M. B.S.S. c. Canada, Communication No. 183/2001, U.N. Doc. CAT/C/32/D/183/2001 (2004).
Présentée par : M. B. S. S. (représenté par un conseil, M. Stewart Istvanffy)
Au nom de : M. B. S. S.
État partie : Canada
Date de la requête : 7 mars 2001
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 12 mai 2004,
Ayant achevé l'examen de la requête no 183/2001, présentée par M. B. S. S. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention
1.1 Le requérant est M. B. S. S., de
nationalité indienne, né en 1958, qui réside actuellement au Québec (Canada)
et est frappé d'un arrêté d'expulsion vers l'Inde. Il affirme que son renvoi
en Inde constituerait une violation par le Canada des articles 3 et 16 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 4 mai 2001, le Comité a adressé la requête à l'État partie en lui demandant
de lui faire parvenir ses observations et, en application du paragraphe 1 de
l'article 108 de son règlement intérieur, il l'a prié de ne pas renvoyer le
requérant en Inde tant que sa requête serait en cours d'examen. Le 19 février
2004, l'État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires,
en application du paragraphe 7 de l'article 108 du règlement intérieur du Comité
ou, dans le cas contraire, de prendre une décision finale sur la requête dans
les meilleurs délais. Dans une lettre du 2 mars 2004, le conseil a prié le Comité
de maintenir sa demande de mesures provisoires, en attendant que le Comité se
soit prononcé sur la requête. Ces demandes sont devenues caduques le 12 mai
2004 lorsque le Comité a adopté ses constatations.
1.3 Le 31 mars 2003, le requérant a prié le Comité de suspendre son examen de
la plainte, en attendant l'issue de l'action engagée au titre d'une nouvelle
procédure d'évaluation du risque préalable au renvoi, mais de maintenir sa requête
au titre du paragraphe 1 de l'article 108 de son règlement intérieur. Le 25
avril 2003, le Comité a fait savoir au requérant et à l'État partie qu'il avait
décidé de suspendre l'examen de la requête, de même que la demande qu'il a adressée
à l'État partie de ne pas expulser le requérant, dans la mesure où il serait
automatiquement sursis à un ordre de renvoi en vertu de l'article 162 du règlement
relatif à l'immigration et à la protection des réfugiés.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le requérant est originaire de la province indienne du Penjab. Il est de
religion sikh. Sa femme et ses trois enfants vivent toujours au Penjab.
2.2 D'après un «rapport d'enquête» en date du 12 mars 1993, établi par M. S.
S., avocat défenseur des droits de l'homme de Patiala (Penjab), qui se fonde
principalement sur le témoignage du père du requérant, de sa fille et d'autres
habitants du village, deux hommes armés sont arrivés au domicile de la famille
du requérant en avril 1991 et ont demandé à manger en braquant leur fusil sur
le requérant. Ils sont restés une demi-heure. Plus tard dans la nuit, la police
a arrêté le requérant et l'a accusé d'héberger des terroristes. Il aurait été
placé dans une cellule spéciale de torture où la police l'aurait interrogé et
roué de coups. Il avait été libéré au bout de deux jours parce que son père
avait versé un pot-de-vin.
2.3 Toujours selon le même rapport, le requérant a été arrêté une deuxième fois
en septembre 1991 après le meurtre dans un village voisin de six membres de
la famille d'un policier. Il a été placé dans un lieu inconnu où une fois encore
la police l'aurait torturé. Il a été remis en liberté à la suite de l'intervention
d'un homme politique local, puis il est allé à Jaipur (Rajasthan) pour que la
police du Penjab ne le retrouve pas. D'après le rapport, la police a continué
de harceler sa famille et a même arrêté le frère du requérant. Sur les conseils
de son père, quand la police s'est mise à chercher à savoir où il se trouvait
à Jaipur, le requérant a décidé de quitter le pays.
2.4 Le 1er septembre 1992, le requérant est parti pour le Brésil, puis s'est
rendu au Mexique et est entré aux États-Unis le 22 septembre 1992. Le 30 octobre
1992, il est entré au Canada et a demandé le statut de réfugié. Il a été refoulé
vers les États-Unis et les autorités américaines d'immigration lui ont donné
jusqu'au 29 novembre 1992 pour quitter le pays. Le requérant est resté illégalement
sur le territoire américain. Il ne s'est pas présenté à la convocation qui avait
été fixée au 17 août 1993 au poste frontière canadien de Lacolle pour examiner
sa demande de statut de réfugié.
2.5 Le 24 novembre 1993, le consulat d'Inde à New York a délivré un passeport
au requérant.
2.6 Le requérant est entré de nouveau au Canada le 4 août 1994 à Vancouver,
et le 16 août 1994 il a déposé une nouvelle demande de statut de réfugié à Montréal.
Le 13 octobre 1994, les autorités canadiennes d'immigration ont pris une décision
d'expulsion. La section du statut de réfugié au sens de la Convention, de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a rendu une décision négative
le 4 novembre 1996, mais le requérant a déposé une demande d'autorisation de
contrôle judiciaire de cette décision, que la Cour fédérale du Canada a rejetée
le 29 mai 1998.
