S.V. et consorts (noms supprimés) c. Canada, Communication No. 49/1996, U.N. Doc. CAT/C/26/D/49/1996 (2001).
Présentée par: S. V. et consorts (noms supprimés)
(représentés par un conseil)
Au nom de: Les auteurs
État partie: Canada
Date de la communication: 15 mai 1996
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants,
Réuni le 15 mai 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 49/1996 présentée au Comité
contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées
par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la
Convention.
1. Les auteurs de la communication sont S. V., son épouse et leur fille, de nationalité sri-lankaise, qui veulent obtenir le statut de réfugié au Canada. Ils affirment que leur renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par le Canada des articles 3 et 16 de la Convention contre la torture. Ils sont représentés par un conseil.
1.2 Le 12 juin 1996, le Comité a transmis la communication à l'État partie en
lui demandant de faire part de ses observations et de ne pas procéder à l'expulsion
des auteurs tant que la communication serait en cours d'examen.
Rappel des faits présentés par les auteurs
2.1 L'auteur est un Tamoul de la région de Jaffna, dans le nord de Sri Lanka.
Le couple a deux enfants, une fille de huit ans et un fils de deux ans, qui
est né au Canada et a la nationalité canadienne. D'après les auteurs, à partir
de 1987 et jusqu'à leur départ de Sri Lanka, en 1992, tous ont subi de graves
persécutions, en particulier M. S. V., de la part de la Force indienne de maintien
de la paix (IPKF), des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE), de l'armée
sri-lankaise (SLA) et de la police de Colombo. M. S. V. a été arrêté plusieurs
fois et, au moins deux fois, il a été torturé par l'armée et la police.
2.2 S. V. était membre du Front uni de libération tamoul (TULF) qui prônait
la création d'un État tamoul autonome à Sri Lanka par des moyens pacifiques.
En octobre 1987, un conflit armé a éclaté entre les Tigres de libération et
la Force indienne de maintien de la paix. M. S. V. et sa femme ont été obligés
de quitter leur maison, à Thirunelvely (Jaffna) pour échapper aux bombes. Quand
ils sont rentrés chez eux, ils ont trouvé la maison occupée par des soldats
de l'IPKF. M. S. V. leur a demandé de quitter les lieux mais ils ont refusé
et l'ont accusé d'être membre des Tigres de libération de l'Eelam tamoul.
2.3 En mai 1988, S. V. a été placé en détention dans un camp établi sur sa propre
propriété par le Front de libération révolutionnaire du peuple de l'Eelam, un
groupe de militants tamouls allié à l'IPKF. Il y est resté 10 jours et pendant
cette période a été brutalisé de façon répétée et interrogé au sujet de ses
liens supposés avec les LTTE.
2.4 En 1990, les LTTE ont pris le contrôle de la région tamoule et se sont appropriés
les biens de M. S. V.; ils l'ont menacé fusil au poing quand il a exigé qu'ils
évacuent sa propriété. Il avait alors été contraint d'abandonner définitivement
sa maison et toute la famille est partie pour Kaithady (Jaffna).
2.5 En décembre 1990, alors qu'il allait de Colombo à Jaffna, S. V. a été arrêté
à Vavuniya par l'armée sri-lankaise. Il a été interrogé, accusé d'appartenir
aux Tigres de libération de l'Eelam tamoul et passé à tabac. Trois jours plus
tard, il a été de nouveau roué de coups car on voulait le faire avouer. On lui
a cogné la tête à plusieurs reprises contre un mur jusqu'à ce qu'il perde connaissance.
Selon les auteurs, S. V. a eu comme séquelle une lésion cérébrale qui l'a rendu
aphasique. Après cet incident, il est allé à Colombo pour se faire soigner.
2.6 En mars 1991, après l'assassinat du Ministre adjoint de la défense de Sri
Lanka, la police a lancé une opération de ratissage à Colombo, arrêtant tous
les Tamouls de sexe masculin. S. V., qui était hébergé chez un cousin à Colombo,
a été arrêté par quatre policiers armés le 4 mars 1991. Il a été interrogé,
les policiers voulant savoir pourquoi il se trouvait à Colombo et l'accusant
d'appartenir aux Tigres de libération. Il a été brutalisé à maintes reprises
par la police qui le frappait à coups de poing et de crosse de fusil et il est
resté détenu pendant deux jours. Sur l'intervention d'un avocat engagé par son
cousin, il a été remis en liberté et son cousin lui a dit qu'il ne pouvait plus
habiter avec lui car il risquait d'avoir de nouveaux ennuis avec la police.
Il est donc retourné à Jaffna.
2.7 Le 18 février 1992, les LTTE ont voulu obliger S. V. à se rallier à leur
mouvement mais il a refusé; ils lui ont alors ordonné de se rendre à leur bureau
le lendemain et, s'il n'obtempérait pas, il serait considéré comme l'ennemi
du peuple tamoul. M. S. V. a vu dans cet avertissement une menace de mort et
s'est enfui pour Colombo le soir même.
