DÉCISION DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE AU TITRE DE
L'ARTICLE 22 DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES PEINES
OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS
- Trente-troisième session -
concernant la
Communication No. 133/1999
Au nom de: L'auteur
État partie: Canada
Date de la requête: 6 mai 1999
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 23 novembre 2004,
Ayant achevé l'examen de la requête no 133/1999 présentée par M. Enrique Falcón Ríos en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie le 18 mai 1999. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu de l'article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant vers le Mexique tant que sa requête serait en cours d'examen.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant habitait et travaillait à la ferme de son oncle, frère utérin de son père, qui était militaire dans l'État du Chiapas et avait acquis cette ferme en février 1995. L'oncle avait déserté en décembre 1996 sans prévenir sa famille; il avait été accusé d'avoir des liens avec l'Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) et d'avoir trahi la patrie.
2.2 Selon M. Falcón Ríos, le 29 décembre 1996, des militaires ont emmené le requérant et sa famille dans un camp militaire pour les questionner dans le but notamment de savoir où se trouvait l'oncle du requérant. Ils ont été libérés à 7 heures, mais il leur a cependant été donné l'ordre de ne pas quitter leur domicile. Le 15 février 1997, l'armée est revenue, les soldats ont brisé la porte et les fenêtres de la maison, et les ont emmenés à nouveau dans un camp militaire pour un nouvel interrogatoire. Cette fois-ci cependant, ils ont été brutalisés, la mère et la sœur du requérant ont été violées devant lui-même et son père. Ils ont ensuite torturé le père, le frappant à la tempe avec la crosse d'un pistolet jusqu'à ce qu'il perde connaissance. Quant au requérant, ils lui ont attaché les mains dans le dos, lui ont donné des coups dans le ventre et lui ont mis une cagoule pour provoquer une sensation d'asphyxie. Ils ont continué à l'interroger pour connaître le lieu où se cachait son oncle; comme il ne pouvait leur répondre, ils l'ont déshabillé et lui ont infligé des blessures avec une arme blanche près des organes génitaux, ils lui ont attaché les testicules avec une corde sur laquelle ils tiraient en l'interrogeant. Enfin, ils lui ont plongé la tête dans un baquet rempli d'excréments toujours pour lui extorquer les informations recherchées.
2.3 Selon le requérant, dès leur retour, lui-même et sa famille ont été placés sous surveillance militaire. Le 20 mars 1997, les militaires sont revenus et le requérant, son père, sa mère ainsi que sa sœur aînée ont été transférés dans différents camps militaires. Ses deux jeunes sœurs de 6 et 9 ans ont été laissées seules à la maison. C'est la dernière fois que le requérant a vu sa famille. Les militaires l'ont de nouveau torturé, lui ont recouvert la tête d'un sac et l'ont roué de coups, y compris à la tête, ce qui lui a causé des problèmes de vue. Ils lui ont infligé des brûlures aux bras pour le forcer à signer des documents prouvant ses liens avec l'EZLN. Le requérant a fini par signer ces documents lorsque les militaires ont commencé à lui brûler le visage. Ils l'ont ensuite photographié, ont relevé ses empreintes digitales et lui ont fabriqué une carte de membre de l'EZLN.
2.4 Le requérant affirme avoir perdu connaissance après avoir bu un verre d'eau contenant une substance inconnue. À son réveil, il s'est retrouvé, libre, dans un endroit inconnu. Il affirme qu'il était dans une zone de conflit armé.
2.5 À la suite de ces événements, le requérant a décidé de quitter son pays le 22 mars 1997. Il est arrivé au Canada le 2 avril 1997 et y a immédiatement demandé l'asile.
2.6 Le 20 mars 1998, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a décidé que l'auteur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, tel que le terme est défini dans la loi sur l'immigration, car son récit n'était pas crédible. On lui reprochait notamment le caractère invraisemblable des circonstances entourant la désertion de son oncle, ainsi que la fabrication d'une fausse carte de l'EZLN, étant donné qu'il n'existait aucune preuve que ce groupe délivre des cartes à ses membres. Le 17 avril 1998, le requérant a déposé une demande de contrôle juridictionnel de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le 30 avril 1999, la Cour fédérale du Canada (section de première instance) a rejeté cette demande au motif que le requérant n'était pas parvenu à démontrer l'existence d'une erreur justifiant l'intervention de la Cour.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant fait valoir que ses droits ont été gravement lésés au Mexique, et qu'en cas de retour dans ce pays, il serait à nouveau torturé, voire exécuté, par l'armée mexicaine.
