T.P.S. (nom supprimé) c. Canada, Communication No. 99/1997, U.N. Doc. CAT/C/24/D/99/1997 (2000).
Présentée par : T. P. S. (nom supprimé) [représenté par un avocat]
Au nom de : L'auteur
État partie : Canada
Date de la communication : 19 septembre 1997
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 16 mai 2000,
Ayant achevé l'examen de la communication No 99/1997 présentée au Comité en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte la décision suivante :
1.L'auteur de la communication est
M. T. P. S., citoyen indien né en 1952, demandeur d'asile au Canada au moment
de l'enregistrement de la communication. Il affirmait qu'en le renvoyant contre
son gré en Inde, le Canada violerait l'article 3 de la Convention contre la
torture. Il est représenté par un conseil.
Les faits, présentés par l'auteur
2.1En janvier 1986, l'auteur et quatre coaccusés ont été reconnus coupables
par un tribunal pakistanais du détournement d'un avion d'Indian Airlines en
septembre 1981 et condamnés à la détention à perpétuité. Le conseil indique
que le détournement s'est déroulé sans violence et que l'avion faisant route
vers Amritsur en provenance de New Delhi avait atterri sans encombre à l'aéroport
de Lahore vers lequel il avait été détourné. Aucun passager n'avait été maltraité.
Le détournement visait à appeler l'attention sur les exactions systématiques
des autorités indiennes à l'encontre des Sikhs. L'auteur déclare avoir été arrêté
quelques heures après l'atterrissage de l'avion et contraint à signer des aveux
sous la menace d'une arme. Il affirme en outre avoir été maintenu en détention
provisoire pendant quatre ans sans possibilité d'accès à un conseil. Il n'apparaît
pas clairement s'il déclare être innocent, mais il soutient que son procès n'a
pas été équitable et que, par conséquent, sa condamnation était illégale.
2.2En octobre 1994, le Gouvernement pakistanais a décidé de libérer l'auteur
et ses coaccusés, à condition qu'ils quittent le pays. L'auteur déclare qu'il
ne pouvait pas retourner en Inde, de crainte d'y être persécuté. Avec l'aide
de quelqu'un, il est entré au Canada en 1995 sous un nom d'emprunt en produisant
un faux passeport. À son arrivée, il a demandé le statut de réfugié sous ce
nom d'emprunt sans révéler sa véritable identité et son histoire. En septembre
1995, l'auteur a été arrêté par les services de l'immigration et placé en détention.
Par la suite, il a été remis en liberté avec obligation de se présenter une
fois par semaine au bureau de l'immigration de Vancouver.
2.3À la fin de 1995, les services de l'immigration ont ouvert une enquête sur
l'auteur pour déterminer s'il avait commis à l'étranger une infraction qui,
si elle avait été commise au Canada même, aurait été punissable d'une peine
d'emprisonnement de 10 ans ou plus. L'examen de sa demande d'admission au statut
de réfugié a été suspendu. Au début de 1996, la Section d'arbitrage a rendu
une décision selon laquelle l'auteur avait commis une telle infraction et a
en conséquence adopté, à son encontre, une mesure d'expulsion conditionnelle.
Dans le même temps, le Ministère canadien de l'immigration a été prié de donner
son avis sur la question de savoir si l'auteur constituait un danger pour le
public, avec en cas de réponse affirmative, refus de statuer sur la demande
d'admission au statut de réfugié de l'auteur et ainsi perte de toute possibilité
d'appel au titre de la loi sur l'immigration.
2.4Suite à l'appel interjeté par l'auteur, la décision de la Section d'arbitrage
a été infirmée et une nouvelle enquête ordonnée par la Cour fédérale du Canada.
À l'issue de la deuxième enquête, une nouvelle mesure d'expulsion conditionnelle
a été décidée à l'encontre de l'auteur. Faute de ressources, celui-ci n'a pas
fait appel de cette décision. Le Ministère a de nouveau été invité à donner
son avis sur la question de savoir si l'auteur constituait un danger pour le
public. Le Ministère a rendu un avis affirmatif et l'auteur a été placé en détention
en vue de son éloignement.
Teneur de la plainte
3.1L'auteur affirme que l'usage de la torture en Inde à l'encontre de personnes
soupçonnées d'être des militants sikhs est un fait bien établi. Il transmet
au Comité divers articles et informations à ce sujet. Il dit avoir de bonnes
raisons de croire qu'il sera torturé en cas de renvoi en Inde. De plus, certains
éléments indiqueraient que les Gouvernements indien et pakistanais coopèrent
activement avec le Canada afin d'obtenir son expulsion. Vu que l'auteur a déjà
purgé sa peine - qu'elle ait été ou non légale - et qu'aucune charge justifiant
son extradition n'a été retenue contre lui, il estime que l'Inde ne souhaite
obtenir son expulsion que pour des raisons purement extrajudiciaires.
Observations de l'État partie sur la recevabilité
4.1Le 18 décembre 1997, le Comité, agissant par l'intermédiaire de son rapporteur
spécial pour les nouvelles communications, a transmis la communication à l'État
partie pour observations, le priant de ne pas éloigner ou expulser l'auteur
vers l'Inde aussi longtemps que sa communication serait à l'examen par le Comité.
Le 29 décembre 1997, l'État partie a informé le Comité que l'auteur avait été
renvoyé du Canada vers l'Inde le 23 décembre 1997. Les autorités avaient pris
cette décision après être parvenues à la conclusion qu'aucune raison sérieuse
ne donnait à penser que l'auteur courait le risque d'être soumis à la torture
en Inde.
4.2Dans un mémoire ultérieur en date du 11 mai 1998, l'État partie récapitule
les investigations menées par les autorités canadiennes. Le 26 mai 1995, la
demande de statut de réfugié présentée par l'auteur a été transmise par un agent
principal de l'immigration à la Section du statut de réfugié au sens de la Convention
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. Durant
son premier entretien avec les agents de l'immigration, l'auteur a décliné une
fausse identité et affirmé n'avoir jamais commis de délit ou infraction et n'avoir
jamais été condamné. Il a fondé sa demande de statut de réfugié sur la crainte
de persécutions religieuses et cité un cas de mauvais traitements par la police
indienne.
4.3 Le Département de la citoyenneté et de l'immigration du Canada (CIC) a par
la suite découvert la véritable identité de l'auteur et établi un rapport indiquant
que l'auteur était soupçonné d'appartenir à une catégorie de personnes non admissibles
aux termes de la loi sur l'immigration, pour s'être livré à des actes de terrorisme.
L'auteur a été arrêté le 21 septembre 1995. Au cours d'un interrogatoire mené
par un enquêteur du CIC et deux agents du Service canadien du renseignement
de sécurité (SCRS) il a reconnu être membre actif du groupe terroriste Dal Khalsa
et avoir participé au détournement de l'avion d'Indian Airlines. L'État partie
signale en outre que dans un article en date du 19 octobre 1994, publié dans
la presse pakistanaise, l'auteur avait proclamé son intention de poursuivre
la lutte pour l'instauration du Khalistan.
4.4En novembre 1995 a été établi un nouveau rapport selon lequel l'auteur appartenait
à une autre catégorie de personnes non admissibles, à savoir les personnes dont
on avait des raisons sérieuses de croire qu'elles avaient été condamnées en
dehors du Canada pour une infraction qui, si elle avait été commise au Canada
même, aurait été punissable d'une peine d'emprisonnement d'au moins 10 ans.
Sur la base de ces deux rapports, la Section d'arbitrage a mené une enquête
et est parvenue à la conclusion que l'auteur avait effectivement été condamné
pour une infraction qui, si elle avait été commise au Canada même, aurait été
punissable d'une peine d'emprisonnement d'au moins 10 ans.
