Convention Abbreviation: CAT
Trente-cinquième session
7 - 25 novembre 2005
Décision du Comité contre la Torture en vertu de l'article 22
de la Convention contre la Torture et Autres Peines
ou Traitements Cruels, Inhumains ou Dégradants
- Trente-cinquième session -
Communication No. 254/2004
Au nom de: Le requérant
État partie: Suisse
Date de la requête: 7 septembre 2004
Le Comité contre la torture, institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 15 novembre 2005,
Ayant achevé l'examen de la requête no 254/2004 présentée par Mr. S. S. H. au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
de la Convention
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie le 16 septembre 2004. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l'article 108 de son règlement intérieur, a décidé que des mesures provisoires de protection, qui avaient été sollicitées par le requérant, n'étaient pas justifiées dans les circonstances.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant était un fonctionnaire au Ministère pakistanais de la Culture, du Sport et du Tourisme depuis 1989. Il avait obtenu ce poste grâce aux relations que son père entretenait avec le Ministre, Mashahid Hussain Sayyed. Le gouvernement du Premier Ministre Nawaz Sharif a été destitué le 12 octobre 1999. Le nouveau gouvernement du Général Pervez Musharraf lança alors une enquête sur les activités de l'ancien Ministre, qui fut soupçonné de corruption et placé sous résidence surveillée. En décembre 1999, un collègue du requérant, Mr. Mirani, disparût. Par la suite, le requérant apprit par un ami qui travaillait à l'époque pour le National Accountability Bureau (NAB), que Mr. Mirani aurait été détenu et torturé par le NAB, et qu'avant de mourir en détention, il leur avait dit que le requérant était un proche du Ministre.
2.2 Par crainte de subir le même sort que son collègue, le requérant quitta le pays le 25 février 2000 en utilisant son passeport de fonctionnaire. Il l'a fait de manière illégale puisque le nouveau gouvernement avait introduit une loi exigeant que tous les fonctionnaires obtiennent des services secrets une autorisation officielle, le « certificat de non-objection », pour toute sortie du territoire. Le requérant avait obtenu une autorisation de sortie du territoire de ses supérieurs mais non celle, requise, des services secrets. Après qu'il eût quitté le pays, des hommes sont venus demander à plusieurs reprises au père du requérant où celui-ci se trouvait. Sa mère pensait que les autorités voulaient arrêter leur fils. (1)
2.3 Le requérant est arrivé en Europe le 21 mai 2000 et a déposé une demande d'asile en Suisse le 22 mai 2000. Par décision du 20 juin 2002, cette demande a été rejetée par l'Office fédéral des réfugiés (ODR), qui a ordonné son expulsion du territoire suisse. Le 7 avril 2004, la Commission de recours en matière d'asile (CRA) a rejeté l'appel du requérant. Elle a considéré que le requérant n'avait plus de craintes de persécution politique puisque le Ministre dont il avait été proche n'était désormais plus en maison d'arrêt. Elle a donc confirmé la décision de l'ODR ordonnant son expulsion. Par lettre en date du 16 avril 2004, l'ODR a fixé au 11 juin 2004 la date à laquelle il devait quitter la Suisse. Le 14 juin 2004, le requérant a déposé auprès de la CRA une demande de révision avec effet suspensif. Cette demande a été rejetée le 23 juin 2004. Le 15 juillet 2004, le requérant a sollicité une prolongation du délai de départ sur le motif qu'il devait donner un préavis de deux mois pour quitter son travail. Le 30 juillet 2004, l'ODR a constaté que ce motif n'était pas de nature à justifier un report. Le requérant n'est plus autorisé à séjourner en Suisse et peut être, à tout moment, expulsé au Pakistan.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant affirme qu'il y a des raisons sérieuses de croire qu'il serait soumis à la torture s'il était renvoyé au Pakistan et que son expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suisse de l'article 3 de la Convention.
3.2 Il craint d'être soumis à la torture du fait qu'il était un proche collaborateur de l'ancien Ministre, Mr. Mushahid Hussain Sayyed. En outre, il craint que les autorités n'entament des procédures contre lui du fait qu'il avait quitté le pays illégalement puisqu'il n'avait pas obtenu l'autorisation requise, le « certificat de non-objection », des services secrets. Il risquerait jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Il risquerait également jusqu'à sept ans d'emprisonnement pour avoir utilisé son passeport de fonctionnaire.
3.3 Le requérant affirme que ses craintes personnelles d'être torturé ont été étayées tout au long de la procédure d'examen de sa demande d'asile. Il fait également valoir que l'ODR n'a émis à aucun moment des doutes sur les renseignements qu'il avait fournis au sujet ce qui lui était arrivé au Pakistan.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête
4.1 Par note verbale du 1er novembre 2004, l'État partie déclare ne pas contester la recevabilité de la requête, et le 9 mars 2005, formule des observations sur son bien-fondé. Il rappelle, en premier lieu, les motifs pour lesquels, suite à un examen approfondi des allégations du requérant, la CRA, à l'instar de l'ODR, n'a pas été convaincue que le requérant risquait sérieusement d'être persécuté s'il était renvoyé au Pakistan.