3.2 À l'appui de ses allégations de violation de l'article 3 de la Convention, le requérant soumet notamment un certificat médical qui conclut que «les marques physiques présentées par le patient sont compatibles avec les tortures qu'il déclare avoir subies» et un rapport psychologique indiquant que le requérant «a été meurtri et affaibli par les tortures subies et les séquelles des traumatismes qui en ont découlé» et «que sans le soutien efficace que représente l'obtention du statut de réfugié», il est à craindre qu'il «ne concrétise ses idées suicidaires».
3.3 Quant à la situation actuelle au Mexique, le requérant fait observer que les militaires et les policiers qui commettent des délits contre la population jouissent d'une totale impunité. À l'appui de ses affirmations, il se réfère notamment à un rapport de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) datant de 1997, dans lequel la FIDH note que «les arrestations illégales, les enlèvements, les disparitions, les exécutions extrajudiciaires, les cas de torture, les procédures judiciaires conduites sans aucune garantie de respect des droits individuels, sont la conséquence, d'une part, de l'attribution à l'armée de pouvoirs de plus en plus étendus dans des domaines relevant de la sécurité publique, et du développement toléré, voire encouragé, des groupes paramilitaires et, d'autre part, de l'incapacité du pouvoir judiciaire à garantir et préserver les droits des victimes et des personnes accusées», et il ajoute que «le processus de militarisation est manifeste et entraîne des violations très graves des droits de l'homme».
3.4 Dans ses observations datées du 5 mai 1999, le requérant affirme que la Cour fédérale n'a pas appliqué les critères d'un procès équitable. Il prétend que sa cause n'ayant pas été entendue par un tribunal impartial et indépendant, il n'a pas bénéficié d'une procédure équitable. La procédure irrégulière qui a été suivie dans son cas ne pouvait aboutir qu'au refus de lui accorder le statut de réfugié.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Le 15 janvier 2003, soit plus de trois années après que le Comité lui eut transmis la requête, l'État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête.
4.2 D'après l'État partie, le requérant n'a pas épuisé les recours internes. Il n'a pas présenté de demande d'autorisation de contrôle juridictionnel à la Cour fédérale du Canada concernant le refus de dispense ministérielle pour raisons humanitaires. Or, s'il avait estimé que la décision contenait une erreur de droit ou une erreur de fait, il aurait pu la faire réexaminer par la Cour fédérale, ce qu'il n'a pas fait. Il n'a pas démontré que le recours sous forme de demande de contrôle juridictionnel du refus de dispense ministérielle pouvait être considéré comme entrant dans le cadre des exceptions prévues par la Convention (si les procédures excèdent des délais raisonnables et s'il est peu probable qu'elles donnent satisfaction au requérant).
4.3 Selon l'État partie, ce contrôle juridictionnel était susceptible de donner satisfaction au requérant. Si une demande de contrôle juridictionnel est acceptée, la Cour fédérale renvoie le dossier à l'instance qui a pris la décision initiale ou à une autre instance pour qu'elle procède à un réexamen de l'affaire et rende une nouvelle décision. Ce recours pouvait être engagé sans occasionner de retard injustifié. La Cour fédérale a également compétence pour ordonner la suspension d'une mesure de renvoi tant qu'une demande de contrôle juridictionnel est en cours d'examen. Le demandeur doit alors démontrer que sa demande porte sur une question de fond que la Cour doit trancher, qu'il subirait un préjudice irréparable si la suspension n'était pas accordée, et que tout bien pesé, cette solution serait préférable pour lui. En l'espèce, le requérant n'a pas exercé ce recours et n'a donc pas épuisé tous les recours utiles qui lui étaient ouverts.
4.4 L'État partie soutient que la procédure prévue dans la Convention ne devrait pas permettre au requérant d'échapper aux conséquences de sa propre négligence et du non-exercice des recours internes disponibles. Il souligne que, même dans des cas où le requérant risque d'être soumis à des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays, il doit respecter les formes et les délais des procédures internes avant de s'adresser aux instances internationales.
