Trente-cinquième session
7 - 25 novembre 2005
Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22
de la Convention contre la Torture et Autres Peines
ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants
- Trente-cinquième session -
Communication No 238/2003
Présentée par: M. Z. T. (représenté par un conseil, M. Thom Arne Hellerslia)
Au nom de: Le requérant
État partie: Norvège
Date de la communication: 31 juillet 2001
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 14 novembre 2005,
Ayant achevé l'examen de la communication no 238/2003 présentée par M. Z. T. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte la décision ci-après:
1.1 L'auteur de la communication est M. Z. T., de nationalité éthiopienne, résidant en Norvège où il a présenté une demande d'asile; celle-ci ayant été rejetée, il risque d'être expulsé. Il affirme qu'il risque d'être emprisonné et torturé s'il retourne en Éthiopie et que son renvoi dans ce pays constituerait par conséquent une violation par la Norvège de l'article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant appartient au groupe ethnique amhara. Au cours de ses études secondaires à Addis-Abeba, il a participé à plusieurs manifestations en faveur du colonel Mengistu. Lorsque Mengistu a accédé au pouvoir, en février 1977, des milliers de jeunes, dont le requérant, ont été envoyés dans les zones rurales pour alphabétiser la population. Déçu par le régime de Mengistu, le requérant a commencé à travailler pour le Parti révolutionnaire du peuple éthiopien (PRPE).
2.2 Le PRPE a commencé à organiser la résistance contre le régime de Mengistu en incitant les étudiants et les jeunes qui étaient dans les zones rurales à revenir à Addis-Abeba. En 1977, les conflits entre les différentes factions politiques ont conduit à la «terreur rouge», à l'élimination brutale de tous les opposants au Conseil administratif militaire provincial en place et à des assassinats aveugles. Le nombre de victimes a été évalué à 100 000. Le requérant, qui distribuait des tracts et qui posait des affiches à Addis-Abeba au nom du PRPE, a été arrêté et envoyé dans un camp de concentration avec des milliers d'autres jeunes et il est resté dans ce camp pendant un an entre 1980 et 1981. Dans le camp, il a été soumis à des simulacres d'exécution et à un lavage de cerveau. Selon le requérant, la «terreur rouge» a pris fin lorsque le régime a été convaincu que les dirigeants du PRPE étaient tous morts. Un grand nombre de prisonniers politiques, dont le requérant, ont alors été libérés.
2.3 Après sa libération, le requérant est entré dans la clandestinité et a poursuivi ses activités de soutien au PRPE. Il déclare que le régime de Mengistu surveillait de près les agissements des anciens prisonniers politiques afin d'éviter le renouveau de l'opposition. En 1986-1987, à la suite d'une rafle, le requérant a été emmené à la prison Kerchele où il est resté incarcéré quatre ans. Il déclare que les détenus étaient forcés de marcher nus et étaient soumis à des mauvais traitements, notamment qu'ils recevaient régulièrement des coups de bâton. En prison, le requérant a contracté la tuberculose.
2.4 En mai 1991, le régime de Mengistu est tombé et le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE) a pris le pouvoir. Une fois libéré, le requérant a tenté de prendre contact avec des membres du PRPE, mais tous ceux avec lesquels il avait établi des liens par le passé avaient disparu. Il a alors commencé à travailler pour la Coalition démocratique du peuple éthiopien du Sud (SEPDC), nouvelle coalition regroupant 14 partis politiques régionaux et nationaux d'opposition. D'après une traduction jointe par le requérant, un mandat d'arrestation a été émis contre lui au début de 1994, afin qu'il soit interrogé sur ses activités politiques. En février 1995, il allait livrer un message à M. Alemu Abera, un dirigeant du parti, lorsqu'il a été arrêté par la police à Awasa.
2.5 Le requérant dit qu'il est resté en détention pendant 24 heures à Awasa, puis a été transféré à la prison centrale d'Addis-Abeba. Au bout de trois jours, il a été emmené à la prison Kerchele où il est resté un an et sept mois. Il n'a jamais été jugé et n'a jamais rencontré d'avocat. Il a subi dans la prison le même traitement que celui qu'il avait connu au cours de sa première incarcération. Il dit qu'il a été conduit à la chambre de torture et menacé d'être exécuté s'il ne coopérait pas. Il croit que la seule raison pour laquelle il n'a pas été sévèrement torturé comme un grand nombre d'autres prisonniers est qu'il était déjà physiquement faible. Au cours de son emprisonnement, il est aussi devenu épileptique.
2.6 Le 5 octobre 1996, le requérant a réussi à s'échapper lorsque l'un des gardes, ayant un grade élevé, l'a conduit chez lui pour y effectuer des réparations. Grâce à un ami, il a pu obtenir les papiers nécessaires pour quitter le pays et a demandé l'asile en Norvège le 8 octobre 1996.
2.7 Le 18 juin 1997, la Direction de l'immigration a rejeté sa demande d'asile, essentiellement sur la base d'un rapport établi par l'ambassade de Norvège à Nairobi faisant état de contradictions dans les informations données par le requérant et par sa mère, et d'incohérences dans le récit du requérant. Le recours qu'il a formé le 3 juillet 1997 a été rejeté par le Ministère de la justice le 29 décembre 1997, pour les mêmes motifs. Le 5 janvier 1998, une demande de réexamen a été déposée et, le 25 août 1998, le Ministère de la justice a répondu négativement à cette demande.