2.8 Le 3 mars 1992, la police a investi l'hôtel où S. V. était descendu à Colombo
et, avec d'autres Tamouls, il a été arrêté. Il a été conduit au poste de police
de Wellawatte et interrogé sur les motifs de son séjour à Colombo et sur ses
liens avec les Tigres. Il a été remis en liberté le lendemain à condition de
se rendre une fois par semaine à la police et de ne pas changer d'adresse à
Colombo.
2.9 À partir de ce moment là, S. V. craignait d'être arrêté à tout moment, d'être
interrogé et torturé parce qu'il était soupçonné d'appartenir aux LTTE. Il a
décidé qu'il n'était plus en sécurité nulle part à Sri Lanka et il est parti
le 13 mars 1992 pour le Canada où il est arrivé au mois de mai de la même année
(1). Il a demandé le statut de réfugié au titre de la Convention
au motif qu'il était persécuté en raison de sa race, de ses opinions politiques
et de son appartenance à un groupe social particulier.
2.10 L'épouse de l'auteur affirme que des membres des LTTE qui cherchaient son
mari se sont rendus plusieurs fois chez elle, à Jaffna. L'un d'eux a exigé qu'elle
lui remette 200 000 roupies pour la punir de la désobéissance de son mari et
lui a donné un mois pour réunir la somme. Elle s'est alors enfuie avec sa fille
à Colombo, où elle a dû se faire enregistrer auprès de la police qui lui a confisqué
sa carte d'identité. Elle était accusée d'être parmi les partisans des LTTE.
En août 1992, après une rafle de Tamouls effectuée par la police, elle a décidé
que sa fille et elle-même n'étaient plus en sécurité nulle part à Sri Lanka
et en septembre 1992 elle est partie pour le Canada. À son arrivée, elle a demandé
le statut de réfugié pour elle-même et pour sa fille.
2.11 À l'issue d'une audition tenue le 4 mars 1993, la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié a conclu que les auteurs ne pouvaient pas être admis
au bénéfice du statut de réfugié, ce pour deux motifs: premièrement, les actes
d'extorsion des LTTE ne constituaient pas une persécution, mais plutôt un harcèlement
pénible, créant une situation difficile à supporter; deuxièmement, les auteurs
avaient d'autres solutions pour trouver refuge dans leur pays, à Colombo. La
Commission a conclu qu'il n'existait pas de raison valable de supposer que S.
V. serait persécuté à Colombo et que, par conséquent, il n'était pas déraisonnable
de lui demander de se réfugier dans cette ville.
2.12 Par une décision datée du 7 janvier 1994, la Section de première instance
de la Cour fédérale a refusé à la famille l'autorisation de former un recours
contre la décision de la Commission, qu'ils affirmaient être entachés d'erreurs
de fait et de droit.
2.13 Le 28 janvier 1994, une demande en révision a été adressée aux services
d'immigration du Canada au titre du programme d'admission à la catégorie des
demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Cette procédure
a pour objet d'identifier les personnes qui, bien que n'étant pas reconnues
comme des réfugiés au sens de la Convention, seraient objectivement exposées
à un danger précis pour leur vie ou à un traitement inhumain si elles retournaient
dans leur pays d'origine.
2.14 La demande déposée par les auteurs au titre du DNRSRC a été examinée le
9 novembre 1995 et rejetée. L'agent a estimé que, si les auteurs avaient de
bonnes raisons de craindre un retour dans le nord de Sri Lanka, ils pouvaient
chercher la sécurité à Colombo. Il a noté en particulier que l'attaque de l'armée
sri-lankaise, qui était à l'origine des problèmes de santé de S. V., s'était
produite près de Jaffna. Les arrestations effectuées par la police de Colombo
faisaient partie d'une politique générale de harcèlement des Tamouls par la
police qui, à son avis, ne constituait pas un «risque objectivement identifiable»,
étant donné que la plupart des détenus étaient libérés dans les trois jours,
même si certains étaient obligés de verser des pots-de-vin pour obtenir leur
relaxe. Il a aussi fait valoir qu'une partie de la famille élargie des auteurs
vivait à Colombo et pouvait les aider à s'installer dans cette ville. Enfin,
le rapport du médecin selon lequel S. V. souffrait de troubles post-traumatiques,
qui pourraient s'aggraver s'il retournait à Sri Lanka, avait été établi sur
la base d'une seule visite à ce médecin, et non dans le cadre d'un traitement
continu, et ne donnait pas de précisions sur les conditions qui pouvaient provoquer
une rechute.
2.15 Le 13 mai 1995, les auteurs ont adressé une nouvelle requête au Ministre
de l'immigration afin qu'il intervienne pour des motifs humanitaires, en vertu
de l'article 114 2) de la loi sur l'immigration. La demande a été rejetée le
9 décembre 1996. L'autorisation de former un recours contre cette décision a
été refusée par la Cour fédérale le 11 avril 1997.