4.5 L'État partie ajoute que le requérant peut aussi présenter une demande d'examen des risques auxquels l'exposerait un renvoi dans son pays avant que cette mesure ne soit appliquée. Si cette demande est acceptée, il peut être autorisé à rester au Canada.
4.6 L'État partie affirme que la communication ne satisfait pas aux conditions minimales prévues à l'article 22 de la Convention. Il n'existe de motifs sérieux de croire qu'une personne risque d'être soumise à la torture que s'il est établi qu'elle sera personnellement exposée à un tel risque dans l'État vers lequel elle serait renvoyée. La Convention fait obligation aux États parties de protéger les personnes qui sont exposées à un risque prévisible, réel et personnel d'être torturées. L'État partie invoque la décision du Comité dans l'affaire Aemi c. Suisse, (1) dans laquelle celui-ci a établi que l'expulsion du requérant doit avoir comme conséquence prévisible de l'exposer à un risque réel et personnel de torture. L'État partie se réfère également à l'observation générale du Comité sur l'application de l'article 3 de la Convention. (2)
4.7 Quant à la situation des droits de l'homme au Mexique, l'État partie relève qu'elle s'est considérablement améliorée depuis le départ du requérant et mentionne à ce sujet de nombreux rapports de 2001 (Groupe de travail sur la détention arbitraire, Rapporteur spécial sur la torture, Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires). L'État partie ajoute que le Mexique est partie à la Convention contre la torture, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au premier Protocole facultatif s'y rapportant ainsi qu'à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, à la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture et à la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées de personnes.
4.8 L'État partie se réfère à la décision de la Section du statut de réfugié, laquelle, après avoir entendu le requérant, a conclu que son témoignage présentait des lacunes importantes. L'État partie rappelle les imprécisions du requérant quant au grade de son oncle dans l'armée (ce qui aurait nui à sa crédibilité), l'invraisemblance des circonstances entourant la désertion de son oncle, la présentation d'une photographie prétendument prise après une agression et sur laquelle on ne voit aucune trace de blessure, et le récit invraisemblable de la fabrication et de la remise au requérant d'une fausse carte de l'EZLN, alors qu'il n'est nullement établi que ce groupe délivrait des cartes à ses membres. Selon l'État partie, si l'armée avait forcé le requérant à signer cette carte, elle l'aurait gardée à titre de preuve de son appartenance à l'EZLN. La Cour fédérale a examiné toutes les conclusions de la Section du statut de réfugié et n'a trouvé aucune raison d'intervenir.
4.9 L'État partie rappelle que le requérant n'était pas un militant politique lorsqu'il vivait au Mexique. Il estime que la Section du statut de réfugié était mieux placée que le Comité pour aboutir à des conclusions quant à la crédibilité du requérant.
4.10 D'après l'État partie, le requérant ne fournit aucun élément convaincant à l'appui de son allégation selon laquelle il court un risque personnel, réel et prévisible d'être soumis à la torture; la communication n'est donc pas recevable car incompatible avec l'article 22 de la Convention.
4.11 Quant à la violation alléguée de l'article 16, l'État partie affirme que le requérant n'a aucunement démontré que l'audience devant la Section du statut de réfugié aurait constitué une telle violation. Il estime que les allégations de partialité des fonctionnaires de cette section, en raison des questions qu'ils avaient posées au requérant, ne sont pas fondées. L'État partie conclut que le Comité devrait par conséquent déclarer la communication irrecevable.
4.12 L'État partie rappelle que la Cour fédérale a conclu que le requérant n'avait pas pu démontrer que la décision de la Section du statut de réfugié était fondée sur une erreur de fait ou sur une conclusion à laquelle elle était parvenue de façon arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition. L'État partie note que la Cour fédérale a affirmé que le requérant n'avait pas apporté la preuve de la partialité des membres du tribunal. Il ajoute que pour évaluer les risques encourus par le requérant s'il était renvoyé dans son pays, les instances nationales avaient appliqué les dispositions de l'article 3 de la Convention et que le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à cette évaluation.
4.13 L'État partie rappelle qu'il appartient aux instances nationales d'apprécier les faits et les éléments de preuve et que le Comité ne devrait pas réévaluer les conclusions de fait ou réexaminer la façon dont a été appliquée la législation nationale. Il invoque la jurisprudence du Comité des droits de l'homme selon laquelle il ne lui appartient pas de remettre en cause l'appréciation des éléments de preuve faite par les tribunaux nationaux sauf en cas de déni de justice, (3) jurisprudence que devrait également accepter le Comité contre la torture.