2.7 Entre-temps, le requérant a déposé une demande tendant à obtenir d'être
classé dans la «catégorie des demandeurs d'asile non reconnus». Il joignait
à cette requête la copie d'un document qui ressemblait à un mandat d'arrestation
et qui, selon les indications y figurant, avait été délivré contre lui par les
autorités indiennes le 8 mai 1994. La demande a été rejetée par une lettre datée
du 10 mars 1997, l'informant que l'arrêté d'expulsion était devenu exécutoire
et qu'il devait avoir quitté le territoire avant le 16 avril 1997. Les Notes
au dossier rédigées par le fonctionnaire qui a examiné l'affaire indiquent que
la copie du mandat d'arrestation avait été fournie alors que la procédure avait
déjà commencé depuis longtemps et que le requérant n'avait pas expliqué pourquoi
ce mandat d'arrestation avait été délivré en 1994 pour des faits qui remontaient
à 1991. La Cour fédérale a rejeté le 29 août 1997 la demande d'autorisation
de se pourvoir devant les autorités judiciaires contre le rejet de sa demande.
2.8 Le 2 octobre 1997, le requérant a demandé à bénéficier d'une exemption de
l'application ordinaire de la loi sur l'immigration et le statut de réfugié
(1) pour des motifs humanitaires. La demande comportait de nouveaux éléments,
notamment un article daté du 10 août 1997 d'un journal de Chandigarh (Penjab)
d'où il ressortait que la famille du requérant était toujours l'objet de harcèlement
par la police du Penjab et que sa vie serait en danger s'il était renvoyé en
Inde; un rapport médical daté du 25 avril 1995 établi par un médecin indien
confirmant qu'il avait traité le requérant pour une fracture de la jambe et
des saignements d'oreille le 21 septembre 1991; un autre rapport médical, daté
du 14 mars 1995, établi par un médecin de Montréal qui attestait un trouble
de l'audition à l'oreille droite ainsi que la présence d'une cicatrice de 3
cm sur la jambe droite et concluait que ces symptômes correspondaient aux allégations
de torture. La demande pour motifs humanitaires a été rejetée le 4 novembre
1997. Toutefois, pendant l'examen de la demande d'autorisation de faire recours
de la décision, il est apparu que le fonctionnaire de l'immigration n'avait
pas tenu compte de tous les éléments dont il avait été saisi. L'État partie
a donc décidé de réexaminer la demande pour motifs humanitaires et la procédure
judiciaire a été suspendue.
2.9 Le 4 juin 1998, un autre fonctionnaire de l'immigration a procédé à une
nouvelle appréciation des risques encourus et, malgré les éléments nouveaux,
a conclu que le requérant ne risquait pas d'être soumis à la torture ou à un
traitement inhumain s'il était renvoyé en Inde. Dans une lettre datée du 13
août 1998, le requérant a été notifié du rejet de sa deuxième demande pour motifs
humanitaires. Il a déposé une demande d'autorisation de former recours devant
les autorités judiciaires à laquelle la Cour fédérale a fait droit.
2.10 Par une décision en date du 2 octobre 1998, la Cour fédérale a ordonné
le sursis à exécution de l'arrêté d'expulsion, statuant que le requérant avait
soulevé une question grave qui appelait une décision interlocutoire et qu'il
fallait déterminer s'il ne risquait pas de subir des dommages irréparables s'il
était renvoyé en Inde. Par une décision du 24 novembre 1998, la Cour fédérale
a fait droit à la demande de révision en rapportant la décision de rejet de
la deuxième requête pour motifs humanitaires et en renvoyant l'affaire pour
qu'elle soit réexaminée. Tout en rejetant l'argument selon lequel le système
de révision mis en place par les services d'immigration du Canada était incompatible
avec les articles 7 (2) et 12 (3) de la Constitution canadienne, la Cour a considéré
que la décision du fonctionnaire de l'immigration était contestable car elle
ne tenait pas dûment compte des nouveaux éléments présentés par le requérant
et reposait sur des considérations qui ne se rapportaient pas à l'affaire.
2.11 La demande pour motifs humanitaires a donc été réexaminée par un autre
fonctionnaire de l'immigration qui avait également reçu une formation pour examiner
les demandes après refus du statut; après une longue étude des faits et des
éléments de preuve, celui-ci a rejeté la requête le 13 octobre 2000 en motivant
la décision par les éléments suivants notamment: a) l'authenticité douteuse
du mandat d'arrestation étant donné sa forme et l'absence de tout élément permettant
de la corroborer; b) l'absence de source identifiable ou le caractère périmé
de la plupart des rapports et des articles de journaux produits par le requérant
au sujet de la situation au Penjab; c) la contradiction entre le fait que, d'après
le témoignage de sa famille et de ses voisins dans son village, le requérant
était innocent et le fait qu'il affirmait être toujours persécuté par la police;
d) les doutes concernant la valeur probante de la traduction de l'article de
journal daté du 11 juin tiré d'un hebdomadaire de Vancouver publié dans la langue
du Penjab où le cas du requérant était cité; e) le fait que le requérant ne
se soit pas présenté lors de l'examen de sa première demande de statut de réfugié,
qui était prévu le 17 août 1993 au poste frontière canadien, défaillance qui
n'a jamais été justifiée; f) le fait que le consulat d'Inde à New York ait délivré
le 24 novembre 1993 un passeport au requérant alors que celui-ci était censé
être recherché par les autorités indiennes; g) le fait que le conseil ait soulevé
la question des troubles post-traumatiques, dont des accès de panique, diagnostiqués
dans le rapport du psychiatre daté du 30 août 1999 alors que la procédure était
commencée depuis longtemps, que son état psychique ne l'avait pas empêché de
travailler, depuis janvier 1999, et qu'il avait déclaré ne souffrir d'aucun
trouble mental quand il avait rempli le dossier d'immigration en octobre 1997
et en septembre 2000; h) la très faible implication politique du requérant et
le fait que d'une façon générale seuls les défenseurs des droits de l'homme
ou les militants sikhs et leurs familles risquent d'être harcelés par la police
du Penjab (4); i) le fait que la famille du requérant vit toujours au Penjab;
j) la protection dont le requérant bénéficie de par les bonnes relations politiques
de son père; k) l'amélioration générale de la situation au Penjab; l) le fait
que le requérant ait pu trouver refuge dans la province voisine avant de quitter
l'Inde, en 1991.
