Convention Abbreviation: CAT
Trente-cinquième session
7 - 25 novembre 2005
Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22
de la Convention contre la Torture et Autres Peines
ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants
- Trente-cinquième session -
Communication No. 235/2003
Au nom de: Le requérant
État partie: Suède
Date de la communication: 26 septembre 2003 (lettre initiale)
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 14 novembre 2005,
Ayant achevé l'examen de la requête no 235/2003, présentée par M. M. S. H. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
l'article 22 de la Convention
1.1 Le requérant est M. M. S. H., né en 1973, de nationalité bangladaise et résidant actuellement en Suède. Il affirme que son renvoi au Bangladesh constituerait une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 26 septembre 2003, le Comité a transmis la requête à l'État partie, qu'il a prié, en vertu du paragraphe 1 de l'article 108 de son règlement intérieur, de ne pas renvoyer le requérant au Bangladesh tant que la requête serait en cours d'examen. L'État partie a fait droit à cette demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 En 1990, le requérant est devenu un membre actif du Parti bangladais de la liberté (ci-après le BFP, selon l'acronyme anglais), dont il est devenu secrétaire adjoint en 1995, à Titumir College. Il avait notamment pour tâche d'appeler la population à des rassemblements et à des manifestations. En 1996, la Ligue Awami a accédé au pouvoir, avec l'objectif de détruire le BFP. Suite à une manifestation organisée par ce parti le 1er août 1996, le requérant a été arrêté par la police et conduit au poste de police local, où il a été interrogé sur d'autres membres du BFP. Il a été détenu pendant 11 jours, pendant lesquels il a été torturé. Il a notamment été battu avec des bâtons, on lui a versé de l'eau chaude dans les narines et il a été suspendu au plafond. Il a été remis en liberté à la condition qu'il abandonne ses activités politiques au sein du BFP.
2.2 Le requérant a néanmoins poursuivi ses activités. En janvier 1997, il a reçu des menaces de mort de membres de la Ligue Awami. À la suite d'une grande manifestation organisée par le BFP le 17 mars 1999, il a de nouveau été arrêté et torturé par des policiers, qui lui ont versé de l'eau dans les narines et l'ont passé à tabac. Après sept jours, il a été remis en liberté, mais seulement après avoir signé une déclaration selon laquelle il cesserait toutes activités politiques. La police l'a menacé de l'abattre s'il ne respectait pas cet engagement. En février 2000, le BFP a participé à une manifestation avec trois autres partis; peu après, le requérant a appris de ses parents qu'il avait été faussement accusé de détenir illégalement des armes à feu, d'avoir lancé des engins explosifs et d'avoir troublé l'ordre public et qu'il était poursuivi en vertu de la loi sur la sûreté nationale. Craignant d'être de nouveau détenu et torturé, il a fui le pays.
2.3 Le requérant est entré en Suède le 24 mai 2000 et a demandé asile le même jour. Il a raconté le traitement qu'il avait subi au Bangladesh et affirmé qu'il craignait d'être emprisonné s'il rentrait chez lui. Il a cité des rapports émanant d'ONG et de gouvernements sur la situation des droits de l'homme au Bangladesh, qui attestent le climat d'impunité dont bénéficient les auteurs de torture et les disfonctionnements du système juridique. Le Conseil suédois des migrations a toutefois relevé que la Ligue Awami n'était plus au pouvoir au Bangladesh et que le requérant n'avait donc plus aucune raison de craindre d'être persécuté par ce parti. Le 19 décembre 2001, le Conseil des migrations a rejeté la demande d'asile du requérant et ordonné son expulsion.
2.4 Le requérant a fait appel de cette décision auprès de la Commission de recours des étrangers, en faisant valoir que la torture continuait d'être largement pratiquée au Bangladesh, malgré les changements intervenus dans la situation politique. Il a expressément invoqué l'opération dite «Opération cœur pur». La Commission de recours n'a pas contesté que le requérant avait déjà été torturé au Bangladesh. Elle a toutefois estimé que la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh ne suffisait pas, à elle seule, à exposer le requérant à la torture ou à d'autres traitements dégradants. Le 6 mars 2003, la Commission de recours a confirmé la décision du Conseil des migrations.