4.14 L'État partie conclut que la communication est dénuée de fondement, et que le requérant n'a pas démontré l'existence d'une violation des articles 3 et 16 de la Convention.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond
5.1 Dans ses observations du 9 novembre 2003, le requérant soutient qu'il a saisi la possibilité qui lui était offerte de présenter une demande de contrôle juridictionnel de la décision lui refusant le statut de réfugié et qu'il s'agissait là du dernier recours. Le principal recours qui lui était ouvert était le contrôle juridictionnel de la décision de refus de lui accorder le statut de réfugié, intervenu en mars 1998.
5.2 Le requérant rappelle que son cas a été cité dans une étude réalisée par un groupe pluridisciplinaire sur les défauts du système canadien constatés lors des audiences publiques au cours desquelles les réfugiés sont entendus, publiée en octobre 2000. L'audience à laquelle le requérant avait comparu aurait été une véritable parodie et son cas aurait été considéré comme un exemple des abus commis à l'occasion de cette procédure.
5.3 En réponse à l'argument de l'État partie concernant la possibilité qu'avait le requérant de demander un contrôle juridictionnel de la décision lui refusant le droit de bénéficier d'une assistance humanitaire, le requérant affirme qu'un tel recours serait fondé sur les mêmes faits que la demande d'admission au statut de réfugié. Il fait valoir l'inutilité d'un tel recours dans son cas dès lors que la Cour fédérale avait déjà statué sur le fond de l'affaire. Il est donc impossible d'imaginer qu'un tel recours lui aurait donné satisfaction. Or, la règle générale de l'épuisement des recours internes n'impose d'épuiser que les recours permettant effectivement d'obtenir satisfaction.
5.4 Le requérant fait observer que la nouvelle procédure appelée «examen des risques avant l'expulsion» mise en place par le Gouvernement canadien n'existait pas avant la mi-juin 2002 et que par conséquent il n'a pas pu y avoir accès. Il prétend que cette procédure n'est pas conforme aux obligations du Canada en vertu du droit international ou de la Charte canadienne des droits et libertés étant donné que les décisions ne sont pas prises par un mécanisme indépendant et impartial.
5.5 Le requérant insiste sur le fait qu'il a été torturé par des membres de l'armée mexicaine en 1996 et en 1997, peu de temps avant d'avoir présenté sa communication au Comité. Il a fourni à l'appui de sa requête des éléments de preuve de nature médicale et psychologique, ainsi que des photographies montrant qu'il avait été torturé. Il affirme qu'il n'y a pas d'incohérences dans son récit et que de multiples éléments permettent d'affirmer qu'un grand nombre de Mexicains ont été victimes d'actes analogues dans le sud-est du Mexique.
5.6 Le requérant conteste l'argument de l'État partie selon lequel la situation des droits de l'homme au Mexique s'est améliorée depuis son départ. Il affirme qu'il n'existe que des déclarations générales d'intention de la part des autorités mexicaines, et que de légers progrès seulement ont été faits en ce qui concerne l'élimination de la torture ou de l'impunité des auteurs d'actes de torture.
5.7 Le requérant soutient que ses allégations concernant la désertion ou la disparition de son oncle sont crédibles. Selon lui, les zapatistes et les groupes qui les appuient sont persécutés sur tout le territoire mexicain, contrairement à ce qu'affirme l'État partie. Il a été torturé à cause de sa sympathie présumée pour les zapatistes. Il en garde des cicatrices et s'il était renvoyé au Mexique, il serait exposé à un danger immédiat d'arrestation ou de torture. Il rappelle que le conflit au Chiapas n'est pas terminé. Il ajoute que l'auteur du rapport psychologique sur son état mental est membre du réseau d'intervention en faveur des victimes de la violence dont le siège est à Montréal et que c'est un spécialiste reconnu de ces questions.
5.8 Le requérant affirme que la procédure suivie au Canada concernant les demandeurs d'asile a été vivement critiquée par l'ordre des avocats du Canada et par le Conseil canadien des réfugiés. Elle ne serait pas compatible avec le droit qu'a chacun de bénéficier des garanties prévues par la loi et donnerait lieu à des abus comparables à ceux qui ont été commis dans son propre cas.
