M. S. (nom supprimé) c. Australie, Communication No. 154/2000, U.N. Doc. CAT/C/27/D/154/2000 (2001).
Présentée par : M. S. (nom supprimé) [représenté par un conseil]
Au nom de : Le requérant
État partie : Australie
Date de la requête : 25 janvier 2000
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants,
Réuni le 23 novembre 2001,
Ayant achevé l'examen de la requête no 154/2000, présentée au Comité en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant et l'État partie,
Adopte la décision suivante en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
1.1 Le requérant est un ressortissant
algérien, actuellement détenu à l'Immigration Detention Centre de Chester Hill
en Australie. Il affirme que son expulsion vers l'Algérie entraînerait une violation
de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par le Refugee Advice and
Casework Service (Australie).
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la communication à l'attention de l'État partie le 28 janvier 2000.
Dans le même temps, agissant en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son
règlement intérieur, il a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant
vers l'Algérie tant que sa communication serait en cours d'examen.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le 24 août 1998, le requérant est arrivé en Australie en provenance d'Afrique
du Sud sans document de voyage valide. Interrogé par les autorités à l'aéroport,
il a sollicité la protection de l'État partie en qualité de réfugié.
2.2. Le 3 septembre 1998, le requérant a demandé le statut de réfugié (visa
de protection) au Ministère de l'immigration et des affaires multiculturelles
en vertu de la loi sur l'immigration. Le 2 octobre 1998, un délégué du Ministre
de l'immigration et des affaires multiculturelles a décidé de refuser le visa
de protection à l'intéressé. Le 14 décembre 1998, la Commission de contrôle
des décisions concernant les réfugiés (Refugee Review Tribunal) a confirmé cette
décision. Le 30 avril 1999, la Cour fédérale australienne a rejeté le recours
du requérant.
2.3 Le 22 mars 1999, le requérant a demandé au Ministre de l'immigration et
des affaires multiculturelles d'intervenir et de rapporter la décision de la
Commission de contrôle dans l'intérêt public, conformément à l'article 417 de
la loi sur l'immigration. Dans une lettre non datée, le Ministre a répondu qu'il
avait décidé de ne pas user de ce pouvoir. Le 13 septembre 1999, le conseil
a de nouveau écrit au Ministre pour demander que le requérant soit autorisé
à présenter une deuxième demande de visa de protection en application de l'article
48B de la loi sur l'immigration. Il n'a pas reçu de réponse.
2.4 Le requérant dit qu'il participait à l'action sociale du Front islamique
du salut (FIS) depuis 1990: après le travail il allait au bureau local du FIS
et déterminait ce qu'il fallait donner aux familles dans le besoin. En janvier
1992, après l'annulation des élections législatives générales à l'Assemblée
nationale du Peuple, l'antenne locale du FIS a été fermée et l'intéressé a été
convoqué par la gendarmerie et interrogé pendant plus de deux heures. Le requérant
affirme qu'après sa libération il était obligé de se présenter tous les jours
à la gendarmerie et de ne pas quitter sa ville natale, Ngaos. Le 16 septembre
1994, avec l'aide d'un ami, il a quitté l'Algérie pour la Syrie par avion. Le
lendemain de son départ et de nouveau au mois d'octobre, la gendarmerie a interrogé
son père pour savoir où il se trouvait. Le père aurait par la suite conseillé
à son fils de ne pas rentrer en Algérie car la police l'accusait d'insoumission.
2.5 Le requérant dit qu'il a quitté l'Algérie en 1994 après avoir eu connaissance
d'un décret officiel rappelant les réservistes qui n'avaient fait que 18 mois
de service militaire pour une nouvelle période de six mois. Il avait fait son
service dans l'armée nationale de mai 1988 à mars 1990. Le requérant affirme
qu'en mars 1994 le Ministre algérien de l'intérieur a annoncé l'intention du
Gouvernement de rappeler des milliers de réservistes, ce que la Commission de
contrôle ne savait pas lorsqu'elle a examiné son cas.
