Convention Abbreviation: CAT
Comité contre la Torture
Trente-quatrième session
2 - 20 mai 2005
Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22
de la Convention contre la Torture et Autres Peines
ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants
- Trente-quatrième session -
Communication No. 222/2002
Au nom de: Le requérant
État partie: Suisse
Date de la communication: 28 novembre 2002
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 3 mai 2005,
Ayant achevé l'examen de la requête no 222/2002, présentée par M. Zubair Elahi en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie le 3 décembre 2002. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l'article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant vers le Pakistan tant que sa requête serait en cours d'examen. L'État partie a accédé à cette demande le 3 février 2003.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant, qui était auparavant de confession catholique romaine, s'est converti à l'islam en 1990 alors qu'il était à l'université, sous l'influence de ses camarades d'études et afin d'améliorer ses possibilités professionnelles. Sa conversion n'ayant pas reposé sur de réelles convictions et souffrant de conflits de conscience, en 1996, le requérant s'est reconverti au christianisme et s'est fait rebaptiser par un prêtre catholique.
2.2 Le requérant était toutefois considéré comme un musulman à l'Université de Lahore et y a été nommé au poste de président de la «Muslim Students Federation» (MSF) en 1997. En même temps, il rendait visite à des prisonniers chrétiens en tant que membre de l'organisation chrétienne d'aide aux prisonniers «Prison Fellowship». En décembre 1998, ayant pris connaissance de cette activité, les fonctionnaires de la MSF ont menacé de mort le requérant, qui a dû quitter l'Université. Ils ont également fait pression sur la police afin qu'elle engage contre lui une procédure pénale pour blasphème en vertu de l'article 295c du Code pénal pakistanais.
2.3 Au début de janvier 1999, le requérant a été détenu dans un poste de police où il a été maltraité et menacé de mort. Par chance, il a pu s'enfuir par la fenêtre des toilettes. Il s'est ensuite caché et a organisé sa fuite vers la Suisse.
2.4 Le 27 septembre 1999, le requérant a déposé une demande d'asile en Suisse. Cette demande a été rejetée par l'Office fédéral des réfugiés (OFR) par décision du 10 janvier 2002. Un appel du requérant a également été rejeté par la Commission suisse de recours en matière d'asile (CRA) par une décision datée du 5 août 2002. Par une lettre en date du 9 août 2002, l'OFR a fixé au 4 octobre 2002 la date à laquelle il devait quitter la Suisse. Le 26 septembre 2002, le requérant a déposé auprès de la CRA une demande de révision avec effet suspensif. Par sa décision du 10 octobre 2002, la CRA a jugé cette demande manifestement infondée et, par sa décision du 13 novembre 2002, elle a rejeté la demande. Le requérant n'est plus autorisé à séjourner en Suisse et peut être, à tout moment, expulsé au Pakistan.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant affirme qu'il risque d'être immédiatement arrêté par les forces de police, torturé ou maltraité, voire même condamné à mort ou sommairement exécuté s'il est expulsé au Pakistan.
3.2 Afin de justifier cette crainte, le requérant fait valoir que la MSF a engagé à son encontre une procédure pour blasphème. A l'appui de cette assertion, il produit une lettre du Président de la «Christian Lawyers Association» (CLA), en date du 17 août 2002, qui précise qu'une procédure a été engagée contre Zubair Elahi en vertu de l'article 295c du Code pénal pakistanais, que cette procédure a été provisoirement suspendue en raison de son absence et qu'elle serait immédiatement relancée dès son retour au Pakistan. Le Président de la CLA renvoie également à trois condamnations à mort de chrétiens en vertu de l'article 295c du Code pénal. Se référant en particulier à des rapports d'Amnesty International et de l'Asian Human Rights Commission, le requérant appelle l'attention sur les risques encourus devant la justice pakistanaise par les chrétiens déclarés apostats.
3.3 Le requérant soumet également une lettre de son père datée du 20 juin 2002, dans laquelle ce dernier explique que, sous la pression de la MSF, la police se rendait, chaque mois, à son domicile en vue d'arrêter son fils en application de l'article 295c du Code pénal. Il y est précisé que le requérant est accusé d'avoir insulté le prophète, jeté l'opprobre sur le Coran et de s'être moqué de l'islam, et qu'il risque en conséquence la peine de mort.