5.9 Le requérant conteste l'argument de l'État partie selon lequel son avocat n'aurait pas été obligé de se limiter à certaines questions durant l'interrogatoire. Des restrictions lui ont bien été imposées puisqu'il n'a pas été autorisé à poser des questions au sujet des actes de torture ou des circonstances dans lesquelles ces actes avaient eu lieu.
Délibérations du Comité sur la recevabilité de la communication
6. Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Conformément aux alinéas a et b du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, le Comité n'examine aucune communication sans s'être assuré que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement et que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique pas s'il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient des délais raisonnables ou s'il est peu probable qu'elles donneraient satisfaction à la victime.
7.1 Le Comité prend note des allégations de l'auteur selon lesquelles lorsqu'elle a statué sur son affaire, la Cour fédérale n'a pas appliqué les principes d'un procès équitable et que la procédure interne s'est déroulée d'une manière constituant une violation de l'article 16 de la Convention. Toutefois, de l'avis du Comité, le requérant n'a pas démontré que les faits sur lesquels il fonde sa requête constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de l'article 16 de la Convention. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable dans la mesure où elle n'est pas suffisamment étayée.
7.2 Quant à l'argument relatif à l'article 3 de la Convention, le Comité prend note des observations de l'État partie qui affirme que les recours internes n'ont pas été épuisés puisque le requérant n'a pas présenté à la Cour fédérale de demande d'autorisation de contrôle juridictionnel de la décision lui refusant le droit de bénéficier d'une assistance humanitaire.
7.3 Le Comité fait observer que lors de sa vingt-cinquième session, dans ses observations finales sur le rapport de l'État partie, il a examiné la question de la demande de «dispense ministérielle pour raisons d'ordre humanitaire». Il s'était dit alors particulièrement préoccupé par le manque d'indépendance dont feraient preuve les fonctionnaires chargés d'examiner ce «recours», ainsi que par le fait qu'une personne puisse être expulsée alors que ledit recours est en cours d'examen. Il avait conclu que cela pouvait amoindrir l'efficacité de la protection des droits énoncés au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention. Le Comité a noté que bien que le droit de bénéficier d'une assistance humanitaire puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance est accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires, et non sur une base légale, et constitue ainsi plutôt une faveur. Le Comité a également observé que lorsqu'une demande de contrôle juridictionnel est acceptée, la Cour fédérale renvoie le dossier à l'instance qui a pris la décision initiale ou à une autre instance compétente, de sorte qu'elle ne procède pas elle-même au réexamen de l'affaire et ne rend pas de décision. La décision relève plutôt du pouvoir discrétionnaire d'un ministre et donc du pouvoir exécutif. Le Comité ajoute que si le recours fondé sur des raisons humanitaires n'est pas de ceux qui doivent avoir été épuisés pour satisfaire à la règle de l'épuisement des recours internes, alors la question du recours contre une telle décision ne se pose pas. Le Comité en conclut que toutes les conditions requises ont été remplies et que le paragraphe 5 b) de l'article 22 ne l'empêche donc pas d'examiner la requête.
7.4 En outre, le Comité rappelle sa jurisprudence (4) selon laquelle, conformément au principe de l'épuisement des recours internes, le requérant est tenu d'engager des recours qui soient directement en rapport avec le risque d'être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé et non pas des recours qui pourraient lui permettre de rester dans le pays où il se trouve.
7.5 Le Comité note également que l'État partie affirme que le requérant aurait pu aussi présenter une demande d'examen des risques auxquels son renvoi dans son pays l'exposerait avant son renvoi et que si sa demande avait été acceptée, il aurait pu recevoir l'autorisation de rester au Canada. À cet égard, et compte tenu des renseignements dont il dispose, le Comité constate que selon la procédure applicable en la matière, lorsqu'une personne présente une nouvelle demande d'asile, alors que celle-ci a déjà été examinée par la Section de la protection des réfugiés, comme dans le cas d'espèce, seuls les nouveaux éléments de preuve éventuels sont pris en considération et qu'autrement le recours est rejeté. Le Comité est donc d'avis que ce recours ne constituerait pas un recours utile pour le requérant et rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours qui sont utiles.
7.6 Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que la communication est recevable en ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 3 et procède par conséquent à son examen au fond.
