A.K. c. Australie, Communication No. 148/1999, U.N. Doc. CAT/C/32/D/148/1999 (2004).
Présentée par : A. K.
Au nom de : A. K.
État partie : Australie
Date de la requête : 13 octobre 1999 (date de la lettre initiale)
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 5 mai 2004,
Ayant achevé l'examen de la requête no 148/1999 présentée par A. K. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Décision du Comité contre la torture au titre de l'article 22 de la Convention
1.1 Le requérant est A.
K., de nationalité soudanaise, actuellement détenu au Centre de rétention de
la Nouvelle-Galles du Sud. Il affirme que son renvoi au Soudan constituerait
une violation par l'Australie de l'article 3 de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Au début le
requérant était représenté par un conseil. (1)
1.2 Le 1er novembre 1999, le Comité a prié l'État partie, en application du
paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser
le requérant tant que sa requête serait examinée par le Comité. Le 20 janvier
2000, l'État partie a confirmé qu'il accéderait à cette demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant dit qu'il est Ansari et membre du parti Umma, l'un des deux
partis traditionalistes du nord du pays qui s'opposent au gouvernement actuel.
De 1990 à 1995, le requérant a fréquenté le département de Khartoum de l'Université
du Caire, où il a obtenu un diplôme de droit. Le parti Umma comptait environ
100 membres à l'Université du Caire et le requérant est devenu le chef de ce
groupe.
2.2 Le requérant affirme avoir organisé des rassemblements et des manifestations
contre le gouvernement en avril 1992. À la suite de l'un de ces rassemblements,
il a été arrêté par des membres des forces de sécurité. Il a été menacé, obligé
à s'engager par écrit à ne plus participer à des activités politiques, puis
libéré. À la suite de cet incident, les forces de sécurité l'ont gardé sous
surveillance.
2.3 Le requérant affirme que les étudiants de l'université étaient obligés de
s'enrôler dans les Forces populaires de défense (PDF), l'armée du parti au pouvoir,
à savoir le Front islamique national (NIF). Pour éviter la conscription, le
requérant est devenu agent de police et a travaillé de 1993 à 1995 au siège
de l'administration pénitentiaire de Khartoum, et quelquefois à la prison Kober.
2.4 En 1994, le gouvernement a envoyé les étudiants qu'il considérait comme
des fauteurs de troubles et des opposants au régime se battre dans le sud du
pays. Le 1er juin 1996, le requérant aurait reçu une convocation lui enjoignant
de se présenter aux Forces populaires de défense dans les 72 heures parce qu'il
avait été choisi pour «accomplir le jihad». Étant donné qu'il ne voulait pas
se battre contre son propre peuple ni nettoyer des champs de mines, il a décidé
de fuir le pays. Du fait de la convocation, il ne pouvait pas utiliser son passeport
et s'est donc servi du passeport de son frère aîné. Après son départ, les militaires
auraient perquisitionné son domicile.
2.5 Le 10 décembre 1997, le requérant est arrivé en Australie sans documents
de voyage valables et a été mis en détention en attendant qu'une décision définitive
soit prise au sujet de sa demande d'asile. Le 12 décembre 1997, il a déposé
une demande de visa de protection (statut de réfugié) auprès du Ministère de
l'immigration et des affaires multiculturelles (DIMA). À l'appui de sa demande,
il a fourni notamment les documents suivants: une lettre émanant du parti Umma
confirmant son appartenance à cette formation, une lettre adressée par le commandant
des Forces populaires au directeur de l'administration pénitentiaire pour lui
demander de libérer le requérant afin qu'il puisse se présenter en personne
aux Forces populaires de défense et une déclaration d'un membre de la communauté
soudanaise en Australie qui indiquait n'avoir aucun doute quant au fait que
le requérant était un ressortissant soudanais et appartenait à une famille connue
pour soutenir le groupe Ansar, qui est favorable au parti Umma.
