Dans cette section on s'efforcera d'identifier certains problèmes particuliers des droits de l'homme confrontant des organisations dans un nombre de pays africains dans le contexte actuel de transition politique et en vue de l'intérêt croissant que porte la communauté internationale aux droits de l'homme. Cette section n'a pas l'intention de faire l'inventaire de tous ces problèmes, mais plutôt d'en analyser un certain nombre qui posent des défis ou des problèmes particuliers aux agences non-gouvernementales africaines.
Beaucoup de pays africains sont tourmentés par la violence politique, ce qui crée des difficultés énormes pour le travail des organisations des droits de l'homme. Dans un nombre croissant de cas cette violence est initiée par des agences de gouvernement et exécutée par d'autres éléments à la place du gouvernement. En partie, cette tactique vise à échapper au contrôle de ceux qui veillent aux droits de l'homme, tant à l'échelle locale qu'à l'échelle nationale. Il s'agit peut-être du côté négatif d'une transition au multi-partisme que plusieurs gouvernements africains ont fait un peu à contrecoeur. En présentant la violence actuelle comme "traditionnelle" en quelque manière et résultant de rivalités ethniques profondément assises, les gouvernements africains flattent bassement la caricature occidentale du "continent noir" et esquivent ainsi la responsabilité de leurs propres actions.
Le fait même de qualifier de tels abus de "violence" au lieu de les dénoncer comme des "violations des droits de l'homme" sert à dissimuler leur nature réelle et implique que tous portent une responsabilité égale pour leur résolution. Ainsi, en Afrique du Sud "la violence" a été incitée en grande partie par le mouvement Inkatha soutenu par le gouvernement contre les partisans de l'Assemblée Nationale Africaine (ANC), qui était illégale en ce temps. On prétendait à tort que la violence dérivait de la rivalité "tribale" entre les Zoulous d'Inkatha et d'autres ethnies. En réalité, comme les élections récentes l'ont démontré, beaucoup de Zoulous soutenaient l'ANC, et la violence était largement d'inspiration politique.
Au Kenya, le gouvernement a encouragé des membres de l'ethnie Kalenjin à attaquer des communautés de la Vallée Rift qui allaient voter, pensait-on, pour l'opposition dans les premières élections multi-partis du pays en 1992. On a privé beaucoup d'électeurs de leur droit de vote en les chassant de leurs domiciles. Par conséquent seize candidats du parti du gouvernement ont été réélus au Parlement sans opposition. Toutefois on s'obstine à présenter cette répression comme "des disputes tribales". L'ancien parti gouvernant au Malawi, qui a des liens étroits proches avec son homologue kényan, a essayé d'employer une tactique similaire dans la campagne pour les élections multi-parti en mai 1994. On a aussi signalé la repression succédanée au Za‹re et au Nigéria, parmi d'autres pays. L'exemple le plus clair de l'aboutissement éventuel de ces tactiques peut être vu au Rwanda, o— un gouvernement qui était obligé d'accepter une transition vers le multipartisme a fait appel à des milices de parti pour harceler et réprimer l'opposition. Dans ce cas, les tactiques du gouvernement ont été bien documentées par les groupes des droits de l'homme. Toutefois la communauté internationale ne tenait aucun compte du problème jusqu'à ce que la "violence" ait versé dans le génocide.
Ce nouvel emploi de répression succédanée ou "privatisée" a posé des problèmes particuliers pour les groupes de droits de l'homme. Mais un souci majeur consiste à faire comprendre à la communauté internationale la complicité des gouvernements qui incitent la violence. Cela exigera une plus grande coopération parmi les groupes des droits de l'homme des pays affectés pour arriver à une meilleure compréhension de ces nouvelles méthodes répressives. Les groupes devront aussi développer et raffiner leurs techniques de recherche afin d'assurer que ces abus soient pleinement documentés.
Ce n'est pas la seule technique employée par des gouvernements pour détourner la pression internationale. La plupart des gouvernements africains comprennent que la communauté internationale ne tolérera pas les détentions sans procès. Les autorités policières--conscientes du refrain inlassable des organisations des droits de l'homme que prisonniers politiques doivent être "accusés ou mis en liberté"--ont recouru de plus en plus aux accusations criminelles contre les adversaires, les journalistes et les activistes politiques des droits de l'homme. Dans certains pays un pouvoir judiciaire est prêt à se plier aux voeux de l'exécutif en emprisonnant des critiques du gouvernement dans une parodie de la procédure judiciaire en bonne et due forme. Cela a été le cas, par exemple, au Togo, en Côte d'Ivoire, au Cameroun et parfois au Kenya. Ailleurs, on a fait un usage frivole d'accusations criminelles, sans aucune intention de faire passer l'accusé en jugement. Au contraire, les hommes politiques d'opposition, les journalistes et d'autres doivent vivre sous la menace d'accusations de subversion ou de sédition. Dans les pires des cas, l'accusé se voit refuser la mise en liberté sous caution et passent ainsi des mois ou des années en prison avant que les accusations soient retirées. Par exemple, au cours de ces dernières années en Uganda plus d'une centaine de personnes ont été accusés de trahison--un délit pour lequel les tribunaux n'ont pas le droit d'accorder la mise en liberté sous caution. Il n'y a que peu de ces cas qui soient passés en jugement.
L'efficacité de cette tactique des accusations criminelles pour punir les dissidents politiques se situe dans le fait que la communauté internationale est peu disposée à "intervenir" dans les affaires intérieurs d'un pays en critiquant le fonctionnement de son système judiciaire. S'ils font l'objet de critiques, ces gouvernements peuvent prétendre que ceux qui leur reprochent des abus des droits de l'homme "changent les règles du jeu" en invoquant le droit pénal plutôt que la détention administrative. En même temps, les procédures juridiques peuvent embrouiller les avocats et les organisations des droits de l'homme dans une défense coûteuse de cas qui ne passent jamais en jugement.
Un développement plus positif sur le front légal dans certains pays africains a été l'adoption récente d'un garanti réel des droits de l'homme soit dans les constitutions soit par la législation d'institutions chargées de la protection des droits de l'homme, tels que des commissions nationales ou des protecteurs des citoyens. La possibilité de faire appel à un organe prévu par la loi pour entamer des procès constitutionnels ou pour poursuivre des plaintes donnent une légitimité aux activités des organisations non-gouvernementales des droits de l'homme tout en leur dotant d'un nouvel instrument efficace.
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