University of Minnesota



Observations finales du Comité contre la torture, Israël, U.N. Doc. CAT/C/ISR/CO/4 (2009).


 

CAT/C/ISR/CO/4

23 juin 2009

FRANÇAIS
Original: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Quarante-deuxième session
Genève, 27 avril-15 mai 2009

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité contre la torture

ISRAËL

1. Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique d’Israël (CAT/C/ISR/4) à ses 878e et 881e séances (CAT/C/SR.878 et 881), les 5 et 6 mai 2009, et a adopté, à sa 893e séance (CAT/C/SR.893), les observations finales ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique d’Israël, qui est conforme aux directives du Comité pour l’établissement des rapports.

3. Le Comité accueille avec satisfaction les réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter (CAT/C/ISR/Q/4/Add.1), qui ont apporté un précieux complément d’information, ainsi que les réponses données oralement aux nombreuses questions posées et préoccupations exprimées lors de l’examen du rapport. Le Comité apprécie également la compétence de la délégation de l’État partie et le dialogue ouvert et exhaustif qui a eu lieu.

B. Aspects positifs

4. Le Comité relève avec satisfaction qu’au cours de la période écoulée depuis l’examen du rapport précédent, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants:

a) Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans des conflits armés;

b) Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.

5. Le Comité note avec appréciation l’arrêt de la Cour suprême d’Israël concernant l’affaire Yisacharov c. Le Procureur militaire général et consorts, C.A. 5121/98, par lequel elle s’est prononcée en faveur de l’irrecevabilité d’aveux ou d’éléments de preuve obtenus illégalement ou en violation du droit du défendeur à une procédure équitable, et son arrêt concernant l’affaire Médecins pour les droits de l’homme et consorts c. Ministre de la sécurité publique,  HCJ 4634/04, statuant que l’État d’Israël doit fournir un lit à tout prisonnier détenu dans une prison israélienne, cela étant une condition essentielle pour vivre dans la dignité.

6. Le Comité note aussi avec appréciation la promulgation de la loi no 5762-2002 sur le Service général de sécurité qui régit le mandat, les compétences et les fonctions de ce service et en réglemente les activités, en sorte qu’il est désormais supervisé par un Comité ministériel et d’autres organes officiels auxquels il fait rapport.

7. Le Comité accueille avec satisfaction la désignation du Service pénitentiaire d’Israël comme autorité responsable de nombreux centres de détention israéliens, alors que certains étaient précédemment contrôlés par l’armée et la police.

8. En outre, le Comité accueille avec satisfaction la déclaration de l’État partie qui affirme qu’une formation concernant la Convention et l’interdiction de la torture est dispensée dans le cadre de stages organisés à l’intention des agents de la sécurité, de la police et de l’armée, où il est notamment question de l’arrêt rendu par la Cour suprême en 1999 concernant l’interdiction de la torture, décision qui a fait date et dans laquelle la Cour a affirmé: «Ces interdictions sont “absolues”: elles ne souffrent aucune exception et aucune circonstance ne peut permettred’y déroger.».

9. Le Comité salue aussi de nouveau la façon dont le débat public se déroule sur des questions aussi sensibles que la torture et les mauvais traitements infligés aux détenus, tant en Israël que dans les territoires palestiniens occupés. Il se félicite de la coopération de l’État partie avec des organisations non gouvernementales qui communiquent des rapports et des informations à ce sujet au Comité, et il encourage l’État partie à renforcer encore sa coopération avec elles en ce qui concerne la surveillance et la mise en œuvre des dispositions de la Convention. À ce propos, le Comité accueille aussi avec satisfaction la promptitude du réexamen judiciaire de la situation des personnes détenues lorsque celles-ci forment un recours devant la Cour suprême, ainsi que le rôle joué par les organisations non gouvernementales pour faciliter et présenter ces recours.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

10. Le Comité est pleinement conscient de l’agitation qui règne en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Il réaffirme qu’il reconnaît le souci légitime qu’a l’État partie de sa sécurité ainsi que son devoir de protéger de la violence ses citoyens et toutes les personnes se trouvant sous sa juridiction ou placées de facto sous son contrôle. Toutefois, il rappelle le caractère absolu de l’interdiction de la torture telle qu’elle est énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 de la  Convention, qui dispose qu’«aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture».

