ème session tenue en octobre 1994, la Commission a réexaminé
la
communication et a décidé de différer sa décision en attendant de recevoir
des informations sur la manière dont les autres organismes des droits
de
l'homme géraient les cas des demandeurs dépourvus de moyens financiers.
20. A la 17ème session, la communication a été déclarée recevable. Il a
été jugé
opportun que le dossier soit confié au Commissaire couvrant le Botswana
dans ses activités de promotion des droits de l’homme. Par conséquent,
la
responsabilité en a été confiée au Commissaire Janneh. Cependant, aucune
mesure concrète n'aura été prise.
21. Le 20 avril 1995, une correspondance a été adressée au requérant pour
l'informer de la décision de recevabilité de la communication.
22. Le 18 mai 1995, une lettre a été reçue de la Commission Européenne
des
Droits de l'Homme en réponse à la demande du Secrétariat relative à la
question des difficultés financières.
23. Le 26 mai 1995, une correspondance a été envoyée au gouvernement
botswanais pour l'informer de la décision de recevabilité prise par la
Commission et lui demander d'envisager un règlement à l'amiable de
l’affaire. Le gouvernement n’y a pas répondu.
24. Le 23 septembre 1995, la Commission a reçu une correspondance
datée du
15 mai 1995 de l'organisation non-gouvernementale, Interights l'informant
qu'elle avait été désignée par M. Modise pour le représenter à la prochaine
session de la Commission. La lettre de M. Modise adressée à Interights
le 2
décembre 1994, en ce sens était annexée à cette correspondance.
25. La même enveloppe contenait une seconde lettre de Interights datée
du 15
mai 1995, précisant que cette O.N.G. venait juste d'être informée de la
décision de recevabilité prise par la Commission à sa 17ème session et
demandait par conséquent que notification de ladite recevabilité lui soit
formellement adressée. Interights avait également joint une note explicative
de l’instance et les revendications du demandeur, et indiquait son intention
d’être présente à Praia, au cours de la 18ème session pour défendre le
dossier.
26. A la 18ème session tenue en octobre 1995, la Commission a entendu le
Conseil du plaignant, M. Odinkalu. Il a été décidé de différer la décision
sur
le fond pour laisser le temps aux tentatives d'arrangement à l'amiable,
le cas
échéant, l’affaire serait de nouveau examinée à la 19ème session.
27. Le 19 octobre 1995, le Secrétariat a reçu par télécopie, une note verbale du Ministère des Affaires Etrangères du Botswana, l'informant de ce que le chef de l’Etat avait octroyé la nationalité botswanaise à M. Modise et que son certificat de nationalité lui avait été envoyé par la poste le 26 juin 1995.
28. Le 30 novembre 1995, une copie de cette note verbale a été adressée à M. Odinkalu avec une lettre lui précisant que si la Commission ne recevait pas des informations contraires avant sa prochaine session, l'octroi de la nationalité serait considéré comme un arrangement à l'amiable.
29. Le 14 décembre 1995, le Secrétariat a reçu une lettre de M. Chidi Odinkalu, Conseil du plaignant, indiquant qu'il ne considérait pas l'octroi de la nationalité comme un règlement à l'amiable et demandait que la Commission poursuive l’examen de l’affaire.
30. Le 28 décembre 1995, le Secrétariat a reçu une correspondance du
Commissaire Dankwa demandant des copies de toute la documentation
pertinente sur l'affaire pour s'en servir lors de sa mission au Botswana.
31. Le 25 janvier 1996, le Secrétariat a reçu une correspondance transmise
par
télécopie de M. Odinkalu indiquant son intention d'envoyer des
informations supplémentaires à la Commission.
32. Le 13 février 1996, le Secrétariat a reçu une lettre du Commissaire
Dankwa
demandant des copies de certaines pages du passeport de M. Modise. Le
Secrétariat les lui a fait tenir par télécopie.
33. Le 23 février 1996, le Secrétariat a envoyé un message par télécopie
au
Commissaire Dankwa pour s’enquérir des résultats de sa mission au
Botswana.
34. Le 28 février 1996, M. Odinkalu, Conseil du plaignant, a présenté une
note
additionnelle décrivant les conditions spéciales de l’octroi de la nationalité
par naturalisation qui a été accordée à M. Modise.
35. Le 1er mars 1996, le Secrétariat a reçu un message envoyé par télécopie
du
Commissaire Dankwa l’informant qu'il n'avait pas été en mesure d'effectuer
sa mission au Botswana avant la 19ème session.
36. Au cours de la 19ème session, la communication n'a pas été examinée.
37. Le 8 mai 1996, une lettre a été envoyée au gouvernement botswanais,
accusant réception de sa note verbale du 19 octobre 1995 et l'informant
que
la communication n'avait pas été examinée à la 19ème session, mais qu'elle
le
serait à la 20ème session prévue en octobre 1996.
38. Le 8 mai 1996, une lettre a été envoyée au requérant, lui
donnant les mêmes
informations que ci-dessus. Copie de la note verbale adressée à la
Commission par le gouvernement le 19 octobre 1995 était jointe à ladite
lettre.
39. Le 9 octobre 1996 le Secrétariat de la Commission a reçu un message
d'Interights transmis par télécopie lui faisant notamment tenir copie
de
la
lettre de M. Modise déclarant que toutes les voies de recours internes
avaient été épuisées, et que même si le gouvernement du Botswana avait
promis au Commissaire Dankwa qu'il allait lui délivrer un passeport, sa
demande n’avait toujours pas été approuvée par les autorités compétentes.