Teneur de la plainte
3.1 Les auteurs craignent d'être persécutés et maltraités par les autorités
sri-lankaises en raison de leur passé et du fait qu'ils ont quitté le pays depuis
1992. Ils affirment que, s'il les rapatrie, le Canada violera l'article 3 de
la Convention contre la torture.
3.2 Les auteurs apportent des éléments d'ordre médical prouvant que les souffrances
psychiques et physiques subies par S. V. pendant qu'il était détenu ont eu des
conséquences profondes à long terme. Il a de la difficulté à parler et à bouger
le cou et présente des troubles post-traumatiques (des rapports psychiatriques
sont fournis). Les auteurs affirment qu'étant donné les maux dont il souffre,
S. V. serait particulièrement vulnérable aux mauvais traitements et, en outre,
ne recevrait pas à Sri Lanka les soins médicaux dont il a besoin.
3.3 Les auteurs expliquent de plus que leur fille, Nitarsha, est physiquement
et mentalement handicapée, car elle souffre de paralysie cérébrale, d'hémiparésie
du côté droit et d'épilepsie. Elle nécessite des soins, un traitement et un
enseignement spéciaux, qu'elle ne peut pas recevoir à Sri Lanka.
3.4 Les auteurs affirment que, pour ces raisons médicales, l'expulsion de la
famille équivaudrait, de la part des autorités canadiennes, à un traitement
inhumain et dégradant contraire à l'article 16 de la Convention contre la torture.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité
4.1 Par une note datée du 9 juin 1997, l'État partie a contesté la recevabilité
de la communication. Il a indiqué que les auteurs n'avaient pas formé de recours
judiciaire contre la décision de rejet du statut de réfugié et qu'ils pouvaient
encore le faire si le délai d'appel était prolongé par la Cour. En outre, si
les auteurs obtenaient l'autorisation de former un recours auprès des autorités
judiciaires, ils auraient encore la possibilité de faire appel de la décision
de la Section de première instance de la Cour fédérale devant la Cour d'appel
fédérale au cas où le juge de la Section de première instance certifiait que
l'affaire soulevait une grave question d'importance générale. Enfin, il était
possible de demander l'autorisation de faire appel d'une décision de la Cour
d'appel fédérale devant la Cour suprême du Canada.
4.2 À l'appui d'un recours juridictionnel, les auteurs pouvaient invoquer des
arguments fondés sur la Charte canadienne des droits et libertés. Il convenait
de noter à ce propos que dans le contexte de l'extradition, la Cour suprême
du Canada avait jugé que le renvoi d'une personne dans un pays dans des conditions
susceptibles de «heurter la conscience des Canadiens» était une violation de
l'article 7 de la Charte.
Observations du conseil concernant la recevabilité
5.1 Dans sa réponse datée du 28 avril 1998, le conseil a indiqué que les auteurs
avaient demandé la révision de la décision adoptée par la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié. Mais la Cour fédérale avait refusé l'autorisation d'examiner
cette question, et cette décision était sans appel. C'était l'étape finale de
la procédure d'examen des demandes de statut de réfugié, étape à laquelle une
décision sur le fond était prise par des organes judiciaires ou quasi judiciaires.
Tous les réexamens juridictionnels ultérieurs ne portaient que sur des questions
de procédure.
5.2 Le rejet de la demande initiale de statut de réfugié avait été suivi d'un
réexamen automatique, qui avait abouti à une décision négative en novembre 1995.
Cette procédure était critiquée par les réfugiés, les avocats et les groupes
religieux parce qu'elle n'aboutissait presque jamais à l'acceptation d'une demande.
5.3 La seule question laissée ouverte par l'État partie est celle de savoir
si le rejet de la demande d'admission au programme DNRSRC aurait dû être attaqué
devant la Cour fédérale et si ce recours pouvait encore être exercé. Le conseil
a fait observer que les intéressés n'avaient pas demandé la révision de la procédure
parce qu'ils n'avaient pas les moyens financiers de le faire et que cette démarche
aurait été vaine. La jurisprudence de la Cour fédérale montre en effet clairement
que la décision rendue par l'agent chargé d'examiner les demandes d'admission
est entièrement discrétionnaire et que la Cour ne s'occupe que des questions
de procédure.
5.4 Plutôt que de former un recours juridictionnel contre cette décision, les
auteurs avaient formulé une demande de révision pour des questions humanitaires
en soulevant les mêmes points de droit. La question des troubles post-traumatiques
avait été longuement évoquée de même que le danger d'un retour à Sri Lanka.
Les allégations de torture avaient été pleinement étayées par des preuves, et
l'agent des services d'immigration avait jugé la relation crédible mais avait
refusé d'accorder l'asile au motif que les intéressés pouvaient trouver refuge
dans leur pays.