11. Le Comité note que l’État partie continue d’arguer que la Convention n’est pas applicable à la Cisjordanie ni à la bande de Gaza, et qu’il invoque notamment, à l’appui de ce point de vue, différentes considérations d’ordre juridique qui ne sont pas nouvelles et qui vont des circonstances qui ont entouré la rédaction de la Convention jusqu’aux changements intervenus concrètement depuis la dernière rencontre d’Israël avec le Comité, notamment le retrait des forces israéliennes de la bande de Gaza en 2005, le démantèlement de l’administration militaire et l’évacuation de plus de 8 500 civils à Gaza. En outre, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le «droit des conflits armés» est la lex specialis qui s’applique au premier chef en tant que régime juridique. Or le Comité rappelle que dans son Observation générale no 2 (2007), il a fait valoir que l’obligation des États parties de prévenir les actes de torture et les mauvais traitements dans tout territoire se trouvant sous leur juridiction doit être interprétée et appliquée de manière à protéger quiconque, ressortissant ou non-ressortissant, relève de droit ou de fait d’un État partie. Le Comité relève d’autre part que: a) l’État partie et son personnel ont, à de nombreuses reprises, pénétré en Cisjordanie et à Gaza et en ont pris le contrôle; b) comme l’ont reconnu les représentants de l’État partie lors de leurs échanges avec le Comité, les habitants de ces zones qui sont placés en détention pour des motifs de sécurité sont détenus en grand nombre dans des prisons qui se trouvent à l’intérieur des frontières de l’État d’Israël; c) Israël reconnaît qu’il continue d’avoir «pleine compétence» pour les affaires de violences commises dans les territoires par des colons israéliens à l’encontre de Palestiniens. Ainsi, l’État partie conserve à de nombreux égards un contrôle et une compétence sur les territoires palestiniens occupés. En outre, le Comité relève avec satisfaction que l’État partie affirme que les fonctionnaires israéliens relèvent des juridictions pénales israéliennes pour tout acte illicite commis à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire d’Israël, pour autant qu’ils aient agi dans le cadre de leurs fonctions officielles. Pour ce qui est de l’argument relatif à la lex specialis, le Comité rappelle qu’il considère que l’application des dispositions de la Convention est sans préjudice des dispositions de tout autre instrument international, comme il est énoncé au paragraphe 2 de l’article premier et de l’article 16 de la Convention. Enfin, le Comité considère que, conformément à ce qu’a déclaré la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif, les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État partie, dont la Convention, sont applicables dans les territoires palestiniens occupés1.

12. En tout état de cause, le Comité note que l’État partie a reconnu qu’un examen approfondi de ses actions en Cisjordanie et à Gaza se justifiait. Il note aussi que l’État partie a répondu, et de façon détaillée, à de nombreuses questions concernant la Cisjordanie et Gaza posées par le Comité dans la liste de points à traiter comme au cours du débat.

D. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

13. Le Comité prend note de l’explication de l’État partie qui a précisé que tous les actes de torture étaient des infractions pénales en droit israélien. Toutefois, il réitère la préoccupation déjà formulée dans ses précédentes conclusions et recommandations concernant le fait que le crime de torture tel qu’il est défini à l’article premier de la Convention n’est pas incorporé à la législation interne israélienne.

Le Comité réitère la recommandation qu’il a faite précédemment tendant à ce que l’infraction de torture, telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention, soit incorporée au droit interne israélien.

L’«état de nécessité» comme moyen de défense

14. En dépit des assurances données par l’État partie qui affirme que l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire H.C.J. 5100/94, Commission publique contre la torture en Israël c. L’État d’Israël a établi que l’interdiction du recours à des «moyens brutaux ou inhumains» était absolue, et que l’«état de nécessité» ne saurait constituer une source de droit autorisant un enquêteur à user de pressions physiques, le Comité n’en reste pas moins inquiet de ce que l’exception liée à un «état de nécessité» peut encore être invoquée en cas d’attentat imminent, c’est-à-dire lorsque l’on interroge des personnes soupçonnées de terrorisme ou des personnes détenant des informations au sujet d’éventuels attentats terroristes. Le Comité relève en outre avec inquiétude qu’en vertu de l’article 18 de la loi no 5762-2002 sur le Service général de sécurité, un agent du Service général de sécurité (SGS) «n’est pas responsable pénalement ni civilement de tout acte ou omission qu’il commet de bonne foi et raisonnablement dans le cadre et dans l’exercice de ses fonctions». Bien que l’État partie ait indiqué que l’article 18 n’a jamais été appliqué, le Comité craint que les enquêteurs du SGS qui recourent aux pressions physiques dans des affaires où l’on pense qu’un attentat est imminent ne soient pas tenus pour pénalement responsables s’ils invoquent l’état de nécessité comme moyen de défense. Selon des données officielles publiées en juillet 2002, 90 détenus palestiniens ont été interrogés dans le cadre de l’application de l’exception des «attentats imminents» depuis septembre 1999.