40. Le 10 octobre 1996 le Secrétariat a accusé réception de la correspondance
d’Interights.
41. A sa 20ème session, tenue à Grand Baie, Île Maurice en octobre 1996,
la
Commission a suivi un exposé fait par Interights. Après l'audition, elle
a
décidé de renvoyer la décision sur le fond à sa prochaine session afin
de
donner davantage de temps à la recherche d’un arrangement à l’amiable.
42. Le 12 décembre 1996, le Secrétariat a adressé une note verbale à cet
effet au
gouvernement,
43. Le 12 décembre 1996, le Secrétariat a adressé une lettre à cet effet
à
Interights.
44. A sa 21ème session tenue en avril 1997, la Commission a décidé de clore
l’affaire, en considérant que la naturalisation de M. Modise constituait
un
règlement à l’amiable de l'affaire et donc, vidait son délibéré.
45. Le 11 juin 1997, le Secrétariat a notifié cette décision au demandeur,
à l’Etat
défendeur et au Conseil du requérant.
46. Le 16 juin 1997, le Secrétariat a reçu un message envoyé par télécopie
par
Interights, indiquant qu’il n’était pas satisfait de la décision de la
Commission et qu’il demandait subséquemment la réouverture du dossier.
47. Le 19 juin 1997, le Secrétariat a accusé réception de la lettre d’Interights
du
16 juin 1997, tout en lui expliquant la décision prise par la Commission.
48. Le 26 juin 1997, une lettre à cet effet a été écrite à M. Modise, avec
copie à
Interights.
49. Le 18 juillet 1997, le Secrétariat a reçu une lettre d’Interights sous-titrée
“Réouverture de la Communication 97/93” avec une note explicative de 9
pages.
50. Le 29 juillet 1997, le Secrétariat a envoyé une lettre au Commissaire
Dankwa, accompagnée de la note explicative d’Interights, pour requérir
son
avis en tant que rapporteur sur la communication.
51. A la 22ème session tenue du 2 au 11 novembre 1997, la Commission a
décidé
de donner suite à la demande d'Interights, de rouvrir le dossier et donc
de
revenir sur les motifs ayant conduit à sa précédente décision qui avait
considéré que la communication avait été close sur la base d’un règlement
à
l’amiable. La Commission a par ailleurs demandé au Botswana de lui fournir
des informations sur les termes du règlement intervenu entre les parties,
les
directives relatives à sa mise en application, ainsi que sur le type de
citoyenneté accordée au sieur Modise.
52. Le 18 novembre 1997, le Secrétariat a écrit aux parties pour les informer
de
la décision de la Commission.
53. Le 11 février 1998, le Secrétariat a adressé une note verbale de rappel
au
Ministère botswanais des Affaires Etrangères.
54. Jusqu'à la 23ème session, le gouvernement du Botswana n’avait pas réagi
à la
demande d’information susmentionnée. La Commission a par conséquent
prié le Secrétariat de la renouveler.
55. Le 10 août 1998, l’Etat défendeur a réagi.
56. Au cours de la 24ème session ordinaire de la Commission tenue du 22
au 31
octobre 1998, celle-ci a entendu M. Botsweletse Kingsley Sebele, Secrétaire
Général du Ministère botswanais du Travail et de l’Intérieur. Celui-ci
a fait
valoir que les lois de son pays ne pouvaient offrir un statut différent
de celui
octroyé à M. Modise qui, au demeurant, a obstinément refusé selon le
délégué du Botswana, de coopérer avec le gouvernement du Botswana. La
Commission a par la suite renvoyé la décision de fond à sa 25ème session.
57. Le 10 novembre 1998, le Secrétariat a écrit aux parties pour les informer
de
la décision de la Commission.
58. Par deux notes verbales datées du 6 octobre 1998 et du 9 décembre 1998,
le
Gouvernement du Botswana a réaffirmé sa position telle qu'exprimée dans
sa note précédente du 27 mai 1998.
59. Le 16 avril 1999, Interrights, Conseil de Sieur John Modise, a écrit
à la
Commission pour demander le report de l'audition du cas à la 26ème session
ordinaire pour des raisons de maladie de M. Odinkalu.
60. A la 25ème session de la Commission tenue à Bujumbura, Burundi, l'examen
de cette communication a été reporté à la 26ème session ordinaire.
61. Le 6 juillet 1999, le Secrétariat de la Commission a écrit aux parties
pour les
informer de cette décision de la Commission.
62. Le 29 septembre 1999, le gouvernement du Botswana a répondu
partélécopie pour confirmer sa position telle que contenue dans son
message du 9 décembre 1998 et pour demander que cette information soit
portée à la connaissance des membres de la Commission et du Conseil du
requérant.
63. Le 1er octobre 1999, le Secrétariat a répondu à cette Note verbale.
Une copie
de la réponse du gouvernement a été transmise à Interights pour
information et pour action appropriée.
64. Le 20 octobre 1999, le Conseil du plaignant (Interights) a fait parvenir
au
Secrétariat de la Commission sa réponse écrite aux observations du
gouvernement du Botswana.
65. A sa 26ème session ordinaire tenue à Kigali, Rwanda, la Commission
a
examiné l'affaire et a noté que le gouvernement du Botswana avait indiqué
que si rien ne venait contredire sa position, le cas serait considéré
comme
clôturé. Comme Interights avait envoyé une note pour s'inscrire contre
cette
position du gouvernement, la Commission a alors décidé de porter cette
note à l'attention du gouvernement. Une décision finale sur le fond serait
prise à la session ordinaire suivante.