2.8 Le requérant déclare qu'ayant épuisé les voies ouvrant droit à l'assistance gratuite d'un avocat, le Rådgivningsgruppa (Groupe de conseil) a accepté de le défendre à titre bénévole. Les 1er et 9 septembre 1998, le Groupe de conseil a présenté de nouvelles demandes de réexamen et de sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion, qui ont été rejetées le 16 septembre 1999. À ce sujet, le requérant a soumis au Comité des copies de 16 documents échangés par courrier entre le Groupe de conseil et le Ministère de la justice, y compris un certificat médical établi par une infirmière psychiatrique, indiquant que le requérant souffrait de troubles post-traumatiques. La date de l'expulsion a été finalement fixée au 21 janvier 1999.
2.9 Le requérant affirme que toutes les incohérences dans son récit s'expliquent par le fait qu'au cours de l'interrogatoire initial il a accepté de répondre en anglais, n'ayant pas été informé de son droit d'être assisté d'un interprète en amharique. Il dit qu'il existe entre le calendrier éthiopien et le calendrier norvégien une différence d'environ huit ans et qu'en conséquence, lorsqu'il a essayé de calculer les dates selon le calendrier norvégien et de les traduire en anglais, il a fait des erreurs. La situation a été encore compliquée par le fait qu'en Éthiopie la journée commence à 6 heures du matin (heure norvégienne). Ainsi, lorsque le requérant disait «2 heures», par exemple, il fallait comprendre «8 heures».
2.10 Pendant l'interrogatoire, il a appelé la Coalition démocratique du peuple éthiopien du Sud (SEPDC) l'«Organisation politique du peuple du Sud» (SPPO), qui n'existe pas. D'après lui cette erreur est due au fait qu'il ne connaissait le nom de l'organisation qu'en amharique.
Teneur de la plainte
3. Le requérant affirme qu'il risque d'être de nouveau emprisonné et torturé s'il retourne en Éthiopie. Il fait valoir qu'au cours de la procédure de demande d'asile les autorités d'immigration n'ont pas examiné sérieusement le fond de son allégation et n'ont pas accordé suffisamment d'attention à ses activités politiques et détails relatifs à sa détention dans le passé.
Décision du Comité concernant la recevabilité de la requête no 127/1999
4.1 Le 25 janvier 1999, le requérant a présenté sa requête initiale au Comité, alléguant que son expulsion de Norvège vers l'Éthiopie constituerait une violation de l'article 3 de la Convention. Le 19 novembre 1999, compte tenu des observations des parties, le Comité a déclaré la requête irrecevable dans la mesure où les recours internes n'avaient pas été épuisés. (1) Son raisonnement était le suivant:
[7.3] Le Comité note que selon les renseignements à sa disposition, le requérant n'a pas engagé d'action en vue du contrôle de légalité de la décision rejetant sa demande d'asile. Prenant note aussi de l'affirmation du requérant concernant les incidences financières d'un tel recours, le Comité rappelle qu'il est possible de solliciter une aide judiciaire, et constate qu'aucun renseignement fourni n'indique que cette démarche a été effectuée dans l'affaire à l'examen.
[7.4] Toutefois, vu les diverses affaires similaires portées à son attention et étant donné le nombre d'heures limitées d'aide judiciaire gratuite auxquelles les demandeurs d'asile ont droit aux fins de procédures administratives, le Comité recommande à l'État partie de prendre les dispositions voulues pour que les demandeurs d'asile soient dûment informés de toutes les voies de recours internes à leur disposition, en particulier de la possibilité d'un recours en contrôle de légalité par les tribunaux, et de la possibilité de bénéficier d'une aide judiciaire pour former un tel recours.
[7.5] Le Comité note l'affirmation du requérant concernant le résultat probable au cas où l'affaire serait portée devant un tribunal. Il considère néanmoins que le requérant n'a pas présenté suffisamment d'informations étayées à l'appui de son argument selon lequel cette procédure de recours excéderait des délais raisonnables et aurait peu de chance d'aboutir. Dans les circonstances, le Comité constate que les conditions prescrites au paragraphe 5 b) de l'article 22 de la Convention ne sont pas remplies.
5.1 Le 30 juin 2001, le requérant a adressé au Comité une nouvelle requête, affirmant que les motifs sur lesquels le Comité s'était fondé pour déclarer sa requête irrecevable n'étaient plus applicables. Il a déclaré que, le 24 janvier 2000, il avait formulé une demande d'aide juridictionnelle qui a été rejetée par le Gouverneur du Comté d'Aust-Agder le 5 juillet 2000. Le 14 mars 2001, le Ministère du travail et de l'administration a rejeté son recours contre la décision du Gouverneur du Comté. S'agissant de la possibilité de recruter son propre avocat, le requérant indique que, compte tenu de la situation financière précaire dans laquelle il se trouvait, il n'aurait été en mesure d'acquitter ni les honoraires d'avocat et les frais d'enregistrement, ni les frais de justice en cas d'échec. De même, parlant à peine le norvégien et ne connaissant ni les règles de la procédure ni les règles de fond, il n'était pas capable de se représenter lui-même. Le requérant fait donc observer qu'en pratique, il ne disposait d'aucun recours «disponible» ou «utile», et que la requête devrait donc être déclarée recevable.
5.2 Le 21 août 2002, la nouvelle requête a été enregistrée sous le numéro 238/2003 et transmise au Gouvernement de l'État partie pour observations sur la recevabilité.