Le Comité réitère la recommandation déjà formulée précédemment tendant à ce que l’État partie abroge totalement toute disposition prévoyant que l’état de nécessité peut éventuellement justifier le crime de torture. Il prie l’État partie de lui communiquer des renseignements détaillés sur le nombre de détenus palestiniens interrogés dans des affaires concernant des «attentats imminents» depuis 2002.

Garanties fondamentales pour les détenus

15. La loi de procédure pénale et l’ordonnance sur les prisons énoncent les conditions dans lesquelles les détenus doivent pouvoir s’entretenir avec un avocat dans les meilleurs délais, mais le Comité s’inquiète de ce que ces délais peuvent être prolongés sur demande écrite si l’entretien risque de compromettre l’enquête, d’entraver la découverte d’éléments de preuve ou d’empêcher l’arrestation d’autres suspects, et de ce que les infractions liées à la sécurité ou les inculpations pour terrorisme autorisent d’autres reports. En dépit des garanties prévues par la loi et entérinées par la Cour suprême d’Israël dans son arrêt de 2006 concernant l’affaire Yisacharov

c. Le Procureur général militaire et consorts, C.A. 5121/98 en ce qui concerne les affaires ordinaires, il a été allégué en maintes occasions que les personnes détenues pour des infractions liées à la sécurité ne jouissent pas de garanties juridiques suffisantes. Le Comité relève également avec inquiétude que la loi de procédure pénale de 2006 dispose que les personnes soupçonnées d’infractions liées à la sécurité peuvent être détenues pour une durée pouvant aller jusqu’à quatre-vingt-seize heures avant d’être déférées devant un juge − même si l’État partie affirme que dans la majorité des cas, elles le sont dans les quatorze heures suivant leur incarcération − et qu’elles peuvent n’avoir accès à un avocat qu’au bout de vingt et un jours − en dépit de l’affirmation de l’État partie selon laquelle un délai de plus de dix jours est «rarement appliqué».

Le Comité engage Israël à revoir sa législation et ses politiques afin de veiller à ce que tous les détenus sans exception soient déférés sans délai devant un juge et qu’ils puissent rapidement communiquer avec un avocat. Le Comité insiste sur le fait que l’accès sans délai à un avocat, à un médecin indépendant et à un membre de leur famille est un important moyen de protection des suspects qui offre des garanties supplémentaires contre la torture et les mauvais traitements qui peuvent être infligés pendant la détention, et que ces droits doivent être garantis aux personnes accusées d’infractions liées à la sécurité.

16. Le Comité se félicite de l’adoption de la loi de procédure pénale (Interrogatoire des suspects) de 2002, qui prescrit que l’interrogatoire des suspects doit à tous les stades faire l’objet d’un enregistrement vidéo, mais il relève avec inquiétude que l’amendement de 2008 à cette loi introduit une exception pour les interrogatoires de détenus accusés d’infractions liées à la sécurité. L’État partie justifie cette mesure en invoquant des restrictions budgétaires et déclare que cette exception concernant les personnes soupçonnées d’infractions liées à la sécurité ne s’appliquera que jusqu’en décembre 2010.

L’enregistrement vidéo des interrogatoires représente également un progrès important pour la protection non seulement du détenu mais aussi, il faut le souligner, des agents de la force publique. Par conséquent, l’État partie devrait, à titre prioritaire, étendre l’obligation légale d’effectuer un enregistrement vidéo des interrogatoires aux détenus accusés d’infractions liées à la sécurité, car c’est un moyen supplémentaire de prévenir la torture et les mauvais traitements.