5.5 Le rejet de cette demande fondée sur des raisons humanitaires avait été
contesté devant la Cour fédérale, qui avait refusé l'autorisation de faire appel.
Selon la jurisprudence de la Cour, les décisions du type de celles visées par
la demande de révision étaient discrétionnaires et, par conséquent, la Cour
n'intervenait pas sur le fond mais seulement sur les questions de procédure.
Tous les arguments juridiques avaient été examinés et rejetés par la Cour fédérale.
5.6 Selon le conseil, il était objectivement impossible de demander à la Cour
fédérale de se prononcer à nouveau sur les mêmes questions car elle y verrait
certainement un abus de procédure.
5.7 Les autorités canadiennes avaient conclu que les auteurs couraient un danger
dans la péninsule de Jaffna mais qu'ils seraient en lieu sûr à Colombo. Le conseil
a souligné toutefois que l'auteur avait subi des sévices graves de la part de
la police à Colombo en mars 1991, qu'il avait été arrêté arbitrairement en mars
1992 et que les Tamouls faisaient systématiquement l'objet à Colombo d'arrestations
et de détentions arbitraires, et parfois de disparitions et d'exécutions extrajudiciaires.
5.8 À l'issue de la procédure de révision pour raisons humanitaires, l'agent
des services de l'immigration avait conclu à l'existence à la fois d'un risque
pour les intéressés et de motifs humanitaires qui militaient en leur faveur.
Il avait fondé sa conclusion sur le rapport d'un des médecins qui avaient examiné
S. V., selon lequel il souffrait de troubles post-traumatiques et ses symptômes
étaient aggravés par la hantise de retourner à Sri Lanka. De l'avis du médecin,
S. V. aurait beaucoup de peine à vivre dans ce pays en raison de ses troubles
neurologiques. La demande avait pourtant été rejetée au motif qu'elle n'était
pas médicalement fondée et que S. V. et sa fille n'avaient pas prouvé qu'ils
avaient des moyens d'existence au Canada. Ils avaient toujours vécu de l'aide
sociale depuis leur arrivée au Canada et, vu leur situation, ils risquaient
de devenir un cas chronique d'assistance.
5.9 Dans le rapport médical cité par l'agent des services d'immigration, le
médecin indiquait aussi que certains réfugiés tamouls qu'il avait examinés avaient
déclaré qu'ils couraient de plus grands risques à Sri Lanka s'ils avaient des
cicatrices ou autres traces de blessures car les autorités pouvaient penser
qu'il s'agissait de blessures reçues alors qu'ils combattaient avec les Tigres
de libération de l'Eelam tamoul. Les troubles neurologiques de S. V. pourraient
être interprétés de cette manière. S'il était interrogé par les autorités sri-lankaises,
il ne serait pas capable de s'exprimer et pourrait être jugé récalcitrant ou
hostile par des personnes qui ne seraient pas au courant de son handicap neurologique.
5.10 Le conseil a fait observer que ni le Gouvernement canadien ni le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés n'a apprécié le risque objectif encouru
en l'espèce par les intéressés, se limitant à ne considérer que la possibilité
d'expulser quelqu'un vers Sri Lanka en général.
5.11 D'après le conseil, le renvoi d'une personne qui souffre de graves préjudices
d'ordre physique et psychique causés par des violations des droits de l'homme
vers le pays où elle a subi ces violations constitue un traitement inhumain.
L'impossibilité de recevoir à Sri Lanka des soins médicaux ou un traitement
psychiatrique adéquats pourrait en soi constituer une violation de l'article
16 de la Convention. Toutefois, le conseil ne soulevait ce point qu'en tant
que circonstance aggravante du traitement inhumain que constituait l'expulsion.
Décision concernant la recevabilité
6.1 À sa vingtième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité
de la communication. Il a estimé qu'une fois achevée la procédure de recours
pour motif humanitaire, y compris la demande de révision adressée à la Cour
fédérale, tous les recours internes disponibles avaient été épuisés. En conséquence,
le paragraphe 5 b) de l'article 22 ne lui interdisait pas d'examiner la communication.
Le Comité a donc décidé qu'elle était recevable.
Observations de l'État partie sur le fond de la communication
7.1 D'après l'État partie, les faits tels qu'ils sont présentés par les auteurs
ont été étudiés par un tribunal interne compétent et indépendant qui a statué
à l'issue d'une procédure équitable, conformément à la procédure canadienne
régissant l'octroi du statut de réfugié. L'État partie note également que les
auteurs étaient représentés par un conseil pendant toute la procédure, que des
services d'interprétation étaient assurés et que la déposition de l'auteur a
été sollicitée et entendue.