4.5L'auteur a sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle
juridictionnel de cette décision. Les autorités canadiennes ont accordé cette
autorisation après avoir établi que la conclusion de l'arbitre selon laquelle
l'auteur n'était pas admissible était entachée d'irrégularité. La Section de
première instance de la Cour fédérale a ordonné une nouvelle enquête. Dans sa
décision en date du 30 mai 1997, l'arbitre chargé de mener la seconde enquête
a constaté que l'auteur était connu pour criminalité et terrorisme. De ce fait,
une ordonnance d'expulsion conditionnelle a été rendue. L'auteur n'a pas sollicité
l'autorisation de présenter une demande de contrôle juridictionnel de cette
décision.
4.6Par une lettre datée du 5 juin 1997, l'auteur a été informé que le CIC entendait
demander au Ministère de la citoyenneté et de l'immigration son avis sur la
question de savoir s'il serait contraire à l'intérêt public d'examiner la demande
de statut de réfugié présentée par l'auteur. Ce dernier a en outre été informé
que dans cette procédure, le Ministère tiendrait compte de toutes les considérations
d'ordre humanitaire en rapport avec sa situation, notamment les risques auxquels
il pourrait être exposé en cas de renvoi vers l'Inde. L'auteur a été invité
à soumettre ses observations au Ministère, ce qu'il a fait.
4.7Le 3 décembre 1997, le CIC a adressé au Ministère un mémoire auquel étaient
jointes les observations de l'auteur, et dans lequel étaient évalués les risques
encourus par l'auteur en cas d'expulsion, eu égard aux renseignements recueillis
sur l'état des droits de l'homme en Inde et à la situation personnelle de l'auteur.
Dans le mémoire, il était indiqué en conclusion qu'en cas de retour en Inde
l'auteur serait effectivement exposé à certains risques mais qu'ils étaient
minimes et devaient être mis en balance avec les répercussions qu'aurait la
décision d'accorder l'asile à un individu convaincu de détournement d'avion,
donc d'un acte de terrorisme. Le 8 décembre 1997, le Ministère a rendu l'avis
selon lequel il serait contraire à l'intérêt public d'examiner la demande d'admission
au statut de réfugié présentée par l'auteur.
4.8Le 18 décembre 1997, l'auteur a sollicité l'autorisation de présenter une
demande de contrôle juridictionnel de l'avis du Ministère. Il a en outre sollicité
une mesure provisoire de sursis à l'exécution de l'ordonnance d'expulsion. Ce
même jour, les autorités canadiennes ont appris, suite à un entretien avec le
conseil de l'auteur, qu'en septembre 1997 ce dernier avait adressé une communication
au Comité contre la torture, lequel avait demandé le 18 décembre 1997 que l'auteur
ne soit pas expulsé avant l'achèvement de l'examen de la communication. La lettre
du Comité informant l'État partie de la communication de l'auteur et de la demande
de mesures provisoires est arrivée le 19 décembre 1997.
4.9Le 22 décembre 1997, la Section de première instance de la Cour fédérale
a rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance d'expulsion présentée par l'auteur.
La Cour a souligné que l'auteur n'entrait pas dans la catégorie des réfugiés
au sens de la Convention, en raison de ses activités terroristes passées, et
que le Canada ne devait pas donner l'impression d'être un refuge pour les terroristes.
La Cour a noté que l'auteur avait eu toute latitude de proposer un autre pays
acceptant de l'accueillir, que l'Inde n'avait pas pour principe de pratiquer
la brutalité policière ou de l'encourager et que la grande notoriété de l'auteur
le mettrait à l'abri d'éventuels mauvais traitements par les autorités indiennes.
4.10Le 23 décembre 1997, la Cour a rendu une ordonnance supplémentaire rejetant
la demande de certification de la question suivante adressée à la Cour par l'auteur
: "S'il existe une probabilité non négligeable qu'un individu subisse des
tortures, des persécutions ou la peine de mort dans le pays dont il est ressortissant,
y a-t-il violation des droits énoncés aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne
des droits de l'homme s'il est renvoyé du Canada en vertu d'un avis du Ministère
de la citoyenneté et de l'immigration selon lequel il serait contraire à l'intérêt
public que soit examinée la demande de statut de réfugié présentée par cet individu
?". La Cour a refusé de certifier la question posée, estimant que l'auteur
n'avait pas démontré qu'il risquait d'être soumis à la torture à son retour
en Inde.
4.11Le 23 décembre 1997, l'auteur a été expulsé du Canada. Il a été escorté
jusqu'à New Delhi par un agent du CIC et un policier. À son arrivée, l'auteur
a été accueilli de manière normale et n'a pas été traité par la police indienne
autrement que les autres individus expulsés vers l'Inde.
4.12Le 9 mars 1998, la Section de première instance de la Cour fédérale a rejeté
pour non-soumission du dossier dans les délais prescrits la demande de contrôle
juridictionnel de l'avis du Ministère concernant l'examen de la revendication
du statut de réfugié présentée par l'auteur.
4.13L'État partie estime la communication dont est saisi le Comité irrecevable
au motif du non-épuisement des recours internes. Tout d'abord, l'auteur n'a
pas sollicité l'autorisation de présenter une demande de contrôle juridictionnel
visant la décision rendue le 30 mai 1997 par l'arbitre selon laquelle pour cause
de terrorisme et de comportement criminel l'auteur n'était pas admissible aux
termes de la loi sur l'immigration. Si l'autorisation avait été sollicitée et
obtenue, cette décision aurait fait l'objet d'un contrôle par la Section de
première instance de la Cour fédérale. Si la Cour fédérale avait infirmé la
décision de l'arbitre, elle aurait rendu une ordonnance demandant la conduite
d'une nouvelle enquête et l'adoption d'une décision conforme aux conclusions
de la Cour. S'il avait été déterminé que l'auteur de la communication n'appartenait
pas à une catégorie non admissible, il n'y aurait eu aucune raison de l'exclure
du processus de détermination du statut de réfugié et son expulsion du Canada
aurait été impossible avant qu'il n'ait été statué sur sa demande de statut
de réfugié. De plus, l'auteur aurait pu demander une prolongation des délais
de dépôt de son dossier de demande de contrôle juridictionnel, une telle prolongation
étant fréquemment accordée.
4.14L'auteur affirme que c'est par manque de ressources financières qu'il n'a
pas fait appel et n'a pas sollicité l'autorisation de présenter une demande
de contrôle juridictionnel. Or le dépôt d'une demande de contrôle juridictionnel
n'est assujetti à aucune redevance et la procédure est relativement peu coûteuse.
L'auteur disposait à l'évidence des moyens financiers voulus pour engager un
conseil, ou son conseil avait agi "gratuitement", dans le déroulement
de plusieurs procédures antérieures et ultérieures, notamment la procédure devant
le Comité. L'auteur n'a fourni aucun élément attestant qu'il avait demandé à
bénéficier de l'aide juridique ou que l'aide juridique lui avait été refusée
en l'occurrence.
4.15 Ensuite, l'auteur a sollicité l'autorisation de présenter une demande de
contrôle juridictionnel de l'avis du Ministère selon lequel il serait contraire
à l'intérêt public d'autoriser l'examen de sa demande d'admission au statut
de réfugié, mais sans respecter les délais prescrits pour le dépôt du dossier,
et c'est pourquoi cette requête a été rejetée. Si l'auteur avait déposé son
dossier dans les délais et si l'autorisation avait été accordée, l'avis du Ministère
aurait fait l'objet d'un contrôle par la Section de première instance de la
Cour fédérale. Si la demande d'annulation avait été jugée fondée, la Cour aurait
renvoyé l'affaire au Ministère en lui enjoignant de rendre une décision conforme
aux motifs exposés par la Cour.