3.4 Le requérant explique que, quand bien même il ne serait pas arrêté, sa vie et son intégrité corporelle seraient menacées car la police ne lui apporterait aucune protection contre les menaces brandies à son encontre par ses anciens camarades d'études et les partisans de la MSF.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la requête
4.1 Par lettre du 3 février 2003, l'État partie a déclaré qu'il ne contestait pas la recevabilité de la requête. Il a précisé que le requérant ne serait pas expulsé tant que la mesure provisoire de protection n'aurait pas été levée par le Comité.
4.2 Par lettre du 28 mai 2003, l'État partie a formulé ses observations sur le fond de la requête. Il rappelle, en premier lieu, les motifs pour lesquels, suite à un examen approfondi des allégations du requérant, la CRA, à l'instar de l'OFR, n'a pas été convaincue que Zubair Elahi risquait sérieusement d'être poursuivi s'il était expulsé au Pakistan.
4.3 Dans sa décision du 5 août 2002, la CRA a jugé étonnant que le requérant venant d'un milieu chrétien et de religion chrétienne ait pu, d'une part, pratiquer sa religion, rendre visite à des prisonniers chrétiens chaque semaine et participer, parfois plusieurs mois dans l'année, à des congrès chrétiens à l'étranger et, d'autre part, présider la MSF sans que ses camarades d'études n'aient remarqué qu'il n'était pas musulman. Une telle situation, si elle était vraie, indiquerait pour le moins qu'il existe au Pakistan une certaine tolérance, même dans l'hypothèse où le requérant aurait caché sa religion lors de sa nomination à la présidence de la MSF. En effet, selon l'État partie, si le requérant a été disposé à exercer la fonction de président de la MSF dans sa faculté, c'est sans aucun doute parce qu'il ne craignait nullement d'être inquiété ou menacé.
4.4 D'autres éléments mettent également en doute l'affirmation selon laquelle le requérant a subi des persécutions de la part des autorités et a été recherché pour blasphème. Selon l'État partie, le requérant a, en effet, vécu, de janvier à juillet 1999, dans la résidence secondaire de sa famille à Johannabad, à environ 20km de Lahore, sans être inquiété. Alors qu'il prétend avoir été dans la maison de son oncle à Karachi en août et septembre 1999, où il n'a pas non plus rencontré de problèmes, le requérant s'est fait délivrer un nouveau passeport le 12 août 1999 à Lahore. Or, selon l'État partie, le requérant a, certainement, dû déclarer son appartenance religieuse pour obtenir ce passeport.
4.5 Saisie d'une demande de révision dans laquelle le requérant a invoqué pour la première fois qu'il avait renoncé à l'islam en 1996, la CRA a de nouveau, par sa décision en date du 13 novembre 2002, rejeté la demande. Elle s'est pour l'essentiel référée à la décision intérimaire rendue le 10 octobre 2002 par le juge-rapporteur, qui avait relevé que le requérant ne pouvait pas expliquer de manière satisfaisante les raisons pour lesquelles il n'avait invoqué l'argument de l'apostasie qu'au moment de la procédure de révision. Il avait de plus constaté que les éléments de preuve produits par le requérant n'étaient pas suffisants pour mettre en doute la conclusion de la CRA concernant la procédure de blasphème. Dans cette procédure, le requérant avait, entre autres, présenté deux rapports de la police de Lahore (datés du 16 juin 1994 et du 9 février 1998). Le premier concerne un enlèvement présumé alors que le second porte sur des allégations selon lesquelles le requérant aurait eu des relations intimes avec une femme musulmane ou l'aurait même violée. De l'avis du juge-rapporteur et de la CRA, ces deux rapports prouvent que le requérant n'avait plus de problèmes avec les autorités au moment de son départ de Karachi.
4.6 L'État partie examine, en second lieu, le bien-fondé des décisions de la CRA à la lumière de l'article 3 de la Convention et de la jurisprudence du Comité. Il note que le requérant se borne à rappeler au Comité les motifs invoqués devant les autorités nationales et n'apporte aucun élément nouveau permettant de mettre en question les décisions de la CRA du 5 août 2002 et du 13 novembre 2002. D'après l'État partie, le requérant n'explique notamment pas au Comité les incohérences et contradictions figurant dans ses allégations, mais bien au contraire les confirme.
4.7 Concernant la crainte exprimée par le requérant d'être arrêté immédiatement par les forces de police s'il était renvoyé au Pakistan, et de voir sa vie et son intégrité physique menacées par ses anciens camarades d'études et les partisans de la MSF, ainsi que la lettre du père du requérant déclarant que la police, agissant sous la pression de la MSF, se rendait chaque mois à son domicile afin de tenter d'arrêter son fils, l'État partie juge étonnant que, selon un courriel daté du 28 octobre 2002 émanant du Président de la CLA, aucune plainte n'ait été déposée contre le requérant. En outre, l'État partie relève la contradiction flagrante entre ce courriel et la lettre datée du 17 août 2002 (voir par. 3.2), tous les deux signés de la même personne.