2.6 Le 5 janvier 1998, un représentant du Ministère de l'immigration et des
affaires multiculturelles a rejeté la demande de visa de protection déposée
par le requérant, au motif qu'il n'était pas ressortissant soudanais et que
ses allégations n'étaient pas crédibles. Le 5 février 1998, le requérant a déposé
un recours administratif auprès de la Commission de contrôle des décisions concernant
les réfugiés (Refugee Review Tribunal) contre la décision du représentant du
Ministère de l'immigration et des affaires multiculturelles. Le 7 juillet 1998,
la Commission de contrôle a débouté le requérant de sa demande. Le requérant
a déposé une demande de recours judiciaire auprès du Tribunal fédéral. Le 25
août 1998, le Tribunal a renvoyé la demande à la Commission de contrôle aux
fins de réexamen.
2.7 Le 25 novembre 1998 la nouvelle Commission de contrôle, qui venait d'être
constituée, a débouté le requérant de sa demande. La décision a fait l'objet
d'un recours auprès du Tribunal fédéral, devant lequel le requérant n'était
pas représenté par un conseil. Au cours de l'audience, le requérant a dit que
l'interprète qui l'avait assisté lors de l'audience devant la Commission de
contrôle n'était pas compétent et qu'il avait été mal compris. L'audience a
été ajournée pour que le requérant puisse bénéficier d'une représentation juridique.
Le 9 août 1999, le Tribunal fédéral a débouté le requérant. Plusieurs demandes
d'intervention déposées par la suite auprès de ministres ont été rejetées.
2.8 Le requérant décrit l'histoire politique récente du Soudan et affirme que
des violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes et massives
sont commises dans ce pays. Il mentionne notamment l'adoption par la Commission
des droits de l'homme, en avril 1997, d'une résolution selon laquelle les violations
des droits de l'homme au Soudan comportent notamment des «exécutions extrajudiciaires,
[d]es arrestations arbitraires, [d]es détentions sans garantie d'une procédure
régulière, [d]es disparitions forcées ou involontaires, [d]es atteintes aux
droits des femmes et des enfants, l'esclavage et [d]es pratiques analogues à
l'esclavage, [d]es déplacements forcés et la pratique systématique de la torture,
ainsi que le déni de la liberté de religion, d'expression, d'association et
de réunion pacifique».
2.9 En janvier 1998, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l'homme
au Soudan a fait savoir que les autorités du pays, les forces de sécurité et
les milices étaient responsables d'un grand nombre d'atteintes aux droits de
l'homme. En avril 1998, la Commission des droits de l'homme a de nouveau exprimé
sa vive préoccupation face aux violations graves et persistantes des droits
de l'homme. Pour la quatrième année consécutive, la Commission a recommandé
que des observateurs des droits de l'homme chargés de surveiller la situation
soient déployés sur le terrain.
2.10 Le requérant affirme que, même si l'essentiel des persécutions religieuses
touche les non-musulmans, le caractère fondamentaliste du régime actuel est
tel que de nombreux musulmans, parmi lesquels les soufis, ne sont pas libres
de pratiquer leur propre conception de l'islam sous le régime du Front islamique
national. Les Ansar (qui comptent un grand nombre de soufis) sont soumis à une
surveillance du gouvernement et ont vu leurs mosquées confisquées. De plus,
les groupes musulmans qui critiquent le gouvernement continuent d'être victimes
de harcèlement Le requérant renvoie au rapport annuel d'Amnesty de 1999, dans
lequel il est indiqué que parmi les personnes détenues en 1997 figuraient cinq
imams qui auraient émis des doutes quant à la légitimité religieuse de Hassan
al-Turabi, Secrétaire général du Congrès national et mentor idéologique du gouvernement..
(2) Sur le plan politique, le requérant affirme que les opinions islamistes
dissidentes, dont celles professées par des partis musulmans centristes, tels
que le parti Umma, ne sont pas tolérées.