4.2 L'État partie rappelle que la CRA, dans sa décision du 7 avril 2004, a noté que le requérant n'avait apparemment pas rencontré le moindre problème en quittant le Pakistan par l'aéroport de Karachi avec son passeport de fonctionnaire de l'administration. Selon la CRA, ceci indiquait qu'au moment de son départ, le requérant n'encourait pas de risque d'être soumis à des mauvais traitements. Elle a ensuite examiné si un tel risque s'était concrétisé dans l'intervalle et a conclu que tel n'était pas le cas puisque l'assignation à résidence surveillée de l'ancien Ministre avait été levée en décembre 2000.
4.3 Selon la CRA, d'autres éléments mettent en doute l'affirmation selon laquelle le requérant risque des mauvais traitements en cas de retour au Pakistan. En effet, elle estime qu'en raison des liens familiaux qui unissent les personne citées par le requérant devant la CRA, le degré de preuve de leurs déclarations n'est pas très élevé. Le requérant n'a d'ailleurs jamais fait valoir qu'il avait été actif politiquement.
4.4 Saisie d'une demande de révision dans laquelle le requérant a invoqué qu'il risquait d'être poursuivi pénalement en raison de son émigration illégale ainsi que du fait qu'il a indûment utilisé son passeport de fonctionnaire, la CRA a de nouveau, par décision du 23 juin 2004, rejeté la demande, estimant que ce risque était déjà connu du requérant au moment de la procédure ordinaire et que les nouveaux documents produits auraient pu l'être au cours de cette procédure.
4.5 L'État partie examine, en second lieu, le bien-fondé des décisions de la CRA à la lumière de l'article 3 de la Convention et de la jurisprudence du Comité. Il note que le requérant se borne à rappeler au Comité les motifs invoqués devant les autorités nationales et n'apporte aucun élément nouveau permettant de remettre en question les décisions de la CRA des 7 avril et 23 juin 2004.
4.6 Ayant rappelé la jurisprudence du Comité et son Observation générale no 1 relative à l'application de l'article 3, l'État partie fait entièrement siens les motifs retenus par la CRA à l'appui de ses décisions rejetant la demande d'asile du requérant et confirmant son renvoi. Il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant pour conclure qu'un individu risquerait d'être victime de la torture à son retour dans son pays, et que des motifs supplémentaires doivent, par conséquent, exister pour que le risque de torture soit qualifié, aux fins du paragraphe 1 de l'article 3, de « prévisible, réel et personnel ». (2) L'État partie note que les cas concrets de torture au Pakistan évoqués par le requérant concernaient des activistes politiques ; or, le requérant lui-même n'a jamais été actif politiquement.
4.7 En qui concerne le risque de torture encouru en raison des liens du requérant avec son ancien employeur, l'État partie note que les fonctionnaires qui n'exerçaient pas une fonction particulièrement exposée au sein de l'ancien gouvernement ne risquent pas de subir des mesures de représailles de l'armée pakistanaise. En tant que sténotypiste, le requérant n'exerçait pas une fonction exposée. De toute façon, si cela avait été le cas, l'État partie estime que le requérant aurait été certainement arrêté immédiatement après le coup d'État d'octobre 1999 et placé sous résidence surveillée. En outre, le nom du requérant ne figurait pas sur ladite « Exit Control List » dressée par l'armée pakistanaise et qui équivalait de fait à une interdiction de quitter le pays pour les personnes inscrites sur cette liste. Finalement, l'État partie fait valoir que l'assignation à résidence surveillée de l'ancien Ministre a été levée après quatorze mois. L'ancien Ministre ne semble pas avoir subi de mauvais traitements et est désormais en bons termes avec le présent gouvernement.
4.8 Sous l'angle de l'article 3 de la Convention, l'État partie précise que, selon la jurisprudence constante du Comité, cette disposition n'offre aucune protection au requérant qui allègue simplement craindre d'être arrêté à son retour dans son pays. (3) Cette conclusion s'impose a fortiori pour un simple risque d'arrestation. (4) L'État partie estime que le requérant n'a pas démontré qu'il risquait d'être soumis à la torture en cas d'arrestation. En cas de procédure pénale ouverte contre le requérant, il pourrait, de toute manière, être représenté par un avocat et probablement bénéficier du soutien de l'ancien Ministre.
4.9 En dernier lieu, l'État partie explique que le requérant n'a jamais fait valoir avoir subi des mauvais traitements dans le passé, ni avoir été actif politiquement au Pakistan ou hors de son État d'origine.