Observations de l'État partie sur la recevabilité de la nouvelle requête du requérant
6.1 Le 27 mars 2003, l'État partie a contesté la recevabilité de la requête en faisant valoir que le paragraphe 7.3 de la décision initiale d'irrecevabilité du Comité pouvait être interprété de deux manières. D'une part, la lecture de la seconde phrase hors contexte laisserait penser que, lorsque l'aide juridictionnelle serait sollicitée, la recevabilité devrait être réexaminée. D'autre part, la première phrase laissait supposer qu'un requérant devait engager une procédure en contrôle de légalité et que le fait de ne pas le faire − même après le refus de l'aide juridictionnelle − réglait la question. Selon l'État partie, cette dernière approche était la plus logique et elle était appuyée par le raisonnement figurant au paragraphe 7.2 de la décision, dans lequel les arguments relatifs à l'existence et à l'effectivité du contrôle de légalité étaient soulignés. Ainsi, la première phrase du paragraphe 7.3, lue conjointement avec le paragraphe 7.5, constituait la réponse définitive du Comité, et la seconde phrase, notamment parce qu'elle comportait le terme «également», représentait un raisonnement supplémentaire superfétatoire.
6.2 Même si le Comité considérait la requête irrecevable simplement parce que l'aide juridictionnelle n'a pas été sollicitée, selon l'État partie elle ne deviendrait pas pour autant recevable du simple fait que l'aide juridictionnelle a été sollicitée ultérieurement, dans la mesure où d'autres motifs d'irrecevabilité peuvent par ailleurs s'appliquer. En particulier, l'État partie fait valoir que le contrôle de légalité représente un recours «disponible» qui n'a pas été épuisé. L'idée consistant à dispenser les requérants de l'obligation d'épuiser les recours internes parce qu'ils ne disposent pas de ressources suffisantes est dénuée de fondement, dans la mesure où elle n'est étayée par aucune disposition du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention. L'État partie affirme que, dans tout système juridique, une action au civil est généralement financée par les parties, et que les auteurs de la Convention, conscients de ce fait, n'ont prévu aucune exception pour les requérants dénués de ressources. Une telle approche porterait atteinte au principe de l'épuisement des recours internes.
6.3 Selon l'État partie, si le Comité devait néanmoins suivre ce raisonnement, les États devraient soit i) accorder l'aide juridictionnelle de façon beaucoup plus large qu'ils ne le font actuellement ou que ne l'exigent les conventions internationales, soit ii) accepter la compétence du Comité pour réexaminer les décisions administratives rejetant les demandes d'asile sans que les juridictions internes aient eu la possibilité de se prononcer. En ce qui concerne la première possibilité, peu d'États accepteraient une telle approche: l'aide juridictionnelle civile est (lorsqu'elle existe) partout soumise à des contraintes de ressources et à des conditions strictes. Ainsi, compte tenu du grand nombre de demandes d'asile rejetées chaque année, un État partie devrait prendre la décision, improbable, d'accroître notablement les ressources affectées aux mécanismes de l'aide juridictionnelle.
6.4 Une telle situation aurait pour conséquence que le Comité s'attribuerait de facto le rôle de premier organe d'examen dans un grand nombre d'affaires, ce qui accroîtrait considérablement son volume de travail. Dans le seul cas de la Norvège, 9 000 demandes d'asile ont été rejetées en dernier ressort en 2002, et si la plupart des demandeurs d'asile faisaient valoir, à l'instar du requérant dans le cas d'espèce, que leurs revenus étaient modestes et ne leur permettaient pas d'avoir accès à la justice, une telle situation ne serait pas sans conséquence majeure pour le Comité.
6.5 En ouvrant la voie à une telle exception, le Comité se retrouverait face à de grandes difficultés en droit et en fait. Il devrait arrêter des critères précis concernant les capacités financières, ainsi que, vraisemblablement, des critères économiques que les requérants qui se prétendent impécunieux ne devraient pas outrepasser. Le Comité devrait mettre au point une méthode pour s'assurer que les ressources d'un requérant ne sont pas supérieures aux plafonds définis. Les États parties auraient du mal à réfuter l'allégation d'un requérant qui prétendrait manquer de ressources, car ils disposent rarement des informations pertinentes. Dans le cas d'espèce, l'État partie s'était assuré de la modicité des revenus du requérant au cours des dernières années en consultant son dossier fiscal, mais il n'était pas en mesure de contrôler plus avant sa situation financière. Il ignorait par exemple si le requérant disposait d'un patrimoine à l'étranger ou de biens en Norvège qui auraient pu lui permettre de prendre en charge les frais de la procédure.
6.6 Selon l'État partie, seuls des règlements détaillés établis à l'avance permettraient de traiter de tels problèmes, ce qui aurait uniquement pour effet de souligner l'absence d'une telle exception dans la Convention. Une décision de recevabilité constituerait une innovation importante dans la jurisprudence du Comité et marquerait une rupture radicale vis-à-vis de la règle de l'épuisement des recours internes telle qu'interprétée par les organes conventionnels. Seule la jurisprudence du Comité des droits de l'homme révélait quelques exceptions extrêmement limitées.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
7.1 Dans une lettre datée du 26 mai 2003, le requérant a rejeté les objections de l'État partie. Il a indiqué qu'il ne reçevait qu'un chèque des services sociaux pour subvenir à ses besoins essentiels quotidiens ainsi qu'une allocation-logement, revenus qui ne sauraient suffire à payer un conseil privé. Son conseil devant le Comité avait été commis d'office pour cette procédure uniquement. Ni lui ni aucun autre conseil n'était censé agir gratuitement dans une action en contrôle de légalité.