2.11 Selon le requérant, il est établi que les déserteurs risquent la torture
et leur vie. Amnesty International a fait savoir en avril 1998 qu'un «très grand
nombre d'étudiants appelés sous les drapeaux sont morts alors que des centaines
de jeunes gens cherchaient à s'évader d'un camp d'entraînement militaire situé
à al-Ayfun, près de Khartoum. Les autorités ont fait savoir que plus de 50 déserteurs
s'étaient noyés en tentant de traverser le Nil Bleu. Toutefois, selon d'autres
informations, plus d'une centaine ont été tués, dont beaucoup par balle. D'autres
ont été battus à mort». Le requérant affirme également que le HCR comme Amnesty
International ont fourni des informations sur les centres de détention au Soudan
et sur le risque que l'on y court de subir des mauvais traitements et des tortures,
en particulier au cours des interrogatoires menés dans les locaux de la sécurité.
(3) Selon le requérant, un soufi, membre du parti Umma, qui aurait échoué à
obtenir l'asile et aurait passé beaucoup de temps en Occident, et qui serait
diplômé en droit, serait confronté à des difficultés considérables à son retour
au Soudan, qu'il ait ou non accompli son service militaire.
Teneur de la plainte
3. A. K. affirme que son retour forcé au Soudan constituerait une atteinte à
ses droits en vertu de l'article 3 de la Convention, étant donné qu'il y a des
motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis à la torture. Pour étayer
cette affirmation, il fait valoir que sa religion, ses activités politiques
antérieures et le fait qu'il soit déserteur lui font courir un risque réel et
personnel d'être victime de torture. Le fait qu'il a fui le pays pour éviter
la conscription le met en danger d'être exécuté à son retour. Enfin, il affirme
que, s'il était renvoyé au Soudan, il serait obligé de s'enrôler dans les Forces
populaires de défense et de prendre part contre son gré à la guerre civile.
Observations de l'État partie
4.1 Dans une lettre datée du 7 novembre 2000, l'État partie conteste
tous les aspects de la plainte quant à la recevabilité et au fond. S'agissant
de la recevabilité, l'État partie fait valoir que le requérant n'a pas étayé
ses affirmations, a mal interprété la portée de l'obligation de l'État partie
au titre de l'article 3 et n'a pas établi qu'il courait un risque réel et personnel
d'être soumis à la torture.
4.2 L'État partie invite le Comité à déclarer qu'il acceptera les résultats
de l'examen des faits par les instances nationales compétentes aux fins de l'évaluation
des risques au titre de l'article 3, sauf à constater qu'il existe une preuve
évidente d'arbitraire, d'injustice ou de violation de l'indépendance ou de l'impartialité
des magistrats. Il fait valoir que l'interprétation et l'application des lois
nationales relèvent essentiellement des tribunaux nationaux et que, d'une manière
générale, il n'appartient pas au Comité de les examiner. Il affirme en outre
que la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés est indépendante
et est dotée d'une certaine expérience pour ce qui est d'examiner les demandes
déposées par des citoyens soudanais, étant donné qu'elle a été saisie de 21
demandes de ce type en 1997 et 1998. Sur ce total, la Commission de contrôle
s'est prononcée sur 8 demandes et a cassé la décision des autorités compétentes
en matière d'immigration de refuser un visa de protection dans la majorité des
cas [5], mais a confirmé ladite décision dans 3 cas. Dans le cas présent, le
requérant a bénéficié de deux audiences séparées devant la Commission de contrôle.
Son représentant légal était présent et le requérant était assisté d'un interprète
professionnel lors des deux audiences. L'État partie note que le requérant n'a
fourni au Comité aucune information sur son pays dont la Commission de contrôle
n'ait pas eu connaissance et qu'elle n'ait prise en considération.