2.12 Le 2 mars 2001, la Cour fédérale a rejeté la demande d'autorisation de
former recours auprès des autorités judiciaires présentée par le requérant.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil fait valoir que le requérant court le risque d'être torturé et
que par conséquent le Canada commettrait une violation de l'article 3 de la
Convention s'il l'expulsait vers l'Inde. De plus, étant donné que le requérant
souffre de troubles post-traumatiques, il endurerait un traumatisme psychique
grave à son retour sans avoir la possibilité d'être soigné comme il convient,
ce qui en soi constituerait un traitement inhumain et dégradant et donc une
violation de l'article 16 de la Convention.
3.2 Le conseil affirme que le requérant a épuisé tous les recours internes.
Il ajoute que les recours prévus dans le cadre du système de réexamen des décisions
d'immigration sont inefficaces au Canada car les fonctionnaires de l'immigration
n'ont aucune formation dans le domaine des droits de l'homme ni dans les questions
juridiques, que dans la plupart des cas ils ne tiennent pas compte de la jurisprudence
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ni de la Cour fédérale
ou qu'ils ne font pas une appréciation réaliste de la situation dans le pays
d'origine du demandeur d'asile, qu'ils subissent souvent des pressions les incitant
à décider le plus grand nombre possible d'expulsions et que d'une façon générale
ils se montrent méfiants à l'égard des plaintes des demandeurs du statut de
réfugié.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Le 8 novembre 2001, l'État partie a fait tenir ses observations sur la recevabilité
et, subsidiairement, sur le fond de la requête.
4.2 L'État partie reconnaît que le requérant a épuisé tous les recours internes
disponibles. Il estime toutefois que la requête est irrecevable parce que les
éléments soumis par le requérant ne suffisent pas à démontrer l'existence à
première vue d'une violation de la Convention.
4.3 En ce qui concerne l'article 3 de la Convention, l'État partie fait valoir
que, d'après l'Observation générale n° 1, c'est au requérant qu'il incombe de
montrer qu'il risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Inde.
D'après l'État partie, le comportement du requérant après le départ de son pays,
en 1992, n'est pas celui de quelqu'un qui craint d'être torturé, comme le montre
le fait qu'il n'ait pas demandé le statut de réfugié aux États-Unis quand il
y habitait, qu'il ne se soit pas présenté à la convocation des autorités canadiennes
pour examiner sa première demande de statut de réfugié, le 17 août 1993, et
que son passeport indien ait été renouvelé à New York en 1993, ce qui constitue
de l'avis de l'État partie une preuve supplémentaire que le requérant n'a pas
peur des autorités indiennes et que celles-ci ne le recherchent pas et ne l'ont
jamais recherché. (5) L'État partie conteste aussi la crédibilité du requérant
à cause de l'authenticité douteuse du mandat d'arrestation: celui-ci avait été
délivré deux années après le départ de l'Inde, n'avait été présenté aux autorités
canadiennes qu'en décembre 1996, était dactylographié et ne portait pas d'en-tête
officiel, et était le genre de document qui pouvait être aisément contrefait
ou obtenu en Inde moyennant une somme modique.
4.4 L'État partie fait valoir également que les rapports médicaux produits par
le requérant confirment simplement l'existence d'anciennes blessures, sans apporter
la preuve de leur origine. L'État partie émet également des doutes sur le rapport
des psychiatres diagnostiquant des troubles post-traumatiques dont il n'avait
jamais été question avant 1999. Il conclut que, même si ces rapports corroboraient
l'allégation de tortures subies dans le passé, il ne s'agit pas d'un passé récent,
alors que la question décisive est de savoir si le risque de torture persiste.
Se référant à la jurisprudence du Comité, (6) l'État partie fait valoir que,
même si des tortures subies dans le passé constituent un élément à prendre en
considération quand une plainte pour violation de l'article 3 est examinée,
le Comité doit déterminer si le requérant risque d'être torturé actuellement
s'il est renvoyé dans son pays d'origine.
4.5 En se fondant sur plusieurs rapports consacrés à la situation des droits
de l'homme en Inde et en particulier au Penjab, l'État partie affirme qu'au
Penjab il n'y a pas d'ensemble de violations systématiques des droits de l'homme,
graves, flagrantes ou massives et que la situation dans cette province s'est
améliorée au cours des quelques dernières années, comme le montre la réduction
notable des actions armées sikhs ainsi que des opérations policières contre
les Sikhs. L'État partie doute que le requérant ait jamais été personnellement
la cible de répression policière et pense que la détention dont il aurait été
l'objet s'inscrivait dans le cadre des pratiques passées de la police du Penjab
consistant à procéder à de fausses arrestations pour obtenir des pots-de-vin.
L'État partie fait valoir en outre qu'il n'y a plus aujourd'hui que les militants
sikhs connus qui risquent d'être maltraités; or le requérant n'a jamais été
membre d'un parti politique ou d'un mouvement social quel qu'il soit. (7) Étant
donné que le Comité a même déclaré non fondée une plainte pour violation de
l'article 3 déposée par un militant sikh de grande notoriété, impliqué dans
le détournement d'un avion de la compagnie Indian Airlines en 1981, (8) l'État
partie estime que, dans les circonstances particulières de l'affaire, la torture
ne peut pas être considérée comme une conséquence prévisible et nécessaire du
renvoi du requérant en Inde.