7.2 En ce qui concerne les raisons initiales d'irrecevabilité, le requérant fait valoir qu'il était clair que les deux éléments étaient des critères sur lesquels se fondait la conclusion. Cela est confirmé par le paragraphe 7.4 de l'affaire initiale. S'il en avait été autrement, il aurait été inutile que le Comité fasse de quelconques remarques au sujet de la question de l'aide juridictionnelle. Les deux parties ayant fait des observations sur cette question, le paragraphe 7.3 était nécessaire pour traiter ces points et il était donc tout sauf superflu. À tout le moins, la décision devrait être réexaminée pour déterminer si, et dans quelles conditions, le contrôle de légalité représente un recours disponible, même en l'absence d'une aide juridictionnelle.
7.3 Pour ce qui est de savoir si une action en contrôle de légalité doit être engagée malgré l'absence d'une aide juridictionnelle, le requérant souligne que le paragraphe 5 de l'article 22 exige uniquement l'épuisement des recours disponibles et utiles. Dans l'hypothèse où le requérant devrait se représenter lui-même, alors qu'il ne connaît ni la langue ni le droit norvégiens, face à des juristes chevronnés représentant l'État, les recours internes ne sauraient être considérés comme «utiles» au sens de l'article 22.
7.4 Le requérant fait valoir que les instruments relatifs aux droits de l'homme doivent être interprétés selon le principe de l'effet utile. Si une requête est jugée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, alors qu'en réalité ceux-ci ne sont pas disponibles, la victime est privée de recours au niveau tant national qu'international.
7.5 Le requérant a invoqué la jurisprudence du Comité des droits de l'homme qui a déclaré recevables des communications au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans des situations où l'aide juridictionnelle n'était pas disponible. (2)
7.6 Le requérant a fait observer qu'en Norvège de nombreuses personnes reçoivent l'aide juridictionnelle dans différentes catégories d'affaires. Il remplit sans difficultés les critères économiques. Ainsi, à l'appui de sa demande d'aide juridictionnelle, il a invoqué la doctrine de l'«obligation positive» qui incombe à l'État partie de prévenir les violations des droits de l'homme, laquelle s'inscrit dans le cadre de l'obligation générale de faire respecter effectivement le droit au non-refoulement. Le requérant soulignait que, s'il existait un droit à l'aide juridictionnelle, celui-ci constituerait certainement un élément pertinent pour se prononcer sur l'épuisement des recours internes; partant, l'absence d'aide juridictionnelle devrait être traitée de la même manière.
7.7 Le requérant a rejeté les objections de l'État partie quant aux conséquences qui découleraient de la recevabilité de la présente affaire. Tout d'abord, cela n'aurait pas pour effet d'inciter tous les demandeurs d'asile déboutés à saisir le Comité. L'article 3 ne serait éventuellement violé que dans quelques cas. En tout état de cause, les conclusions qui se dégageront de l'examen au fond seront une indication beaucoup plus importante pour l'avenir. Le Comité devrait donc accueillir avec circonspection les conséquences néfastes avancées par l'État partie pour s'opposer à une interprétation conforme à l'objectif de la Convention.
7.8 S'agissant des faits de la cause, le requérant a fait observer que l'État partie n'avait pas contesté les informations relatives à ses revenus. Dans le système norvégien d'aide juridictionnelle, les autorités exigent uniquement une déclaration du requérant ainsi qu'une copie de son dossier fiscal, et l'État partie ne devrait pas exiger du Comité qu'il applique une norme plus stricte. En tout état de cause, comme l'a démontré l'expérience du Comité des droits de l'homme, les conséquences sont acceptables, et l'avantage − une plus grande protection des droits consacrés dans la Convention en faveur de ceux qui, autrement, ne disposeraient d'aucune protection − est évident. Le requérant a donc demandé au Comité de déclarer la requête recevable.
Décision du Comité concernant la recevabilité
8.1 À sa trente et unième session, en novembre 2003, le Comité a examiné la recevabilité de la nouvelle requête. Il a estimé, tout d'abord, que le point de savoir si un requérant a épuisé les recours internes qui sont disponibles et utiles, comme l'exige le paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, ne saurait être tranché in abstracto, mais qu'il devait être analysé en fonction des circonstances de la cause. Dans sa décision initiale, le Comité avait accepté que le contrôle de légalité, par les juridictions de l'État partie, d'une décision administrative rejetant une demande d'asile était en principe un recours utile. Il avait toutefois observé que pour qu'un recours soit effectivement utile il fallait avoir la possibilité de l'engager; or, en l'espèce, le requérant n'ayant pas fait de demande d'aide juridictionnelle, il n'avait pas démontré que le contrôle de légalité n'était pas accessible et, partant, n'était pas disponible dans son cas, au sens du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention.
8.2 Dans le cas d'espèce, l'aide juridictionnelle a depuis lors été refusée au requérant. Si elle lui avait été refusée parce que ses ressources financières dépassaient le plafond autorisé et qu'il était donc en mesure de prendre en charge sa représentation en justice, il n'aurait pas été possible de soutenir que le recours représenté par le contrôle de légalité n'était pas disponible. Par ailleurs, dans certaines circonstances, il pourrait être raisonnable d'envisager, en fonction des compétences linguistiques et juridiques du requérant, que celui-ci assure sa propre représentation en justice.