4.3 L'État partie fait valoir que les preuves présentées à l'appui de l'allégation
de torture manquent de crédibilité et que la plainte ne paraît donc pas justifiée.
Lors de son interrogatoire par la Commission de contrôle des décisions concernant
les réfugiés, le requérant a fait des déclarations contradictoires sur trois
points importants. Premièrement, il a changé de manière significative ses déclarations
au sujet de ses expériences précédentes avec les autorités soudanaises. À son
arrivée à l'aéroport de Sydney, lorsqu'il lui a été demandé s'il avait été menacé
de violences physiques par les autorités soudanaises, il a répondu par l'affirmative.
Toutefois, lorsque la question «Sous quelle forme?» lui a été posée, il est
revenu sur ses dires et a répondu «Non, je n'ai pas été menacé». Il s'est ensuite
montré peu disposé à coopérer avec l'interprète.
4.4 Lorsqu'il a été interrogé par le Ministère de l'immigration et des affaires
multiculturelles, le requérant a affirmé avoir dit à l'interprète de l'aéroport
qu'on l'avait menacé «de lui couper les ongles et de le frapper à la poitrine
- et de le brûler ... et de lui arracher les ongles, mais qu'il n'avait pas
été torturé. Il a également affirmé avoir été menacé de ces formes de torture
dans la déclaration qu'il a établie avec l'aide de son représentant légal à
l'appui de sa demande de visa de protection, entre l'interrogatoire de l'aéroport
et celui du Ministère de l'immigration et des affaires multiculturelles. Selon
l'Etat partie, l'explication avancée par le requérant, selon laquelle l'interprétation
ou la transcription de son interrogatoire à l'aéroport n'était pas de bonne
qualité, n'est pas convaincante.
4.5 Deuxièmement, le requérant a fait des déclarations contradictoires au sujet
de l'acquisition du passeport qu'il a utilisé pour pénétrer en Australie et
sur les passeports qu'il a utilisés d'une manière générale. Le requérant n'a
cessé de faire des déclarations incohérentes à ce sujet tout au long de la procédure,
à tel point que le représentant du Ministère de l'immigration et des affaires
multiculturelles n'a pas pu établir son identité ni sa nationalité. L'État partie
décrit en détail les contradictions qui apparaissent dans les déclarations du
requérant, notamment une déclaration selon laquelle il a obtenu son passeport,
gratuitement, d'un homme qu'il ne connaissait pas, rencontré sur le marché;
une autre déclaration selon laquelle il a utilisé le passeport de son frère
pour quitter le Soudan et transiter par le Tchad, la Libye, Malte, la Malaisie
et Singapour, périple qui aurait duré deux ans; et une troisième déclaration
contradictoire selon laquelle il s'agissait d'un passeport officiel portant
de fausses informations.
4.6 Troisièmement, l'État partie invoque l'absence de crédibilité du requérant
au sujet de ses prétendues activités politiques et de l'intérêt que les autorités
soudanaises y porteraient. Les éléments avancés par le requérant au sujet du
rapport entre son engagement politique et son emploi ne sont pas plausibles,
sont contradictoires et sont devenus de plus en plus confus au fil du temps.
Lors de son interrogatoire par le Ministère de l'immigration et des affaires
multiculturelles, le requérant a indiqué que sa tâche principale consistait
à monter la garde devant la prison ou le bâtiment de l'administration pénitentiaire
et à s'assurer que personne n'y entre de façon illégale. Lors de la seconde
audition par la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés,
il a affirmé avoir transmis des lettres entre des prisonniers politiques et
leur famille, sans expliquer comment il était entré en contact avec des détenus
alors que son travail consistait à monter la garde devant l'entrée extérieure
des bâtiments. Il a également affirmé au cours de cette audience qu'il avait
pu s'acquitter de cette tâche avec succès parce que les détenus avaient «senti
instinctivement» qu'il poursuivait des objectifs politiques de même nature.