2.6 Le requérant ajoute qu'en 1996, il a obtenu copie du verdict d'un tribunal,
daté du 17 novembre 1996, le déclarant coupable de constitution d'un groupe
terroriste et le condamnant à mort par contumace (1) .
La teneur de la requête
3.1 Le requérant affirme que son expulsion vers l'Algérie violerait l'article
3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants. Il fait valoir que des motifs sérieux donnent à penser
qu'il risquerait d'être torturé s'il était expulsé vers l'Algérie, car il y
est considéré comme un sympathisant du FIS.
3.2 Le requérant affirme que, dès qu'il se retrouverait dans son pays il serait
considéré comme un insoumis et par conséquent on lui imputerait automatiquement
des opinions hostiles au Gouvernement.
3.3 Le requérant ajoute qu'à son retour il serait arrêté et torturé en raison
du verdict rendu par le tribunal en 1996. Il affirme que ce jugement est dans
la logique de ce qu'il sait des peines infligées pour désertion lorsque les
intéressés sont considérés comme affiliés aux islamistes.
3.4 Le requérant dit qu'à son retour en Algérie, il serait interrogé à l'aéroport
sur la période qu'il a passée en dehors du pays et sur ses activités. On pourrait
entre autres chercher à savoir s'il a demandé le statut de réfugié à l'étranger.
Le requérant cite un article d'un journal britannique, daté de juin 1997, faisant
état du décès d'un demandeur d'asile expulsé vers l'Algérie.
3.5 Le requérant affirme que l'Algérie commet des violations graves des droits
de l'homme, qui non seulement bénéficient d'une totale immunité mais sont approuvées
de surcroît en haut lieu. Rappelant les événements qui se sont produits dans
ce pays depuis 1992, il ajoute que l'Algérie a coutume de faire fi de ses obligations
au regard des instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.
3.6 Le requérant affirme que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.
Bien que le Ministre de l'immigration et des affaires multiculturelles n'ait
pas répondu à la demande qui lui a été adressée et conformément à la loi sur
l'immigration, le requérant pourrait être expulsé d'Australie dès que ce serait
matériellement possible.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond de la communication
4.1 Dans sa réponse datée du 14 novembre 2000, l'État partie affirme que la
communication n'est pas recevable, faute d'éléments suffisants en justifiant
l'examen en vertu de l'article 22 de la Convention.
4.2 Au cas où le Comité considérerait la communication comme recevable, l'État
partie fait valoir qu'elle est insuffisante quant au fond, étant donné qu'il
n'y a pas de motifs sérieux de croire que le requérant risque d'être soumis
à la torture à son retour en Algérie et que le risque n'est encouru ni personnellement
ni actuellement.
4.3 Si l'État partie reconnaît la gravité de la situation des droits de l'homme
en Algérie, il affirme que des informations récentes font état d'une amélioration.
Il se réfère à ce sujet à l'adoption en 1999 de la loi relative au rétablissement
de la concorde civile et au fait que le Ministère algérien de l'intérieur a
accepté d'enquêter sur les cas de disparition. L'État partie affirme qu'Amnesty
International, Human Rights Watch et le Département d'État des États-Unis indiquent
à ce propos que le nombre de disparitions, d'arrestations, de cas de torture
et d'exécutions extrajudiciaires perpétrés par des agents de l'Algérie ont diminué
en 1999. Il note que l'Algérie a adhéré au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, à la Convention contre la torture, en faisant la déclaration
prévue aux articles 21 et 22 de cet instrument, ainsi qu'à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples.
4.4 L'État partie affirme qu'il n'y a aucun motif sérieux de croire que le requérant
sera soumis à la torture à son retour en Algérie parce qu'il se dit affilié
au FIS. Il prie le Comité d'accorder le crédit voulu aux conclusions de la Commission
de contrôle à cet égard, étant donné que l'auteur n'a pas fourni d'informations
nouvelles à l'appui de sa plainte. L'État partie rappelle que la Commission
a conclu que le requérant n'avait jamais été membre du FIS, qu'il ne s'intéressait
pas aux activités politiques de cette organisation et n'y participait et que
la police algérienne ne se préoccupait nullement de lui. La Commission a fait
valoir que l'affirmation du requérant selon laquelle il était tenu de se présenter
à la gendarmerie et limité dans ses déplacements n'était pas plausible compte
tenu des informations dont on disposait sur la manière dont les membres du FIS
étaient traités pendant la période en question. En outre, à la lumière de l'évolution
récente de la situation en Algérie, l'État partie estime qu'un sympathisant
du FIS ne risque guère de retenir l'attention des autorités algériennes.