8.3 En l'espèce, il n'a cependant pas été contesté que les connaissances linguistiques ou juridiques du requérant étaient manifestement insuffisantes pour qu'il puisse se représenter lui-même, alors même qu'il n'avait pas, comme l'État partie l'a reconnu en se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle, les moyens financiers d'engager un conseil privé. Le Comité a estimé que le fait de refuser l'aide juridictionnelle dans de telles circonstances à un individu ne serait pas conforme à la lettre du paragraphe 5 de l'article 22, au but du principe de l'épuisement des recours internes et à la capacité de déposer un recours individuel, permettant de considérer un recours éventuel en contrôle de légalité comme étant «disponible» et, partant, de déclarer une requête irrecevable si le recours n'est pas engagé. Une telle approche aurait pour conséquence qu'un requérant ne pourrait obtenir réparation devant les juridictions internes et au niveau international pour des actes en rapport avec un droit des plus fondamentaux, celui de ne pas être soumis à la torture. La conséquence du refus de l'aide juridictionnelle par l'État partie ouvre donc la possibilité d'un examen de la requête par une instance internationale, sans que les tribunaux locaux aient eu la possibilité d'en connaître d'abord. Le Comité a donc conclu que, puisque le requérant avait sollicité en vain l'aide juridictionnelle, les motifs initiaux d'irrecevabilité ne s'appliquaient plus.
8.4 Le 14 novembre 2003, le Comité a déclaré la requête recevable, estimant que les motifs d'irrecevabilité invoqués dans sa décision antérieure, en date du 19 novembre 1999, relative à la requête initiale no 127/1999, n'étaient plus applicables et étant donné qu'aucun autre motif d'irrecevabilité n'avait été invoqué. Le Comité a par conséquent invité l'État partie à lui transmettre ses observations sur le fond de la nouvelle requête.
Observations de l'État partie quant au fond de la nouvelle requête
9.1 Le 23 juillet 2004, l'État partie a indiqué qu'il estimait que ses observations quant au fond de la nouvelle requête portaient sur la même question que celle examinée dans la requête no 127/1999, et il a fait valoir que ses observations au fond concernant la requête initiale étaient pertinentes. Il a fait valoir qu'il respectait les normes internationales pertinentes, tant dans sa pratique juridique que dans ses procédures administratives. Le 1er janvier 2001, il avait mis en place la Commission de recours en matière d'immigration, organe quasi judiciaire indépendant des autorités politiques, chargée d'examiner les recours contre toutes les décisions de la Direction de l'immigration, notamment les demandes d'asile. L'État partie a en outre fait valoir que la Commission de recours disposait d'un personnel nombreux et hautement qualifié, parmi lequel figure un expert pour l'Éthiopie; celui-ci avait effectué une visite dans ce pays en février 2004, et il entretenait une étroite collaboration avec l'agent spécialement chargé de l'immigration à l'ambassade de Norvège à Nairobi.
9.2 Depuis la lettre de l'État partie du 31 mars 1999, la Commission de recours en matière d'immigration avait procédé, de sa propre initiative, à un nouvel examen de l'affaire dont était saisi le Comité et, le 12 mars 2004, elle avait confirmé la décision de rejet de la demande d'asile du requérant. La Commission avait fondé sa décision sur sa conclusion selon laquelle il n'existait pas de motif sérieux de croire que, lors de son retour en Éthiopie, le requérant courrait un risque personnel d'être soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements. L'État partie a estimé, par conséquent, que le renvoi du requérant en Éthiopie ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
9.3 L'un des éléments susceptibles de contribuer à exposer le requérant personnellement au risque d'être soumis à la torture à son retour en Éthiopie était le degré de son engagement politique au début des années 90 dans ce pays. Selon l'État partie, les informations que celui-ci lui avait fournies à ce sujet manquaient de crédibilité; en effet, son récit contenait un grand nombre de contradictions et ses explications avaient changé au cours de l'examen de l'affaire. D'après les renseignements donnés lors de l'entretien réalisé les 19 et 20 octobre 1996 dans le cadre de la demande d'asile, il aurait été arrêté le 20 février 1992 ou 1993 (calendrier grégorien), et emprisonné pendant un an et sept mois, après quoi il avait affirmé s'être rendu directement en Norvège. Toutefois, ce n'était qu'en octobre 1996 que le requérant était arrivé en Norvège; l'État partie en a conclu que le fait que le requérant soit demeuré volontairement et en sécurité en Éthiopie pendant les deux ans qui avaient suivi son emprisonnement était incompatible avec sa crainte d'être persécuté.
9.4 L'État partie a précisé en outre qu'une enquête effectuée par l'ambassade de Norvège en Éthiopie auprès d'un ancien dirigeant de la Coalition démocratique du peuple éthiopien du Sud (SEPDC), avait révélé que ce dernier n'avait entendu parler ni du requérant lui-même ni de deux des trois dirigeants de l'Organisation politique du peuple du Sud (SPPO) pour lesquels le requérant prétendait avoir travaillé. Après avoir pris connaissance des déclarations de cet ancien dirigeant, le requérant avait modifié sa version des faits et confirmé qu'il avait en réalité été membre du SEPDC avec lequel il avait collaboré, et que la confusion était due à une erreur de traduction. L'État partie a fait valoir que la confusion entre un parti politique unique (le SPPO) et une coalition de 14 partis (la SEPDC) ne saurait être simplement attribuée à des erreurs de traduction.