4.7 L'État partie fait valoir que le requérant n'a pas fourni de détails au
sujet des mauvais traitements qu'il aurait subis aux mains des autorités soudanaises
et qu'aucune source indépendante n'a corroboré cette affirmation. Une seule
fois, le requérant a fourni des détails quant à l'incident mentionné au paragraphe
4.4, au cours duquel il aurait subi des sévices. À supposer même que ces allégations
soient crédibles, de simples menaces de violences physiques proférées par les
autorités soudanaises, une arrestation et un interrogatoire, une perquisition
suivie d'une surveillance légère pendant une courte période ne constituent pas
un préjudice équivalant à une douleur ou des souffrances aiguës. Il n'existe
aucune preuve attestant que le requérant a réellement subi des atteintes physiques.
4.8 S'agissant du rassemblement évoqué, l'État partie fait valoir qu'il n'a
pas été en mesure de trouver la moindre information relative à l'organisation
d'un tel rassemblement en avril 1992. Étant donné qu'il s'agit de la seule manifestation
politique publique à laquelle le requérant prétend avoir participé, le fait
que ni son représentant ni l'État partie n'aient pu découvrir le moindre élément
concernant cet événement met sérieusement en doute la véracité de cette allégation.
Le requérant a tenté de minimiser l'importance de ce rassemblement lorsqu'il
lui a été demandé d'expliquer pourquoi il n'existait aucune information émanant
de sources indépendantes prouvant qu'il avait bien eu lieu.
4.9 Quant à l'élément de preuve avancé pour confirmer l'affirmation du requérant
selon laquelle il était politiquement actif au sein du parti Umma, à savoir
une télécopie émanant de la section londonienne dudit parti, il a été rejeté
par la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés en raison
de sa faible valeur probante. La télécopie ne comprend aucun élément prouvant
que le requérant est personnellement connu, et comporte simplement une indication
de son appartenance au parti et des déclarations d'ordre général au sujet des
persécutions dont les membres du parti sont victimes au Soudan. De même, une
lettre datée du 5 février 1998, adressée «à qui de droit» par la section australienne
de l'Alliance démocratique nationale (Soudan), manque d'éléments précis concernant
la situation et le passé du requérant. Cette lettre ne mentionne le requérant
qu'une seule fois, le décrivant comme un «militant politique engagé, opposant
[sic] au Gouvernement soudanais depuis le 30 juin 1989, date à laquelle le gouvernement
démocratique a été renversé». Comme l'a fait observer l'un des membres de la
Commission de contrôle dans l'exposé des motifs de sa décision, le requérant
n'avait jamais affirmé au Ministère de l'immigration et des affaires multiculturelles
ou à la Commission de contrôle qu'il était un militant politique depuis le coup
d'État. En fait, il a affirmé à la deuxième audience de la Commission de contrôle
qu'il n'avait joué un rôle actif qu'en 1992 et 1993.
4.10 L'État partie fait observer que les preuves données verbalement et par
écrit à la Commission de contrôle des décisions concernant les réfugiés par
une femme membre de la communauté soudanaise locale, que le requérant a rencontrée
pour la première fois à Sydney, ont une valeur probante tout aussi douteuse.
Cette personne a déclaré à la première audience de la Commission de contrôle
qu'elle n'avait pas connu le requérant au Soudan, mais qu'elle était allée à
l'école avec deux de ses cousins et qu'elle avait téléphoné à la section londonienne
du parti Umma pour avoir confirmation de l'appartenance du requérant au parti.
Quand bien même ses déclarations seraient exactes, l'État partie considère que
des informations de nature aussi générale que celles qu'elle a obtenues de la
section londonienne du parti Umma sont moins concluantes que l'absence complète
de preuves écrites qu'aurait pu produire le requérant lui-même concernant son
adhésion au parti Umma et son prétendu état de dissident politique. La déclaration
de cette personne, pour autant qu'elle soit acceptée, peut uniquement être invoquée
à l'appui de ce qu'affirme le requérant au sujet de son origine soudanaise.