66. Cette décision a été communiquée aux parties le 18 janvier 2000. Une
copie
de la note de Interights accompagnait la lettre du gouvernement. Aucune
réponse n'a été reçue des autorités compétentes du Botswana.
67. A sa 27ème session tenue à Alger du 27 avril au 11 mai 2000, la Commission
a
examiné le dossier et a différé sa décision à sa prochaine session.
68. Les parties ont été notifiées de cette décision le 12 juillet
2000.
LE DROIT
La recevabilité
69. Cette communication est longtemps restée en instance devant la
Commission. Elle a été déclarée recevable à la 17ème session du fait que
la
procédure des voies de recours internes était prolongée de façon anormale
et de l'obstruction volontaire à la procédure judiciaire par le gouvernement
par des déportations répétées du requérant. Le dossier a par la suite
été
déclaré clos parce que la Commission estimait que la naturalisation du
demandeur constituait un règlement à l'amiable de la question. Il a
cependant était rouvert à la demande d'Interights pour le compte du
plaignant.
Le fond
Réponse de l'Etat partie
70. L'Etat partie a répondu à la demande de la Commission relative aux
conditions de règlement à l'amiable conclu avec le requérant. Il a
notamment indiqué que le sieur Modise avait été naturalisé botswanais le
28
février 1995. A ce titre, il jouissait de tous les droits afférents à son
statut en
vertu des dispositions du chapitre II de la constitution du pays. Par ailleurs,
dans un document joint à la note du gouvernement de l’Etat défendeur,
les
dispositions constitutionnelles pertinentes relatives à la citoyenneté
botswanaise au moment de l’accession à l’indépendance de ce pays ont été
reprises. Le document donne en outre des détails édifiants sur la naissance
et la filiation du requérant qui est né sur le territoire de ce qui était
alors
l’Union sud-africaine (devenue la République d’Afrique du Sud en 1961),
des oeuvres d’un père ayant le statut de personne protégée par la couronne
britannique, bien qu’originaire du protectorat du Bechuanaland (l’actuel
Botswana). Le défendeur y fait remarquer que le sieur Modise et son conseil
se seraient certainement trompés de bonne foi et auraient mal compris,
voire mal interprété la section 20(2) de la constitution du Botswana.
Le
défendeur soutient que le lieu de naissance d’un individu confère
immédiatement sa nationalité à cet individu. Cette nationalité à la naissance
pourrait plus tard être dénoncée ou répudiée par l’intéressé, ses parents
ou le
tuteur légal. Pour éviter qu’un enfant ne soit apatride à la naissance,
la loi
opère de telle sorte que le lieu de naissance confère sa nationalité à
un
individu. Il n’est point nécessaire d’entreprendre des démarches légales
pour
assurer une telle nationalité. La section 20(2) de la constitution concerne
les
individus nés en dehors du protectorat du Bechuanaland et qui étaient à
ce moment
là soit des sujets de sa Majesté, soit des personnes protégées par la
couronne et dont les pères avaient acquis la nationalité botswanaise en
application des dispositions de la section 20(1). John K. Modise aurait
pu
bénéficier des dispositions de la section 20(1) si son père, né sur le
territoire
du protectorat et, ayant le statut de personne protégée par la couronne
avait
été vivant au moment de l’accession à l’indépendance du Botswana. Selon
le
défendeur, John K. Modise ne remplit pas les conditions de la section 20(2),
car né en Afrique du Sud, il est de ce fait citoyen sud-africain par simple
application de la loi et sans qu’il soit nécessaire de sa part d’entreprendre
des
démarches légales pour prouver sa nationalité. Ainsi, en 1966, il n’était
ni un
sujet de sa Majesté britannique et de ses colonies, ni une personne protégée
par la couronne d’Angleterre. L’Afrique du Sud n’était pas en 1966 une colonie britannique. En conséquence de quoi selon l’Etat du Botswana, il
ne
remplissait pas les conditions exigées pour l’acquisition de la nationalité
botswanaise par la section 20(2).
71. La section 23(1) de la Constitution concerne les cas des individus
qui se sont
retrouvés dans une situation similaire à celle du sieur Modise ; en ce
sens
qu’elle donnait la possibilité d’acquérir la nationalité botswanaise aux
personnes dont les pères avaient acquis cette nationalité en application
de la
section 20(1) ; mais encore les enfants de ces personnes en étaient exclus
au
regard des dispositions de la section 20(2). Puisque le sieur Modise en
vertu
des dispositions légales ne pouvait réclamer la nationalité du nouvel Etat
du
Botswana ni du fait de la naissance ni par filiation [section 20(2) ],
la loi lui
donnait la possibilité de choisir cette nationalité par naturalisation,
section
23(1). Ce texte disposait que tous ceux qui avaient atteint l’âge de la
majorité
devaient demander leur naturalisation avant la date du 1er octobre 1968.
Il
apparaîtrait que le sieur Modise qui était alors âgé de trente trois ans
à la
date du 1er octobre 1968, n’aurait pas exploité cette possibilité qui lui
avait
été offerte durant une période de deux ans. C’est ce qui explique, selon
le
défendeur, ses difficultés présentes ; car n’ayant pas entrepris les démarches
nécessaires à sa naturalisation, au regard de la loi, il était considéré
comme
n’étant pas intéressé par cette dernière.