9.5 L'État partie a considéré que les allégations du requérant n'étaient pas crédibles du fait des contradictions fondamentales qui existaient entre sa version et celle de sa mère, qui a été interrogée par des agents de l'ambassade de Norvège en Éthiopie. Après avoir appris que sa mère avait indiqué aux autorités norvégiennes qu'il avait été antérieurement emprisonné en raison de son appartenance au Parti révolutionnaire du peuple éthiopien (PRPE), le requérant a prétendu qu'il avait été arrêté à plusieurs reprises, ce qu'il n'avait jamais mentionné auparavant. L'État partie a relevé d'autres contradictions entre sa version et celle de sa mère, notamment en ce qui concerne l'identité de ses frères et sœurs et les lieux où il avait résidé à différents moments de sa vie, qui compromettaient davantage la crédibilité du requérant.
9.6 L'État partie a fait observer que, lors de l'entretien dans le cadre de la demande d'asile, le requérant avait indiqué qu'il n'avait jamais été victime d'aucun type de torture physique, mais qu'il avait fait l'objet de menaces qui confinaient à une torture psychologique. Toutefois, deux années plus tard, lorsqu'il a demandé l'annulation de la décision du Ministère de la justice rejetant sa demande d'asile, il avait soutenu avoir été torturé et précisé qu'il avait reçu des coups de matraque sur la tête. L'État partie a estimé que la révélation tardive d'un élément de fait aussi important ne pouvait qu'entamer encore la crédibilité des allégations du requérant. Il a affirmé en outre que sa convulsion épileptique n'était pas due, contrairement aux arguments avancés par le requérant, aux actes de torture dont il aurait été victime mais, plus vraisemblablement, à une infection due à un ver solitaire. L'État partie a enfin fait valoir que les contradictions et les incohérences dans le récit du requérant ne sauraient raisonnablement être attribuées, comme celui-ci le prétendait, à des troubles post-traumatiques, dans la mesure où ces troubles avaient été allégués tardivement et n'étaient étayés que par la déclaration d'une infirmière, qui se fondait uniquement sur le propre récit du requérant.
9.7 L'État partie ne considérait pas la lettre de soutien émanant de la section du PRPE en Norvège, qui attestait que le requérant avait été emprisonné et victime de persécutions politiques en Éthiopie, comme un élément de preuve suffisant pour établir que le requérant avait été politiquement actif dans son pays ou qu'il était considéré avec méfiance par les autorités. L'État partie, qui avait pu constater que les organisations d'exilés avaient tendance à délivrer automatiquement des «attestations» à des compatriotes qui en sollicitaient, était d'avis que la section du PRPE en Norvège n'avait qu'une connaissance fragmentaire de l'affaire du requérant.
9.8 De l'avis de l'État partie, même si l'on pouvait rarement s'attendre à ce que les récits de victimes éventuelles d'actes de torture soient tout à fait exacts, la crédibilité des affirmations du requérant était néanmoins largement compromise par les contradictions et incohérences évidentes mentionnées plus haut. Qui plus est, même si son récit des persécutions politiques dont il avait dit avoir été victime par le passé était vrai, rien ne permettait d'affirmer, compte tenu de la situation actuelle en Éthiopie, qu'il présenterait encore un intérêt particulier pour les autorités éthiopiennes. L'État partie concluait par conséquent qu'il avait correctement évalué les informations et éléments disponibles, et que cette évaluation confirmait qu'il n'y a pas de motif sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque réel d'être soumis à la torture ou à d'autres mauvais traitements s'il était renvoyé en Éthiopie.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
10.1 Dans une lettre du 5 novembre 2004, le requérant a fait observer que le rejet par l'État partie de l'affirmation selon laquelle il courrait un risque d'être torturé s'il était renvoyé en Éthiopie se fondait sur de prétendues incohérences dans son récit. Il a renvoyé à la jurisprudence du Comité, selon laquelle ni les incohérences dans le récit d'un requérant, sous réserve qu'elles ne fassent pas naître de doute quant à la véracité d'ensemble de la requête, (3) ni des communications tardives (4) ne constituaient automatiquement des obstacles pour prétendre à la protection prévue par l'article 3 de la Convention. Il a souligné que le Comité avait rejeté des arguments similaires avancés par l'État partie dans l'affaire Tala c. Suède, (5) et qu'il avait considéré, par exemple dans l'affaire Mutombo c. Suisse, (6) que «même s'il exist[ait] des doutes quant aux faits avancés par le requérant, [le Comité] [devait] s'assurer que sa sécurité n'[était] pas en danger». Il a fait en outre valoir que le risque de torture, pour invoquer la protection prévue à l'article 3, devait aller au-delà de la simple théorie ou de la suspicion, et que l'article 3, tel qu'il est rédigé, n'exigeait pas qu'il soit démontré qu'il existe de «fortes probabilités» que des actes de torture se produisent. Il a rappelé également que les arguments justifiant le risque d'être torturé auraient du être établis avant ou après le départ de la personne concernée, ou constituer une combinaison des deux. (7)
10.2 Le requérant a argué que son identité ainsi que son engagement politique et son emprisonnement du fait de ses activités politiques, tant sous l'ancien régime que sous le régime actuel, avaient été établis au-delà de tout doute raisonnable. Les informations fournies par sa mère avaient confirmé qu'il avait disparu depuis quatre ans environ, ce qui correspondait à la période de son dernier emprisonnement et de ses activités politiques clandestines. Ses activités politiques en Éthiopie et les persécutions dont il avait été victime de la part des autorités éthiopiennes avaient en outre été confirmées par les lettres de soutien établies par la section norvégienne du PRPE. Le requérant a présenté également une copie d'un mandat d'arrêt daté du 25 mars 1994, à l'époque où il travaillait pour la SEPDC, qui indiquait qu'il était recherché pour être interrogé. La participation constante du requérant aux activités de la section norvégienne du PRPE était également reconnue dans une lettre de soutien de cette organisation. Selon le requérant, son nom était apparu à plusieurs reprises à la une des médias norvégiens à ce sujet. (8) Tous ces faits ne sauraient être, selon lui, relégués au second plan par les prétendues incohérences de son récit.