4.6 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 16 de la Convention,
l'État partie fait valoir que cette disposition ne s'applique pas à la situation
du requérant parce qu'il ressort des travaux préparatoires de la Convention
que les questions liées à l'expulsion sont couvertes de façon exhaustive par
l'article 3. L'État partie ajoute, en reprenant une décision du Comité, que
«l'aggravation de l'état de santé de l'auteur qui pourrait résulter de son expulsion
ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable
à l'État partie». (9) Étant donné que, de l'avis de l'État partie, l'incapacité
d'un État de prodiguer les meilleurs soins médicaux possibles ne constitue pas
un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le renvoi du requérant en Inde ne
peut pas constituer non plus un tel traitement, même si sa plainte concernant
l'insuffisance des traitements médicaux assurés en Inde était étayée.
4.7 Si toutefois la plainte était déclarée recevable, l'État partie demande
au Comité de la rejeter sur le fond pour les motifs exposés plus haut.
4.8 En ce qui concerne l'appréciation du risque par les autorités d'immigration
canadiennes, l'État partie fait valoir que les fonctionnaires de l'immigration
reçoivent une formation spéciale pour évaluer la situation dans le pays d'origine
de la personne qui demande le statut de réfugié et pour appliquer la législation
canadienne ainsi que les dispositions internationales relatives aux droits fondamentaux,
dont la Convention contre la torture. L'État partie considère que la possibilité
d'obtenir la révision judiciaire de la décision est une garantie suffisante
pour le «manque relatif d'indépendance» des fonctionnaires de l'immigration.
4.9 Enfin, l'État partie fait valoir que le Comité ne devrait pas substituer
ses propres conclusions sur la question de savoir s'il existe des motifs sérieux
de croire que le requérant risque d'être exposé à la torture s'il est renvoyé
en Inde étant donné que la procédure suivie devant la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié ainsi que devant la Cour fédérale ne présente aucune
erreur manifeste ni la moindre irrégularité et n'est pas davantage déraisonnable,
l'appréciation des faits et des preuves relevant exclusivement des juridictions
nationales.
Commentaires du requérant
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, en date du
30 mars 2002, le requérant réaffirme qu'il risquerait d'être torturé, voire
exécuté, s'il était renvoyé en Inde. Certaines des preuves qu'il a produites
ont été totalement ignorées ou considérées comme négligeables dans la réponse
de l'État partie; il en est ainsi du rapport d'enquête de M. S. S., de plusieurs
articles de journaux et de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme
dans l'affaire Chahal tandis que pour d'autres pièces, comme le mandat d'arrestation
et l'article du magazine de Vancouver mentionnant explicitement le requérant,
l'État partie en a contesté l'authenticité. Étant donné que ce sont les originaux
qui ont été produits aux autorités canadiennes, il aurait été aisé pour l'État
partie de vérifier leur authenticité.
5.2 Le requérant reproche à l'État partie de mettre en doute la crédibilité
sur des points accessoires, comme la date du mandat d'arrestation et le fait
qu'il ait tardé à déposer une demande de statut de réfugié, qu'il n'ait pas
prétendu à un tel statut aux États-Unis et que le consulat indien de New York
lui ait délivré un passeport, motifs insuffisants pour réfuter le risque de
torture pourtant bien étayé. Le requérant dit que, pour obtenir un titre prouvant
son identité, il a versé 500 dollars à un certain M. S. qui est allé chercher
son passeport au consulat d'Inde à New York. Pour ce qui est de la date du mandat
d'arrestation, le requérant ne sait pas pourquoi il a été délivré deux ans après
son départ et que l'explication réside peut-être dans des événements survenus
au Penjab dont il n'a pas connaissance.
5.3 En ce qui concerne les rapports médicaux et psychologiques, le requérant
souligne que ces documents établissent clairement qu'il a subi des tortures,
ce qu'au demeurant l'État partie n'a jamais sérieusement contesté. Il réfute
l'allégation de l'État partie qui affirme que les rapports ont été présentés
alors que la procédure était bien avancée, expliquant que le rapport médical
de 1995 avait été soumis aux autorités canadiennes plus tôt.
5.4 À titre de preuve supplémentaire, le requérant joint une déclaration sous
serment d'un de ses amis, S. S. S., ancien officier de l'armée indienne, qui,
après avoir été limogé de l'armée, a rejoint les rangs des militants sikhs,
a quitté le pays et a reçu en 1993 le statut de réfugié au Canada au titre de
la Convention. Cette personne affirme avoir vu plusieurs fois la famille du
requérant pendant une visite de quatre mois effectuée en Inde en 1997 et avoir
appris que la police du Penjab continuait à la harceler et soupçonnait le requérant
d'avoir des contacts avec des terroristes à l'étranger.
5.5 Le requérant souligne que pour une bonne part les réponses de l'État partie
ne sont que des répétitions des arguments énoncés dans la décision finale du
fonctionnaire de l'immigration, datée du 13 octobre 2000, sans qu'il soit expliqué
pourquoi la conclusion retenue dans deux arrêts de la Cour fédérale, qui avait
établi que s'il était expulsé le requérant courrait un risque de préjudice irréparable,
n'a pas été prise en considération. En ce qui concerne le refus de l'autoriser
à se pourvoir devant les autorités judiciaires, le requérant explique que ce
refus émane d'un nouveau juge qui avait intégré la Cour fédérale tout récemment,
en mars 2001.