4.8 Lors de la procédure de recours devant la CRA, le requérant a présenté à cette dernière un passeport délivré le 12 août 1999 à Lahore, alors que selon lui, à cette date, les forces de sécurité locales le recherchaient en raison d'une plainte pénale déposée contre lui pour blasphème. De plus, le requérant n'avait apparemment pas rencontré le moindre problème lorsque, pour quitter le Pakistan, il était passé par l'aéroport de Karachi, le 5 septembre 1999. Selon l'État partie, il n'est guère probable qu'une personne recherchée par la police pour une infraction emportant la peine de mort puisse se faire délivrer un nouveau passeport et décoller de l'aéroport de Karachi sans être inquiétée.
4.9 Rappelant la jurisprudence du Comité selon laquelle l'article 3 n'offre aucune protection au requérant qui allègue simplement craindre d'être arrêté à son retour dans son pays (1) et au vu de ce qui précède, l'État partie fait valoir que l'on peut raisonnablement conclure que le requérant ne risque pas d'être arrêté en cas de renvoi au Pakistan. Un tel risque, d'ailleurs, «ne permettrait pas à lui seul de conclure qu'il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture». (2)
4.10 L'État partie note que le requérant attribue une importance particulière à l'apostasie. Ceci est d'autant plus surprenant qu'il n'a avancé cet argument que le 26 septembre 2002, lorsqu'il a demandé la révision de la première décision de la CRA. S'agissant d'un élément jugé crucial par le requérant, l'État partie estime que l'on aurait raisonnablement pu attendre à ce qu'il en soit fait mention à un stade antérieur de la procédure de demande d'asile. Dans sa demande de révision, le requérant explique cette omission, d'une part, par le fait qu'il avait honte, d'autre part, qu'il craignait les conséquences de son apostasie et, enfin, parce qu'il ne se serait rendu compte de l'importance de cet élément qu'à la suite de la décision rendue par la CRA le 5 août 2002. D'après l'État partie, l'explication fournie n'est guère convaincante.
4.11 Même si les allégations d'apostasie étaient crédibles, il n'en résulterait pas automatiquement pour le requérant un risque d'être torturé en cas de renvoi au Pakistan. Selon le requérant, ses camarades d'études auraient découvert son apostasie en décembre 1998 et l'auraient ensuite sérieusement menacé. Or, l'État partie explique que si la police ou les adversaires musulmans du requérant avaient vraiment voulu soit l'arrêter, soit l'inquiéter, ils auraient pu le retrouver facilement à la résidence secondaire de sa famille lorsqu'il y a résidé de janvier à juillet 1999. Or, tel n'a pas été le cas. Bien au contraire, le requérant n'a rencontré aucune difficulté, ni à sa résidence secondaire, ni à Karachi, où il a séjourné à partir du mois d'août 1999 jusqu'à son départ en septembre 1999. De même, pour l'État partie, il est surprenant que le rapport de la police de Lahore du 9 février 1998 mentionne explicitement que le requérant est chrétien, alors que ce dernier prétend avoir présidé la section de la MSF de sa faculté depuis octobre-novembre 1997 et que son apostasie ne serait devenue publique qu'en décembre 1998.
4.12 L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu'un individu risquerait d'être victime de la torture à son retour dans son pays, et que des motifs supplémentaires doivent, par conséquent, exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, aux fins du paragraphe 1 de l'article 3, de «prévisible, réel et personnel». (3) Enfin, l'État partie se réfère à l'Observation générale no 1 du Comité relative à l'application de l'article 3 selon laquelle «l'existence d'un tel risque doit être évaluée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons».
4.13 Selon l'État partie, il semble que, de façon générale, les chrétiens ne sont pas persécutés au Pakistan. Ils peuvent vivre leur vie, en principe, sans être importunés. Le cas du requérant en est la preuve, comme le montre son curriculum vitæ. Il a, par exemple, pu participer régulièrement à différents congrès chrétiens à l'étranger. Il a pu rendre visite à des prisonniers chrétiens chaque semaine. Par ailleurs, la famille du requérant, elle aussi chrétienne, semble vivre sans difficulté majeure au Pakistan.
