Mme P.E. c. France, Communication No. 193/2001, U.N. Doc. CAT/C/29/D/193/2001 (2002).
Présentée par : Mme P. E. [représentée par un conseil]
Au nom de : Mme P. E.
État partie : France
Date de la requête : 24 septembre 2001
Date de l'adoption de la décision : 21 novembre 2002
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 21 novembre 2002,
Ayant considéré l'examen de la requête no 193/2001, présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte des informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la requête et l'État partie,
Adopte la décision suivante:
1.1 La requérante, P. E., née le 26 mai 1963 à Francfort, de nationalité allemande, a été extradée par la France vers l'Espagne le 7 novembre 2001. Elle prétend être victime d'une violation par la France de l'article 15 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a porté la requête à l'attention de l'État partie le 5 décembre 2001. Dans le même temps, le Comité, agissant en vertu de l'article 108 de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas extrader la requérante vers l'Espagne tant que sa requête serait en cours d'examen. (1)
Rappel des faits présentés par la requérante
2.1 En novembre 1996 (2) , la requérante fut arrêtée dans les Landes en compagnie de son compagnon, Juan Luis Agirre Lete, lors d'un contrôle de la douane française et mise en détention préventive à Paris. À la suite de cette arrestation, elle fut condamnée, le 23 février 1999, à 30 mois d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en temps que membre présumée de l'organisation indépendantiste basque, Euskadi Ta Askatasuna (ETA). (3)
2.2 Dès son arrestation de novembre 1996, les autorités espagnoles ont demandé une première fois son extradition mais cette demande fut ensuite retirée en raison d'une erreur sur la personne. Une deuxième demande d'extradition fut présentée un an après par les autorités espagnoles pour collaboration à une bande armée, laquelle reposait sur une preuve prétendument discutable mais fut néanmoins accueillie favorablement par les autorités françaises.
2.3 Une troisième demande d'extradition (4) a été formulée par l'Espagne sur base d'une déclaration faite par un certain Mikel Azurmendi Penagarikano, arrêté le 21 mars 1998 à Séville par la garde civile espagnole et qui aurait subi différents traitements contraires à la Convention durant sa détention. La requérante ajoute que la compagne de M. Azurmendi a été arrêtée au même moment que ce dernier et a également fait l'objet de traitements contraires à la Convention.
2.4 Lors de sa garde à vue, les 23 et 24 mars 1998, Mikel Azurmendi aurait effectué sous la contrainte deux déclarations auprès de la Guardia Civil. Dans ces déclarations, qui contiendraient de nombreuses contradictions et invraisemblances, la requérante a été mise en cause, parmi une trentaine d'autres personnes, comme membre du «Commando Madrid» de l'ETA et accusée d'avoir opéré avec d'autres des surveillances et des vérifications sur le trajet emprunté à Madrid par une fourgonnette de l'état-major de l'armée de l'air espagnole, afin de commettre un attentat, et d'avoir participé avec d'autres à la confection d'un engin explosif placé à bord d'un véhicule qui fut utilisé par d'autres membres du commando dans une tentative d'attentat le 25 janvier 1994. La requérante soutient néanmoins qu'elle avait quitté Madrid depuis longtemps au moment des faits.
2.5 Au sujet des circonstances dans lesquelles ces déclarations ont été faites, la requérante produit un extrait du témoignage de M. Azurmendi:
Je vous écris cette lettre pour dénoncer le traitement infligé par les forces de sécurité espagnoles, plus concrètement par la Guardia Civil, au moment de mon arrestation (à Séville), ainsi que durant le transfert jusqu'aux dépendances de Madrid et mon séjour dans celles-ci.
Concernant mon arrestation, elle s'est produite rue José Laquillo, no 5, 1er étage, porte B. Ils m'ont immobilisé et m'ont mis les menottes, n'ont pas arrêté de m'écraser, m'ont donné des coups en me menaçant constamment.
Après m'avoir lu mes droits, une personne (juge de vigilance) leur ordonne de me changer les menottes. Ils le font devant lui et juste après m'avoir descendu dans la voiture, ils me remettent d'autres menottes en me les serrant le plus possible, me faisant mal aux poignets, et me provoquant des lésions visibles encore à ce jour. Ils ne me les enlèvent qu'une fois arrivé au cachot du commissariat.
À part la douleur due aux menottes, ils me portent des coups sur la tête, les côtes, me pincent les testicules; ils simulent des tirs avec une arme à feu en pressant le canon contre ma tête et tirant plusieurs fois. Ils me donnent des coups me provoquant une entorse à la cheville.
Tout cela durant le trajet de Séville à Madrid.