10.3 En ce qui concerne les allégations relatives aux contradictions dans son récit et au fait qu'il aurait intentionnellement fourni de fausses informations, le requérant a rappelé qu'il avait initialement fait son récit dans des conditions défavorables. En effet, il venait d'arriver en Norvège, où il avait été placé en cellule de sécurité pendant quelques heures avant d'être interrogé, et souffrait de troubles post-traumatiques; en outre, ses incertitudes et ses craintes avaient été aggravées par le comportement du fonctionnaire chargé de l'interrogatoire et celui du traducteur qui l'aurait ridiculisé. En outre, le requérant s'était dit étonné que l'interrogatoire ait porté essentiellement sur ses antécédents familiaux et son départ d'Éthiopie (11 pages du procès-verbal), plutôt que sur les raisons essentielles, à ses yeux, pour lesquelles il avait demandé l'asile (1,5 page), c'est-à-dire notamment son engagement politique et sa crainte d'être renvoyé en Éthiopie.
10.4 Pour ce qui est des contradictions dans son passé familial et personnel, il a fait valoir qu'elles portaient sur des points mineurs, alors que les renseignements les plus importants qu'il avait donnés, par exemple les noms des membres de sa famille et leur lieu de résidence, étaient corrects.
10.5 En ce qui concerne le fait qu'il aurait été persécuté par le passé, il a affirmé qu'après le premier interrogatoire en vue d'obtenir l'asile il avait fourni des renseignements complémentaires mais qu'il n'avait pas, comme le prétendait l'État partie, fait un tout autre récit. En réalité, pendant l'interrogatoire, il n'avait donné que les renseignements qui lui paraissaient pertinents, puis il avait apporté des précisions lorsqu'il avait été informé par le Groupe de conseil de leur importance. L'affirmation de l'État partie selon laquelle le requérant avait dit au cours de l'interrogatoire qu'il avait été arrêté «une seule fois» était fausse.
10.6 Le requérant a confirmé qu'il avait indiqué, lors de l'entretien en vue d'obtenir l'asile, qu'il avait été «actif au sein de» la SEPDC, plutôt qu'un «membre» de cette organisation, dont il avait traduit librement en anglais l'appellation en en retenant les principaux concepts. L'hypothèse de l'État partie qui avance que l'ancien chef de la SEPDC connaissait tous les membres de la SEPDC était, de l'avis du requérant, réfutée par la volonté affichée de l'État partie de procéder à une enquête plus approfondie. Le fait que le requérant menait essentiellement des activités clandestines dans une organisation illégale était de nature à expliquer le fait que l'ancien chef de la SEPDC n'avait pas connaissance des activités du requérant, ainsi que son affirmation selon laquelle les militants n'étaient pas formellement enregistrés. Par ailleurs, l'État partie n'avait informé ni le Comité ni le requérant de l'éventualité de vérifier certaines informations, par exemple en contactant à nouveau l'ancien chef de la SEPDC ou en contrôlant la description détaillée de la prison de Kerchele à Addis-Abeba fournie par le requérant.
10.7 En ce qui concerne les actes de torture qu'il avait subis par le passé, le requérant a affirmé qu'il avait été frappé pendant son long emprisonnement dans les années 80, mais qu'il n'avait pas été victime de tortures physiques au cours de son dernier emprisonnement dans les années 90. Toutefois, il a dit qu'il avait subi des tortures psychologiques pendant sa détention, et qu'il était présent lorsque Abera, l'un de ses responsables politiques, avait été torturé par la police.
10.8 Le requérant a fait valoir qu'il courrait un risque sérieux d'être torturé s'il était renvoyé en Éthiopie. Les informations fournies par Human Rights Watch et par les rapports du Département d'État des États-Unis pour 2003 ne laissaient aucun doute sur le fait qu'il existait un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives en Éthiopie, pays d'où continuaient d'affluer des réfugiés. Le fait que le requérant ait été politiquement actif dans deux grands mouvements d'opposition et qu'il se soit évadé de prison huit ans auparavant, sous le régime actuel, ainsi que sa participation continue en tant que «membre actif» aux activités du PRPE en Norvège, (9) concouraient à l'exposer au risque d'être torturé s'il était renvoyé. L'Éthiopie n'ayant pas reconnu la compétence du Comité au titre de l'article 22 de la Convention, le requérant n'aurait pas la possibilité de saisir le Comité s'il était torturé après son retour.