4.11 En ce qui concerne la prétendue objection de conscience du requérant, l'État
partie fait valoir que les éléments présentés à la Commission de contrôle des
décisions concernant les réfugiés par le requérant au sujet du service militaire
obligatoire sont contradictoires et peu convaincants et qu'aucun élément de
source indépendante ne vient confirmer son objection de conscience à la guerre
civile. L'État partie énumère en détail les éléments présentés par le requérant
sur cette question à la première et à la deuxième audience de la Commission
de contrôle, qui sont contradictoires à de nombreux égards. Ainsi, un membre
de la deuxième Commission de contrôle n'a pas ajouté foi à l'affirmation du
requérant selon laquelle il avait été appelé sous les drapeaux, estimant que
la lettre qu'il avait fournie pour prouver qu'il avait été appelé sous les drapeaux
par les Forces populaires de défense n'était pas authentique. L'État partie
fait valoir que le requérant n'a fourni aucune preuve qu'il serait traité comme
un déserteur. À supposer même que le requérant soit objecteur de conscience
et qu'il soit obligé de participer à la guerre civile à la suite d'une conscription
non discriminatoire, une telle situation n'équivaudrait pas en tant que telle
à un acte de torture au sens de la Convention.
4.12 L'État partie fait valoir que même si l'on admet que le requérant s'est
soustrait à la conscription ou a déserté, il ne semble guère établi que cela
lui ferait courir le risque d'être soumis à la torture s'il était rapatrié au
Soudan. Depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution soudanaise en
1998, la torture et les exécutions capitales sont illégales, en toutes circonstances,
y compris en cas de désertion. Après avoir évalué soigneusement les informations
disponibles, l'État partie estime que le requérant ne risque ni d'être torturé
ni d'être exécuté pour s'être soustrait au service militaire. En admettant même
que le requérant risque une sanction pour sa prétendue «désertion», les informations
disponibles semblent indiquer qu'il serait considéré comme insoumis plutôt que
comme déserteur et qu'il serait passible, à ce titre, d'une peine d'emprisonnement
de trois ans au maximum.
4.13 L'État partie admet que le Soudan ne présente pas un bilan positif en matière
de droits de l'homme et que le gouvernement aussi bien que les forces non gouvernementales
continuent à commettre des violations des droits de l'homme. Il note les conclusions
de la Commission des droits de l'homme (4) selon lesquelles le fait que l'Autorité
intergouvernementale unifiée pour le développement ait échoué à pérenniser la
Déclaration de principes de 1994 dont étaient convenus le Gouvernement soudanais
et les factions en guerre a entraîné la poursuite du conflit dans le sud du
pays. Toutefois, il fait valoir que l'existence dans un pays d'un ensemble de
violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives
ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'une personne risquerait
d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs
spécifiques de penser que l'intéressé serait personnellement en danger d'être
soumis à la torture en cas d'expulsion. Ces éléments ne doivent pas se limiter
à de simples supputations ou soupçons. (5)
4.14 À supposer même que l'État partie admette que le requérant est Soudanais
et qu'il a été arrêté lors d'un rassemblement en avril 1992, il n'accepte pas
l'affirmation selon laquelle il appartient à un groupe particulièrement visé.