72. D’après le gouvernement, l’argument de monsieur Modise et de son conseil
selon lequel le requérant serait botswanais tant par la naissance que
par
filiation est à la vérité fort ténu. Selon lui, aux termes des dispositions
légales
en vigueur au 30 septembre 1966, le sieur Modise ne pouvait prétendre à
ladite nationalité. Il est né en Afrique du Sud et non dans le protectorat
du
Bechuanaland. Il ne pouvait pas prétendre à la nationalité botswanaise
par
filiation puisqu’il en était explicitement exclu par la section 20(2).
Le
gouvernement soutient que la thèse selon laquelle le requérant n’aurait
jamais revendiqué une autre nationalité est tout aussi inopérante. Car
selon
lui, il n’avait guère besoin de le faire. Étant né en Afrique du Sud, il
jouissait
automatiquement de la nationalité de ce pays. Ce qui le disqualifiait tout
aussi automatiquement de la nationalité botswanaise en application de
la
section 20(2). Il aurait cependant pu en vertu des dispositions de la section
23(1), opter pour cette dernière nationalité, mais il s’en est abstenu.
L’Etat
du Botswana a offert à quiconque la possibilité de faire un choix conscient
entre le maintien de sa nationalité à la naissance et la naturalisation
comme
citoyen du nouvel Etat botswanais. Le sieur John Modise ne pourrait pas
en
la matière se réfugier derrière l’ignorance, puisque nul n’est censé ignorer
la
loi.
73. Suite aux déclarations de l'Etat concerné, le Conseil du plaignant
a répondu
que ces déclarations contenaient plusieurs déformations des faits, de la
loi et
de l'amalgame de faits et des dispositions de la loi qui sont faux,
contradictoires et controversés.
74. Il a nié le fait que lorsque Modise a été expulsé vers l'Afrique du
sud, les
autorités l'ont accepté comme leur citoyen. Il a mis en relief le fait
que
Modise a été déporté pour la première fois du Botswana vers l'Afrique du
Sud le 17 octobre 1978, par le Directeur général de la Présidence de l'Etat
défendeur. A son retour au Botswana quatre jours plus tard, le 21 octobre
1978, il a été arrêté et accusé de retour au Botswana alors qu'il était
un
immigré indésirable.
75. La question de savoir si le gouvernement d'Afrique du Sud acceptait
ou non
M. Modise comme son ressortissant a été directement traitée dans le
jugement de Hayfron-Benjamin (Président de la Cour suprême) rendu dans
l'appel interjeté par Modise contre sa condamnation prononcée dans
l'affaire John Modise c/l'Etat, par la Haute Cour de la République du
Botswana le 20 septembre 1979. La section pertinente de ce jugement est
la
suivante:
L'instrument d'acceptation, Pièce justificative P2, a été délivré par l'Officier
de
l'Immigration à la frontière de Kopfontein et datait du 18 décembre 1978,
donc
deux mois après que l'Officier de l'Immigration ait déclaré qu'il avait
remis
l'accusé dans les mains des autorités Sud-africaines. Un examen minutieux
du
témoignage (l'Officier de l'Immigration était témoin à charge) a révélé
que le
témoin s'était trompé sur le document que les autorités sud-africaines
avaient
signé ce jour- là.
Il a déclaré que le document "P2",
instrument d'acceptation, n'est
pas celui qui a été signé par l'Officier d'Immigration de l'Afrique
du Sud au moment où il remettait l'accusé au poste frontalier…
Par conséquent, l'accusation a clos ce dossier sans avoir clarifié
cette situation, qui, indépendamment de toute autre considération,
serait un facteur d'évaluation de la sentence à imposer.
Si les autorités d'Afrique du Sud étaient seulement disposées à
accepter le demandeur en décembre, il apparaît néanmoins qu'il a
été expulsé de ce pays avant que les dispositions nécessaires
n'aient été prises pour formaliser son acceptation et avant que
l'accusé, qui avait vécu au Botswana depuis son enfance, ne s'y
soit installé.
76. Compte tenu de ce qui précède, par conséquent, il affirme que cette
décision,
qui jusqu'ici n'est pas contestée, montre que le gouvernement du Botswana
n'a
jamais montré et n'a pas été à même de démontrer que M. Modise a
effectivement été accepté par les autorités sud-africaines comme étant
ressortissant de ce pays. Au contraire, il soutient que l'Afrique du Sud
ne l'a
pas accepté, et qu'il était interdit de séjour dans l'ancien "Homeland" sudafricain
du Baphuthatswana dont, par lettre (Ref. 4/6/2/8/818/78) adressée à
M. Modise en date du 6 octobre 1986, le gouvernement d'alors a déclaré
ce qui
suit :
Le nom Modise ne figure pas dans le registre des citoyens du baphuthatswana
et le
problème de citoyenneté est une question entre vous (M. Modise) et le gouvernement
du
Botswana.
Pour matérialiser cette thèse, le gouvernement de l'ancien "Homeland" du
Baphuthatswana, au cours de la même année, a déporté M. Modise de
nouveau au Botswana.
77. Concernant l'argument qu'aucune citoyenneté ne peut être offerte ou
accordée à
Modise, il a déclaré que cette thèse était contredite par l'autre affirmation
contenue dans la lettre adressée à la Commission par M. B. K. Sebele,
Directeur
général du Ministère des Affaires étrangères en date du 9 décembre 1998,
que M.