5.6 D'après le requérant, le risque de torture auquel il est exposé s'il retourne
en Inde est d'autant plus grand qu'il est considéré comme un sympathisant militant
car la police du Penjab l'a accusé de soutenir les militants sikhs. De plus,
comme il est en mauvaise santé physique, les forces de sécurité seraient encore
plus convaincues qu'il a été impliqué dans la lutte armée.
5.7 En ce qui concerne les violations des droits fondamentaux commises actuellement
en Inde et en particulier au Penjab, le requérant dit que même si la situation
s'est améliorée par rapport au début des années 90, la torture est encore largement
pratiquée par la police et l'armée. Pour ce faire, il joint plusieurs rapports
volumineux faisant état de violations persistantes au Penjab ainsi que sur le
système canadien de détermination du statut de réfugié.
5.8 En ce qui concerne l'allégation de violation de l'article 16 de la Convention,
le requérant fait valoir que ce grief n'est pas fondé exclusivement sur l'insuffisance
des traitements médicaux disponibles en Inde; il repose aussi sur l'expérience
traumatisante que constitue son renvoi dans un pays où il a été victime de torture.
5.9 Le requérant affirme que les fonctionnaires canadiens de l'immigration ne
reçoivent généralement pas de formation dans le domaine des droits de l'homme.
Au contraire, on les forme à repérer les points qui peuvent faire douter de
la crédibilité d'un demandeur d'asile. Le requérant réaffirme aussi que la révision
judiciaire assurée par la Cour fédérale constitue un contrôle insuffisant des
abus des autorités d'immigration et cite l'affaire à l'étude comme l'exemple
même de l'insuffisance de ce recours.
Observations complémentaires de l'État partie et commentaires du requérant
6.1 Dans une réponse complémentaire datée du 12 novembre 2002, l'État partie
a fait valoir qu'outre le fait qu'elle est insuffisamment étayée, la requête
est aussi irrecevable au titre du paragraphe 2 de l'article 22 parce qu'elle
est incompatible avec l'article 3 de la Convention, étant donné qu'aucune décision
de renvoi n'avait été prise à ce stade, ainsi qu'au titre du paragraphe 5 b)
de l'article 22 de la Convention et de l'article 107 e) du règlement intérieur
du Comité, du fait que les recours n'avaient pas été épuisés dans le cadre de
la procédure d'évaluation du risque préalable au renvoi. Subsidiairement, l'État
partie maintient que la requête est infondée.
6.2 L'État partie soutient qu'en vertu de la nouvelle loi sur l'émigration et
la protection des réfugiés du 28 juin 2002, toute personne en instance d'expulsion
a droit à une nouvelle évaluation du risque encouru, sur la base de nouveaux
éléments de preuve, ce qui entraîne le sursis automatique de l'ordre de renvoi,
si l'intéressé demande une telle évaluation dans les 15 jours suivant la date
à laquelle il a été informé de la possibilité de se prévaloir de la protection
de ladite loi. L'évaluation est effectuée par un fonctionnaire formé à l'application
de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés ainsi qu'à la Convention
contre la torture. Lorsque l'issue de l'évaluation est négative, le requérant
peut demander l'autorisation de saisir la Cour fédérale, qui peut annuler la
décision sur la base d'une simple erreur du point de vue du droit ou d'une erreur
manifeste d'appréciation des faits. Les décisions de la section de première
instance de la Cour fédérale peuvent faire l'objet d'un appel devant la Cour
d'appel fédérale si le juge de première instance certifie que le dossier soulève
une question grave d'importance générale. La décision de la Cour d'appel peut
être portée devant la Cour suprême du Canada. Le requérant peut demander à la
Cour fédérale d'ordonner à titre provisoire qu'il soit sursis au renvoi en attendant
l'issue des requêtes et recours dont elle est saisie.
6.3 L'État partie fait valoir que l'évaluation du risque préalable au renvoi
constitue un recours efficace, au même titre que l'évaluation des risques pour
les demandeurs d'asile non reconnus prévue par l'ancienne législation. (10)
Le Comité contre la torture et le Comité des droits de l'homme sont parvenus
à la même conclusion concernant le recours en révision. (11)
6.4 De plus, l'État partie rejette l'argument du requérant selon lequel la Cour
fédérale a reconnu par deux fois qu'il risquait d'être torturé s'il était renvoyé
en Inde, au motif que l'ordre de suspension du 2 octobre 1998 et la décision
du 24 novembre 1999 sur un de ses recours en révision ne peuvent être considérés
comme une constatation judiciaire de l'existence d'un tel risque.
6.5 L'État partie conteste les éléments de preuve documentaires produits par
l'auteur aux motifs que: a) la déclaration de M. S. S. S., qui a passé quatre
mois en 1997 au Penjab alors que le statut de réfugié lui avait été octroyé
au Canada, se fondait simplement sur les déclarations de la famille et des amis
du requérant au Penjab et qu'il s'agissait donc d'un argument tendancieux et
sujet à caution; b) les rapports et les études sur les violations des droits
de l'homme commises par le passé au Penjab étaient insuffisants pour établir
que l'intéressé courrait personnellement, à ce moment-là, le risque d'être torturé
s'il était renvoyé en Inde; et c) les deux rapports médicaux de 1995 ne mentionnaient
que des traces de blessures anciennes, passant sous silence les troubles post-traumatiques
qui ont été mentionnés pour la première fois dans le rapport de 1999, soit cinq
ans après que le requérant a introduit sa demande d'asile.
7.1 Dans ses commentaires datés du 31 mars 2003, le requérant réitère qu'il
courait personnellement et actuellement le risque d'être torturé en Inde, comme
l'ont confirmé les décisions de la Cour fédérale selon lesquelles il «subirait
un préjudice irréparable» (ordre de suspension du 2 octobre 1998) ou «subirait
un traitement inusité, non mérité ou disproportionné» (arrêt du 24 novembre
1999) s'il était renvoyé dans ce pays.