Internement administratif et mise à l’isolement

17. Le Comité a noté avec préoccupation que l’internement administratif n’était pas compatible avec l’article 16 de la Convention parce que, entre autres raisons, cette mesure est appliquée durant des «périodes anormalement longues». Ainsi, l’internement administratif prive les détenus des garanties fondamentales et notamment du droit de contester les éléments de preuve qui motivent leur incarcération. Aucun mandat n’est nécessaire et le détenu peut de facto être placé au secret pendant une longue période susceptible d’être prorogée. L’État partie explique que cette pratique n’est utilisée qu’à titre exceptionnel, lorsque pour des raisons de confidentialité, il est impossible de produire des preuves dans le cadre d’une procédure pénale ordinaire, mais le Comité regrette que le nombre de personnes frappées d’une mesure d’internement administratif ait notablement augmenté depuis le dernier rapport périodique. Selon l’État partie, 530 Palestiniens sont ainsi internés en vertu de la législation israélienne sur la sécurité et d’après des sources non gouvernementales, le nombre est même de 700. Le Comité note également avec préoccupation que la loi no 5762-2000 sur les combattants irréguliers, telle qu’elle a été modifiée en août 2008, permet d’interner pendant une période pouvant aller jusqu’à quatorze jours, sans examen judiciaire de leur situation, des non-ressortissants classés comme «combattants irréguliers», c’est-à-dire considérés comme des combattants susceptibles d’avoir pris part à des activités hostiles contre Israël, directement ou indirectement. Les ordonnances d’internement rendues en vertu de cette loi peuvent être renouvelées indéfiniment; aucun élément de preuve n’est communiqué ni au détenu ni à son avocat et, quoique les détenus aient le droit de former un recours devant la Cour suprême, les charges qui pèsent sur eux sont apparemment également tenues secrètes. D’après l’État partie, 12 personnes sont actuellement détenues en vertu de cette loi.

L’État partie devrait, à titre prioritaire, revoir sa législation et ses politiques pour faire en sorte que tous les placements en détention, et en particulier les internements administratifs en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, soient rendus conformes aux dispositions de l’article 16 de la Convention.

18. Le Comité s’inquiète d’informations reçues par le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste selon lesquelles les autorités pénitentiaires utiliseraient la mise au secret comme moyen d’inciter des mineurs à passer aux aveux ou comme sanction en cas d’infraction au règlement de la prison. Il est allégué que des détenus pour infractions liées à la sécurité sont gardés dans des locaux destinés aux interrogatoires d’une superficie de 3 à 6 m2, sans fenêtre, sans accès à la lumière naturelle et sans entrée d’air frais.

Le Comité engage une fois encore Israël à réexaminer sa législation et ses politiques afin de veiller à ce que tous les détenus sans exception soient déférés sans délai devant un juge et puissent rapidement communiquer avec un avocat. L’État partie devrait modifier sa législation actuelle de façon à garantir que la mise à l’isolement demeure une mesure exceptionnelle, d’une durée limitée, conformément aux normes minimales internationales.

Allégations de torture et de mauvais traitements par des enquêteurs israéliens

19. Le Comité s’inquiète de ce que des allégations nombreuses et concordantes continuent de lui parvenir au sujet de l’emploi par des agents de la sécurité israélienne de méthodes que l’arrêt de la Cour suprême israélienne de septembre 1999 a interdites et dont il serait fait usage avant, pendant et après les interrogatoires. Selon l’État partie, le Contrôleur chargé d’examiner les plaintes formulées à l’encontre des enquêteurs du SGS a ouvert 67 enquêtes en 2006 et 47 en 2007, mais aucune n’a abouti à une action pénale.

L’État partie devrait s’assurer que des méthodes d’interrogatoire contraires à la Convention ne sont utilisées en aucune circonstance. Il devrait aussi veiller à ce que toute allégation de torture ou de mauvais traitements fasse immédiatement l’objet d’une enquête effective, que des poursuites soient engagées contre les auteurs de tels actes et, le cas échéant, que des sanctions appropriées soient appliquées. Le Comité réaffirme qu’aux termes de la Convention «aucune circonstance exceptionnelle», qu’il s’agisse de considérations de sécurité, de l’état de guerre ou de menaces pesant sur la sécurité de l’État, ne justifie la torture. L’État partie devrait intensifier les activités d’éducation et de formation aux droits de l’homme à l’intention des agents de la sécurité, y compris la formation à l’interdiction de la torture et des mauvais traitements.

Traitement des plaintes et nécessité de procéder à des enquêtes indépendantes

20. Le Comité relève que sur 1 185 plaintes ayant donné lieu à enquête par la police israélienne pour utilisation abusive de la force en 2007, 82 actions pénales ont été engagées. L’État partie a fait valoir qu’il était difficile d’enquêter sur ce type de plainte car les policiers sont autorisés à faire un usage raisonnable de la force dans les cas où c’est nécessaire.