4.14 Concernant les menaces d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique émanant des partisans de la MSF et de ses anciens camarades d'études, l'État partie rappelle que l'article 3 de la Convention doit être interprété à la lumière de son article premier. Or, cet article donne une définition des auteurs et en limite le cercle aux agents de la fonction publique ou à toute autre personne agissant à titre officiel ou à l'instigation ou avec le consentement expresse ou tacite de ces agents. Cette définition exclut donc l'application de cette disposition aux cas où la torture est infligée par un tiers. Selon le Comité, «la question de savoir si l'État partie a l'obligation de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès ou tacite du gouvernement, est en dehors du champ d'application de l'article 3 de la convention». (4)
4.15 L'État partie explique que le Pakistan a connu des actes de violences graves contre des églises et d'autres institutions chrétiennes, mais les autorités pakistanaises ne tolèrent nullement ces actes. Le Président Musharraf a publiquement condamné le dramatique attentat d'août 2002 à Islamabad, et les forces de police ont arrêté 27 extrémistes musulmans dans ce contexte. À la suite d'un attentat à Lahore en décembre 1992, la police a arrêté quatre suspects, dont un religieux musulman. Le Gouvernement pakistanais a, de surcroît, pris des dispositions pour mieux protéger les lieux de culte chrétiens contre des actes commis par des extrémistes. Ainsi, les bâtiments de la Protestant International Church à Islamabad font partie des locaux les plus protégés au Pakistan. Enfin, le Gouvernement pakistanais a interdit sept organisations fondamentalistes musulmanes ces derniers mois. (5)
4.16 D'après l'État partie, au vu des réactions du Gouvernement pakistanais aux actes de violence graves contre les églises chrétiennes, l'on ne saurait affirmer qu'il tolère cette violence ou soit réticent à protéger les chrétiens. L'État partie estime que le simple fait que le requérant affirme que «la police ne lui apportera aucune protection contre [les] intentions homicides [de ses anciens camarades d'études et des partisans de la MSF]» ne permet pas de soutenir le contraire. La condition ratione personae n'est pas remplie dans le cas d'espèce.
4.17 Finalement, l'État partie souscrit entièrement aux motifs sur lesquels s'est fondée la CRA pour conclure au manque de crédibilité des allégations du requérant. Il estime que les déclarations de ce dernier ne permettent nullement d'affirmer qu'il existe des motifs sérieux de penser, conformément au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, qu'il risque d'être torturé en cas de renvoi au Pakistan.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
5.1 Par sa lettre du 4 août 2002, le requérant réitère les éléments de sa plainte initiale.
5.2 Le requérant fait part, en outre, des difficultés qu'il a rencontrées au Pakistan après sa fuite du poste de police de Lahore au début de janvier 1999. Il explique qu'il a dû se cacher de janvier à juillet 1999 à la résidence secondaire de sa famille à Johannabad, qu'il y a vécu avec les portes verrouillées et les fenêtres obscurcies, qu'il a reçu en cachette de la nourriture de son père et qu'il a évité d'être aperçu par les voisins. Son oncle l'a ensuite caché pendant un mois à Karachi.
5.3 Concernant son passeport, le requérant explique qu'au Pakistan, il est courant de charger quelqu'un d'accomplir à sa place les formalités nécessaires pour l'obtention de ce document, ce qui a été fait par son père, et le fait qu'il a pu se faire délivrer un passeport ne permet pas de relativiser le danger encouru.
5.4 Le requérant confirme que le rapport de police de février 1998 le mentionne comme chrétien. Il soutient néanmoins que sa conversion à l'islam n'était connue qu'à l'Université de Lahore, dont les membres ne s'étaient rendus compte de son apostasie qu'en décembre 1998, et n'avaient donc informé la police qu'à compter de cette date.
5.5 Le requérant fait valoir qu'indépendamment de la question de la plausibilité de ses dépositions dans le cadre de la procédure de demande d'asile suisse, les documents présentés certifient sa conversion à l'islam le 21 février 1990 et son second baptême selon le rite catholique romain le 27 février 1996.