Observations du conseil
5.1Dans un mémoire du 20 janvier 1998, le conseil fait observer qu'à son sens
la réponse de l'État partie en date du 29 décembre 1997 n'indique pas la manière
dont les autorités canadiennes sont parvenues à leur conclusion concernant le
risque encouru par l'auteur. La possibilité de voir sa demande d'admission au
statut de réfugié examinée a toujours été refusée à l'auteur, de même que le
bénéfice d'une procédure orale devant une commission indépendante à laquelle
il aurait pu exposer le fondement de ses craintes. La seule possibilité de présenter
des documents démontrant qu'il courait un risque s'est offerte lorsqu'il a été
demandé au Ministère de l'immigration de rendre un avis sur la question de savoir
s'il serait contraire à l'intérêt public d'autoriser l'auteur à soumettre sa
demande d'admission au statut de réfugié. Une fois ces documents soumis, l'ensemble
du processus décisionnel a été conduit par les agents de l'immigration. Le conseil
n'a pas même été mis au courant de la nature des autres documents dont les autorités
étaient saisies; la possibilité de formuler des observations au sujet de la
totalité des documents susceptibles d'être soumis au Ministère ou de les réfuter
lui a ainsi été déniée.
5.2Le conseil mentionne un mémorandum adressé à la Ministre sur lequel elle
se serait fondée pour décider qu'il serait contraire à l'intérêt public d'autoriser
l'auteur à faire valoir sa demande d'admission au statut de réfugié. Ce mémorandum
montre, selon le conseil, qu'on ne s'est absolument pas soucié de déterminer
si l'auteur encourait un risque particulier en Inde compte tenu de son passé
et de sa situation du moment. L'essentiel du mémorandum portait sur les antécédents
de l'auteur et les obligations internationales du Canada concernant le traitement
de terroristes présumés; en revanche, très peu d'indications concernaient les
nombreuses obligations internationales du Canada au titre des instruments relatifs
aux droits de l'homme, notamment la Convention de 1951 relative au statut des
réfugiés.
5.3Le conseil a en outre soumis une déclaration sur l'honneur de la nièce de
l'auteur, présente en Inde au moment où ce dernier y est arrivé en provenance
du Canada. Selon ses dires, l'auteur a été soumis à un interrogatoire d'environ
six heures à son arrivée, et des officiers du Bureau central d'investigation
(Central Bureau of Investigation) l'ont menacé verbalement. Elle craint que
son oncle ne finisse par être soumis à la torture ou être victime d'une exécution
extrajudiciaire. Les renseignements complémentaires soumis au Comité par cette
nièce indiquent que les actes d'intimidation de la police à l'égard de l'auteur
et de sa famille se sont poursuivis, ce que l'auteur a signalé à la Commission
des droits de l'homme du Pendjab.
5.4À propos de la recevabilité de la communication, le conseil fait valoir dans
un mémoire du 11 juin 1998 qu'au moment où l'arbitre a rendu sa décision, l'auteur
n'était en rien tenu de solliciter l'autorisation de présenter une demande de
contrôle juridictionnel pour pouvoir poursuivre ses démarches en vue de l'obtention
du statut de réfugié. Le coût de la procédure judiciaire n'a constitué qu'un
des facteurs ayant inspiré à l'auteur la décision de ne pas demander de contrôle
juridictionnel. Son principal souci était d'éviter tout nouveau retard car il
se trouvait alors au Canada depuis presque deux ans et était impatient de faire
valoir sa demande d'admission au statut de réfugié auprès des autorités canadiennes.
Il ne souhaitait pas freiner cette démarche en engageant une procédure de contrôle
juridictionnel, dont les chances d'aboutir étaient au demeurant infimes.
5.5Le conseil estime que l'affirmation de l'État partie selon laquelle, au cas
où il aurait été établi que l'auteur de la communication n'entrait pas dans
une des catégories de personnes non admissibles, aucune raison n'aurait existé
pour l'exclure de la procédure de détermination du statut de réfugié et qu'il
n'aurait pas été expulsable avant une décision définitive sur sa demande d'admission
au statut de réfugié, est tout à fait tendancieuse. La conclusion de l'arbitre
a en fait abouti à l'adoption d'une ordonnance d'expulsion conditionnelle, laquelle,
sans signifier nécessairement qu'un individu ne bénéficiera pas de la possibilité
de voir examiner sa demande d'admission au statut de réfugié, implique pourtant
qu'il est susceptible d'être expulsé à l'issue de l'examen de cette demande.
5.6Même si la conclusion susmentionnée de l'arbitre réserve aux autorités de
l'immigration la possibilité de solliciter l'avis du Ministère sur la question
de savoir si l'accès au processus de détermination du statut de réfugié doit
rester ouvert à la personne concernée, rien ne garantit que cette possibilité
soit mise en uvre. Absolument rien n'obligeait les autorités de l'immigration
canadiennes - pas plus que le Ministère - à empêcher l'auteur de poursuivre
ses démarches en vue de l'obtention du statut de réfugié. L'accès de l'auteur
au processus de détermination du statut de réfugié a été interrompu pour des
raisons d'ordre politique et non pas d'ordre judiciaire ou quasi judiciaire.
Sa demande d'admission au statut de réfugié aurait pu continuer à être examinée
malgré la conclusion de l'arbitre.
5.7L'État partie semble soutenir que le devoir de diligence raisonnable impose
à toute personne de se prémunir contre toute éventualité susceptible de se présenter
à elle. Le conseil objecte que telle n'est pas la norme dans le paragraphe 5
de l'article 22 de la Convention. Une personne impatiente de relater l'histoire
de sa vie aux autorités en vue d'obtenir leur protection ne saurait se voir
reprocher de ne pas vouloir, par manque de patience, s'engager dans une nouvelle
procédure de contrôle juridictionnel si le processus de détermination du statut
de réfugié lui reste ouvert.
5.8Pour ce qui est du non-respect par l'auteur des délais prescrits pour solliciter
l'autorisation de présenter une demande de contrôle juridictionnel de l'avis
du Ministère, le conseil objecte que la date limite se serait située vers la
fin du mois de janvier 1998. Or l'auteur a été expulsé le 23 décembre 1997.
Le préjudice était irréparable, quelle que soit la réponse réservée à la demande
de contrôle juridictionnel. L'auteur était fermement résolu à demander à ce
que la décision du Ministère soit soumise à un contrôle juridictionnel, et le
conseil est intervenu le 20 décembre 1997 devant la Cour fédérale pour essayer
d'obtenir qu'il soit sursis à la mesure d'expulsion jusqu'à l'examen de la demande.
Malheureusement, la Cour fédérale a préféré rendre une décision au fond sur
la demande de statut de réfugié par l'auteur. En conséquence de quoi, l'auteur
a été expulsé trois jours plus tard. L'État partie a omis d'indiquer quelle
procédure serait mise en uvre pour ramener l'auteur en toute sécurité au Canada
au cas où le Ministère se serait vu enjoindre par la Cour de statuer dans un
autre sens.
Observations supplémentaires de l'État partie sur la recevabilité
6.1Dans un mémoire supplémentaire en date du 9 octobre 1998, l'État partie souligne
qu'à la notification d'une décision telle que celle rendue par l'arbitre dans
l'affaire considérée, une personne revendiquant le statut de réfugié et représentée
par un conseil ne saurait avoir supposé qu'il lui était possible de poursuivre
ses démarches en vue de l'obtention dudit statut. L'arbitre a établi que l'auteur
était une personne ayant été condamnée en dehors du Canada pour une infraction
qui, si elle avait été commise au Canada même, aurait été punissable d'une peine
d'emprisonnement de 10 ans ou plus, et qu'il s'agissait d'un individu dont il
existait de sérieuses raisons de croire qu'il s'était livré à des actes de terrorisme.
