M. R.S. (nom supprimé) c. Autriche, Communication No. 111/1998, U.N. Doc. CAT/C/28/D/111/1998 (2002).
Requérant : M. R. S. (nom supprimé) [représenté
par M. Richard Soyer, conseil, Vienne (Autriche)]
État partie : Autriche
Date de la requête : 16 avril
1997 (date de la lettre initiale)
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 30 avril 2002,
Ayant achevé l'examen de la requête n° 111/1998, présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte la décision suivante en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
1.1 Le requérant est M. R. S., de nationalité
autrichienne, qui était emprisonné à Vienne (Autriche) pour cambriolage, proxénétisme
et trafic de drogue au moment où il a envoyé sa première lettre au Comité. Il
affirme être victime de violations par l'Autriche de l'article 13 de la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il est représenté par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la requête à l'attention de l'État partie le 11 janvier 1999.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le 30 juillet 1996, le requérant a été interrogé par des agents de police
au commissariat d'arrondissement de Leopoldstadt, qui relève de la Direction
de la police fédérale de Vienne. Trois agents sont entrés dans la pièce où il
était interrogé par une équipe d'enquêteurs et l'ont emmené dans le bureau de
l'un d'entre eux. Les membres de l'équipe d'enquêteurs ont protesté contre le
transfert du requérant parce qu'ils n'avaient pas terminé leur interrogatoire.
Peu après avoir été emmené dans l'autre bureau, le requérant a été retrouvé
à l'extérieur de la pièce, blessé et saignant à trois endroits à la jambe droite.
Il a été alors examiné par un médecin de la police, qui a pris des photographies
des blessures. Le 1er août1996, son médecin personnel l'a fait hospitaliser
pour de nouveaux examens, effectués le lendemain. Le requérant a quitté l'établissement
immédiatement après. Le rapport de l'hôpital, présenté par le requérant, fait
état de blessures à la jambe droite et d'une légère tuméfaction du nez.
2.2 Le 9 août 1996, la Direction de la police fédérale de Vienne a adressé au
parquet un rapport sur les faits et sur les allégations du requérant selon lesquelles
il avait été victime de mauvais traitements. Le 20 août 1996, le procureur a
engagé des poursuites judiciaires contre les trois policiers, qui ont été inculpés
pour avoir maltraité le détenu et tenté de lui extorquer des aveux sous la contrainte.
2.3 La première audience s'est déroulée le 7 octobre 1996. Le 6 novembre 1996,
l'avocat du requérant a proposé au tribunal et au procureur qu'un magistrat
instructeur soit désigné, conformément à un décret du Ministère fédéral de la
justice, pour compléter l'enquête préliminaire de la Direction de la police
fédérale. Cette proposition a été rejetée par le tribunal et le procureur. Les
trois policiers ont été acquittés le 25 novembre 1996. L'appel introduit par
le procureur a été retiré le 10 mars 1997. La décision du tribunal serait donc
définitive.
Teneur de la requête
3.1 Le requérant déclare que le 30 juillet 1996, trois agents de police l'ont
maltraité alors qu'ils l'interrogeaient au commissariat d'arrondissement de
Leopoldstadt qui relève de la Direction de la police fédérale de Vienne. Un
agent de police l'aurait fait tomber par terre, puis lui aurait donné des coups
de pied. Il lui aurait aussi administré intentionnellement des coups de pied
au tibia droit qui était déjà blessé (1), rouvrant ainsi la lésion qui a commencé
à saigner. Lorsque le requérant s'est relevé, un autre agent l'aurait giflé.
On l'aurait alors sommé de parler. Le requérant déclare qu'un quatrième agent
de police était présent dans le bureau, mais qu'il n'a pas participé aux sévices.
3.2 Le requérant affirme qu'à la première audience, qui s'est déroulée le 7
octobre 1996 au tribunal pénal régional de Vienne, il est apparu que l'enquête
préliminaire de la police était entachée de graves lacunes. En particulier,
on ne s'est pas attaché lors de ces investigations à découvrir l'identité de
la quatrième personne qui était présente dans le bureau où s'est déroulé l'interrogatoire
lorsque les mauvais traitements ont été infligés. Or le témoignage de cette
personne était essentiel pour la manifestation de la vérité.