Modise, enregistré comme citoyen dans des conditions particulières, à la
Présidence de la République du Botswana, bien qu'elle n'ait pas indiqué
la date à
laquelle M. Modise a été ainsi enregistré. Il soutient qu'il est impossible
de
concilier la thèse que le plaignant est enregistré dans des conditions
particulières à
la Présidence de la République du Botswana avec l'affirmation de M. B.
K.
Sebele dans la lettre susmentionnée, qu' "aucune
forme de nationalité ne peut être
offerte ou accordée à M. Modise".
Il affirme que M. Modise aurait dit qu'en
1998, les officiers d'immigration de Lobatse, au Botswana lui ont rendu
visite et
l'ont invité à signer un document pour faciliter le renouvellement de son
permis
de résidence au Botswana, qui avait expiré. Lorsqu'il a voulu vérifier
ce
document, il a été averti qu'il risquait une déportation immédiate s'il
ne le signait
pas, ce qu'il fit à l'instant. Même si physiquement il est au Botswana,
il n'a reçu
aucun document ni aucune indication sur le statut de sa nationalité actuelle
de
l'Etat défendeur.
78. Il rejette comme étant fausse la thèse que M. Modise est responsable
de sa non
jouissance de son droit à la nationalité botswanaise, en refusant de produire
les
preuves nécessaires de sa citoyenneté. Dans tous les cas, il souligne que
leur
production ne redresserait pas les violations qu'il a subies dans cette
affaire.
79. S'agissant de l'affirmation que M. Modise ne pouvait pas et n'est pas
devenu citoyen
du Botswana par la naissance, aux termes de la section 20 (2) de l'ancienne
Constitution du Botswana, parce qu'il n'était ni Personne sous protection
de la
Couronne britannique, ni citoyen du Royaume Uni ou de ses colonies au 29
septembre 1966, le Conseil du requérant plaide comme suit : "
La section 20 de l'ancienne constitution du Botswana citée dans la lettre
de
Monsieur B. K. Sebele dispose :"
(1) Toute personne qui, ayant vécu dans l'ancien protectorat du Bechuanaland,
est, au 29
septembre 1966 un citoyen du Royaume-Uni et de ses colonies, ou une personne
sous protection
britannique, devient un citoyen du Botswana au 30 Septembre 1966.
(2) Toute personne née en dehors de l'ancien protectorat du Bechuanaland,
qui est, au
29 septembre, 1966 un citoyen du Royaume-Uni et ses colonies ou une personne
sous
protection britannique, et n'est citoyen d'aucun autre pays, deviendra,
si son père est, ou
, devient avant sa mort, citoyen du Botswana conformément aux dispositions
de l'alinéa
(1) de la présente section, un citoyen du Botswana le 30 septembre 1966.
80. Le Conseil indique que puisqu'il est connu que M. Modise
est né en Afrique du
Sud de parents originaires du Botswana, la section 20(1) ne lui est pas
applicable.
La section 20(2) est, donc, la disposition applicable à son cas. Cependant,
la
détermination du fait que M. Modise était ou non un citoyen du Royaume-Uni
et
de ses colonies ou une personne sous protection britannique au 29 septembre
1966 ne peut se faire qu'en application de la loi de 1948 relative à la
nationalité
britannique. Les dispositions de cette loi qui s'appliquent à M. Modise
sont
contenues dans la section 12(2), qui stipulait que:
Une personne qui était un sujet britannique immédiatement avant la date
de l'entrée en vigueur
de cette loi, devient à cette date un citoyen du Royaume-Uni et de ses
colonies
et répond aux conditions énoncées dans l'alinéa précédent
L'alinéa précédent visé dans cette disposition est la section 12(1) de
la même loi qui
prévoit que :
Une personne qui était un sujet britannique immédiatement avant la date
de l'entrée en vigueur
de cette loi, devient à cette date un citoyen du Royaume-Uni et de ses
colonies
Si elle répond à une des conditions suivantes:
(a) Etre né à la date de la mise en vigueur de cette loi, dans les territoires
du Royaume-Uni et
ses colonies, et en aurait été citoyen si
La section 4 de la présente loi avait été en vigueur au moment de sa naissance;
(b) Etre citoyen naturalisé du Royaume-Uni et de ses colonies;
(c) Devenir un sujet britannique suite à l’annexion de tout territoire
intégré dans le Royaume-
Uni et ses colonies au moment de l'entrée en vigueur de cette loi;
81. Le Conseil déclare en outre que nul ne conteste que le père de M. John
Modise,
Samuel Remaphoi Modise et sa mère, Elizabeth Ikaneng Modise, étaient tous
deux nés à Goo-Modultwa de Kanye au Bangwaketse dans l'ancien Protectorat
du Bechuanaland (maintenant Botswana). John Modise, leur fils et demandeur
dans cette affaire, est né au Cap où son père, Samuel Remaphoi Modise
était
un
travailleur immigré, autour de 1943. S'il (M. Samuel Remaphoi Modise) était
en
vie au 30 septembre 1966, Samuel Remaphoi Modise, qui était né en 1912,
aurait
rempli la condition imposée par la section 12(1)(a) de la Loi de 1948 sur
la
nationalité britannique et, serait devenu, de ce fait, un citoyen du Royaume-Uni
et de ses colonies. Ainsi, par l'application concomitante des sections
12(1) et (2)
et du chapitre 1er de la loi sur la nationalité britannique, John Modise,
son fils,
serait devenu un sujet britannique et un citoyen du Royaume-Uni et de ses colonies
la veille du 30 septembre 1966. En conséquence, il est devenu un
citoyen du Botswana par la naissance le 30 septembre 1966. Les dispositions
pertinentes du chapitre 1er de la loi sur la nationalité britannique disposent
que :