2.5 Le 21 mars 2003, le requérant a déposé une nouvelle demande auprès du Conseil des migrations et présenté un dossier médical détaillé corroborant les actes de torture dont il a fait l'objet au Bangladesh et attestant qu'il souffre de stress post-traumatique. Le requérant a également évoqué, à l'appui de sa demande, un rapport de 2002 sur le Bangladesh du Ministère suédois des affaires étrangères, selon lequel la torture y est pratique courante. Sur cette base, il a affirmé qu'il courrait le risque d'être retorturé s'il retournait au Bangladesh. Le 19 mai 2003, le Comité des migrations a rejeté la demande, estimant que le requérant n'avait soumis aucun fait nouveau qui justifierait qu'il revienne sur sa décision antérieure.
Teneur de la plainte
3. Le requérant affirme que son expulsion vers le Bangladesh constituerait une violation de l'article 3 de la Convention, étant donné qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture ou à d'autres traitements inhumains s'il était renvoyé au Bangladesh. Il soutient que, bien que la Ligue Awami ne soit plus au pouvoir, le BFP est également l'«ennemi» du gouvernement actuel et que les changements intervenus dans la situation politique depuis qu'il a quitté le pays ne diminuent en rien le risque de mauvais traitements qu'il encourrait s'il retournait au Bangladesh.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond de la requête
4.1 Dans les observations qu'il a présentées le 21 novembre 2003, l'État partie conteste la recevabilité de la requête et traite des questions de fond. Concernant la recevabilité, il fait valoir que le requérant n'a pas établi qu'à première vue il y a eu violation de l'article 3.
4.2 L'État partie rappelle les procédures applicables aux demandes d'asile en Suède. En vertu du chapitre 3 de la loi sur les étrangers, tout étranger a le droit d'obtenir un permis de séjour s'il craint avec raison d'être soumis à la torture ou à d'autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Selon le chapitre 8 de la loi, l'expulsion est interdite dans ce cas. Un permis de séjour peut également être délivré à un étranger pour des raisons humanitaires. Il ne peut être refusé tant que le Comité des migrations ne s'est pas prononcé sur la demande. Il peut être fait appel de la décision du Comité des migrations auprès de la Commission des recours des étrangers.
4.3 Concernant le requérant, l'État partie fait observer qu'il a été entendu pour la première fois le jour de son arrivée en Suède. Lors de cet entretien, il a déclaré qu'il était membre du BFP depuis 1990 et qu'en raison de ses activités politiques il avait été arrêté en 1996 au moment où la Ligue Awami est venue au pouvoir. Il avait été arrêté et torturé à deux reprises, en août 1996 et en mars 1999. En février 2000, il avait été faussement accusé de porter atteinte à l'ordre public et, comme un mandat d'arrêt avait été délivré à son encontre, il avait fui en Suède avec l'aide d'un passeur. Lors d'un deuxième entretien, qui a eu lieu le 23 novembre 2001, le requérant a fourni davantage de détails sur ses activités politiques et certains événements qui se sont produits au Bangladesh, notamment le fait qu'il avait fait l'objet de fausses accusations et avait été poursuivi pour détention illégale d'armes à feu en vertu de la loi sur la sûreté nationale.
4.4 Le 19 décembre 2001, le Comité des migrations a rejeté sa demande d'asile, en faisant observer que la situation politique dans le pays avait changé et que la Ligue Awami n'était plus au pouvoir. Il a conclu que le requérant n'avait pas droit au statut de réfugié ni à un permis de séjour en qualité de personne devant être protégée. Le recours introduit par le requérant auprès de la Commission des recours a été rejeté le 6 mars 2003.
4.5 L'État partie reconnaît que tous les recours internes sont épuisés. Il fait toutefois observer que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention, du fait que l'allégation du requérant selon laquelle il risquerait d'être torturé s'il retournait au Bangladesh n'a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et que la requête est dès lors manifestement sans fondement. (1)
4.6 Concernant le fond, l'État partie affirme que toute la question est de savoir s'il existe des motifs sérieux de croire que la personne concernée risque d'être soumise à la torture à son retour dans le pays. (2) Or, l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu'une personne donnée risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays.