Une personne de bon sens représentée par un conseil et se voyant notifier pareille
décision devait nécessairement s'attendre à ce que soient prises des dispositions
visant à l'exclure du processus de détermination du statut de réfugié. La procédure
de détermination du statut n'aurait du reste pu déboucher que sur une décision
déclarant le demandeur non admissible au statut de réfugié au sens de la Convention
en vertu de la section F de l'article premier de la Convention des Nations Unies
relative au statut des réfugiés, intégrée, par référence, à la loi canadienne
relative à l'immigration.
6.2De plus, l'auteur a été informé à l'issue de la première enquête que le CIC
entendait demander au Ministère de donner son avis sur la question de savoir
si l'auteur constituait un danger pour le public, un avis allant dans ce sens
ayant pour conséquence d'exclure l'auteur du bénéfice du processus de détermination
du statut de réfugié. L'auteur a déposé une demande de contrôle juridictionnel
de cette décision antérieure et était donc conscient des incidences potentielles
de la conclusion de l'arbitre selon laquelle il n'était pas admissible.
Observations du conseil
7.1Le conseil fait observer que l'arbitre a été très précis dans sa conclusion
en disant que l'auteur avait été déclaré coupable d'une infraction et qu'il
y avait des motifs raisonnables de penser qu'il s'était livré à des actes terroristes.
Le contrôle juridictionnel d'une conclusion de ce genre ne pouvait porter que
sur la question de savoir si l'arbitre avait fait une erreur de droit ou si
son évaluation des faits était arbitraire, fantasque ou manifestement non fondée.
Que l'auteur accepte ou non cette décision, il n'était possible de la contester
pour aucun de ces motifs, d'après les éléments dont le conseil était saisi.
Le devoir du conseil est de déterminer s'il est dans l'intérêt supérieur du
client de présenter un recours lorsque celui-ci n'est guère fondé. Le conseil
hésiterait à saisir la justice d'une demande futile dans le simple but de retarder
la procédure.
Observations de l'État partie indiquant pourquoi il ne s'est pas conformé à
la demande que lui avait adressée le Comité au titre du paragraphe 9 de l'article
108 de son règlement intérieur
8.1Le 24 juin 1998, le Comité a invité l'État partie à présenter des observations
écrites indiquant pourquoi il ne s'était pas conformé à la demande qui lui avait
été adressée de ne pas expulser l'auteur vers l'Inde tant que sa communication
était examinée par le Comité.
8.2Dans sa réponse au Comité, l'État partie fait valoir qu'il est certes possible
de recommander à un État de prendre des mesures provisoires mais pas de le lui
ordonner et il cite à l'appui de cette opinion le choix du terme retenu ("demande")
au paragraphe 9 de l'article 108 ainsi que la décision de la Cour européenne
des droits de l'homme dans l'affaire Cruz Varas et autres c. Suède, où, à propos
de la valeur juridique d'une demande de mesures provisoires, la Cour a dit ce
qui suit : "Il échet de relever d'emblée que ledit article 36 a le rang
d'une simple norme de procédure établie par la Commission en vertu de l'article
36 de la Convention [concernant les mesures provisoires]. ... Vu l'absence,
dans celle-ci, d'un texte consacré aux mesures provisoires, une indication donnée
au titre de l'article 36 du règlement intérieur ne saurait passer pour créer
une obligation juridique à la charge d'un État contractant".
8.3Aux termes du paragraphe 9 de l'article 108 du règlement intérieur, des mesures
provisoires peuvent être demandées pour éviter que l'auteur ne subisse un "préjudice
irréparable". L'État partie soutient qu'il faut faire preuve de rigueur
dans la définition de ce qu'est un préjudice irréparable, en particulier s'il
a été établi que l'individu concerné représente un danger pour la société ou,
comme dans le cas de l'auteur, que sa présence continue dans le pays est contraire
à l'intérêt général. En se fondant sur les pièces soumises par l'auteur ainsi
que sur les éléments qu'elles avaient elles-mêmes recueillis au sujet du risque
encouru par l'auteur en cas de renvoi en Inde, les autorités sont parvenues
à la conclusion que ledit risque était infime. De plus, un juge de la Section
de première instance de la Cour fédérale a estimé que le risque encouru par
l'auteur ne suffisait pas à justifier un sursis à l'exécution de la décision
d'éloignement.
8.4Ce n'est que le 18 décembre 1997, lorsque le conseil de l'auteur a signalé
à un fonctionnaire du CIC que le Comité contre la torture avait adressé une
demande aux autorités canadiennes, que celles-ci ont appris qu'une communication
comportant une demande de mesures provisoires avait été envoyée par l'auteur
au Comité trois mois auparavant. Le dossier établi par le Comité fait apparaître
que le conseil de l'auteur n'a adressé au Comité que quelques jours avant la
date prévue pour l'expulsion de son client la demande de mesures provisoires
dans le prolongement d'une série d'autres communications. Les autorités canadiennes
n'étaient pas au courant de ces communications et n'ont donc pas eu la possibilité
de faire des observations au sujet de ces communications ex parte au Comité.
8.5En résumé, quelle qu'en soit la valeur juridique, l'État partie a pour principe
d'étudier avec sérieux les demandes de mesures provisoires émanant du Comité,
mais il a toutefois estimé qu'en l'espèce il n'y avait pas lieu d'accorder un
sursis, eu égard aux éléments mentionnés plus haut, en particulier : a) l'absence,
à première vue, suite à une évaluation, de risque personnel encouru par l'auteur;
b) le fait que la présence au Canada d'un terroriste condamné était contraire
à l'intérêt général; c) le caractère non contraignant de la demande formulée
par le Comité.
Observations du conseil
9.1Le conseil déclare qu'il n'a jamais considéré que l'État partie était juridiquement
tenu de donner suite à la demande de mesures provisoires que lui avait adressée
le Comité. Il fait observer toutefois que le peuple canadien s'attendrait vraisemblablement
à ce que le Gouvernement donne suite à une demande du Comité, ce qui serait
conforme à la Convention et cadrerait avec la pratique antérieure et la réputation
d'État humanitaire dont jouit le Canada au sein de la communauté internationale.
9.2Il n'est pas possible que l'État partie ait sérieusement envisagé de faire
droit à la demande de mesures provisoires si l'on considère qu'après avoir été
informé de cette demande le 18 décembre 1997, il a continué à agir dans le sens
du renvoi de l'auteur en s'opposant à une demande de sursis à l'exécution de
l'ordonnance d'expulsion le temps que soit examinée la conclusion du Ministre
selon laquelle il serait contraire à l'intérêt public d'autoriser l'auteur à
poursuivre ses démarches en vue de l'obtention du statut de réfugié. L'État
partie a choisi de s'en tenir à sa position selon laquelle le Ministre avait
déjà procédé à une évaluation des risques et qu'il n'y avait rien d'autre à
faire. L'auteur n'a eu d'autre possibilité que de présenter des observations
préliminaires par écrit. Il n'y a eu ni procédure orale, ni possibilité de convoquer
des témoins ou de les soumettre à un contre-interrogatoire, ni divulgation véritable
de "documents d'État à usage interne", ainsi de suite. L'État partie
justifie sa position en disant que la Cour fédérale a rejeté la demande de sursis
à l'exécution de la mesure d'expulsion présentée par l'auteur. Cependant, la
décision de la Cour fédérale en ce qui concerne la demande de sursis n'a pas
fait l'objet d'une révision. C'est la décision d'un seul juge, que l'auteur
conteste. Si l'auteur avait comparu devant d'autres juges de la Cour fédérale,
le résultat de sa demande de sursis aurait peut-être été différent.