Toute personne qui aux termes de cette Loi est citoyen du Royaume-Uni et
de ses colonies ou
qui, en vertu de toute loi actuellement en vigueur dans n'importe quel
pays mentionné
dans l'alinéa (3) de ce chapitre est citoyen de ce pays, aura, en vertu
de cela, le statut de sujet
britannique. …
Les pays suivants sont visés :
Canada, Australie, Nouvelle Zélande, Union sud-africaine, Newfoundland,
Inde, Pakistan,
Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) et Ceylan (actuel Sri Lanka)
82. S'agissant de l'affirmation de l'Etat défendeur qu'il n'y
a pas de classes de
citoyenneté au Botswana en ce qui concerne la jouissance des droits et
des
privilèges, le Conseil du plaignant affirme qu'indépendamment de la conception
par M. B. K. Sebele, le Directeur général du Ministère des Affaires étrangères,
que ' en tant que citoyen enregistré ou naturalisé, on n'est pas éligible
à l'élection
présidentielle ', il subsiste encore au Botswana trois autres conséquences
plus
graves de la citoyenneté par acquisition. Il s'agit de :
La citoyenneté par la naissance découle de l'application de la loi et par
des
faits biologiques sur lesquels le plaignant n'a aucun contrôle. La citoyenneté
par acquisition d'autre part est le fait de l'intervention d'un acte administratif
facilité par des lois et des faits fournis par le bénéficiaire.
La citoyenneté par la naissance peut être transmise à la descendance ;
mais la
citoyenneté par acquisition ne peut être transmise qu'aux enfants nés après
qu'elle ait été obtenue. C'est particulièrement vrai dans ce cas-ci où
tous les
enfants du plaignant sont maintenant des adultes (au-dessus de 21 ans)
et
resteraient donc apatrides même si leur père recevait la citoyenneté par
acquisition.
La manière dont différentes classes de citoyenneté peuvent être perdues
diffère. Tandis
que par un acte de renonciation volontaire, on perd la citoyenneté par
la naissance, la
citoyenneté par acquisition ou par naturalisation peut être retirée par
une directive émise
par un Ministre du parti au pouvoir ou du gouvernement.
83. Alors que décider de qui est autorisé à demeurer dans un pays est de
la
compétence des autorités de ce pays, cette décision devrait toujours être
prise
suivant des procédures légales appliquées avec attention et équité, et
dans le strict
respect des normes et des règles internationales applicables.
Afin que la Commission puisse déterminer s'il y a eu violation des dispositions
de
la Charte comme allégué par le plaignant, il lui incombe d'évaluer la nationalité
du
plaignant sur la base des faits qui lui sont présentés. Les circonstances
actuelles
du demandeur sont le résultat d'une décision judiciaire prise par le gouvernement
du Botswana.
84. Le plaignant argue qu'il a été injustement privé de la citoyenneté
du Botswana.
Dans la note présentée par ses Conseils, il est affirmé que le plaignant
est né en
Afrique du Sud de père Samuel Remaphoi Modise et de mère Elizabeth Ikaneng
Modise à Goo-Modultwa dans Kanye au Bangwaketse dans l'ancien Protectorat
du Bechuanaland (actuel Botswana). Son père est allé travailler en Afrique
du
Sud comme travailleur migrant. Ces faits ne sont pas contestés par l'Etat
défendeur (voir la copie du document décrivant la loi sur la citoyenneté
au
Botswana attachée à la note verbale du 27 mai 1998). E n fait, les paragraphes
3(a)
et (b) dudit document affirment sans détour, au sujet du père de John Modise,
que par conséquent, "il
était un sujet britannique … il est tout le temps resté un
sujet britannique " (voir également
le paragraphe 6 dudit document). Les
paragraphes 3(d) et (e) de ce document affirment que la mère de John Modise
est
morte quand il avait trois mois et que son père l'a emmené au Protectorat
du
Bechuanaland (Botswana) pour s'assurer que ses parents prenaient soin de
lui;
tandis que son jeune âge est décrit dans le paragraphe 3(e) qui indique
que John a
par la suite grandi dans le Protectorat et y revenait régulièrement après
tous ses
voyages. L'accession à l'indépendance par le Botswana, le 30 septembre
1966, a
changé les choses et une nouvelle loi sur la citoyenneté a été incorporée
dans la
nouvelle constitution. L'Etat partie a reproduit certaines des dispositions
pertinentes de ladite constitution. Il s'agit des sections 20(1) et (2)
et 23(1).
85. Le principal point de controverse soulevé par l'Etat défendeur est
que M. Modise
ne pouvait pas et n'est pas devenu citoyen par la naissance en vertu de
la section
20(2) de l'ancienne constitution du Botswana parce qu'il n'était ni un
sujet
britannique ni un citoyen du Royaume-Uni et de ses colonies au 29 septembre
1966, étant né en dehors de l'ancien Protectorat du Bechuanaland (actuel
Botswana). En acceptant que le père de John Modise a toujours été un sujet
britannique, la question est de savoir quelle est alors la nationalité
de son fils
(John Modise)? Pour répondre à cette interrogation, il faut voir ce que
dit la
constitution du Botswana. Le gouvernement a cité trois dispositions, contenues
dans les sections 20(1) et (2) et 23(1) de la constitution. La section
20(1) dispose
que :
(1) Toute personne qui, ayant vécu dans l'ancien protectorat du Bechuanaland,
est, au 29
septembre 1966, un citoyen du Royaume-Uni et de ses colonies ou une personne
sous protection
britannique, deviendra un citoyen du Botswana au 30 Septembre 1966.