5.6 Enfin, tout en ne contestant pas que les autorités pakistanaises s'opposent à des actes de violence publics à l'encontre de chrétiens et d'installations chrétiennes, le requérant affirme qu'il court un danger en tant qu'apostat et au vu de la jurisprudence plus restrictive en matière de législation sur le blasphème. Il ajoute que la tendance islamiste et antichrétienne s'accentue au sein des organes étatiques pakistanais, notamment au sein de la police et de la justice, et que la législation sur le blasphème est interprétée restrictivement. Le requérant se réfère également à un article du 10 juillet 2003 sur la condamnation à l'emprisonnement à vie d'un rédacteur du quotidien Frontier Post en raison de la publication d'une lettre jugée critique à l'égard de l'islam. Finalement, le requérant conclut qu'il est tout à fait plausible qu'à son retour au Pakistan, il soit immédiatement dénoncé pour blasphème, arrêté par la police, torturé et condamné à mort.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l'alinéa a du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Dans le cas d'espèce, le Comité note aussi que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité. Il estime donc que la requête est recevable. L'État partie et le requérant ayant chacun formulé leurs observations sur le fond de la requête, le Comité procède à son examen quant au fond.
6.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi du requérant vers le Pakistan violerait l'obligation de l'État partie, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
6.3 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Pakistan. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4 Le Comité rappelle son observation générale n° 1 sur l'application de l'article 3, qui contient ce qui suit:
6.6 Concernant la première partie de la requête portant sur le risque d'arrestation par les forces de police en cas de retour au Pakistan, le motif invoqué par le requérant est l'existence d'une procédure pénale pour blasphème à son encontre. (6) Or, le Comité constate que la lettre du père du requérant datée du 20 juin 2002 et celle du Président de la CLA en date du 17 août 2002 faisant état de cette procédure sont contredites par ce dernier dans son courriel daté du 28 octobre 2002 et que cette observation faite par l'État partie n'a pas été commentée par le requérant. De même, le fait que le requérant ait séjourné à la résidence secondaire de son père pendant sept mois, puis chez son oncle durant deux mois, sans être inquiété par la police alors même que cette dernière cherchait à l'arrêter pour blasphème et, notamment, après sa fuite du commissariat de police, ne paraît pas plausible. Il en est de même pour l'obtention d'un nouveau passeport et le départ du requérant de l'aéroport de Karachi sans aucune difficulté. Les commentaires soumis ultérieurement par le requérant sur ces points (paragraphes 5.3 et 5.5 ci-dessus) n'expliquent pas de manière satisfaisante ces incohérences.
6.7 Le second motif d'arrestation invoqué par le requérant a trait à son apostasie en 1996. Le Comité constate, à ce sujet, que cet argument n'a été produit par le requérant qu'en réaction à des décisions des autorités suisses de rejet de sa demande d'asile, ceci sans que l'intéressé pourtant assisté d'un avocat tout au long de la procédure n'ait pu expliquer, de manière cohérente et convaincante, le caractère tardif de sa soumission, point que ne conteste d'ailleurs pas le requérant dans ses commentaires du 4 août 2002.
6.8 Concernant la deuxième partie de la requête relative aux atteintes à l'intégrité physique du requérant, le Comité estime, en premier lieu, que l'intéressé n'a pas étayé son assertion de mauvais traitements lors de sa détention au début de janvier 1999. De même, les allégations quant aux risques de torture de la part de la police, puis de condamnation à mort en cas de renvoi au Pakistan, avancés par le requérant sont contredits par les constatations du Comité relatives aux risques d'arrestations. D'autre part, elles reposent sur des arguments insuffisamment étayés, voire même contradictoires, présentés par le requérant dans ses commentaires du 4 août 2002.
6.9 Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n'a pas démontré l'existence de motifs sérieux permettant de penser que son renvoi au Pakistan l'exposerait à un risque réel, concret et personnel de torture, aux termes de l'article 3 de la Convention.
7. Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant au Pakistan ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
______________________________
[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
1. Communication no 57/1996 (P.Q.L. c. Canada) «même s'il était certain que l'auteur soit arrêté dès son retour en Chine à cause de ses convictions, le seul fait qu'il risquerait d'être détenu et jugé ne permettrait pas de conclure qu'il y a des motifs sérieux de croire qu'il serait soumis à la torture». Cette conclusion s'impose a fortiori pour le simple risque d'arrestation (communication no 65/1997, I.A.O. c. Suède).
3. Communication no 94/1997 (K.N. c. Suisse).
4. Communications nos 83/1997 (G.R.B. c. Suède), 130 et 131/1999 (V.X.N. et H.N. c. Suède) et 94/1997 (K.N. c. Suisse).
5. Communiqué de l'Agence Reuters en date du 14 août 2002.
6. Engagée à la suite d'une plainte déposée auprès de la police par la Muslim Students Federation lorsqu'elle a eu connaissance des activités du requérant en tant que chrétien alors qu'il assumait les fonctions de président de la Fédération.