Le requérant n'a jamais exercé la profession d'avocat, n'est plus étudiant et
n'a plus exercé d'activité politique depuis avril 1992. De plus, il a quitté
le Soudan en 1996 et n'a rien fait depuis pour faire parler de lui dans son
pays. Le requérant ne correspond pas à la description «d'un militant ordinaire
ou d'un étudiant», ni à celle d'un jeune, d'un responsable estudiantin ou d'un
avocat susceptible d'être considéré comme un opposant politique et donc d'être
soumis à la torture par le gouvernement. (6) Selon un document mis à jour établi
par le HCR en 1997 à propos du Soudan, le parti Umma et un autre parti d'opposition,
à savoir le Parti unioniste démocratique, sont dépassés et la plupart des jeunes
ne leur accordent plus aucune attention. Aucune de ces sources n'étaye la crédibilité
des affirmations du requérant en ce qui concerne son appartenance au parti Umma
ou ses craintes d'être soumis à la torture. (7)
4.15 Enfin, selon un avis émanant du Ministère australien des affaires étrangères
et du commerce, «il n'est pas rare que des ressortissants soudanais restent
pendant de longues périodes à l'étranger, habituellement pour des raisons économiques».
(8) Selon les informations recueillies auprès d'autres pays sur la situation
au Soudan et sur le profil des demandeurs d'asile soudanais, si les membres
du parti Umma et les Ansari font parfois l'objet de persécutions au Soudan,
de nombreuses personnes affirment être membres de ce parti. En conséquence,
il est nécessaire de vérifier la véracité de ces déclarations et l'importance
de l'engagement personnel des demandeurs d'asile.
4.16 S'agissant de la question de savoir si le requérant risque d'être soumis
à la torture pour avoir demandé l'asile en Australie, l'État partie fait valoir
que cette éventualité ne semble guère établie. Selon les éléments avancés par
le requérant lui-même, son propre frère a été arrêté à son retour au Soudan
et interrogé sur l'endroit où il se trouvait et les activités qu'il avait menées
en dehors du Soudan, mais il a été relâché sain et sauf cinq jours plus tard.
Le représentant du Ministère de l'immigration et des affaires multiculturelles
au Caire a indiqué à l'État partie que des ressortissants soudanais, parmi lesquels
des personnes qui avaient obtenu le statut de réfugié en Australie, qui étaient
retournés au Soudan après l'avoir fui à la suite du coup d'État de 1989, n'avaient
pas été inquiétés par les autorités à leur retour au pays. L'État partie mentionne
également des renseignements émanant du Département australien des affaires
étrangères et du commerce extérieur en date d'avril 2000, selon lesquels le
parti Umma et le gouvernement soudanais tentaient d'aplanir leurs divergences.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le
Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en
vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est
tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention,
que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
5.2 Le Comité note que l'État partie n'a pas contesté que les recours internes
avaient été épuisés. L'État partie conteste la recevabilité de la plainte au
motif que le requérant n'a pas établi qu'il y avait à première vue violation
de l'article 3, mais le Comité est d'avis qu'il a reçu assez d'éléments pour
examiner la plainte quant au fond. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité,
le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen sur le
fond.
Examen au fond
6.1 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l'État
partie manquerait à l'obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1
de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers
un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis
à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments,
y compris l'existence dans l'État où le requérant serait renvoyé, d'un ensemble
systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme.
Il s'agit cependant de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être
soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence
d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir
que l'individu risque d'être soumis à la torture à son retour dans ce pays;
il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé
courrait personnellement un risque. À l'inverse, l'absence d'un ensemble de
violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas
qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à
la torture du fait de circonstances qui sont les siennes.
6.2 En évaluant le risque de torture dans le cas présent, le Comité relève les
incohérences importantes, mises en évidence par l'État partie, dans les éléments
avancés par le requérant tout au long de la procédure, qui ont en l'espèce été
examinés en détail à deux reprises par la Commission de contrôle des décisions
concernant les réfugiés. Il observe également que le requérant n'a pas donné
d'explication au sujet de ces incohérences et rappelle le paragraphe 8 de son
Observation générale no 1, en vertu duquel les questions liées à la crédibilité
du requérant et à la présence d'incohérences factuelles dans ce qu'il affirme
peuvent avoir une incidence sur les délibérations du Comité quant à la question
de savoir si le requérant risque d'être soumis à la torture s'il était renvoyé
dans son pays.