Décision du Comité sur la recevabilité
10.1À sa vingt et unième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité
de la communication et il s'est assuré que la même question n'avait pas été
examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement. En ce qui concerne l'épuisement des recours internes,
le Comité a noté que l'auteur avait demandé qu'une mesure provisoire tendant
à suspendre l'exécution de l'ordonnance d'expulsion soit prise, ce qui lui avait
été refusé par la Section de première instance de la Cour fédérale le 22 décembre
1997. L'auteur ayant présenté une nouvelle requête, la Cour a rendu une nouvelle
décision selon laquelle l'auteur n'avait pas démontré qu'il risquait d'être
torturé s'il retournait en Inde. L'auteur a également sollicité l'autorisation
de présenter une demande de contrôle juridictionnel de la décision du Ministre
selon laquelle il serait contraire à l'intérêt public d'examiner sa demande
d'admission au statut de réfugié. Cependant, l'auteur a été expulsé avant la
date limite fixée pour le dépôt de la demande. Le Comité a également noté que
l'auteur n'avait pas demandé l'autorisation de présenter une demande de contrôle
juridictionnel de la décision de l'arbitre, selon laquelle l'auteur appartenait
à une catégorie de personnes non admissibles. Cependant, le Comité n'était pas
convaincu que ce recours aurait été utile et nécessaire, étant donné que les
autres recours mentionnés ci-dessus étaient disponibles et avaient effectivement
été utilisés.
10.2En conséquence, le Comité a décidé que la communication était recevable.
Observations de l'État partie sur le fond
11.1Dans un mémoire du 12 mai 1998, l'État partie indique que, conformément
au principe énoncé dans l'affaire Seid Mortesa Aemei c. Suisse (1), le Comité
doit déterminer "s'il existe des motifs sérieux de croire que [l'auteur]
risquerait d'être soumis à la torture s'[il était renvoyé dans son pays]"
et "si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture".
Il rappelle également que c'est à l'auteur qu'incombe la charge de prouver qu'il
existe des motifs sérieux de croire qu'il risquerait personnellement d'être
soumis à la torture.
11.2L'État partie soutient que la protection prévue par l'article 3 étant, selon
la jurisprudence du Comité, une protection absolue, indépendante du comportement
antérieur de l'auteur, l'existence du risque doit être déterminée de manière
particulièrement rigoureuse. À cet égard, il renvoie à un arrêt de la Cour européenne
des droits de l'homme (Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni) qui précise, au
sujet de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, qu'"en
vue d'apprécier l'existence, à l'époque considérée, d'un risque de traitements
contraires à l'article 3, la Cour se doit d'appliquer des critères rigoureux,
eu égard au caractère absolu de cette disposition".
11.3Pour déterminer si l'auteur risque d'être soumis à la torture, l'État partie
soutient qu'il doit considérer les points suivants : a) s'il y a, dans l'État
intéressé, des éléments indiquant l'existence d'un ensemble de violations systématiques
des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives; b) si l'auteur a déjà
été torturé ou maltraité par un agent de la fonction publique ou avec son consentement;
c) si la situation visée à l'alinéa a) a changé; d) si l'auteur a participé
à des activités politiques ou autres, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'État
concerné, qui seraient de nature à l'exposer tout particulièrement au risque
d'être torturé.
11.4L'État partie admet que la situation des droits de l'homme en Inde est préoccupante,
mais souligne qu'elle s'est nettement améliorée, en particulier au Penjab, au
cours des deux années précédant le dépôt des conclusions de l'État partie.
11.5Selon l'État partie, plusieurs mesures visant à mieux assurer le respect
des droits de l'homme en Inde ont été prises depuis la constitution d'un nouveau
gouvernement en juin 1996. La signature par l'Inde de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 14
octobre 1997 indique qu'elle a l'intention de prendre des mesures pour prévenir
et sanctionner tout acte de torture sur son territoire. L'État partie reconnaît
que la police du Penjab a été responsable, entre 1984 et 1995, de violations
des droits de l'homme, notamment de "disparitions", mais, selon des
sources d'information fiables, des progrès significatifs ont été réalisés depuis
1995 pour la "mettre au pas" et offrir des réparations aux victimes
de violations antérieures. Selon le Département d'État des États-Unis, les disparitions,
courantes au début des années 90, semblent avoir cessé et plusieurs des officiers
de police impliqués ont été sanctionnés (2).
11.6L'État partie s'appuie aussi sur d'autres documents pour affirmer que, si
à la fin des années 80 et au début des années 90 le Gouvernement tolérait et
négligeait les violations des droits de l'homme commises par la police, des
mesures ont depuis été prises pour que les auteurs de tels actes ne restent
pas impunis (3). La réouverture de nombreuses instances contre des officiers
de police du Penjab, qui étaient pendantes devant la Cour suprême depuis de
nombreuses années, et les enquêtes récemment ouvertes par le Bureau central
d'investigation (CBI) illustrent cette évolution. Ces mesures confirment que
la police du Penjab ne bénéficie plus de l'impunité et, bien que de nouvelles
violations ne soient pas exclues, il est fort peu probable que la police du
Penjab soit impliquée à l'avenir dans des affaires de disparitions (4). Enfin,
l'État partie observe que les personnes détenues ou arrêtées bénéficient d'une
meilleure protection judiciaire; une personne affirmant avoir été arbitrairement
arrêtée pourra en informer un avocat et avoir accès à la justice.
11.7En s'appuyant sur les informations émanant des sources susmentionnées, l'État
partie considère que la torture n'est plus pratique courante au Penjab, ni dans
aucune partie de l'Inde, et que l'auteur ne courrait pas de risque.
11.8L'État partie fait en outre valoir qu'il n'existe pas de preuve que l'auteur
ait été torturé par des représentants des autorités indiennes, par le passé
ou depuis son retour en Inde. Il fait état d'articles publiés dans la presse
indiquant que l'auteur n'a pas été torturé au cours de l'interrogatoire, les
autorités indiennes étant parfaitement conscientes que la communauté internationale
est attentive au traitement qu'elles lui réservent (5).
11.9L'État partie fait également valoir que les autorités indiennes n'auraient
aucune raison de torturer l'auteur, celui-ci ayant déjà été condamné et ayant
purgé sa peine. En effet, l'Inde a reconnu le principe non bis in idem, à la
fois en l'inscrivant dans sa Constitution et en adhérant au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, qui énonce ce principe au paragraphe
7 de son article 14. L'absence de nouvelles charges contre l'auteur correspond
d'ailleurs au fait que l'Inde n'a pas demandé son extradition. Enfin, l'État
partie précise que le Directeur adjoint de la police a confirmé par voie de
presse qu'aucune action ne pouvait être engagée contre l'auteur puisque celui-ci
avait déjà été condamné et avait purgé sa peine.
11.10S'agissant de la déclaration sur l'honneur de la nièce de l'auteur, l'État
partie soutient qu'il ne s'agit que d'ouï-dire, car celle-ci se borne à répéter
des déclarations qu'elle croit être de l'auteur. En outre, même si, comme l'a
affirmé la nièce, "l'enquêteur du CBI a ensuite menacé [son] oncle de ne
pas le lâcher d'une semelle", ce ne serait pas totalement sans raison eu
égard au passé de l'auteur, et ce n'est pas la preuve d'un risque de torture.
De surcroît, l'État partie argue que les faits dont il est question dans ladite
déclaration ne constituent pas une "torture mentale", car ils ne répondent
pas aux conditions visées au paragraphe 1 de l'article premier de la Convention.