7.2 La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a considéré que le
principal élément à retenir dans le cas de S. V. était qu'il avait été remis
en liberté par la police, ce qui indique sans ambiguïté que ces autorités dont
il a peur ne le considèrent pas comme un membre ou un sympathisant des Tigres
de libération de l'Eelam tamoul. La Commission a énoncé dans ses motifs qu'elle
avait pris en considération les plaintes de S. V. concernant le passage à tabac
de la part de l'armée sri-lankaise et les rapports médicaux qu'il lui avait
soumis. Toutefois, elle a relevé que la définition de «réfugié au titre de la
Convention» portait sur l'avenir et que l'expérience passée, aussi importante
soit-elle, n'était pas déterminante pour évaluer la situation d'un individu.
Elle a ajouté que cette remarque était également valable pour l'application
de l'article 3 de la Convention contre la torture.
7.3 Pour ce qui était de l'épouse et de la fille de S. V., la Commission a estimé
qu'elles n'étaient pas réfugiées au sens de la Convention parce qu'elles n'avaient
pas été inquiétées quand elles étaient à Colombo. De plus, leur demande étant
jointe à celle de S. V. et dépendant de celle-ci, la Commission a conclu qu'elles
n'étaient pas des réfugiées au titre de la Convention.
7.4 Pour ce qui est de la requête déposée par les auteurs auprès des services
d'immigration au titre du programme DNRSRC, l'État partie explique que, dans
la plupart des cas, la définition du réfugié au titre de la Convention recoupe
l'article 3 de la Convention contre la torture. Quand ce n'est pas le cas, les
agents chargés d'examiner les demandes après refus du statut de réfugié doivent
tenir compte des dispositions de l'article 3 de cette Convention. Appliquant
les critères énoncés pour pouvoir procéder au réexamen de l'affaire après rejet
de la demande, l'agent chargé de cette requête a examiné l'argumentation écrite
établie au nom des auteurs par leur avocat, les documents qui étaient joints
et la documentation concernant la situation à Sri Lanka. Toutes ces pièces contenaient
des éléments qui n'avaient pas été produits lors de l'audience de la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié, en particulier un rapport médical
et un rapport d'Amnesty International (1994) (2).
7.5 Pour ce qui est de la procédure d'examen d'une affaire pour motifs humanitaires,
prévue à l'article 114, paragraphe 2, de la loi sur l'immigration, l'État partie
fait valoir que l'agent qui en avait été chargé a pris en considération tous
les éléments soumis par les requérants et le plus possible de circonstances,
y compris le risque de subir des traitements excessivement durs ou inhumains
dans le pays d'origine des requérants, la situation actuelle dans ce pays et
tout autre fait nouveau qui avait pu y survenir depuis l'audience devant la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié et l'examen de leur cas
après le rejet de la demande. L'agent des services d'immigration a indiqué qu'«il
y avait des risques» (3) mais n'a pas confirmé qu'il y avait
risque de torture. L'évaluation du risque n'est pas limitée au seul risque de
mauvais traitement (4).
7.6 D'après l'État partie, la procédure mentionnée n'a pas révélé qu'il y avait
eu une erreur manifeste ou que la décision avait été déraisonnable, entachée
d'abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité évidente ou d'irrégularité
grave. Il ajoute qu'il n'appartient pas au Comité d'apprécier les faits et les
éléments de preuve dans une affaire donnée.
7.7 De l'avis de l'État partie, il ressort de la communication que les auteurs
ont quitté leur pays parce qu'ils avaient peur des Tigres de libération de l'Eelam
tamoul ou parce qu'ils craignaient d'être pris entre les Tigres et les autorités
gouvernementales. Cette appréhension ne suffit pas à étayer une plainte au titre
de la Convention. Les auteurs ont également affirmé, ce qui a été confirmé par
le rapport médical, qu'ils craignaient d'être torturés par les LTTE s'ils retournaient
à Sri Lanka. S. V. a lui-même indiqué que c'était l'ordre des LTTE de se rallier
à leur mouvement qui l'avait poussé à partir pour Colombo en 1992. Par conséquent,
l'État partie objecte que dans le nord du pays, les deux personnes n'ont pas
à redouter les autorités sri-lankaises mais craignent les Tigres.
7.8 L'État partie fait valoir que les actes commis par les LTTE ne relèvent
pas du domaine de compétence du Comité puisque la définition de la «torture»
donnée dans la Convention vise expressément les actes commis «par un agent de
la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à
son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite». Les actes commis
par les LTTE ne peuvent pas être attribués à l'État et ne sont donc pas visés
par la Convention.
7.9 Pour ce qui est du risque de torture par l'État sri-lankais, l'État partie
fait valoir que les auteurs de la communication n'ont pas montré qu'il y avait
des motifs suffisants pour considérer que, s'ils étaient renvoyés à Sri Lanka,
ils courraient personnellement un risque réel ou prévisible d'être torturés.
Il ajoute que les autorités sri-lankaises ne s'intéressent pas aux auteurs et
avance à ce sujet les arguments ci-après.