7.2 Le requérant réfute l'argument selon lequel les obligations internationales
du Canada en matière de droits de l'homme sont prises en considération lors
de l'ERPR, cette procédure étant conçue pour refuser le statut de réfugié à
«pratiquement tout le monde», avec un taux de refus s'établissant entre 97 et
98 %.
Observations supplémentaires de l'État partie et commentaires du requérant
8.1 Le 19 février 2004, l'État partie a informé le Comité de ce que la procédure
d'évaluation du risque préalable au renvoi du requérant était achevée et lui
demandait de lever la suspension prononcée quant à l'examen de l'affaire, de
se prononcer sur la recevabilité et le fond de la requête dans les meilleurs
délais ou, à défaut, de retirer sa demande de mesures provisoires, conformément
au paragraphe 7 de l'article 108 de son règlement intérieur.
8.2 L'État partie fait valoir que les éléments produits par le requérant ne
suffisent pas à établir que, s'il était renvoyé, il subirait «un préjudice irréparable»
au sens du paragraphe 1 de l'article 108 du règlement intérieur, étant donné
son rôle effacé, le fait que les tortures qu'il aurait subies remontent à plus
de 12 ans et que la situation des droits de l'homme au Penjab s'est considérablement
améliorée au cours des 11 années qui ont suivi son départ. L'absence de tout
risque de torture a été confirmée dans le cadre de quatre évaluations successives
menées par quatre fonctionnaires différents; de simples conjectures de la part
du requérant ne devraient pas empêcher l'exécution d'un ordre de renvoi pris
en toute légalité.
8.3 L'État partie fait valoir que, le 14 mai 2003, le requérant a introduit
une demande de résidence permanente pour raison humanitaire et que, le 10 septembre
2003, il a également demandé une évaluation du risque préalable au renvoi. Les
deux demandes se fondaient sur les mêmes allégations que sa première demande
de statut de réfugié et que les demandes de protection qu'il a introduites par
la suite. Le 29 septembre 2003, le fonctionnaire chargé de l'évaluation du risque
préalable au renvoi a rejeté la demande du requérant et a ordonné son renvoi
immédiat, considérant qu'il ne serait pas exposé au risque d'être persécuté,
torturé, tué ou victime d'une peine ou d'un traitement cruel ou inusité s'il
retournait en Inde. De même, la demande de permis de séjour pour raison humanitaire
déposée par le requérant a été rejetée le 30 septembre 2003, le risque de persécution
n'ayant pas été suffisamment étayé.
8.4 L'État partie précise qu'ayant à cœur de refermer le dossier, il ne conteste
plus la recevabilité de la requête au motif du non-épuisement des recours internes,
bien que la demande d'autorisation de se pourvoir en révision soit encore pendante
devant la Cour fédérale.
9.1 Le 2 mars 2004, le requérant a soumis au Comité copie du dossier relatif
à la procédure d'évaluation du risque préalable au renvoi et, le 20 avril 2004,
il a présenté ses commentaires sur les observations complémentaires de l'État
partie. Les éléments figurant dans le dossier sont les suivants: a) plusieurs
rapports sur la situation des droits de l'homme au Penjab, dont un rapport d'Amnesty
International daté de janvier 2003 sur l'impunité et la torture dans cette région,
(12) qui révèle que des membres de la police coupables d'actes de torture ne
sont pas traduits en justice et fait état de décès de personnes détenues, d'exécutions
extrajudiciaires et de disparitions qui se sont produites à l'époque du militantisme
penjabi entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90, signe que
les atteintes aux droits de l'homme perdurent au Penjab; b) plusieurs déclarations
sous serment, dont l'une de la main d'un réfugié, ex-avocat défenseur des droits
de l'homme au Penjab, qui pratique actuellement le droit au Canada, confirmant
que le requérant court un risque, dans la mesure où toute personne soupçonnée
d'entretenir des liens avec des militants, comme c'est le cas du requérant,
serait prise pour cible par la police et incapable d'obtenir la protection des
tribunaux au Penjab; c) la traduction d'un arrêté daté du 27 août 2003 émanant
du conseil municipal («panchayat») du village du requérant, confirmant que sa
vie serait en danger s'il rentrait et critiquant le harcèlement auquel la police
locale soumettait sa famille; d) une lettre de M. S. S. datée du 3 octobre 2003
contenant les mêmes indications; et e) une lettre récente du fils du requérant
datée du 10 avril 2004 selon laquelle sa famille est constamment harcelée par
le Département des enquêtes criminelles et se trouve de ce fait socialement
isolée et indiquant qu'il craint lui-même pour sa vie. (13)
9.2 Le conseil retrace la chronologie des recours que le requérant a engagés
au Canada et informe le Comité de ce que la Cour fédérale a rejeté sa demande
d'autorisation de se pourvoir en révision le 17 février 2004. (14) Il fait valoir
qu'à l'instar de l'ancienne procédure d'évaluation des risques pour les demandeurs
d'asile non reconnus, qui était constamment critiquée par les églises et les
associations de soutien aux réfugiés au Canada, la procédure d'évaluation du
risque préalable au renvoi est considérée comme manquant d'indépendance et d'impartialité
par l'Association du barreau canadien et les groupes de défense des droits de
l'homme, sa seule finalité étant de donner l'impression que l'État a évalué
les dangers avant d'expulser un requérant. Ni le Comité contre la torture ni
le Comité des droits de l'homme n'ont estimé que cette procédure constituait
un recours utile; ils ont seulement fait observer que cette procédure devait
être épuisée ou que le requérant devait en démontrer l'inefficacité.