Les autorités indiennes n'ont en effet commis aucun acte visant à infliger à
l'auteur une douleur ou des souffrances mentales aiguës.
11.11En ce qui concerne l'allusion, dans la communication initiale, à l'assassinat
en 1990 de deux pirates de l'air acquittés qui avaient tenté d'entrer en Inde,
l'État partie considère que cet événement n'est pas pertinent en l'espèce, et
ne voit aucune similitude entre les deux affaires. Cette absence de similitude
est soulignée par le fait que l'auteur n'a pas établi que les membres de sa
famille couraient un risque quelconque, alors que dans l'autre affaire, les
autorités indiennes n'avaient cessé de harceler la famille des intéressés. L'auteur
prétend qu'une fonctionnaire du Département de la citoyenneté et de l'immigration
du Canada (CIC) aurait dit qu'il serait "traité avec sévérité, vraisemblablement
en raison du détournement de l'avion indien" s'il retournait en Inde. L'État
partie soutient que cette observation a été faite au cours de la procédure de
contrôle d'une décision, dans le cadre de laquelle il était du devoir de la
fonctionnaire de s'inquiéter des risques potentiels qui pouvaient peser sur
l'auteur, mais que celle-ci ne faisait pas de commentaires sur la gravité de
ces risques, en cas d'expulsion, et que faute d'informations suffisantes, elle
n'était d'ailleurs pas en mesure de les déterminer.
11.12Enfin, l'État partie souligne que le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration
a attentivement examiné les éléments de preuve relatifs au risque que l'auteur
pourrait courir en retournant en Inde, et que celui-ci a été jugé minime. Cette
appréciation a été confirmée par la Section de première instance de la Cour
fédérale. L'État partie fait valoir que le Comité devrait accorder la plus grande
attention aux conclusions de la Cour et du Ministre.
11.13Pour ces motifs, l'État partie estime que rien n'indique que l'auteur courrait
un risque d'être torturé s'il retournait en Inde.
Observations de l'auteur sur le fond
12.1Dans un mémoire du 11 juin 1998, l'auteur fait valoir que l'évaluation de
la situation des droits de l'homme en Inde, que l'État partie a faite en se
fondant sur les documents soumis au Comité (6) est tendancieuse. L'État partie
cite certains éléments d'information en les isolant de leur contexte, mais oublie
d'en mentionner d'autres, provenant des mêmes sources, qui confirment la persistance
de violations.
12.2L'auteur appelle l'attention du Comité sur le fait que, dans l'un des documents
cités par l'État partie pour appuyer ses dires, on pouvait lire ceci : "J'ai
commencé par demander si une personne qui avait fui l'Inde au début des années
90, au plus fort des troubles, aurait lieu de craindre de rentrer au Penjab
à l'heure actuelle. J'ai également demandé s'il était possible à un fugitif
de trouver refuge au sein d'une communauté sikhe dans une ville ou une région
en dehors du Penjab. La réponse à ces deux questions, qui revenait comme un
leitmotiv au cours de l'entretien, était que seuls les fugitifs jouissant de
la plus grande notoriété, qu'on évaluait à une dizaine environ, auraient des
raisons d'avoir peur, ou risqueraient d'être pourchassés en dehors du Penjab
(7)". L'auteur souligne également que ces commentaires ont été faits
avant les élections de février 1997, avant que la situation des droits de l'homme
ne dégénère.
12.3À l'appui de ses déclarations sur la situation actuelle des droits de l'homme
au Penjab, l'auteur cite des informations émanant de la Direction des recherches
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Ottawa. Selon cet
organisme, la torture en détention demeure un problème en Inde, et en particulier
au Penjab. Il affirme en outre que les poursuites récemment engagées contre
des officiers de police ne sont pas le signe d'un changement réel en ce qui
concerne le respect des droits de l'homme et des garanties constitutionnelles.
Enfin, il précise que les personnes en danger sont celles qui appartiennent
encore à des groupes nationalistes actifs ou qui refusent de se soumettre aux
exigences de l'État (et notamment, aux pressions qu'exerce la police pour en
faire des informateurs, comme l'a fait observer l'auteur, dans son cas). L'auteur
se réfère également à la réponse de la Direction des recherches de la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié à Ottawa, aux demandes d'information
du Service de l'immigration et de la naturalisation des États-Unis sur la situation
au Penjab en 1997, dans laquelle il est indiqué que malgré une amélioration
générale au fil des ans, et "bien que les militants et leurs proches associés
des militants soient la principale catégorie d'individus courant des risques,
les militants politiques et les défenseurs des droits de l'homme ont également
de bonnes raisons de craindre d'être persécutés en Inde".
12.4Compte tenu de ce qui précède, l'auteur attire l'attention du Comité sur
l'incohérence qui caractérise la manière dont l'État partie a évalué le risque
que courait l'auteur d'être soumis à la torture en Inde. Il fait valoir que
les autorités canadiennes avaient refusé d'accorder à l'auteur le statut de
réfugié en le présentant comme un militant terroriste et un nationaliste sikh
jouissant d'une grande notoriété. Or, lorsqu'il s'est agi de le renvoyer en
Inde et d'évaluer les risques auxquels celui-ci pouvait être exposé, l'État
partie l'a présenté sous un jour tout à fait différent.
12.5Sur le risque de torture dans l'avenir, l'auteur observe qu'il n'est pas
nécessaire, pour l'établir, d'avoir la preuve d'actes de torture commis par
le passé, en particulier parce qu'il n'a pas séjourné en Inde depuis son emprisonnement
au Pakistan. À ce stade, le seul élément de preuve disponible sur la question
est la déclaration sur l'honneur de la nièce de l'auteur. Comme l'auteur l'a
souligné, bien qu'elle ne prouve pas la pratique effective de la torture, cette
déclaration devrait être considérée comme démontrant que le risque existe. En
outre, le fait qu'il n'existe pas de motif légal d'arrêter l'auteur à présent
est d'autant plus inquiétant que les exemples d'opérations extrajudiciaires
ne manquent pas en Inde.
12.6L'auteur insiste encore sur les similitudes existant entre sa cause et celle
de Gurvinder Singh, dont il était question dans la communication initiale. Ce
dernier a été jugé avec huit autres personnes, et acquitté, pour le détournement
en 1984 d'un avion reliant l'Inde au Pakistan. Il fut ensuite abattu à la frontière
entre les deux pays, alors qu'il essayait de rentrer en Inde. L'auteur et quatre
autres personnes ont été jugés pour un détournement effectué en 1981. Ce sont
donc 14 personnes au total que les autorités indiennes ont cataloguées comme
terroristes et constamment mises dans le même sac, qu'elles aient été acquittées
ou condamnées, sans tenir compte des dates des détournements, comme en témoigne
une lettre du 24 juillet 1995 adressée par le CBI indien à l'Ambassade du Canada
à New Delhi, dans laquelle il est fait référence à une série de photographies
de chacun des pirates de l'air présumés. Cela indique non seulement que ces
14 personnes sont mises sur le même pied, mais encore que les autorités indiennes
souhaitent particulièrement leur retour en Inde et que l'État partie coopère
avec le Gouvernement indien depuis 1995 au moins. Dans son évaluation du risque
couru par l'auteur, le Comité devrait donc tenir compte de tout ce qui a pu
arriver à ces 14 personnes.
Observations supplémentaires de l'État partie
13.1Dans des communications datées des 30 septembre 1998, 9 octobre 1998, 7
juin 1999 et 28 février 2000 respectivement, l'État partie a fait part d'observations
supplémentaires sur le fond.