(2) Toute personne née en dehors de l'ancien protectorat du Bechuanaland,
qui est, au 29
septembre 1966, un citoyen du Royaume-Uni et ses colonies ou une personne
sous protection
britannique, et n'est citoyen d'aucun autre pays, deviendra, si son père
est, ou, devient avant sa
mort, citoyen du Botswana conformément aux dispositions de l'alinéa (1)
de la présente section,
un citoyen du Botswana le 30 septembre 1966.
86. La section 20(1) de ladite constitution n'est pas applicable à ce point
de droit,
pour la simple raison que M. John Modise n'est pas né dans l'ancien Protectorat
du Bechuanaland. La section 20(2) de la constitution est la loi applicable
à cet
égard, puisque M. John Modise était né en dehors du Bechuanaland de père
alors
sujet britannique. Si M. Samuel Remaphoi Modise vivait au 30 septembre
1966,
il serait naturellement devenu citoyen du Botswana en vertu des dispositions
de
l'alinéa (1) de cette section. Ce fait n'est pas contesté par l'Etat défendeur.
Compte tenu du libellé on ne peut plus clair de cet alinéa, M. John Modise,
né en
dehors de l'ancien Protectorat du Bechuanaland, d'un sujet britannique,
serait
devenu un citoyen du Botswana n'eût été la mort de son père. M. John Modise
serait donc devenu un citoyen du Botswana par la naissance en application
de
cette disposition. La position du gouvernement, telle que reflétée dans
ses
explications accompagnant sa Note verbale du 27 mai 1998, et dans la déclaration
de M. B. K. Sebele contenue dans sa lettre du 9 décembre 1998 (référence:
CHA
4/19X(88)PS), que M. John Modise n'est pas couvert par la section 20(2)
de la
constitution du Botswana n'est ni convainquante ni satisfaisante. La note
verbale
de l'Etat défendeur susmentionnée attribue à Modise la citoyenneté sud-africaine
à partir du 30 septembre 1966 sans en donner les preuves. Aucune loi sudafricaine
n'est citée en rapport avec la citoyenneté de Modise. Il ne devrait pas
être supposé que c'est un principe universel qu'une personne acquiert
automatiquement la nationalité du pays où elle est née. Ce n'est pas la
loi du
Botswana qui détermine la loi sud-africaine.
87. Dans tous les cas, les preuves abondent que le requérant, M. John Modise,
n'est
pas et n'a été jamais accepté en Afrique du Sud en tant que citoyen. Si
cela était
le cas, M. Modise n'aurait pas souffert d'être expulsé quatre fois. Le
refus de
l'Afrique du Sud de l'accepter en tant que son citoyen a contraint M. Modise
à
vivre pendant huit ans dans le "homeland" du
Bophuthatswana, et pendant
encore sept ans dans la "No Man's
Land", une zone frontalière entre l'ancienne
homeland sud-africaine du Bophuthatswana et le Botswana. Le gouvernement
de
l'ancien Bophuthatswana, a refoulé M. Modise vers le Botswana (voir para.
75 et
76 ci-dessus).
88. Le père de John Modise était un Tswana au moment de l'indépendance,
le 30
septembre 1966 et son fils, le plaignant, n'ayant eu aucune indication
sur son
autre nationalité, a acquis la citoyenneté du Botswana en vertu de la section
20(2)
de la constitution du Botswana alors en vigueur. Le déni de ce droit est
une
violation des articles 3 (2) et 5 de la Charte. L'article 3 prévoit que
:
Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi
L'article 5 d'autre part stipule que :
Chaque individu a droit au respect …à la reconnaissance de sa personnalité
juridique
Cela étant, il n'est donc pas nécessaire de considérer les autres dispositions
de la
constitution citées par l'Etat partie.
89. La Commission prend note du fait que le plaignant, M. John Modise,
comme
indiqué dans le jugement ci-dessus, avait vécu en République du Botswana
depuis
qu'il était tout petit. M. John Modise avait également travaillé au Botswana
et
jusqu'en 1978, sans aucune difficulté particulière pour obtenir les documents
nécessaires exigés pour le statut de citoyen par acquisition, que le gouvernement
prétend lui reconnaître. La Commission note également que sans reconnaître
aucune responsabilité quelconque, le gouvernement du Botswana a pris des
mesures pour remédier à la situation du plaignant en lui accordant une
carte
d'identité en juin 1995, en vertu de la section 9(2) de la Loi sur la citoyenneté
du
Botswana.
90. La déportation ou l'expulsion affecte sérieusement d'autres droits
fondamentaux
de la victime, et dans certains cas, ceux des membres de sa famille. Après
avoir
décidé de la question de citoyenneté de Modise, la Commission se concentrerait
sur les autres requêtes du demandeur, afin de déterminer si les droits
qui lui sont
garantis par la Charte n'ont pas été violés.