4.5 Pour ce qui du rappel du requérant sous les drapeaux, l'État partie relève
que dans ses conclusions la Commission note qu'il n'y a pas eu de rappel de
ce type avant mars 1995. Selon les informations sur le pays dont l'État partie
dispose, il y a eu un rappel des réservistes en 1991, puis en mars 1995 seulement.
L'État partie fait en outre observer que rien n'indique que le requérant a effectivement
été rappelé et que selon des sources indépendantes un avis aurait été adressé
à son domicile s'il l'avait été. À supposer que l'intéressé se soit soustrait
à un rappel, il n'avait produit aucun élément prouvant expressément qu'il risquait
d'être soumis à la torture. Se référant au guide établi par le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés et au cas des demandeurs d'asile algériens,
l'État partie affirme que la probabilité d'une arrestation ne suffit pas à étayer
des allégations de torture probable.
4.6 Pour l'État partie, la copie du verdict du tribunal présentée par le requérant
n'est sans doute pas authentique étant donné que le moment où lui-même situe
l'ordre de rappel ne cadre pas avec la date de cet ordre et que la sentence
rendue ne correspond pas aux informations reçues concernant les peines imposées
aux réservistes qui désertent, à savoir l'arrestation et l'emprisonnement pour
une période allant de 3 mois à 10 ans, selon le cas. L'État partie rappelle
en outre que d'après les informations fournies par Amnesty International l'Algérie
a imposé un moratoire sur l'application de la peine de mort en décembre 1994
et qu'aucune exécution n'a eu lieu depuis cette date.
4.7 Le requérant affirme qu'il risque d'être soumis à la torture parce qu'il
est soupçonné d'avoir demandé le statut de réfugié ou l'asile; l'État partie
considère qu'il n'a pas apporté d'éléments prouvant que, comme il le soutient,
les autorités algériennes ont eu connaissance des demandes qu'il avait déposées
en Australie ou en Afrique du Sud. Les informations sur le pays dont l'État
partie dispose indiquent que, même si les autorités algériennes étaient au courant
des demandes déposées par le requérant, il n'existe aucun motif sérieux de croire
que ce dernier serait soumis à la torture.
Observations de l'auteur
5.1 Le requérant affirme que la situation des droits de l'homme demeure critique
en Algérie. Il fait valoir que ce pays continue de ne pas vouloir ou pouvoir
répondre aux allégations de torture et de mauvais traitements à l'encontre de
personnes arrêtées parce qu'elles sont soupçonnées d'avoir des liens avec des
groupes armés. Il rappelle que dans ses observations finales en 1998, le Comité
des droits de l'homme a noté que des informations émanant de nombreuses sources
faisaient état de cas de torture, de disparitions et d'exécutions sommaires
en Algérie. Il relève en outre que le risque de torture des personnes interrogées
au sujet de leurs éventuels contacts avec des membres de groupes armés demeure
une source d'inquiétude pour Amnesty International.
5.2 Le requérant affirme qu'il est artificiel de faire une distinction entre
sa participation aux activités du FIS et la qualité de membre actif de cette
organisation. En outre, rien ne vient étayer la conclusion selon laquelle les
activités de protection sociale, qui ont une signification politique évidente,
ne sont pas considérées comme des activités politiques par les autorités algériennes.
5.3 Le requérant affirme qu'à la lumière des événements récents, il est simpliste
de dire que ses sympathies pour le FIS ne risquent guère d'appeler l'attention
de la gendarmerie algérienne sur son cas. Il fait valoir que les personnes qui
n'ont pas demandé à bénéficier des mesures d'amnistie ou dont le cas ne relève
pas des dispositions de la loi relative au rétablissement de la concorde civile
ont peu de chances d'échapper aux rigueurs de la justice.