13.2 S'il est vrai que les activistes notoires peuvent être exposés à des risques
en Inde, l'État partie considère que l'auteur ne fait pas partie de cette catégorie
à laquelle appartiendraient, par exemple, le chef présumé d'une organisation
extrémiste ou une personne suspectée de terrorisme, ou d'activités subversives.
On ne saurait comparer l'auteur à aucun de ces individus. Il a certes détourné
un avion en 1981, mais il a été condamné pour cette infraction, il a purgé sa
peine et il n'a sans doute pas plus participé à des activités militantes pendant
qu'il était incarcéré qu'actuellement. Dans une autre communication, l'État
partie indique qu'il n'a jamais contesté que l'auteur pouvait être considéré
comme jouissant d'une "grande notoriété", mais il ne considère pas
pour autant que celui-ci appartienne à la catégorie restreinte des "militants
de grande notoriété" qui courent un risque.
13.3L'État partie demande au Comité d'accorder peu de poids au "rapport
établi en vertu de la section 27" (voir par. 14.6); en effet, il s'agit
d'un document établi par un agent subalterne des services d'immigration, qui
signale uniquement que la personne est susceptible de ne pas pouvoir être admise
au Canada. Seule la décision définitive, qui sera prise par un haut fonctionnaire
des services d'immigration, peut faire l'objet d'un contrôle juridictionnel.
En outre, le "rapport établi en vertu de la section 27" indique seulement
que l'auteur appartient au Dal Khalsa. Or, l'État partie soutient que la simple
affiliation à une organisation terroriste ne confère pas la qualité d'"activiste
de grande notoriété".
13.4L'État partie nie fermement avoir coopéré avec les autorités indiennes à
la recherche de l'auteur et confirme n'avoir reçu de leur part aucune demande
d'expulsion de l'auteur vers l'Inde. La lettre évoquée par l'auteur dans sa
précédente communication ne signifie pas que les autorités indiennes étaient
à sa recherche, mais plutôt que l'État partie était préoccupé par l'arrivée
éventuelle sur son territoire de pirates de l'air libérés qu'il souhaitait identifier.
Contrairement aux assertions de l'auteur, selon lesquelles l'Inde souhaitait
son retour, l'État partie n'a jamais reçu d'indication en ce sens. En outre,
même si cela avait été le cas, cela n'aurait pas prouvé que l'auteur risquait
d'être torturé.
13.5En ce qui concerne l'arrivée de l'auteur à l'aéroport de New Delhi, où il
aurait été attendu par plus de 40 de policiers et militaires, l'État partie
répète que le fonctionnaire qui accompagnait l'auteur a confirmé que celui-ci
avait été traité normalement.
13.6L'État partie fait valoir que la lettre que l'auteur a présentée au Comité
à propos de sa vie en Inde depuis son retour, n'est que l'expression de ses
opinions et ne constitue donc nullement un moyen de preuve incontestable ou
concluant. Le Comité devrait faire peu de cas de ce document. Par ailleurs,
le prétendu harcèlement subi par l'auteur ne prouve pas qu'il risque d'être
torturé. Au surplus, au moment de la communication, l'auteur était de retour
en Inde depuis près de deux ans, la manière dont les autorités indiennes le
traitaient n'avait pas changé.
13.7Notant que l'auteur prétend courir le risque d'être "persécuté",
l'État partie rappelle que, même si c'est par inadvertance que celui-ci utilise
cette expression, la question qui est soumise au Comité est de savoir si l'auteur
court le risque d'être "torturé", et non d'être "persécuté".
Le risque de torture, tel qu'il est défini dans la Convention, impose un critère
plus rigoureux et plus précis que le risque de persécution défini dans la Convention
de 1951 relative au statut des réfugiés. En l'espèce, l'État partie réaffirme
que, selon lui, l'auteur ne risque pas d'être torturé.
Observations supplémentaires de l'auteur
14.1Dans de nouvelles communications respectivement datées des 28 octobre 1998,
30 mai 1999, 14 juillet 1999 et 26 novembre 1999, l'auteur déclare que l'État
partie a pour politique de restreindre les entrées de réfugiés sur son territoire
: ainsi, depuis 1996, le taux d'admission au statut de réfugié a énormément
baissé, en particulier chez les demandeurs d'asile originaires du Penjab. L'auteur
considère que la nécessité de lutter contre les abus dus aux migrants économiques
et aux faux réfugiés ne saurait justifier le tableau invraisemblablement favorable
que l'État partie brosse de la situation au Penjab.
14.2Le conseil de l'auteur prie le Comité d'examiner une lettre, datée du 2
décembre 1998, écrite par l'auteur, qui révèle les difficultés auxquelles celui-ci
s'est heurté depuis son retour en Inde. L'auteur dit qu'à son arrivée du Canada,
il a été menacé par la police pour avoir refusé de lui livrer les informations
qu'elle réclamait. Lui-même et sa famille ont été harcelés par la police au
point qu'il ne peut plus la voir. A la suite de la plainte qu'il a déposée auprès
de la Commission des droits de l'homme du Penjab, il a été contraint de signer
une déclaration mettant la police hors de cause. Selon le conseil de l'auteur,
de tels actes constituent "une torture mentale lente et méthodique",
et il est inutile d'attendre des preuves de torture physique.
14.3Le conseil conteste aussi que les agissements du CBI indien au retour de
l'auteur en Inde ne constituent pas une "torture mentale". L'État
partie doit, selon lui, tenir compte à la fois de ces agissements, des autres
difficultés auxquelles l'auteur et sa famille sont confrontés depuis son retour
et de la situation générale des droits de l'homme en Inde. Par ailleurs, il
n'est pas admissible que l'État partie puisse se prévaloir rétroactivement de
certains éléments, à savoir le fait que l'auteur n'a pas été torturé depuis
son retour en Inde, pour justifier sa décision d'expulsion. Le conseil soutient
que l'auteur est actuellement victime de torture; mais, même si tel n'était
pas le cas, le Comité devrait déterminer si l'auteur courait un risque sérieux
d'être soumis à la torture lorsqu'il a été expulsé du Canada.
14.4Le conseil fait valoir que l'auteur a suffisamment prouvé, par sa lettre
et la déclaration sur l'honneur de sa nièce, qu'il court un risque sérieux d'être
torturé depuis son arrivée en Inde et que les autorités indiennes s'intéressent
de près à lui. Le conseil réaffirme que l'expulsion de l'auteur était une extradition
déguisée, en l'absence de demande d'extradition.
14.5Le conseil attire l'attention du Comité sur des éléments d'information supplémentaires
qui contredisent l'affirmation de l'État partie selon laquelle la situation
des droits de l'homme au Penjab se serait améliorée (8) et qui confirmeraient
que la situation des défenseurs des droits de l'homme s'est détériorée à la
fin de 1998. Il fait aussi état d'autres informations indiquant que la police
a menacé d'éliminer ou d'arrêter sur la base de faux chefs d'inculpation des
personnes qui avaient porté plainte auprès de la Commission du peuple.
14.6Le conseil développe l'argument de l'absence de cohérence de l'État partie
dans l'évaluation du risque. En effet, celui-ci affirme qu'actuellement les
autorités indiennes ne s'intéressent nullement à l'auteur, alors qu'il l'avait
auparavant présenté comme un activiste de grande notoriété, notamment en signalant
ses liens avec le Dal Khalsa, organisation connue pour militer en faveur de
la création du Kahlistan, le fait qu'il avait dit aux fonctionnaires de l'immigration
qu'il pouvait "écraser n'importe qui comme de la vermine" et des éléments
tendant à prouver qu'il avait fait des déclarations en faveur du Kahlistan et
contre le Gouvernement indien. L'assertion de l'État partie selon laquelle l'auteur
n'est pas un activiste de grande notoriété est, selon le conseil, fallacieuse.