4.10 L'État partie conclut que les déclarations du requérant ne permettent pas de conclure qu'il existe des motifs sérieux de penser, conformément au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, qu'il serait exposé à la torture en cas de renvoi au Pakistan.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
5.1 Par une lettre du 26 mai 2005, le requérant a fourni ses commentaires relatifs aux observations de l'État partie.
5.2 En ce qui concerne son rôle au sein du Ministère, il explique qu'il avait bien le titre de « sténotypiste », mais que cette position au Pakistan correspond à la fonction de secrétaire personnel du Ministre. Dans cette fonction, il était au courant de toutes les communications, directives et ordres donnés par l'ancien Ministre que ce soit au bureau ou à sa résidence. Il demeure donc une source d'information principale dans toute enquête sur les activités de Mr. Sayyed.
5.3 Quant à son manque d'engagement politique, le requérant souligne qu'il craignait des persécutions politiques en raison de sa connaissance des dossiers du l'ancien Ministre. Bien que Mr. Sayyed soit désormais libre de faire à nouveau de la politique, le requérant affirme que dès qu'il s'opposera au gouvernement actuel, les anciens chefs d'accusation de corruption resurgiront. Dans cette éventualité, le requérant serait forcé de donner les informations nécessaires au National Accountability Bureau (NAB).
5.4 En ce qui concerne sa crainte d'être arrêté et inculpé en cas de renvoi au Pakistan en raison du fait qu'il a quitté illégalement le pays, le requérant fait valoir qu'une fois arrêté, la police pakistanaise lui présenterait une longue liste de chefs d'accusation à cause de son ancien rôle au sein du Ministère. Le requérant estime qu'il ne recevrait aucun soutien de la part de Mr. Sayyed.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si la communication est recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Dans le cas d'espèce, le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité. Il estime donc que la communication est recevable, et procède à l'examen quant au fond de l'affaire.
6.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi du requérant vers le Pakistan violerait l'obligation de l'État partie, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
6.3 Le Comité doit déterminer, en application du paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé au Pakistan. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4 Le Comité rappelle son Observation générale sur l'application de l'article 3, selon laquelle «l'existence d'un tel risque [de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable.» (A/53/44, annexe IX, par. 6).
6.5 Dans le cas d'espèce, le Comité note que l'information selon laquelle l'ancien collègue du requérant, Mr Mirani, aurait donné le nom du requérant au NAB sous la torture ne signifie en aucun cas que le requérant risque d'être à son tour arrêté et torturé. Le requérant avance seulement que des hommes non identifiés auraient cherché plusieurs fois à savoir où il se trouvait. Il semble, de toute façon, que ces hommes auraient abandonné leurs investigations vers juillet 2001. Par conséquent, le Comité considère que rien n'indique que le requérant est actuellement recherché par les autorités pakistanaises.
6.6 En outre, le Comité note que le requérant, en tant que « sténotypiste », n'exerçait pas une fonction exposée au sein de l'ancien gouvernement. D'ailleurs, son nom ne figurait pas sur l'Exit Control List dressée par l'armée pakistanaise, et le requérant admet lui-même n'avoir jamais été un opposant politique actif. Le Comité ne peut donc conclure que le requérant serait exposé à un risque particulier d'être torturé en raison de ses anciennes fonctions au sein du Ministère.
6.7 Le Comité relève également que l'assignation à résidence surveillée de l'ancien Ministre a été levée après quatorze mois et qu'il n'a plus été inquiété par les autorités pakistanaises depuis. Le Comité juge donc improbable que le requérant soit soumis à des mauvais traitements à son retour au Pakistan.
6.8 En ce qui concerne le risque d'être arrêté et inculpé en raison du fait que le requérant a quitté illégalement le Pakistan et qu'il a indûment utilisé son passeport de fonctionnaire pour ce faire, le Comité rappelle que le seul risque d'être détenu et jugé ne suffit pas à conclure qu'il existe également un risque d'être soumis à la torture. (5) Or, le requérant n'a apporté aucune preuve qu'il risquerait d'être soumis à la torture en cas d'arrestation.
6.9 Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n'a pas démontré l'existence de motifs sérieux permettant de considérer que son renvoi au Pakistan l'exposerait à un risque réel, concret et personnel de torture, aux termes de l'article 3 de la Convention.
7 Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines cruels, inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant au Pakistan ne ferait apparaître aucune violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention.
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[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]
1. Ces hommes ne sont pas réapparus après juillet 2001.
2. Communications nos 94/1997 (K.N. c. Suisse), décision du 19 mai 1998, para. 10.5, et 100/1997 (J.U.A. c. Suisse), décision du 10 novembre 1998, para. 6.5.
3. Communication no 57/1996 (P.Q.L. c. Canada), décision du 17 novembre 1997, par.10.5.
4. Communication no 65/1997 (I.A.O. c. Suède), décision du 6 mai 1998, par.14.5.
5. Communication no 57/1996 (P.Q.L. c. Canada), décision du 17 novembre 1997, par.10.5.