4.7 En ce qui concerne la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh, l'État partie déclare que, tout en restant problématique, celle-ci s'est améliorée. La violence reste omniprésente dans la vie politique du pays, les heurts sont fréquents aux rassemblements et aux manifestations entre des militants des différents partis et avec la police. La police recourrait à la torture, aux passages à tabac et à d'autres formes de mauvais traitements pendant les interrogatoires. Le gouvernement utilise fréquemment la police à des fins politiques, ce qui explique que plusieurs membres de la Ligue Awami ont été détenus. Mais les membres de la Commission des recours des étrangers ont conclu, à la suite du voyage d'étude qu'ils ont effectué au Bangladesh en octobre 2002, qu'il n'existait pas de persécutions institutionnalisées au Bangladesh et que le harcèlement politique était rare au niveau des militants de base. Les plus exposés étaient les politiciens de l'opposition et les membres de partis occupant des postes de direction. Quoi qu'il en soit, l'État partie fait valoir que l'élément déterminant en l'espèce est que la Ligue Awami n'est plus au pouvoir.
4.8 En ce qui concerne les circonstances propres au cas du requérant, l'État partie maintient que la loi suédoise sur le droit d'asile répond aux principes consacrés à l'article 3 de la Convention et que les autorités suédoises, lorsqu'elles examinent une demande d'asile, appliquent les mêmes normes que le Comité lorsqu'il examine une requête au titre de la Convention. Les autorités ont une expérience considérable en matière de demandes d'asile émanant de Bangladais et savent déterminer si quelqu'un doit être protégé contre le risque de torture ou de mauvais traitements. Entre 1990 et 2002, elles ont statué sur plus de 1 700 demandes d'asile et ont fait droit à 700 d'entre elles. Pour l'État partie, il y a lieu d'attacher un poids considérable à l'avis des autorités d'immigration, qui, en l'espèce, n'ont trouvé aucune raison de conclure que l'asile devrait être accordé au requérant.
4.9 L'État partie fait observer que le requérant fonde son argumentation sur le fait qu'il a été soumis à la torture à deux reprises au Bangladesh. Il rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, le fait d'avoir été soumis à la torture dans le passé est l'un des éléments pris en compte lors de l'examen de plaintes pour violation de l'article 3 de la Convention, mais que le Comité s'attache avant tout à déterminer si le requérant risquera actuellement d'être soumis à la torture s'il est renvoyé dans son pays; le fait que le requérant a subi des tortures ne suffit pas à établir qu'il court actuellement un risque. (3) De plus, il ressort de l'observation générale du Comité et de sa jurisprudence que le fait d'avoir été soumis à la torture n'est pertinent que si ces actes remontent à un passé récent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. (4)
4.10 Le requérant a repris ses activités politiques après avoir été libéré pour la deuxième fois, malgré des menaces de mort proférées par la police. Il a pu les poursuivre jusqu'en février 2000. Il se sentait même suffisamment en sécurité pour participer à une manifestation qui a été prise d'assaut par la police et des membres de la Ligue Awami. L'État partie y voit un signe que le requérant ne se sentait peut-être pas en danger.
4.11 L'État partie note que le requérant n'a apporté aucun élément prouvant qu'il était recherché par les autorités bangladaises pour des infractions à la loi sur la sûreté nationale, ni aucune information sur l'état de ces poursuites. La loi en question a d'ailleurs été révoquée en avril 2002. Étant donné que, selon les informations disponibles, les fausses accusations sont généralement lancées contre des membres haut placés de l'opposition, les personnes qui participent activement à la vie politique au niveau local ont la possibilité de se soustraire aux actes de harcèlement en changeant de lieu de résidence dans le pays. Vu que le requérant n'a apporté aucune preuve à ce sujet, l'État partie considère que les allégations concernant les poursuites pénales qui auraient été engagées contre lui sont sans fondement. Même s'il risquait d'être détenu en raison de ces poursuites pénales, cela ne signifie pas qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'il risquerait personnellement d'être torturé. (5)
4.12 L'État partie rappelle que la situation politique au Bangladesh a considérablement changé depuis que le requérant a quitté le pays. Selon ce dernier, il était persécuté par le parti alors au pouvoir, la Ligue Awami, qui a essuyé une défaite lors des élections générales d'octobre 2001. Rien n'indique que le requérant ait quoi que ce soit à craindre des partis qui sont actuellement au pouvoir. En fait, selon les informations communiquées par l'ambassade de Suède à Dacca, le BNP, qui est actuellement au pouvoir, entretient de bonnes relations avec le BPF, et tous deux sont des adversaires de la Ligue Awami. De ce fait, rien n'indique que le requérant risquerait des persécutions politiques qui l'exposeraient particulièrement à la torture.