Le Comité demande des informations sur le nombre de procédures pénales qui ont abouti à des condamnations, ainsi que sur les peines prononcées.

21. Le Comité prend acte des précisions apportées par l’État partie qui affirme que toute plainte concernant l’emploi de méthodes d’interrogatoire considérées comme non autorisées est traitée par le Contrôleur chargé d’examiner les plaintes, mais il s’inquiète de ce que sur plus de 600 plaintes pour mauvais traitements imputés à des enquêteurs du SGS qui ont été reçues par le Contrôleur entre 2001 et 2008, aucune n’a donné lieu à une enquête pénale. Bien que placé sous l’autorité du Procureur général, le Contrôleur chargé d’examiner les plaintes est un fonctionnaire du SGS. Le Comité relève que selon des informations reçues par le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, sur 550 enquêtes ouvertes au sujet d’allégations de torture par le Contrôleur du service général de sécurité entre 2002 et 2007, quatre seulement ont abouti à des mesures disciplinaires et aucune n’a donné lieu à poursuites. Quoique les représentants de l’État partie aient expliqué que l’on ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour donner suite à ces plaintes et les corroborer, et que les auteurs de ces plaintes menaient une «campagne» de fausses allégations, le Comité a été informé par des organisations non gouvernementales que le nombre de plaintes déposées avait diminué, apparemment parce qu’elles seraient perçues comme vouées à l’échec car ne débouchant sur aucune inculpation.

L’État partie devrait enquêter comme il convient sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, en mettant en place un mécanisme véritablement indépendant et impartial ne relevant pas du SGS.

Non-refoulement et risque de torture

22. Le Comité sait bien qu’Israël accueille un nombre croissant de demandeurs d’asile et de réfugiés sur son territoire et que le principe du non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention a été reconnu par la Haute Cour comme ayant force obligatoire, mais il regrette que ce principe n’ait pas été formellement incorporé au droit interne de l’État partie ni dans ses politiques, pratiques ou procédures. Dans toutes ses réponses l’État partie se réfère seulement aux obligations qu’il a contractées en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son Protocole de 1967, mais il ne fait pas même allusion aux obligations distinctes qui sont les siennes en vertu de la Convention contre la torture.

Le principe du non-refoulement devrait être incorporé à la législation interne de l’État partie, afin que la procédure relative à l’asile comporte un examen approfondi des circonstances de chaque cas, ainsi que le prévoit l’article 3 de la Convention.

Un mécanisme approprié devrait aussi être chargé de réexaminer les décisions de renvoi.

23. Le Comité note avec inquiétude qu’en vertu de l’article premier du projet d’amendement à la loi de 1954 sur l’infiltration en Israël (Juridiction et délits), adopté le 19 mai 2008 par la Knesset en première lecture, toute personne entrée irrégulièrement en Israël est automatiquement présumée représenter un risque pour la sécurité d’Israël, relève de la catégorie des «infiltrés» et tombe par conséquent sous le coup de cette loi. Le Comité s’inquiète de ce que l’article 11 de ce projet autorise les membres des forces de défense israéliennes à ordonner le renvoi dans les soixante-douze heures d’un «infiltré» vers l’État ou la région d’où il provient, sans qu’il soit prévu d’exceptions, de procédures ou de garanties. Le Comité estime que cette procédure, qui ne comporte aucune disposition pour tenir compte du principe de non-refoulement, méconnaît les obligations contractées par l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention. Le Gouvernement israélien a indiqué qu’il y avait eu 6 900 «infiltrés» en 2008.

Le Comité note que, s’il est adopté, le projet d’amendement à la loi sur l’infiltration en Israël constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Il recommande vivement que ce texte soit mis en conformité avec la Convention et que, au minimum, y soit ajoutée une disposition qui garantisse qu’il sera procédé à un examen d’éventuelles raisons de fond donnant à penser qu’il existe un risque de torture. Les agents qui travaillent au contact d’immigrants doivent recevoir une formation adéquate, et leurs décisions doivent faire l’objet d’un suivi et d’un réexamen afin de prévenir toute violation de l’article 3.