Délibérations du Comité sur le fond de la communication
8.1 Le Comité doit déterminer, conformément au paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Mexique. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit toutefois de déterminer si l'intéressé risquerait d'être personnellement soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l'existence dans un pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Par ailleurs, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et constantes des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
8.2 Le Comité rappelle son observation générale sur l'application de l'article 3, qui se lit comme suit: «Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable» (A/53/44, annexe IX, par. 6).
8.3 Le Comité renvoie au rapport établi à l'issue de la visite effectuée au Mexique du 23 août au 12 septembre 2001, (5) et relève que des rapports récents sur la situation des droits de l'homme au Mexique concluent que malgré les efforts déployés pour éliminer la torture, de nombreux cas de torture continuent d'être rapportés. Cependant, dans l'optique du raisonnement suivi ci-dessus, quand bien même il serait possible d'affirmer qu'il existe encore au Mexique un ensemble de violations des droits de l'homme, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour établir que le requérant risque d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait personnellement en danger.
8.4 Le Comité observe que l'État partie n'a, à aucun moment, réfuté l'authenticité des rapports médicaux et du rapport psychologique établis au sujet de l'auteur. Selon le Comité, ces rapports conduisent à accorder une importance considérable à l'allégation de l'auteur selon laquelle il a été torturé au cours des interrogatoires auxquels il a été soumis dans un camp militaire. Selon le rapport médical, M. Falcón Ríos présentait de nombreuses cicatrices et brûlures de cigarette sur diverses parties du corps, ainsi que des cicatrices de blessures causées avec une arme blanche sur les deux jambes. Le médecin auteur du rapport en conclut que «les traces physiques que présente le patient sont compatibles avec les tortures auxquelles il dit avoir été soumis».
8.5 Le Comité observe que l'État partie indique que la Section du statut de réfugié a conclu que le témoignage de l'auteur présentait d'importantes lacunes. Il constate toutefois que le rapport psychologique précise que l'auteur présentait une «grande vulnérabilité psychologique» résultant des actes de torture auxquels il aurait été soumis. Le même rapport constate que M. Falcón Ríos était «extrêmement déstabilisé par sa situation actuelle caractérisée par de nombreuses souffrances», et qu'il avait été «particulièrement blessé, fragilisé par les tortures subies et les événements associés à ses traumatismes». Le Comité considère que les imprécisions dans le récit de l'auteur évoquées par l'État partie peuvent être dues à sa vulnérabilité psychologique; par ailleurs, de l'avis du Comité, ces imprécisions ne sont pas telles que l'on puisse en conclure que l'auteur n'est pas crédible. En analysant les éléments de fait susmentionnés et en formulant ses conclusions, le Comité n'a pas perdu de vue sa jurisprudence selon laquelle il ne lui appartient pas de remettre en question les conclusions des juridictions nationales concernant les faits et les éléments de preuve, à moins qu'elles ne puissent constituer un déni de justice.
8.6 Le Comité prend note également des éléments d'appréciation et des arguments avancés par l'auteur, auxquels il accorde l'importance voulue, concernant le risque personnel qu'il court d'être soumis à la torture, à savoir: l'auteur a été arrêté et torturé par le passé parce qu'il était soupçonné d'avoir des liens avec l'EZLN; il a gardé des cicatrices à la suite des actes de torture qu'il a subis; le conflit entre le Gouvernement mexicain et le mouvement zapatiste n'est pas achevé, et certains des membres de la famille de l'auteur ont disparu. Sur la base des éléments mentionnés ci-dessus, et après les avoir dûment pris en considération, le Comité considère qu'il existe un risque que l'auteur soit de nouveau arrêté et torturé après son retour au Mexique.
9. Compte tenu de ce qui précède, le Comité est d'avis que l'expulsion de l'auteur vers le Mexique constituerait une violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention.
10. Conformément au paragraphe 5 de l'article 111 de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur toute mesure que l'État partie aura prise conformément à la présente décision.
[Adopté en anglais, en espagnol (version originale), en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
2. Observation générale du Comité contre la torture sur l'application de l'article 3 dans le contexte de l'article 22 de la Convention contre la torture, CAT/C/XX/Misc.1, 21 novembre 1997.
3. Communication no 584/2994, par. 5.3, décision adoptée le 22 juillet 1996.
4. Communication no 170/2000, Anup Roy c. Suède, décision adoptée le 23 novembre 2001, par. 7.1.