Une fois à Madrid, ils me font marcher, mais ma jambe ne répond plus et à chaque fois que j'essaye, je tombe par terre. Ils continuent à me frapper à cause de ça, m'obligent à réessayer à chaque fois que je suis par terre, jusqu'à voir que je ne peux plus marcher et me conduisent au cachot. Là-bas, ils me disent qu'ils me laissent un moment pour que ma circulation sanguine se rétablisse.
Un peu plus tard, ils viennent et m'obligent à me lever, tout ça les yeux bandés. À partir de là, ils commencent à me frapper la cheville, me donnent des claques, des coups sur la nuque et profèrent des menaces de toutes sortes. Au bout d'un certain temps, je ne peux pas dire combien d'heures, ils me conduisent aux urgences médicales pour que soit examinée la lésion à la cheville. Une fois là-bas, on me pronostique une entorse, en me mettant un bandage et me conseillant de mettre de la glace pour soulager la douleur et de maintenir le pied levé.
Lorsque les Gardes civils me ramènent aux dépendances de la Guardia civil, ils me frappent à nouveau provoquant une autre lésion, et à force de me pousser et de me donner des coups sur le pied blessé, ils me cassent le gros orteil.
Ils me font subir une longue séance d'interrogatoire, avec des coups, me tirant des mèches de ma barbe et utilisent un objet qui me provoque des chocs électriques dans le pénis, l'estomac et la poitrine. Et si cela ne suffisait pas, ils utilisent une autre méthode: la poche plastique. Cela consiste à me mettre une poche plastique sur la tête, la serrant à la hauteur du cou et m'asphyxiant. Cela, en même temps que les chocs électriques, ils me l'ont fait à plusieurs reprises. Lorsque je perds connaissance, ils me laissent récupérer un peu et recommencent.
Après tout ça, ils me conduisent aux urgences, à un endroit différent du précédent, puisque le trajet fut beaucoup plus court, je déduis que ça devait être près du commissariat. Durant le trajet, ils ne cessent de me menacer, me disant: «Tu ne sais pas où l'on t'amène; tu vas à la montagne pour creuser ta propre tombe [..]».
Au retour, ils continuent à me menacer. Cette fois-ci, à propos de ma soeur: si je ne parle pas, ils iront la chercher et que c'est elle qui payera à cause de moi, que cela dépend de moi, [..].
Puis, ils se mettent à proférer des menaces contre ma compagne Maite PEDROSA (arrêtée en même temps que moi), qu'ils vont la violer, qu'elle est très mal, […]. avec des menaces comme: «On est en train de remplir la baignoire». Et que si je continue à crâner (sic), ils me feront subir la baignoire. Les coups n'ont pas cessé durant mon séjour au commissariat, surtout les coups sur l'entorse, des coups et des claques sur la tête.
À la fin, ils me disent qu'ils me conduisent à l'Audiencia Nacional pour que je déclare et que, l'après-midi, je devrai retourner avec eux pour que je regarde quelques photos et que le traitement sera en conséquence suivant ce que je déclarerai devant le juge.
Durant presque tous les interrogatoires, je suis resté les yeux bandés et si ce n'était pas le cas, ils m'obligeaient à baisser la tête, même si j'ai pu voir la tête de l'un d'entre eux par deux fois et que je pourrai le reconnaître. Prison d'Alcala de Henares, le 7 avril 1998.
2.6 Après la fin de la garde à vue, le 25 mars 1998, lors de son passage devant le juge d'instruction n° 6 de l'Audiencia Nacional à Madrid, M. Azurmendi porta plainte pour les tortures qu'il subit pendant sa garde à vue et s'est rétracté de ses précédentes déclarations. Ladite plainte est toujours actuellement à l'instruction.
2.7 Lors de son incarcération au centre pénitentiaire de Madrid, M. Azurmendi fit également l'objet d'examens de la part des services médicaux pénitentiaires et un rapport médical d'expertise judiciaire fut rendu le 18 octobre 1998. Ces rapports médicaux ainsi que les témoignages de certains détenus arrêtés le même jour que l'intéressé corroborent les allégations de tortures et de mauvais traitements formulées par M. Azurmendi.
2.8 Suite à la mise en cause de la requérante par les déclarations des 23 et 24 mars 1998 de M. Azurmendi, le parquet espagnol avait conditionné la poursuite de la requérante «aux résultats positifs des preuves». Les résultats ayant été négatifs, aucune poursuite ne lui avait été intentée. Cependant, le juge du tribunal central d'instruction n° 2 de l'Audiencia Nacional de Madrid, M. Ismael Moreno Chamaro, rendait le 29 octobre 1998 un arrêt de mise en accusation et d'emprisonnement de la requérante. Sur cette base, le juge rendait, le 22 décembre 1998, un arrêt de demande d'extradition de la requérante. Par note verbale du 10 mars 1999, le Gouvernement espagnol sollicitait via son ambassade l'extradition de la requérante aux autorités françaises. Le 15 juin 1999, elle a été placée sous écrou extraditionnel à la maison d'arrêt de Fresnes. La demande d'extradition a été examinée en audience publique le 24 mai 2000 par la première chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris qui, par un arrêt rendu le 21 juin 2000, a donné un avis partiellement (5) favorable à l'extradition pour les faits qualifiés par l'État espagnol de 19 tentatives d'assassinats terroristes.