24. Le Comité relève avec inquiétude qu’en vertu de la «procédure coordonnée de renvoi immédiat» instituée par l’ordonnance no 1/3000 des forces de défense israéliennes (FDI), les membres des FDI stationnés à la frontière − dont l’État partie n’a pas affirmé qu’ils auraient reçu une formation en ce qui concerne les obligations légales découlant de l’article 3 de la Convention − sont autorisés à procéder à des expulsions sommaires sans aucune garantie de procédure qui permettrait de s’opposer au refoulement ainsi que le prescrit l’article 3 de la Convention.

Le Comité souligne que de telles garanties sont nécessaires dans chaque cas, qu’il existe ou non un accord formel de réadmission entre l’État partie et l’État de destination, ou que des assurances diplomatiques aient ou non été données.

Irrecevabilité des éléments de preuve obtenus illégalement ou par la contrainte

25. Le Comité accueille avec satisfaction l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire

Prv. Yisascharov c. Procureur militaire général et consorts, C.A. 5121/98, qui a établi la doctrine de l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus illégalement, mais il relève que le soin de déterminer si les preuves obtenues illégalement sont recevables ou non est laissé à l’appréciation du juge.

L’État partie devrait faire en sorte qu’il soit spécifié dans la loi que toute déclaration dont il est établi qu’elle a été obtenue par la torture ne peut être invoquée comme élément de preuve dans aucune procédure engagée contre la victime, ainsi que le prescrit l’article 15 de la Convention.

Le «camp 1391»

26. Bien que l’État partie ait indiqué que le centre secret de détention et d’interrogatoire dit «camp 1391» n’était plus utilisé depuis 2006 pour interner ou interroger des personnes soupçonnées d’infractions liées à la sécurité, le Comité note avec inquiétude que plusieurs recours formés devant la Cour suprême en vue d’enquêter au sujet de ce camp ont été rejetés et que la Cour suprême a estimé que les autorités israéliennes avaient agi de façon raisonnable en ne diligentant pas d’enquêtes au sujet d’allégations de torture, de mauvais traitements et de mauvaises conditions de détention dans ce camp.

L’État partie devrait faire en sorte qu’à l’avenir nul ne soit retenu dans des lieux de détention secrets relevant des autorités de l’État, l’existence de centres de détention secrets constituant en soi une violation de la Convention. L’État partie devrait mener des investigations et faire savoir s’il existe d’autres centres de détention de ce type et sous quelle autorité ils ont été mis en place. Il devrait veiller à ce que toute allégation de torture et de mauvais traitements formulée par des détenus du camp 1391 fasse l’objet d’une enquête impartiale, que les résultats en soient rendus publics et que toute personne responsable de violations de la Convention ait à en répondre.

Détenus mineurs

27. Le Comité prend acte de l’argument de l’État partie qui affirme que plusieurs mesures sont actuellement mises en œuvre pour protéger les droits des enfants, dont un projet de loi en préparation en vue de créer une nouvelle juridiction pour mineurs, mais il demeure préoccupé par le fait qu’il n’existe pas une définition unique de ce que l’on entend par mineur puisqu’en Israël la majorité est atteinte à l’âge de 18 ans cependant que dans les territoires palestiniens occupés l’âge de la majorité est 16 ans. Le Comité prend note de la précision apportée par l’État partie selon laquelle les jeunes Palestiniens de moins de 18 ans sont traités comme des mineurs lorsqu’ils sont emprisonnés sur le territoire d’Israël. Toutefois, il fait part des vives inquiétudes que lui inspirent des informations provenant de groupes de la société civile selon lesquelles des mineurs palestiniens seraient détenus et interrogés en l’absence d’un avocat ou d’un membre de leur famille et feraient l’objet d’actes contraires à la Convention visant à obtenir des aveux.

Le Comité s’inquiète en outre des allégations selon lesquelles environ 700 enfants palestiniens seraient inculpés chaque année sur ordre des forces armées et traduits devant des tribunaux militaires israéliens et selon lesquelles dans 95 % de ces affaires, leurs aveux auraient servi comme preuves pour obtenir une condamnation. L’ordonnance militaire no 132 devrait être modifiée de façon à établir que par mineur on entend toute personne de moins de 18 ans, conformément aux normes internationales.

28. Le Comité relève également avec préoccupation que, à l’exception d’une seule, toutes les prisons où des détenus palestiniens mineurs sont incarcérés sont situées en Israël, ce qui empêche les prisonniers de recevoir la visite de leur famille, non seulement en raison de la distance mais aussi parce que des membres de leur famille se sont vu refuser les autorisations nécessaires pour des raisons tenant à la sécurité dans 1 500 cas sur 80 000 selon l’État partie, et plus souvent selon des sources non gouvernementales.