- Dans sa demande de statut de réfugié, S. V. a indiqué qu'il avait choisi le Canada parce qu'il ne pouvait pas aller ailleurs. Or, d'après la notice personnelle qu'il a remplie à son arrivée au Canada, il s'est rendu dans de nombreux autres pays et y est resté de longues périodes et, à chaque fois, il est rentré volontairement dans son pays, même après les faits au cours desquels il déclare avoir été inquiété par les autorités. En particulier, près d'un an après les tortures que lui aurait fait subir l'armée, en décembre 1990, S. V. est allé à Singapour et est retourné volontairement à Sri Lanka.
- S. V. s'est rendu souvent à Colombo sans rencontrer le moindre problème avec les autorités, sauf en mars 1991 et mars 1992, ce qui montre qu'il n'est pas soupçonné de complicité avec les LTTE.
- Certes, S. V. affirme avoir été torturé par des agents des autorités quand il a été arrêté en décembre 1990, en mars 1991 et en mars 1992, mais il n'a apporté aucun élément pour démontrer que toute douleur infligée en 1991 ait constitué une torture au sens de la Convention. De même, lors de sa dernière arrestation, en 1992, événement qui l'aurait poussé à quitter le pays, l'auteur n'avait pas été frappé et avait été remis en liberté le lendemain, sous l'unique condition qu'il se présente aux autorités une fois par semaine.
- Pour ce qui est de l'état physique de S. V., sa femme a déclaré que, à part une durée plus longue des interrogatoires du fait de ses difficultés à parler, son mari n'avait aucun autre problème avec la police quand il se trouvait à Colombo. Lui-même a déclaré que les policiers parvenaient à comprendre ce qu'il disait.
- Pour ce qui est de l'argument selon lequel S. V. risque d'être torturé à cause de son aphasie, l'État partie fait valoir qu'il s'agit là d'une simple conjecture et s'appuie sur le rapport du médecin qui indique que «certains réfugiés tamouls [qu'il avait] examinés ont déclaré qu'ils couraient de plus grands risques à Sri Lanka s'ils avaient des cicatrices ou autres traces de blessures car les autorités pouvaient penser qu'il s'agissait de blessures reçues alors qu'ils combattaient avec les LTTE». Ce sont là des suppositions qui ne sauraient constituer les motifs suffisants requis par l'article 3 de la Convention.
- L'épouse de S. V. n'a pas été arrêtée et n'a jamais eu d'ennuis avec la police de Sri Lanka. Par conséquent il n'y a rien dans le dossier qui montre qu'elle était accusée ou soupçonnée d'être une sympathisante des LTTE.
- Contrairement à l'affirmation de Mme V., rien ne prouve que les autorités sri-lankaises lui aient confisqué sa carte d'identité. En tout état de cause elle n'a pas été arrêtée, détenue, inculpée ni priée de se présenter de nouveau à la police.
- S. V. a obtenu légalement un passeport à Sri Lanka en 1991 et sa femme en 1992.
- Les auteurs n'ont pas indiqué que
qui que ce soit dans leur entourage immédiat, et plus particulièrement dans
leur famille, ait été arrêté ou torturé.
7.11 L'État partie déclare que la communication repose essentiellement sur la
situation générale des droits de l'homme à Sri Lanka. Les auteurs n'établissent
pas un lien entre cette situation générale et leur situation personnelle. Quant
à la situation générale à Sri Lanka, le rapport du Groupe de travail sur les
disparitions forcées ou involontaires (1998) indique que la plupart des personnes
dont on a signalé qu'elles étaient détenues ou avaient disparu étaient de jeunes
Tamouls accusés ou soupçonnés d'appartenir aux LTTE ou d'en être des complices
ou des sympathisants. L'État partie fait valoir que les auteurs n'appartiennent
pas à la catégorie des «jeunes Tamouls».
7.12 D'après l'État partie, les informations fournies par le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés indiquent qu'à Colombo les forces de police
et de sécurité ne pratiquent pas la torture ou d'autres sévices. Le rapport
du Département d'État américain sur Sri Lanka pour 1998 (daté de février 1999)
indique qu'aucune disparition n'a été signalée à Colombo et Jaffna. En mars
1997, le Haut-Commissariat pour les réfugiés a indiqué que les Sri-Lankais dont
la demande d'asile avait été rejetée et qui rentraient dans le pays avec des
documents de voyage nationaux ne devraient avoir aucun problème à leur arrivée
à l'aéroport de Colombo.
7.13 De surcroît, l'État partie fait valoir que pour se prononcer sur cette
communication, le Comité devrait prendre en considération les différentes mesures
adoptées par les autorités sri-lankaises pour enquêter sur les actes de torture
et les prévenir, ainsi que les voies de recours dont disposent les auteurs.