9.3 Le requérant conteste les résultats de l'évaluation du risque préalable
au renvoi pour les motifs suivants: a) la décision ne se fonde que sur des événements
ayant précédé son départ de l'Inde, sans tenir aucun compte du harcèlement dont
est victime sa famille, des nouveaux éléments qu'il a invoqués ni des deux décisions
de la Cour fédérale d'octobre 1998 et de novembre 1999; b) la décision repose
sur l'affirmation erronée selon laquelle les arrestations arbitraires de personnes
soupçonnées d'être des militants ou des sympathisants sikhs ont cessé au Penjab,
contrairement à ce qu'indiquent les services d'immigration danois et à ce qui
ressort de l'évaluation de pays effectuée par le Royaume-Uni; c) la décision
procède enfin de l'idée fausse qu'il est possible au requérant de s'installer
ailleurs en Inde en toute sécurité, alors que les observateurs des droits de
l'homme considèrent qu'il est impossible qu'une personne prise pour cible par
la police puisse mener une vie normale en Inde, puisque tous les nouveaux arrivants
doivent se faire enregistrer au poste de police local et que les voisins informent
la police de toute nouvelle arrivée.
9.4 Le requérant réfute l'argument selon lequel la situation des droits de l'homme
s'est récemment améliorée au Penjab; bien au contraire, selon Amnesty International,
le nombre de cas de torture y a augmenté. Le Centre canadien pour les victimes
de la torture, basé à Toronto, et le Réseau pour les victimes de violences organisées,
basé à Montréal, ont confirmé qu'ils continuaient à recevoir des victimes d'actes
de torture graves venant de cette région. Depuis que le Parti du Congrès a pris
le pouvoir au Penjab en 2002, tous les membres de la police qui avaient été
accusés d'actes de torture et de violation des droits de l'homme ont été amnistiés.
La nouvelle législation antiterroriste a encore affaibli la position des victimes
de la torture. L'argument selon lequel seuls des militants sikhs très connus
courent le risque d'être torturés au Penjab est rejeté par la plupart des observateurs
et contredit par des informations selon lesquelles il arrive souvent que des
personnes ayant déjà été victimes de torture et leur famille continuent d'être
prises pour cible.
Délibérations du Comité
10.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre
la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l'article
22 de la Convention. Le Comité a vérifié, comme il est tenu de le faire en vertu
du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait
pas été examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre procédure
internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité relève que l'État partie
reconnaît que les recours internes ont été épuisés. Aussi, la question de savoir
si, comme l'affirme le conseil, les recours offerts par la procédure canadienne
d'examen des demandes d'immigration ne sont pas utiles, ne se pose pas dans
le cadre de l'examen de la recevabilité.
10.2 En ce qui concerne l'allégation du requérant qui affirme que la décision
de le renvoyer en Inde constituerait en soi une peine ou un traitement cruel,
inhumain ou dégradant, en violation de l'article 16 de la Convention, le Comité
relève que le requérant n'a pas apporté d'élément suffisant pour étayer cette
allégation. Il rappelle en particulier que, selon sa jurisprudence, l'aggravation
de l'état de santé d'un requérant par suite de son expulsion ne constitue pas
une forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article 16
de la Convention. (15) Tout en reconnaissant que son expulsion en Inde peut
susciter chez le requérant des craintes subjectives, le Comité estime qu'il
ne s'agit pas d'un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de l'article
16 de la Convention. Le Comité constate que l'allégation de violation de l'article
16 de la Convention n'est pas étayée par le minimum d'éléments qui pourraient
rendre cette partie de la communication recevable en vertu de l'article 22 de
la Convention.
10.3 En ce qui concerne l'allégation de violation du paragraphe 1 de l'article
3 de la Convention, le Comité estime qu'il n'y a pas d'obstacle à déclarer la
requête recevable. Il procède donc à l'examen quant au fond.
11.1 Le Comité doit évaluer s'il existe des motifs sérieux de croire que le
requérant courrait personnellement un risque d'être soumis à la torture s'il
était renvoyé en Inde. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les
éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention,
y compris l'existence dans l'État où le requérant serait renvoyé d'un ensemble
systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme.
11.2 À ce propos, le Comité prend acte du fait que les rapports soumis par le
requérant, qui confirment que les cas de torture de personnes en garde à vue
se sont poursuivis après la fin de la période de militantisme au Penjab au milieu
des années 90 et que les auteurs des tortures ont pour la plupart échappé à
la justice. Il note également l'argument de l'État partie selon lequel la situation
des droits de l'homme s'est améliorée au Penjab au cours des 11 années qui se
sont écoulées depuis que le requérant a quitté l'Inde.
11.3 Cela étant, le Comité rappelle qu'il doit déterminer si l'intéressé risque
personnellement d'être soumis à la torture en Inde. Dès lors, même si l'existence
d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives dans le pays est établie, cela ne constitue pas en soi un motif
suffisant pour établir que le requérant risque d'être soumis à la torture à
son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant
à penser que l'intéressé courrait personnellement un risque. À l'inverse, l'absence
d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme
ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être
soumise à la torture dans ses propres circonstances particulières.
11.4 Le Comité note que le requérant a soumis des éléments de preuve pour montrer
qu'il avait été torturé pendant sa détention en 1991, sous la forme de rapports
médicaux et psychiatriques, ainsi que de déclarations écrites de témoins corroborant
cette allégation. Le Comité considère toutefois qu'à supposer même que le requérant
ait été torturé par la police du Penjab, il n'en découle pas automatiquement
que, 13 ans après que les faits allégués ont eu lieu, il risque encore d'être
torturé s'il est renvoyé en Inde.