Observations du requérant sur les observations de l'État partie
5.1 Dans ses observations du 26 février 2004 sur les observations de l'État partie, le requérant donne davantage de détails sur la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh. Il évoque le rapport d'Amnesty International de 2003, selon lequel la torture est couramment pratiquée dans le pays depuis des années, qu'il s'agit d'un problème auquel plusieurs gouvernements successifs ne se sont pas attaqués et qu'il existe un climat d'impunité. Des poursuites judiciaires contre un agent de l'État, comme un membre de la police, ne sont possibles qu'avec l'accord du gouvernement, qui n'est donné que très rarement. Le requérant conteste l'allégation de l'État partie selon laquelle les militants de base ne sont pas victimes de fausses accusations, et fait valoir que les militants de base sont davantage exposés aux risques de persécution que les dirigeants de l'opposition, qui sont sous l'œil des médias, ce qui leur accorde un certain niveau de protection.
5.2 En ce qui concerne les circonstances qui lui sont propres, le requérant affirme de nouveau qu'il courrait personnellement un risque réel et prévisible d'être torturé s'il était renvoyé au Bangladesh. Il fait valoir que, dès lors qu'il est établi qu'une personne a déjà été soumise à la torture par le passé, il devrait exister une présomption de risque à venir, sauf si les circonstances ont manifestement changé. Le requérant soutient que, dans son cas, aucun changement fondamental n'a eu lieu. Ceux qui travaillent pour le BFP sont toujours dans l'opposition et les opposants politiques du gouvernement actuel risquent toujours d'être arrêtés et torturés au Bangladesh. Le gouvernement actuel considère le BFP comme un ennemi politique.
5.3 Le requérant rappelle qu'après avoir été remis en liberté en 1999 c'est par conviction qu'il a poursuivi ses activités politiques, et ce, malgré les dangers et non parce qu'il n'y avait aucun danger comme le prétend l'État partie. Il ne lui serait possible d'obtenir des documents étayant les poursuites engagées contre lui en vertu de la loi sur la sûreté nationale que s'il était effectivement arrêté et, bien que la loi en question ait été révoquée, aucune amnistie n'a été accordée à ceux qui faisaient l'objet de poursuites en vertu de ladite loi. En octobre 2003, le requérant a parlé à sa mère, qui lui a dit que des policiers étaient venus le chercher et ne l'avaient pas crue lorsqu'elle leur avait dit qu'il vivait à l'étranger. Cela montre bien que les autorités s'intéressent toujours à lui. Enfin, le requérant affirme que le fait qu'il risque d'être détenu en raison des charges qui pèsent toujours contre lui, joint au fait que la torture en cours de détention est monnaie courante au Bangladesh et au fait qu'il a déjà été torturé par le passé, permettent de conclure qu'il courrait personnellement un risque réel d'être torturé s'il était renvoyé au Bangladesh.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Dans le cas à l'examen, le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note que l'épuisement des recours internes n'a pas été contesté par l'État partie dans ses premières observations.
6.2 L'État partie conteste la recevabilité au motif que le requérant n'a pas établi à suffisance l'existence d'une violation. Cependant, le Comité considère que le plaignant a fourni suffisamment de renseignements étayant sa plainte pour que sa requête soit examinée quant au fond. Ne voyant pas d'autre obstacle à la recevabilité de la requête, il procède à l'examen de la question au fond.