L’État partie devrait s’assurer que les détenus mineurs bénéficient de garanties fondamentales avant et durant les interrogatoires et notamment qu’ils aient accès rapidement à un avocat indépendant, à un médecin indépendant et à un membre de leur famille dès le début de la détention. En outre, l’État partie devrait veiller à ce que dans les affaires concernant des mineurs les décisions ne soient pas prises sur la seule base des aveux, et à ce qu’une juridiction pour mineurs soit mise en place à titre prioritaire. Enfin, tout devrait être fait pour que les jeunes détenus reçoivent plus facilement la visite de leurs parents, notamment en faisant en sorte que ceux-ci bénéficient d’une plus grande liberté de circulation.

Usage de la force et de la violence au cours d’opérations militaires

29. En dépit des tirs de roquette dirigés de manière aveugle et persistante contre des civils dans le sud du pays, qui ont apparemment poussé Israël à exercer son droit de défendre sa population en lançant l’opération «Plomb durci» contre le Hamas dans la bande de Gaza, le Comité est préoccupé par l’insuffisance des mesures prises par l’État partie pour protéger la population civile de la bande de Gaza et prévenir les dommages occasionnés par l’opération militaire israélienne, y compris la mort de centaines de civils palestiniens, dont des mineurs. Le rapport de neuf experts des Nations Unies fait mention de civils, et notamment de membres du personnel médical − dont 16 auraient été tués et 25 blessés alors qu’ils étaient en service. Ainsi que l’ont confirmé des enquêteurs israéliens, des civils ont été victimes des conséquences graves de l’emploi de matériel militaire israélien contenant du phosphore, même si celui-ci a apparemment été utilisé dans le but de créer des rideaux de fumée ou de repérer des entrées de tunnel à Gaza. En dépit de l’argument avancé par l’État partie selon lequel ce type d’armes n’est pas interdit par le droit international humanitaire et n’était pas dirigé contre les personnes, le Comité regrette son utilisation dans une zone densément peuplée ainsi que les grandes douleurs et souffrances causées par ces armes, notamment la mort de personnes qui, d’après les informations reçues, n’ont pas pu être soignées convenablement dans les hôpitaux de Gaza, lesquels n’étaient pas en mesure de dispenser des soins palliatifs pour diverses raisons, en particulier parce que les armes utilisées n’étaient pas bien connues et que ces hôpitaux servaient de quartier général, de centres de commandement et de caches pour les opérations du Hamas. L’État partie devrait ouvrir une enquête indépendante afin de procéder rapidement à des investigations complètes et indépendantes au sujet de la responsabilité des autorités étatiques et non étatiques dans les préjudices causés aux civils, et de rendre les résultats publics.

30. Le Comité a reçu des informations selon lesquelles le «bouclage» de la bande de Gaza, particulièrement durci depuis juillet 2007, avait fait obstacle à la distribution de l’aide humanitaire avant, pendant et après le récent conflit et avait porté atteinte à d’autres droits fondamentaux des habitants, en particulier le droit à la liberté de circulation des jeunes comme des adultes. L’État partie devrait intensifier ses efforts pour garantir que l’aide humanitaire parvienne à Gaza afin d’atténuer les souffrances endurées par ses habitants du fait des restrictions imposées.

31. En dépit des intérêts légitimes de sécurité, le Comité est gravement préoccupé par les nombreuses allégations communiquées par des sources non gouvernementales qui font état des traitements dégradants aux postes de contrôle, de retards injustifiés et de refus d’entrée, y compris à l’égard de personnes ayant besoin d’urgence de soins médicaux. L’État partie devrait faire en sorte que les contrôles de sécurité soient menés dans le respect des dispositions de la Convention. À cette fin, l’État partie devrait dispenser à ses personnels une formation suffisante et adéquate de façon à éviter des pressions inutiles pour les personnes qui passent par les postes de contrôle. Il devrait envisager, à titre de mesure de sûreté, d’établir un mécanisme d’urgence pour permettre aux personnes qui disent avoir subi des menaces ou des comportements injustifiés et inappropriés de porter plainte. Il faudrait aussi étudier, à titre prioritaire, la question de la disponibilité de personnel médical pour s’occuper des personnes qui ont besoin de soins d’urgence.