11.5 S'agissant de l'affirmation du requérant selon laquelle il court toujours,
à l'heure actuelle, un risque d'être torturé en Inde, le Comité note que, tout
en confirmant que l'intéressé risque d'être soumis à la torture et que sa famille
continue d'être harcelée par la police du Penjab, les éléments produits par
le requérant, y compris les déclarations sous serment, les lettres et un document
qui contiendrait un arrêté du conseil municipal de son village natal attestent
simplement le risque qu'il court d'être torturé au Penjab. Le Comité considère
que le requérant n'a pas étayé son affirmation selon laquelle il lui serait
impossible de mener une vie normale, à l'abri de la torture, ailleurs en Inde.
Bien qu'une réinstallation en dehors du Penjab entraînerait des difficultés
considérables pour le requérant, le simple fait qu'il ne puisse pas retrouver
sa famille et son village natal n'équivaut pas à la torture au sens de l'article
3, lu conjointement avec l'article 1 de la Convention.
11.6 S'agissant de l'efficacité générale des recours judiciaires disponibles
dans le cadre de la procédure d'examen prévue par la législation canadienne
sur l'immigration, le Comité note que la décision finale concernant l'expulsion
du requérant a été prise à l'issue d'un examen long et détaillé comportant quatre
procédures successives, dans lequel le risque encouru par le requérant a été
mesuré. Le Comité note aussi que, avant cette décision, l'État partie avait
accepté de reconsidérer la situation du requérant pour des motifs humanitaires
quand il était apparu que les éléments de preuve qu'il avait fournis n'avaient
pas été dûment pris en considération. De même, le Comité relève que la Cour
fédérale n'a pas hésité à renvoyer l'affaire pour qu'elle soit réexaminée parce
que la nouvelle décision concernant la requête pour motifs humanitaires avait
été prise sans que les faits invoqués aient été dûment appréciés.
11.7 À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut que le requérant n'a
pas apporté des éléments suffisants pour lui permettre d'établir qu'il courrait
aujourd'hui et personnellement un risque prévisible d'être torturé s'il était
renvoyé en Inde.
12. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l'État partie de le renvoyer
en Inde ne constituerait pas une violation par l'État partie de l'article 3
de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. La loi a été modifiée le 1er novembre 2001.
2. «Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il
ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de
justice fondamentale.».
3. «Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels
et inusités.».
4. Pour cette raison, il est indiqué dans les Notes au dossier que l'affaire
n'a rien de semblable à l'affaire Chahal c. Royaume-Uni soumise à la Cour européenne
des droits de l'homme, laquelle avait statué que l'expulsion d'un défenseur
connu du mouvement séparatiste sikh constituerait une violation de l'article
3 de la Convention européenne des droits de l'homme étant donné que, du fait
de son engagement dans le mouvement séparatiste sikh, il «serait vraisemblablement
la cible privilégiée des éléments durs des forces de sécurité qui ont pourchassé
sans merci les militants sikhs par le passé». Voir Cour européenne des droits
de l'homme, affaire Chahal c. Royaume-Uni (requête no 00022414/93), arrêt du
15 novembre 1996, par. 98 et 106 à 108 (citation au paragraphe 106).
5. L'État partie renvoie à ce sujet à la décision du Comité dans l'affaire E.
A. c. Suisse (communication no 28/1995, CAT/C/19/D/28/1995, décision du 10 novembre
1997, par. 11.4).
6. X, Y et Z c. Suède (communication no 61/1996, CAT/C/20/D/61/1996, décision
du 6 mai 1998, par. 11.2); A. L. N. c. Suisse (communication no 90/1997, CAT/C/20/D/90/1997,
décision du 19 mai 1998, par. 8.3).
7. L'État partie renvoie à la jurisprudence du Comité pour étayer son argument.
Voir, par exemple, P. Q. L. c. Canada (communication no 57/1996, CAT/C/19/D/57/1996,
décision du 17 novembre 1997, par. 10.4).
8. T. P. S. c. Canada (communication no 99/1997, CAT/C/24/D/99/1997, décision
du 4 septembre 2000, par. 15.5).
9. G. R. B. c. Suède (communication no 83/1997, CAT/C/20/D/83/1997, décision
du 15 mai 1998, par. 6.7).
10. En ce qui concerne l'évaluation des risques pour les demandeurs d'asile
non reconnus, l'État partie cite les décisions du Comité des droits de l'homme
concernant la communication no 603/1994, Badu c. Canada, par. 6.2; communication
no 604/1994, Nartey c. Canada, par. 6.2; communication no 654/1995, par. 6.2.
11. Outre les décisions susmentionnées du Comité des droits de l'homme, il est
renvoyé aux décisions du Comité contre la torture concernant les requêtes no
66/1997, P. S. S. c. Canada, par. 6.2; no 86/1997, P. S. c. Canada, par. 6.2;
no 42/1996, R.. K. c. Canada, par. 7.2; no 95/1997, L. O. c. Canada, par. 6.5;
no 22/1995, M. A. c. Canada, par. 3.
12. Index AI ASA 20/002/2003.
13. La lettre est jointe aux éléments soumis par le requérant le 20 avril 2004.
14. Copie de la décision est jointe à la lettre du requérant datée du 2 mars
2004.
15. G. R. B. c. Suède (communication no 83/1997, CAT/C/20/D/83/1997, décision
du 15 mai 1998, par. 6.7).