Observations complémentaires des parties
11.1 Le 6 avril 2005, l'État partie a présenté des observations complémentaires concernant la décision de la Commission de recours en matière d'immigration du 12 mars 2004. Il indique que c'est de sa propre initiative qu'elle a décidé d'examiner l'affaire du requérant, sans que celui-ci ne présente aucune demande officielle. S'il est vrai que c'est la décision de recevabilité du Comité, en date du 14 novembre 2003, qui a motivé l'examen, la Commission n'était cependant pas tenue de le faire. L'État partie souligne que la décision définitive du 29 décembre 1997 a été examinée quatre fois au total par les autorités norvégiennes, lesquelles ont chaque fois considéré qu'il n'y avait pas de motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque réel et actuel d'être torturé s'il était renvoyé en Éthiopie.
11.2 Par une lettre datée du 22 avril 2005, le requérant a répondu aux observations complémentaires de l'État partie, critiquant la procédure suivie par la Commission de recours en matière d'immigration en ce qui concerne sa dernière décision, en date du 12 mars 2004. Il veut bien admettre que la décision a été prise «à l'issue de longues délibérations sur les faits de la cause» mais affirme que, son conseil ayant changé, il n'a pas reçu cette décision.
Décision concernant une demande relative à la procédure
12.1 Le 10 novembre 2004, le requérant a demandé au Comité de lui permettre, en application du paragraphe 4 de l'article 111 de son règlement intérieur, de se présenter devant lui pour faire oralement ses déclarations. Il faisait valoir qu'il n'avait pas eu la possibilité de présenter lui-même son dossier devant les organes de décision norvégiens et qu'il n'avait pas comparu devant les tribunaux. Étant donné que l'une des principales raisons pour lesquelles sa demande avait été rejetée tenait à l'appréciation de sa crédibilité, ce qui pouvait être vérifié aisément avec un témoignage donné oralement, il faisait valoir qu'en présentant lui-même son dossier au Comité celui-ci pourrait se faire une idée de sa crédibilité.
12.2 Le 26 novembre 2004, à sa trente-troisième session, le Comité a rejeté la demande formulée par le requérant en vertu du paragraphe 4 de l'article 111 du règlement intérieur.
Examen au fond
13.1 Le Comité doit déterminer si en renvoyant le requérant vers l'Éthiopie l'État partie manquerait à l'obligation qui lui est faite en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. Il doit donc déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en Éthiopie. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, comme il est indiqué au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, y compris les actes antérieurs de torture ou l'existence d'un ensemble systématique de violations des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que cet examen a pour but de déterminer si l'intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.
13.2 Le Comité a pris note des longues périodes d'incarcération subies par le requérant dans les années 80 et 90 et du fait qu'il aurait été frappé et soumis à de mauvais traitements et des tortures psychologiques en Éthiopie par le passé du fait de ses activités politiques. Il prend acte de l'intérêt porté par les autorités éthiopiennes au requérant, apparemment démontré par un mandat d'arrêt datant de 1994. Enfin, il a tenu compte de l'affirmation du requérant selon laquelle il a participé aux activités de la section norvégienne du PRPE. Cependant, de l'avis du Comité, le requérant n'a pas apporté d'éléments de preuve suffisants pour confirmer que ses activités politiques étaient d'une importance telle qu'elles présentaient encore aujourd'hui un intérêt pour les autorités éthiopiennes, et n'a pas apporté d'autres preuves tangibles pour démontrer qu'il continuait de courir personnellement un risque d'être torturé s'il retournait en Éthiopie.
13.3 Le Comité estime donc que, eu égard aux années qui se sont écoulées depuis les événements décrits par le requérant, s'ajoutant à la nature et à l'ampleur des incohérences dans son récit, les éléments d'information présentés par le requérant, notamment son activité politique mineure en Éthiopie et en Norvège, sont insuffisants pour étayer l'allégation selon laquelle il court un risque sérieux d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Éthiopie aujourd'hui.
14. Compte tenu de ce qui précède, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l'État partie de renvoyer le requérant en Éthiopie ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
_____________________________
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport du Comité à l'Assemblée générale.]
2. Le requérant cite les affaires suivantes: Campbell c. Jamaïque (no 248/1987), constatations adoptées le 30 mars 1992; Little c. Jamaïque (no 283/1988), constatations adoptées le 24 juillet 1989; Ellis c. Jamaïque (no 276/1988), constatations adoptées le 28 juillet 1992; Wright c. Jamaïque (no 349/1989), constatations adoptées le 27 juillet 1992; Currie c. Jamaïque (no 377/1989), constatations adoptées le 29 mars 1994; Hylton c. Jamaïque (no 600/1994), constatations adoptées le 16 août 1996; Gallimore c. Jamaïque (no 680/1996), constatations adoptées le 23 juillet 1999; et Smart c. Trinité-et-Tobago (no 672/1995), constatations adoptées le 29 juillet 1998.
3. Kisoki c. Suède (communication no 41/1996), constatations adoptées le 8 mai 1996; Alan c. Suisse (communication no 21/1995), constatations adoptées le 8 mai 1996; et I. A. O. c. Suède (communication no 65/1997), constatations adoptées le 6 mai 1998.
4. Khan c. Canada (communication no 15/1994), constatations adoptées le 15 novembre 1994; et Tala c. Suède (communication no 43/1996), constatations adoptées le 15 novembre 1996.
6. Communication no 13/1993, constatations adoptées le 27 avril 1994, par. 9.2.
7. Le requérant fait ici référence à l'affaire Aemei c. Suisse (communication no 34/1995), constatations adoptées le 9 mai 1997.
8. Le requérant ne donne pas plus de détails sur les sources ni sur la teneur des articles de journaux.
9. Le requérant ne donne pas de précision sur la nature de ses activités politiques en Norvège.