Le conseil présente des informations supplémentaires tendant à démontrer que
l'auteur est bien un "activiste de grande notoriété". Il s'agit, d'une
part, d'un commentaire de la BBC, datant de mai 1982, qui qualifie le Dal Khalsa
d'organisation antinationale, séparatiste et extrémiste; d'autre part, d'un
article tiré de The News International, d'octobre 1994, consacré à l'auteur
lui-même, dans lequel celui-ci est clairement qualifié d'activiste. Enfin, le
conseil cite des informations figurant dans le dossier établi par les autorités
canadiennes à la date du 30 novembre 1995, relatives à l'expulsion de l'auteur
du Canada ("rapport établi en vertu de la section 27"), selon lesquelles
l'auteur "est membre du Dal Khalsa, organisation terroriste notoire".
Le conseil souligne que l'utilisation du présent dans cette phrase démontre
que ni l'existence du Dal Khalsa, ni l'appartenance de l'auteur à cette organisation
n'appartiennent au passé. Selon le conseil, ces éléments indiquent clairement
que l'État partie considérait bel et bien que l'auteur était un activiste de
grande notoriété et était par conséquent averti du risque qu'impliquait son
renvoi en Inde.
Délibérations du Comité
15.1En vertu du paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, le Comité doit
décider s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être
soumis à la torture à son retour en Inde. Pour ce faire, il doit, conformément
au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les
considérations pertinentes, y compris l'existence d'un ensemble systématique
de violations des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit
toutefois de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis
à la torture dans le pays où il serait renvoyé. En conséquence, l'existence
d'un ensemble de violations flagrantes, graves ou massives des droits de l'homme
dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'un
individu risquerait d'être victime de torture à son retour dans ce pays; il
faut qu'il existe en outre des motifs particuliers de penser que l'intéressé
serait personnellement en danger. De même, l'absence d'un ensemble systématique
de violations flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne
ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumis à la torture dans sa
situation particulière.
15.2Le Comité note d'abord que l'auteur a été expulsé vers l'Inde le 23 décembre
1997, malgré une demande de mesures provisoires adressée à l'État partie conformément
au paragraphe 9 de l'article 108 de son Règlement intérieur, afin qu'il n'expulse
pas l'auteur tant que le Comité ne se serait pas prononcé sur sa communication.
15.3L'un des facteurs déterminants de cette expulsion rapide fut que, selon
l'État partie, "la présence continue de l'auteur au Canada représentait
un danger pour le public". Le Comité, cependant, n'est pas convaincu que
la prolongation, pendant quelques mois encore du séjour de l'auteur au Canada
aurait été contraire à l'intérêt général. A cet égard, le Comité renvoie à une
affaire (Chahal c Royaume-Uni) dans laquelle la Cour européenne des droits de
l'homme a jugé que l'examen d'une réclamation "ne doit pas tenir compte
de ce que l'intéressé a pu faire pour justifier une expulsion ni de la menace
contre la sécurité nationale éventuellement perçue par l'État qui expulse".
15.4Sur le fond de la communication, le Comité relève que l'auteur vit maintenant
en Inde depuis plus de deux ans. Pendant ce temps, bien qu'il prétende avoir
été à diverses reprises harcelé et menacé, avec sa famille, par la police, il
ne semble pas y avoir eu de changement dans la manière dont il est traité par
les autorités. Dans ces conditions, et eu égard au temps assez long qui s'est
écoulé depuis l'expulsion de l'auteur, amplement suffisant pour que ses craintes
se soient matérialisées, le Comité ne peut que conclure que ses allégations
étaient dépourvues de fondement.
15.5 Le Comité est d'avis que près de deux ans et demi plus tard, il est peu
probable que l'auteur risque encore d'être soumis à des actes de torture.
16.1Le Comité considère qu'en ratifiant la Convention et en acceptant volontairement
la compétence du Comité en vertu de l'article 22 l'État partie s'est engagé
à coopérer avec lui de bonne foi dans l'application de la procédure. L'application
des mesures provisoires que le Comité demande dans les cas où il les juge raisonnables
est indispensable pour protéger la personne en question contre un préjudice
irréparable, qui pourrait au surplus réduire à néant le résultat de la procédure
devant le Comité. Celui-ci est profondément préoccupé par le fait que l'État
partie n'a pas déféré à la demande de mesures provisoires qu'il lui avait adressée
en application de l'article 108, paragraphe 3, de son règlement intérieur et
a renvoyé l'auteur en Inde.
16.2Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de l'auteur en Inde par l'État
partie ne constitue pas une violation de l'article 3 de la Convention.
Opinion individuelle de M. Guibril Camara, membre du Comité
1.En vertu de l'article 108, paragraphe 9, de son règlement intérieur, le Comité
contre la torture peut prendre des mesures pour éviter une violation de la Convention
et, par conséquent, un dommage irréparable. Cette disposition est un attribut
logique de la compétence conférée au Comité par l'article 22 de la Convention,
au sujet de laquelle l'État partie a fait une déclaration. En invoquant l'article
22, l'auteur d'une communication soumet une décision exécutoire à l'appréciation
du Comité, compte étant dûment de la condition de l'épuisement des recours internes.
Il s'ensuit que, si cette décision est mise à exécution malgré la demande de
suspension du Comité, l'État partie vide l'article 22 de son sens. En l'espèce,
il s'agit fondamentalement d'une action au mépris, sinon de la lettre, en tout
cas de l'esprit de l'article 22.
2.Au surplus, il ressort clairement des termes de l'article 3 de la Convention
que le moment à retenir pour apprécier s'"il y a des motifs sérieux de
croire que [l'auteur] risque d'être soumis à la torture" est celui de l'expulsion,
du refoulement ou de l'extradition. Les faits prouvent à l'évidence que, au
moment de son expulsion vers l'Inde, il y avait des motifs sérieux de croire
que l'auteur serait soumis à la torture. L'État partie a donc violé l'article
3 de la Convention en prenant une mesure d'expulsion à l'égard de l'auteur.
3. Enfin, le fait qu'en l'espèce l'auteur n'a pas été soumis par la suite à
la torture est sans rapport avec le point de savoir si l'État partie a violé
la Convention en l'expulsant. La question de la matérialisation effective du
risque - en l'espèce, d'actes de torture - n'intervient qu'en cas de demande
de réparation ou de dommages-intérêts de la part de la victime ou d'autres personnes
en droit d'en réclamer.
4. La compétence du Comité contre la torture devrait aussi s'exercer dans un
souci de prévention. Dans les affaires relevant de l'article 3, il ne serait
certainement pas raisonnable d'attendre la survenance d'une violation pour en
prendre note.
Notes
1. Constatations. Communication No 34/1995, CAT/C/18/D/34/1995, 9 mai 1997.
2. Département d'État des États-Unis, Rapport 1996 sur les pratiques en matière
de droits de l'homme : Inde.
3. Section de la documentation, de l'information et de la recherche, Commission
de l'immigration et du statut de réfugié,"Inde : Informations émanant de
quatre spécialistes du Penjab", Ottawa, 17 février 1997.
4. Ibid.
5. "Le pirate de l'air est sain et sauf dans son pays : un journal indo-canadien
a reçu l'assurance que Tejinder Pal Singh sera bien traité en Inde", Vancouver
Sun, 5 janvier 1998.
6. Département d'État des États-Unis, Rapport 1996 sur les pratiques en matière
de droits de l'homme : Inde; Rapport mondial sur les droits de l'homme, 1997.
7. Voir ci-dessus, note 3.
8. Documents IND30759.EX et IND26992.E de la Direction des recherches de la
Commission de l'immigration et du statut de réfugié à Ottawa.