Dans ce contexte, l'État partie note, entre autres, que toutes les arrestations
et mises en détention doivent être signalées à la Commission des droits de l'homme
(créée en 1997) dans un délai de 48 heures, que les rapports de trois commissions
présidentielles chargées d'enquêter sur les «disparitions» passées ont été rendus
publics, que 485 des 3 861 affaires de violations alléguées des droits de l'homme
ont fait l'objet d'une enquête et que 150 responsables présumés ont été condamnés
par la Haute Cour, et que le Gouvernement a mis en place un service fonctionnant
en permanence pour traiter les plaintes de particuliers concernant des cas de
harcèlement par des éléments des forces de sécurité.
7.14 En ce qui concerne la violation alléguée de l'article 16 de la Convention,
l'État partie soutient que dans cet article, les États parties ont voulu faire
en sorte que les obligations énoncées aux articles 10 à 13 soient applicables
aux actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Comme l'article 16 ne vise pas les obligations énoncées à l'article 3, il n'impose
pas à un État l'obligation de ne pas expulser une personne vers un autre État
dans les conditions décrites dans cet article (7) .
7.15 L'État partie estime que si l'article 16 de la Convention était considéré
comme applicable, au motif que le renvoi constitue en soi une peine ou un traitement
cruel, inhumain ou dégradant, il ne devrait viser que des circonstances très
exceptionnelles. L'État partie soutient que l'aggravation de l'état de santé
des auteurs qui pourrait résulter de leur expulsion ne constituerait pas un
traitement cruel, inhumain ou dégradant attribuable à l'État partie, au sens
de l'article 16 de la Convention, et il se réfère à cet égard à la décision
du Comité dans l'affaire G.R.B. c. Suède . En outre, l'article
16 impose aux États d'interdire le traitement incriminé; il ne crée pas pour
le Canada l'obligation de fournir aux auteurs les soins médicaux qu'ils prétendent
ne pas pouvoir recevoir ailleurs. D'autre part, l'État partie fait valoir que
rien n'indique que les auteurs ne puissent bénéficier à Sri Lanka des soins
médicaux dont ils ont besoin. Enfin, le paragraphe 2 de l'article 16 spécifie
que les dispositions de la Convention sont sans préjudice des dispositions de
la loi nationale qui ont trait à l'expulsion.
Observations du conseil sur le fond
8.1 Le conseil réfute l'affirmation de l'État partie selon laquelle cette affaire
a été examinée «par un tribunal interne compétent et indépendant». Il soutient
que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié n'a pas tenu compte
des faits de la cause, ni du droit applicable.
8.2 Selon le conseil, les informations les plus récentes en provenance de Sri
Lanka témoignent d'une situation de terribles violations des droits de l'homme
au sens du paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention contre la torture. Plusieurs
attentats-suicides à la bombe ont été commis à Colombo et dans d'autres régions
du pays. Les Tigres ont déclenché une grande offensive dans le Nord. Des rapports
font état de rafles à grande échelle de Tamouls dans le centre du pays et la
capitale, ainsi que d'une nette recrudescence des disparitions forcées (8).
8.3 Le conseil se réfère à l'observation générale du Comité sur l'application
de l'article 3 de la Convention contre la torture et soutient que l'article
3 s'applique au cas de l'auteur comme suit:
b) S. V. a été maltraité dans le passé par des agents de l'État sri-lankais. Il souffre de lésions cérébrales résultant des graves sévices que lui ont infligés des soldats de l'armée sri-lankaise. Il a été détenu à plusieurs reprises à Colombo et maltraité par la police. Ces événements sont survenus peu de temps avant son départ de Colombo.
c) Des rapports médicaux et psychiatriques émanant de sources indépendantes, à savoir de docteurs et de psychiatres liés au Centre canadien pour les victimes de la torture, établissent clairement que l'auteur est une victime de la torture. Les tortures ont laissé des séquelles durables sur S. V. et sa famille.
d) La situation à Sri Lanka n'a pas fondamentalement changé depuis que S. V. a quitté le pays. Selon les informations disponibles, la situation au moment où le conseil a présenté ses observations était très critique et dangereuse. L'arsenal répressif et juridique qui autorise une impunité quasi totale est solidement en place.
e) S. V. était un partisan du TULF, le principal parti tamoul. Il est originaire du Nord et a subi des tortures dans le passé. En tant que victime de la torture, il court de grands risques aujourd'hui.
f) S. V. est hautement crédible et d'importantes organisations au Canada lui ont apporté leur soutien. La décision initiale rendue à son sujet n'a d'ailleurs pas mis en cause sa crédibilité.
g) Il n'existe aucune incohérence ou
improbabilité dans ce que déclare S. V. Aujourd'hui, sa sécurité personnelle
et sa vie sont en danger à Sri Lanka.
8.5 Selon le conseil, il est faux de dire que la torture n'est plus pratiquée
à Colombo. Tous les rapports sur les droits de l'homme disponibles de source
internationale s'inscrivent en faux contre une telle affirmation. La Cour fédérale
du Canada elle-même, dans sa décision accordant un sursis à l'exécution de la
mesure de renvoi, a reconnu que S. V. courait le risque d'un préjudice irréparable
s'il était renvoyé dans son pays, comme l'a également admis l'agent des services
d'immigration qui a examiné l'affaire.