Violences commises par des colons

32. Le Comité relève avec intérêt que l’État partie reconnaît avoir pleine compétence sur les affaires de violences commises par des colons à l’encontre de Palestiniens en Cisjordanie. Il juge fort utiles les statistiques relatives au traitement pénal d’affaires concernant par exemple les atteintes à l’ordre public ou les différends fonciers, ainsi que l’augmentation globale des affaires où des Israéliens ont provoqué des troubles et notamment les enquêtes ouvertes et les inculpations prononcées, ainsi que les mesures administratives restreignant les déplacements de colons israéliens susceptibles de mettre en danger la vie et la sécurité des Palestiniens. Le Comité salue le fait qu’une commission interministérielle a été créée spécifiquement pour s’occuper de ces affaires et pour coordonner l’action des forces de défense israéliennes, de la police, du parquet et du SGS, mais il s’inquiète de cette violence, en particulier de l’augmentation du nombre de cas.

Toute allégation de mauvais traitements imputés tant à des colons israéliens qu’à d’autres personnes relevant de la juridiction de l’État partie devrait faire immédiatement l’objet d’une enquête impartiale, et ceux qui en seraient responsables devraient être poursuivis et, si leur culpabilité est établie, sanctionnés comme il convient.

Démolition de maisons

33. Le Comité reconnaît que l’État partie est fondé à détruire des structures qui peuvent être considérées comme des cibles militaires légitimes en droit international humanitaire, mais il regrette que l’État partie ait de nouveau recours à sa politique de démolition de maisons à des fins purement «punitives» à Jérusalem-Est et dans la bande de Gaza, alors qu’il avait décidé en 2005 de mettre fin à cette pratique. L’État partie devrait renoncer à sa politique de démolition de maisons quand celle-ci entraîne une violation de l’article 16 de la Convention.

Allégations de torture et de mauvais traitements par les forces palestiniennes

34. Selon des informations parvenues au Comité, les forces de sécurité du Hamas à Gaza tout comme les autorités du Fatah en Cisjordanie ont procédé à des arrestations arbitraires, des enlèvements et des mises en détention illégales d’opposants politiques en leur refusant tout accès à un avocat, et ont infligé aux détenus des tortures et mauvais traitements. Il semble que les détenus auraient notamment été privés des droits fondamentaux de la défense ainsi que du droit à l’ouverture d’une enquête rapide et efficace. De plus, une augmentation du nombre de ces actes a été signalée, y compris des mutilations délibérées et des exécutions extrajudiciaires qui seraient le fait des forces armées du Hamas à Gaza et qui auraient été commises contre des agents des services de sécurité du Fatah ou contre des personnes soupçonnées de collaborer avec les forces israéliennes durant et après l’opération «Plomb durci».

Les autorités palestiniennes de Cisjordanie devraient prendre immédiatement des mesures pour ouvrir des enquêtes, poursuivre et punir comme il convient les personnes relevant de leur juridiction responsables de ces exactions; en outre, dans la bande de Gaza, les autorités du Hamas devraient immédiatement prendre des mesures en vue de mettre fin à leur campagne d’enlèvements, d’exécutions délibérées et illégales, extrajudiciaires, de torture, de mises en détention illégales, et en vue de punir ceux qui en sont responsables. La mise en place d’une commission d’experts indépendante, impartiale et non partisane chargée d’enquêter sur ces exactions devrait être envisagée à titre prioritaire.

35. Le Comité invite l’État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

36. Le Comité invite également l’État partie à envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, par lesquelles il reconnaîtrait la compétence du Comité pour ce qui est de recevoir et d’examiner des communications émanant d’États et de particuliers.

37. Le Comité engage l’État partie à retirer la déclaration qu’il a faite pour s’opposer à l’ouverture d’enquêtes au titre de l’article 20.

38. Le Comité invite l’État partie à ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

39. L’État partie devrait diffuser largement le rapport et les réponses à la liste de points à traiter qu’il a soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations
non gouvernementales.

40. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité formulées aux paragraphes 15, 19, 20, 24 et 33.

41. L’État partie est invité à faire parvenir son prochain rapport, qui sera considéré comme son cinquième rapport périodique, avant le 15 mai 2013.

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1 Cour internationale de Justice, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans les territoires palestiniens occupés, avis consultatif du 9 juillet 2004.

 



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