6.3 Concernant les allégations relatives à l'engagement politique du requérant
et aux mauvais traitements qu'il aurait subis dans le passé de la part des autorités
soudanaises, sur lesquelles seraient fondées ses craintes d'être soumis à la
torture à son retour dans son pays, le Comité relève que, même s'il ne tient
pas compte des incohérences susmentionnées et qu'il considère que ces allégations
sont fondées, le requérant ne dit pas qu'il a eu des activités politiques après
1992 et que, à aucun moment ni au cours des procédures engagées dans l'État
partie ni dans la requête présentée au Comité il n'affirme avoir été torturé
par les autorités soudanaises.
6.4 Sur la question de la désertion du requérant, le Comité relève que l'État
partie a bien examiné la lettre datée du 1er juin 1996, par laquelle le requérant
aurait été enrôlé dans les Forces populaires de défense, mais a considéré qu'elle
n'était pas authentique. Le Comité estime que tout le crédit voulu doit être
accordé aux constatations de fait des organes nationaux, judiciaires ou autres,
compétents sauf s'il peut être établi que ces constatations sont arbitraires
ou injustifiées. En supposant même que le Comité considère que le requérant
est un déserteur ou un insoumis, celui-ci n'a pas fait la preuve qu'il serait
soumis à la torture à son retour au Soudan. Le Comité relève que l'État partie
a tenu compte d'un grand nombre de renseignements émanant de plusieurs sources
différentes avant d'aboutir à une conclusion.
6.5 Le Comité note l'argument du requérant qui affirme qu'il serait obligé d'accomplir
son service militaire s'il était renvoyé au Soudan, bien qu'il soit objecteur
de conscience, et sa conclusion que cette situation serait assimilable à des
actes de torture selon la définition de l'article 3 de la Convention. Le Comité
estime que la lettre datée du 1er juin 1996, dont l'authenticité a été mise
en doute, pas plus que l'argument du requérant qui affirme que les opposants
au régime doivent aller se battre dans le cadre de la guerre civile, ne suffisent
à prouver que le requérant est objecteur de conscience ou qu'il serait mobilisé
à son retour au Soudan. En ce qui concerne les autres raisons invoquées pour
expliquer la crainte d'être torturé à son retour au pays, l'appréciation des
faits réalisée par l'État partie ne semble pas être injustifiée ou arbitraire.
6.6 Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que le requérant n'a pas
apporté d'éléments vérifiables permettant de conclure qu'il existe des motifs
sérieux de croire qu'il encourrait personnellement un risque réel et prévisible
d'être soumis à la torture, au sens de l'article 3 de la Convention, s'il était
renvoyé au Soudan.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait
pas une violation de l'article 3 de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe.
Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité
à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Les conseils ont informé le Comité le 20 mars 2004 qu'ils ne représentaient
plus le requérant.
2. Le requérant renvoie au rapport annuel d'Amnesty de 1999, dans lequel il
est indiqué que parmi les personnes détenues en 1997 figuraient cinq imams qui
auraient émis des doutes quant à la légitimité religieuse de Hassan al-Turabi,
Secrétaire général du Congrès national et mentor idéologique du gouvernement.
3. Il renvoie à l'Action urgente d'Amnesty International, du 21 janvier 1997.
4. Rapport sur la situation des droits de l'homme au Soudan, E/CN.4/1999/38/Add.1
(17 mai 1999).
5. L'État partie renvoie à l'Observation générale du Comité sur l'article 3
et la communication no 13/1993 (Motumbu c. Suisse).
6. Selon les termes utilisés dans le rapport établi en 1999 par le Département
d'État américain sur les pratiques en matière de droits de l'homme au Soudan.
7. Gerard Prunier, «Sudan Update: War in North and South», UNHCR RefWorld-Country
Information, p. 3.
8. DFAT CA500922 du 22 janvier 1998, CX27237.