Délibérations du Comité
9.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations
qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 4 de
l'article 22 de la Convention.
9.2 La question sur laquelle le Comité doit se prononcer est celle de savoir
si le renvoi des auteurs à Sri Lanka contre leur gré violerait l'obligation
qu'a le Canada, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser
une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle
risque d'être soumise à la torture.
9.3 Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations
pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, y
compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de
l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse
est de déterminer si les intéressés risquent personnellement d'être soumis à
la torture dans le pays où ils seraient renvoyés. Il s'ensuit que l'existence,
dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme,
graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante
de conclure qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture
à son retour dans ce pays; il doit exister d'autres motifs qui montrent que
l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble
de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie
pas qu'une personne ne puisse être considérée comme encourant le risque d'être
soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
9.4 Le Comité rappelle son observation générale sur l'application de l'article
3 qui se lit comme suit: «Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus
de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être
soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel
risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples
supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de
montrer que le risque encouru est hautement probable» (A/53/44, annexe IX, par.
6).
9.5 Le Comité rappelle que l'obligation de l'État partie de ne pas renvoyer
contre son gré une personne dans un autre État où il y a des motifs sérieux
de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture est directement liée à
la définition de la torture figurant à l'article premier de la Convention. Aux
fins de la Convention, «le terme "torture" désigne tout acte par lequel une
douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement
infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce
personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une
tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou
de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce
personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle
qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées
par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre
officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite» .
Le Comité considère que la question de savoir si l'État partie a l'obligation
de ne pas expulser une personne qui risque de se voir infliger une douleur ou
des souffrances par une entité non gouvernementale, sans le consentement exprès
ou tacite du Gouvernement, est en dehors du champ d'application de l'article
3 de la Convention. Il s'ensuit que la question de savoir si les auteurs risquent
de subir des tortures de la part du LTTE ou d'autres entités non gouvernementales
une fois rentrés à Sri Lanka, point sur lequel ils fondent partiellement leur
requête, ne peut pas être examinée par le Comité.
9.6 En ce qui concerne la possibilité que S. V. subisse des tortures de la part
des agents de l'État une fois rentré à Sri Lanka, le Comité note ses allégations
selon lesquelles il a été torturé par l'armée sri-lankaise en décembre 1990
et que ces sévices, qui l'ont laissé handicapé, constituaient une torture au
sens de l'article 3 de la Convention. Le Comité note également les allégations
de l'auteur selon lesquelles il a été maltraité par la police à Colombo en 1991.
Toutefois, le Comité note également les affirmations de l'État partie, que n'a
pas contestées S. V., selon lesquelles ce dernier a quitté périodiquement Sri
Lanka et a toujours pu y retourner, même après l'incident survenu en décembre
1990. Le Comité note que, s'agissant de l'incident de mars 1992 qui, selon S.
V., aurait motivé son départ, l'auteur n'avait pas été maltraité et avait été
relâché par les autorités. En outre, il n'a pas indiqué avoir été recherché
par les autorités depuis cette période. En fait, l'auteur n'a pas déclaré avoir
pris part à des activités politiques ou autres à l'intérieur ou en dehors du
pays ni n'a allégué d'autres circonstances quelles qu'elles soient qui sembleraient
l'exposer particulièrement au risque d'être soumis à la torture. Pour les raisons
susmentionnées, le Comité conclut que S. V. n'a pas montré qu'il y avait des
motifs suffisants pour considérer qu'il courrait le risque d'être torturé s'il
était renvoyé à Sri Lanka et que ce risque est encouru personnellement et actuellement.
9.7 De même, l'épouse de l'auteur et leur fille n'ont jamais été arrêtées ni
soumises à la torture. L'obligation de se faire enregistrer auprès des services
de police de Colombo et l'allégation, contestée par l'État partie, selon laquelle
la police aurait confisqué la carte d'identité de Mme V. ne sont pas des motifs
suffisants pour considérer que les intéressées risquent d'être soumises à la
torture si elles sont renvoyées à Sri Lanka et que ce risque est encouru personnellement
et actuellement.
9.8 Le Comité rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention, il doit
exister pour la personne concernée un risque prévisible, réel et personnel d'être
torturée dans le pays vers lequel elle est renvoyée. À la lumière de ce qui
précède, le Comité estime que l'existence d'un tel risque n'a pas été établie.
De plus, le Comité relève que l'article 3 ne vise que les situations de torture
selon la définition de l'article premier de la Convention.
9.9 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la décision d'expulsion constituerait
en soi une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, le Comité note
que les auteurs n'ont pas apporté d'éléments suffisants pour l'étayer.
10. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi des auteurs à Sri Lanka par l'État
partie ne constitue pas une violation de l'article 3 ni de l'article 16 de la
Convention.