3.3 Le requérant déclare que l'enquête préliminaire n'a pas été impartiale puisqu'elle
a été effectuée par la police, ce qui constitue une violation de l'article 13
de la Convention. Si des investigations impartiales avaient été menées, il aurait
été possible de découvrir l'identité du «quatrième homme».
3.4 Le requérant affirme en outre qu'il n'existe en droit autrichien aucune
base juridique autorisant à effectuer une enquête préliminaire de police telle
que celle qui a été menée en l'espèce, quoique de telles enquêtes soient fréquentes
en Autriche. Il n'a été procédé ni à l'ouverture d'une information ni à une
enquête préliminaire légale, toutes deux prévues dans le Code de procédure pénale.
3.5 Enfin, le requérant affirme que le seul recours interne dont il dispose
encore est une action civile (Amtshaftungsklage). Selon lui, cependant, engager
une telle action ne serait d'aucune utilité. En effet, faute d'une enquête criminelle
en bonne et due forme, cette action ne saurait aboutir.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité
4.1 Dans une réponse datée du 20 mai 1999, l'État partie affirme que l'affaire
devrait être déclarée irrecevable. Il déclare que l'interrogatoire du requérant
par la première équipe d'enquêteurs a été interrompu lorsque l'agent habilité
à s'occuper de l'affaire au commissariat l'a amené dans son bureau pour le faire
examiner par le médecin de la Direction de la police fédérale de Vienne, qui
devait déterminer si la santé de M. R. S. et son état mental étaient altérés
par la consommation de stupéfiants.
4.2 Après avoir été examiné par le médecin, le requérant a dit à un autre membre
du commissariat (le colonel P.) qu'il avait été maltraité par l'agent qui l'avait
interrogé, le médecin et un autre agent de police. Le colonel P. a immédiatement
informé le commissaire des allégations du requérant. Ce dernier a téléphoné
sur-le-champ au préfet de la police fédérale de Vienne et au directeur du Bureau
des enquêtes criminelles (Sicherheitsbüro), leur demandant de prendre des mesures.
Le Bureau des enquêtes criminelles a immédiatement ouvert une enquête. Le jour
même, il s'était écoulé à peine une heure et demie après que le requérant eut
porté ces allégations quand il a été transféré au Bureau des enquêtes criminelles,
et longuement interrogé.
4.3 Les policiers accusés et le colonel P. ont été longuement interrogés les
31 juillet et 1er août 1996. Cinq autres policiers ont été eux aussi longuement
interrogés par des agents du Bureau des enquêtes criminelles les 2, 5 et 6 août
1996. Le Bureau a également essayé, sans succès, de déterminer si une quatrième
personne avait assisté aux mauvais traitements allégués.
4.4 Le Bureau des enquêtes criminelles a présenté ses constatations au parquet
de Vienne le 9 août 1996, l'informant des résultats de ses investigations. Le
procureur a inculpé les agents de police incriminés devant le tribunal pénal
régional de Vienne le 20 août 1996, pour avoir causé des souffrances et tenté
d'extorquer des aveux à un détenu sous la contrainte. Le dossier est parvenu
au tribunal pénal régional de Vienne le 28 août 1996.
4.5 Le Bureau des enquêtes criminelles a continué son enquête et constaté qu'un
quatrième homme (G. W.) s'était rendu dans le bureau où le requérant subissait
un interrogatoire. Il s'agissait d'un fonctionnaire de l'administration municipale
de Vienne qui a déclaré dans sa déposition qu'il était resté dans le bureau
une ou deux minutes au plus et qu'il n'avait rien remarqué à ce moment-là qui
puisse laisser penser que le requérant était maltraité. Cette information a
été communiquée au parquet le 26 août 1996.