Délibérations du Comité
6.1 Le Comité prend note de l'information donnée par l'État partie selon laquelle
la mesure d'expulsion est suspendue, conformément à la demande qu'il a faite
en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur.
6.2 Avant d'examiner une plainte figurant dans une communication, le Comité
contre la torture doit décider si cette communication est recevable au regard
de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu
de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que
la même question n'a pas été examinée ou n'est pas en cours d'examen devant
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note que l'État
partie considère la communication comme irrecevable faute de justification suffisante.
Toutefois, l'État partie n'a pas corroboré cette affirmation et ses arguments
ne portent que sur le fond au cas où le Comité jugerait la communication recevable.
Le Comité considère donc que les observations de l'État partie ne soulèvent
que des questions de fond qui devraient être examinées au stade de l'examen
quant au fond et non à celui de la recevabilité. Le Comité ne voyant pas d'autre
obstacle à la recevabilité, il déclare la communication recevable.
6.3 Conformément au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, le Comité
doit déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait
d'être soumis à la torture s'il retournait en Algérie. Pour ce faire il doit,
conformément au paragraphe 2 de l'article 3, tenir compte de toutes les considérations
pertinentes, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques
des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit toutefois de
déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture
dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l'existence d'un ensemble
de violations flagrantes, graves ou massives des droits de l'homme dans un pays
ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'un individu risquerait
d'être victime de tortures à son retour dans son pays; il faut qu'il existe
des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait personnellement
en danger. De la même manière, l'absence d'un ensemble systématique de violations
flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas qu'un individu ne peut pas
être considéré comme risquant d'être soumis à la torture dans sa situation particulière.
6.4 En l'espèce, le Comité note que les activités sociales du requérant pour
le FIS remontent au début de 1992, époque à laquelle il a été arrêté et interrogé
pendant deux heures. Il n'est pas affirmé que le requérant a été torturé ou
poursuivi au motif de ses activités pour le FIS avant de partir pour la Syrie.
6.5 Le Comité note que le requérant invoque la protection de l'article 3 au
motif qu'il risque d'être arrêté et torturé à la suite du verdict contesté de
1996. Toutefois, il ne produit aucun élément à l'appui de cette affirmation.
Le Comité considère que, même s'il était certain que l'intéressé serait arrêté
dès son retour en Algérie en raison d'une condamnation préalable, le seul fait
qu'il soit détenu et jugé de nouveau ne suffirait pas à conclure qu'il y a des
motifs sérieux de croire qu'il risquerait d'être soumis à la torture (2).
6.6 S'agissant de l'affirmation selon laquelle le requérant sera repéré par
les autorités et automatiquement accusé d'opposition au Gouvernement, le Comité
note que l'intéressé n'a pas prouvé qu'il avait été réellement rappelé sous
les drapeaux. Les éléments dont le Comité dispose ne permettent pas non plus
de conclure que le requérant risque d'être torturé s'il est interrogé à l'aéroport
à son retour en Algérie.
6.7 Le Comité rappelle que, pour que l'article 3 de la Convention s'applique,
il doit exister pour la personne concernée un risque prévisible, réel et personnel
d'être soumise à la torture dans le pays vers lequel elle est renvoyée. Sur
la base des considérations qui précèdent, le Comité estime que le requérant
n'a pas apporté d'éléments suffisants pour le convaincre qu'il risque personnellement
d'être victime de torture s'il retournait en Algérie.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels,
inhumains ou dégradants, estime que, sur la base des informations dont il est
saisi, l'expulsion du requérant vers l'Algérie ne constituerait pas une violation
de l'article 3 de la Convention.
Notes
1. Le texte du jugement (traduction) se lit comme suit: «La cour… condamne par
contumace l'accusé M. S. à la peine capitale…».
2. Voir P. Q .L. c. Canada (no 57/1996), par. 10.5.