91. Le plaignant affirme que sa déportation répétée, les menaces constantes
de
déportation et les conséquences désastreuses de cette situation constituent
une
violation de l'article 5 de la Charte. Les faits constituant cette affaire
indiquent
que le plaignant a été expulsé quatre fois vers l'Afrique du Sud, et qu'il
était
chaque fois refoulé. Il a été contraint de vivre pendant huit ans dans
le "
homeland" du Bophuthatswana, et pendant encore
sept ans dans la " NO-Man's
Land ", une zone frontalière entre l'ancienne homeland
sud-africaine du
Bophuthatswana et le Botswana. Ces actes l'ont exposé à des souffrances
dans sa
personne et l'ont privé de sa dignité, en violation du droit de protection
contre les
traitements cruels, inhumains ou dégradants énoncé par l'article 5 de la
Charte.
L'article 5 de la charte dispose que :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la
reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation
et d'avilissement de
l'homme, … la torture physique ou morale, et les peines et les traitement
cruels, inhumains et
dégradants, sont interdits.
92. Les déportations l'ont privé de sa famille, et privé sa famille de
l'appui qu'il doit
lui apporter. La Commission considère que cela est une violation du droit
du
plaignant à une vie de famille énoncé par l'article 18(1) de la Charte.
L'article
18(1) prévoit que :
La famille est l'élément naturel et la base de la société. Elle doit être
protégée par l'Etat, qui
doit veiller à sa santé physique et morale.
93. Le plaignant allègue, et l'Etat ne le conteste pas, qu'il a été expulsé
quatre fois du
Botswana. Il raconte également en détail toutes les souffrances qu'il a
subies à la
suite de ces actes. Dans ces conditions, la Commission considère que lesdites
déportations ont considérablement affecté le droit du plaignant à la libre
circulation, en tant que citoyen du Botswana, en violation de ses droits
énoncés
par l'article 12(1) de la Charte. L'Etat a également violé son droit de
quitter et de
revenir, tel que garanti par l'article 12(2) de la Charte. L'article 12(1)
et (2) stipule
que :
(1) Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence
à
l'intérieur d'un Etat, sous réserve de se conformer aux règles édictées
par la
loi.
(2) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien,
et de
revenir dans son pays. Ce droit ne peut faire l'objet de restrictions que
si
celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité
nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques.
94. Le requérant allègue aussi qu'il a subi de lourdes pertes financières
dans la mesure
où ses biens et sa propriété ont été confisqués par le gouvernement du
Botswana.
Cette allégation n'a pas été réfutée par le gouvernement en question. Il
est établi
que lorsque les faits allégués ne sont pas contestés par l'autre partie,
et dans le cas
d'espèce, par l'Etat défendeur, ces faits sont considérés comme étant prouvés.
La
Commission considère donc que cette action du gouvernement du Botswana
constitue une violation du droit du plaignant à la propriété tel que garanti
par
l'article 14 de la Charte. L'article 14 dispose que :
Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que
par nécessité publique ou
dans l'intérêt général de la collectivité, ce, conformément aux dispositions
des lois appropriées.
95. Le plaignant allègue qu’en 1978, il était l’un des fondateurs et responsables
du parti d’opposition “Botswana National Front”. Il estime que c’est à
cause
de ses activités politiques qu’il a été déclaré “immigré indésirable” au
Botswana par le gouvernement. Il affirme que cette citoyenneté par
acquisition, que le gouvernement défendeur lui a accordée est à maints
égards inférieure à la citoyenneté par la naissance, qu'il mérite de droit.
Une
des conséquences en est qu'il ne peut pas se présenter à l'élection aux
plus
hautes fonctions politiques dans le pays, à savoir, la Présidence de la
République du Botswana. Ce fait a été admis par B. K. Sebele, Directeur
général au Ministère du Travail et de l'Intérieur de l'Etat défendeur,
qui a
déclaré qu'à " l'exception du fait qu'il
ne peut être élu ou devenir Président
du Botswana, il jouit de tous les autres droits reconnus au citoyen
Botswanais. " (voir paragraphe 2, page 3
de la lettre de M. Sebele datée du 9
décembre 1998).
96. Tandis que cela peut ne pas affecter sérieusement la plupart des individus, il apparaît que cela constitue pour M. Modise une paralysie juridique lourde de conséquences. Compte tenu du fait que sa première déportation soit intervenue peu après qu'il ait fondé un parti politique d'opposition, cela fait croire qu'il s'agissait d'une action visant à entraver sa participation politique. C'est dans ce contexte qu'il est considéré que l'octroi d'une citoyenneté par acquisition au plaignant, équivaut au déni de son droit fondamental le plus cher qu'est le droit de participer librement à la direction de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis. Il s'agit également d'un déni de son droit d'égalité d'accès aux fonctions publiques de son pays tel que garanti par l'article 13(2) de la Charte. L'article 13 de la Charte prévoit que : (1) Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi. (2) Tous les citoyens ont le droit d'accéder aux fonctions publiques de leur pays.
Par ces motifs, la Commission
Déclare qu’il y a eu violation des articles 3(2), 5, 12(1) et (2), 13(1) et (2), 14, et 18(1) de la Charte par la République du Botswana;
Demande instamment au gouvernement du Botswana de prendre les mesures
appropriées pour reconnaître à M. John Modise sa citoyenneté par la naissance
et pour
lui donner une compensation appropriée pour tous les dommages subis
à la suite de cette
violation de ses droits.
Fait à la 28è session ordinaire à Cotonou, Bénin, le 6 novembre 2000.