4.6 Le 7 octobre 1996, le procès des trois policiers s'est ouvert au tribunal
pénal régional de Vienne. Le requérant et les policiers inculpés ont été interrogés
longuement par le tribunal en présence du procureur, de l'avocat de la défense
et du représentant du requérant. Un certain nombre de témoins ont également
été interrogés, notamment G. W. qui a répété être resté peu de temps dans le
bureau où le requérant affirmait avoir été maltraité et n'avoir constaté aucun
mauvais traitement.
4.7 Étant donné que le requérant affirmait que G. W. n'était pas le quatrième
homme, le Bureau des enquêtes criminelles a poursuivi son enquête parallèlement
au procès. À cet égard, prié, le 30 août 1996, d'aider les agents du Bureau
dans leurs efforts, le requérant a répondu qu'il ne se présenterait à aucune
convocation et n'a fait aucune déclaration lorsqu'une photographie de G. W.
lui a été présentée.
4.8 Les trois agents inculpés ont été acquittés pour insuffisance de preuves
le 25 novembre 1996. Le tribunal s'est appuyé en particulier sur l'opinion du
médecin légiste selon lequel les mauvais traitements que le requérant affirmait
avoir subis auraient entraîné d'autres conséquences que n'aurait pas manqué
de remarquer le médecin qui l'avait examiné immédiatement après l'incident.
Cet expert a également estimé qu'il était possible que le requérant se soit
infligé lui-même les blessures en question. Un appel annoncé par le parquet
a été retiré le 6 mars 1997 et le jugement est donc devenu définitif. La procédure
disciplinaire engagée contre l'un des trois policiers a été ensuite abandonnée
tandis qu'un autre a été acquitté. Le troisième agent, lui, n'a fait l'objet
d'aucune procédure disciplinaire.
4.9 L'État partie affirme que le droit conféré au requérant par l'article 13
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants de voir sa cause immédiatement et impartialement examinée par
les autorités compétentes a été pleinement assuré. C'est le jour même où le
requérant a déposé sa plainte que le préfet de police de Vienne en a été informé
et que le Bureau des enquêtes criminelles a commencé ses investigations. L'État
partie fait observer à cet égard que le Bureau des enquêtes criminelles et les
commissariats de police d'arrondissement appartiennent à des départements de
police différents, indépendants les uns des autres.
4.10 Le fait que l'enquête ait été menée par le Bureau des enquêtes criminelles,
qui n'a à connaître que des crimes les plus graves, montre que l'affaire a été
traitée avec diligence par les autorités compétentes. Le délai qui s'est écoulé
entre le début des investigations et la communication des informations au parquet
a été le plus court possible et les enquêtes menées après cela ont été approfondies.
De même, une enquête approfondie a été menée après que le requérant eut déclaré
qu'une quatrième personne avait assisté aux mauvais traitements qu'il prétend
avoir subis. Selon l'État partie, cela montre que les autorités qui ont mené
l'enquête n'avaient aucun parti pris et ont conduit les investigations en toute
impartialité.
4.11 Si les examens préliminaires avaient été effectués par un tribunal ou si
le dossier avait été renvoyé au magistrat instructeur, cela n'aurait rien changé
au résultat des investigations. Les témoins et les inculpés interrogés par les
policiers au cours des investigations préliminaires ont été de nouveau longuement
interrogés par le juge au cours du procès. Ainsi, tout vice éventuel de l'enquête
préliminaire aurait pu alors être corrigé. Il aurait été contraire au but recherché
d'accéder à la demande faite le 6 novembre 1996 par le représentant du requérant
de renvoyer le dossier au juge d'instruction, car cela n'aurait produit aucun
résultat nouveau et aurait provoqué un retard considérable dans le déroulement
de la procédure pénale.
4.12 L'État partie affirme enfin que les conditions préalables prévues par la
Convention n'ont pas été remplies en l'espèce et estime que le Comité devrait
déclarer la communication irrecevable.
Commentaires du requérant
5. Dans une lettre datée du 28 juillet 1999, le requérant a déclaré qu'il avait
présenté toutes les informations pertinentes.