6.3 Le Comité doit déterminer si le retour forcé du requérant au Bangladesh constituerait une violation des obligations de l'État partie au titre du paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, selon lequel une personne ne doit pas être expulsée ou refoulée vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
6.4 Le Comité rappelle son observation générale concernant l'article 3, qui dispose que le Comité doit déterminer s'il y a «des motifs sérieux de croire que l'auteur d'une communication risque d'être soumis à la torture» en cas de renvoi et que le risque de torture «doit être évalué sur la base d'éléments qui vont au-delà de la simple théorie ou du simple soupçon». Le risque ne doit pas être «hautement probable», mais doit être «personnel et réel». (6) Dans ses décisions antérieures, le Comité a constamment indiqué que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». (7)
6.5 En évaluant le risque de torture en l'espèce, le Comité a relevé l'allégation du requérant selon laquelle il a été torturé à deux reprises au Bangladesh. Cependant, comme le fait observer l'État partie et selon l'observation générale du Comité, le fait qu'une personne a déjà été torturée n'est qu'un des éléments qui sont pris en considération pour déterminer si une personne encourt personnellement le risque d'être torturée en cas de renvoi dans son pays d'origine; à cet égard, le Comité doit examiner la question de savoir si la torture a eu lieu récemment, compte tenu des réalités politiques du moment dans le pays concerné. En l'espèce, les actes de torture dont le requérant a été victime se sont produits en 1996 et 1999, ce qui ne saurait être considéré comme un passé récent, et dans des circonstances politiques tout à fait différentes, à savoir au moment où la Ligue Awami était au pouvoir au Bangladesh et était, selon le requérant, déterminée à détruire le BFP.
6.6 Le Comité a pris note des allégations concernant la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh et des informations selon lesquelles la torture y serait chose courante. Toutefois, cela ne suffit pas pour prouver que le requérant encourrait personnellement le risque d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Bangladesh. Le Comité constate que les principales raisons pour lesquelles le requérant craint personnellement d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Bangladesh sont qu'il y a déjà été soumis à la torture au motif de son appartenance au BFP et qu'il risque d'y être emprisonné et torturé à son retour en raison des poursuites engagées contre lui en vertu de la loi sur la sûreté nationale.
6.7 Le requérant fait valoir que le BFP est demeuré un ennemi du gouvernement actuel. Or, les informations dont dispose l'État partie contredisent cette allégation. Le Comité rappelle que, conformément à son Observation générale no 1, (8) c'est au requérant qu'il incombe de présenter des arguments défendables et de prouver qu'il risquerait d'être torturé, que les raisons de croire qu'il le serait sont aussi sérieuses qu'il le dit, et que ce risque est personnel et réel. En l'espèce, le Comité n'est pas convaincu par l'argument du requérant selon lequel, étant donné la situation politique actuelle au Bangladesh, il encourrait encore le risque d'y être torturé pour le simple fait d'être membre du BFP, même à un rang ordinaire.
6.8 Concernant les charges qui auraient été retenues contre le requérant, le Comité a relevé l'argument de l'État partie selon lequel le requérant n'a fourni aucune pièce étayant son allégation, de même que la réponse du requérant selon laquelle il ne pourrait obtenir de telles pièces que s'il était effectivement arrêté. L'état des poursuites engagées contre lui demeure incertain puisque, selon l'État partie, la loi pertinente a été révoquée. Bien que le requérant affirme qu'il n'y a pas eu de loi d'amnistie concernant les infractions à ladite loi, une telle amnistie ne s'appliquerait que s'il y avait eu condamnation et non poursuites pénales, le Comité estime en outre que le requérant n'a pas étayé ses allégations selon lesquelles les poursuites engagées contre lui continueraient en dépit de l'abrogation de la législation pertinente. En conséquence, il juge peu probable le risque que le requérant soit jeté en prison à son retour.
6.9 Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que la décision de l'État partie de renvoyer le requérant au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l'État partie de renvoyer le requérant au Bangladesh ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
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[Fait en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. H. I. A. c. Suède, communication no 216/2002, constatations adoptées le 2 mai 2003, par. 6.2.
2. S. L. c. Suède, communication no 150/1999, constatations adoptées le 11 mai 2001, par. 6.3.
3. X, Y et Z c. Suède, communication no 61/1996, constatations adoptées le 6 mai 1998, par. 11.2.
4. S. S. c. Pays-Bas, communication no 191/2001, constatations adoptées le 5 mai 2003, par. 6.6.
5. Voir I. A. O. c. Suède, communication no 65/1997, constatations adoptées le 6 mai 1998, par. 14.5; et P. Q. L. c. Canada, communication no 57/1996, constatations adoptées le 17 novembre 1997.
6. Observation générale no 1, seizième session (1996).
7. H. K. H. c. Suède, communication no 204/2002, constatations adoptées le 28 novembre 2002.