Décision concernant la recevabilité
6. À sa vingt-troisième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication
en vertu de l'article 22 de la Convention. Dans le cas présent, il a noté que
la communication n'était pas anonyme et que la même affaire n'avait pas été
examinée et n'était pas en cours d'examen au titre d'une autre procédure d'enquête
ou de règlement international. Il a aussi pris acte de la déclaration de l'auteur
selon laquelle tous les recours internes avaient été épuisés. L'État partie
n'a pas contesté cette déclaration. En outre, le Comité a estimé que la communication
ne constituait pas un abus du droit de présentation de telles communications
et n'était pas incompatible avec les dispositions de la Convention et que les
observations présentées par l'État partie portaient sur le fond de la communication
plutôt que sur la question de la recevabilité. Il a donc estimé que rien ne
s'opposait à ce que la communication soit jugée recevable. En conséquence, il
a déclaré la communication recevable le 18 novembre 1999.
Observations de l'État partie concernant le fond
7.1 Dans sa lettre du 9 juin 2000, l'État partie renvoie aux faits qu'il avait
présentés précédemment.
7.2 En réponse à une demande du Comité, l'État partie donne des informations
sur les procédures prévues dans son droit interne en ce qui concerne les plaintes
pour torture. Selon l'État partie, il existe des recours qui permettent tous
de garantir l'examen immédiat et impartial des allégations de torture, conformément
aux dispositions de l'article 13 de la Convention.
Commentaires du requérant concernant le fond
8.1 Dans sa lettre du 8 janvier 2002, le requérant apporte des informations
supplémentaires tout en maintenant ses allégations précédentes.
8.2 Bien que l'État partie soutienne que ses allégations de torture ont fait
l'objet d'une enquête appropriée, en réalité, le Bureau des enquêtes criminelles
n'aurait pas fait le nécessaire pour identifier la quatrième personne présente
lors des faits. La seule démarche mentionnée par l'État partie consiste dans
la convocation du requérant devant le Bureau des enquêtes criminelles pour identifier
une photographie, le 30 août 1996. Le requérant explique qu'il a refusé de coopérer
parce qu'à ce moment-là, il doutait de l'indépendance de l'enquête, qui était
menée exclusivement par la police, sans participation des autorités judiciaires.
8.3 Le requérant affirme également que le parquet ne constitue pas un organe
impartial et indépendant lorsqu'il s'agit d'enquêter sur des allégations portées
contre des membres des organes de sécurité, dans la mesure où il est subordonné
au Ministre de la justice. Le requérant fait valoir que seul un magistrat instructeur,
dont l'indépendance est garantie par l'article 87 de la Constitution fédérale
autrichienne, pourrait procéder à une enquête répondant à ces critères. Dans
le cas présent, le tribunal pénal régional a refusé de désigner un magistrat
instructeur.
Examen quant au fond
9.1 Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations
qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article
22 de la Convention.
9.2 Le Comité note que le requérant fait valoir que l'État partie a violé l'article
13 de la Convention parce que le tribunal pénal régional n'a pas ouvert d'instruction
sur sa plainte pour tortures. Il avance que seule une enquête judiciaire pouvait
être considérée comme impartiale. À ce sujet, le Comité relève qu'il ressort
de la décision prise le 25 novembre 1996 par le tribunal pénal régional que
celui-ci, lorsqu'il a décidé d'acquitter les trois policiers, a tenu compte
de tous les éléments de preuve présentés par le requérant et le procureur. Le
Comité estime donc que le requérant n'a pas fourni d'éléments suffisants à l'appui
de l'allégation selon laquelle l'enquête menée par l'État partie n'avait pas
été impartiale au sens de l'article 13 de la Convention.
10. Le Comité contre la torture conclut que l'État partie n'a pas violé la règle
établie à l'article 13 de la Convention et estime, à la lumière des informations
qui lui ont été soumises, ne pouvoir faire aucune constatation de violation
d'aucune autre disposition de la Convention.
Notes
1. M. R. S. s'était brûlé lui-même alors qu'il était incarcéré, à peu près quatre
ans avant cet incident. La brûlure ne s'était pas complètement cicatrisée et
avait toujours tendance à se rouvrir.