2.9 La requérante souligne que la demande d'extradition ne contenait pas de copie de la déclaration de M. Azurmendi du 25 mars 1998 devant le magistrat instructeur de l'Audiencia Nacional. À cet égard, le conseil de la requérante faisait valoir devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris qu'il était inacceptable que, s'agissant d'accusations emportant de très lourdes peines d'emprisonnement, l'État requérant n'avait pas fait mention de cette déclaration dans laquelle il se rétractait d'une manière globale mais déclarait aussi particulièrement ne pas connaître la requérante.
2.10 Le même conseil faisait également valoir:
2.13 Par un décret du 29 septembre 2000, le Gouvernement français accordait l'extradition de la requérante aux autorités espagnoles. Le 3 janvier 2001, ce décret fit l'objet d'un recours par la requérante devant le Conseil d'╔tat. Dans son mémoire présenté devant le Conseil d'état, le conseil de la requérante a soutenu les même moyens que devant la chambre d'accusation et a ajouté:
- Ni même que M. Azurmendi a été transporté aux urgences à l'issue de sa garde à vue pour avoir fait l'objet de mauvais traitements lors des interrogatoires subis à la Guardia Civil.
De sorte que si un avocat du barreau de Madrid a pu assister l'intéressé à un moment quelconque de sa garde à vue, cette circonstance n'exclut en rien que les charges retenues à l'encontre de l'exposante aient été recueillies dans des conditions contraires à l'ordre public français.
Par arrêt du 7 novembre 2001, le Conseil d'État a rejeté ce recours. La requérante était remise aux autorités espagnoles le même jour.
Teneur de la plainte
3.1 La requérante considère que son extradition vers l'Espagne constitue une violation de l'article 15 de la Convention dans la mesure où son inculpation par les autorités espagnoles a été rendue possible grâce à des déclarations faites sous la torture.
3.2 L'article 15 de la Convention est un des corollaires de la prohibition absolue de la torture qui est le fondement de cette Convention contre la torture. La première partie de la disposition vise en effet à supprimer toute utilité à la pratique de la torture lorsque celle-ci est infligée à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux. Dans ce cadre, les déclarations obtenues par la torture doivent donc être frappées de nullité absolue.
3.3 Cette disposition est applicable à toute procédure, de caractère juridictionnel ou non juridictionnel, et notamment au plan pénal ou administratif. Elle est donc bien applicable en l'espèce aux procédures d'extradition.
3.4 Selon la requérante, plusieurs critères doivent être réunis pour que soit constatée une violation de l'article 15 de la Convention par un État partie:
3.5 En l'espèce, tous ces critères sont réunis:
3.5.1 Selon la requérante, il est établi au-delà de tout doute raisonnable que les déclarations de M. Azurmendi invoquées comme élément de preuve dans la procédure en cause ont été obtenues par la torture .
3.5.2 En ce qui concerne l'assistance d'un avocat commis d'office pendant la garde à vue, qui représente l'argument sur lequel repose l'État partie pour réfuter ces allégations, la requérante souligne qu'en vertu de la législation spéciale antiterroriste espagnole, M. Azurmendi a été détenu et gardé à vue en «incommunication», c'est-à-dire détenu au secret, coupé de tout contact avec un avocat de son choix ou l'un de ses proches. Cette incommunication fut prolongée y compris lorsqu'il comparut devant le juge le 25 mars 1998.
3.5.3 La requérante explique à ce sujet qu'il apparaît que les mécanismes de protection des personnes mises en cause dans des affaires terroristes et détenues par les forces de sécurité espagnoles sont notoirement insuffisants:
De l'avis du CPT, ces droits constituent trois garanties fondamentales contre
les mauvais traitements qui devraient s'appliquer dès le début de la détention
(c'est-à-dire dès que la personne concernée est privée de sa liberté d'aller
et de venir par les Forces de sécurité).
3.5.8 Selon la requérante, la déclaration litigieuse est l'élément essentiel de l'accusation portée contre elle . Il résulte en effet de l'examen de la procédure que l'unique élément de preuve produit par les autorités espagnoles pour demander pour la troisième fois l'extradition de la requérante est en effet fondé sur les seules déclarations effectuées par M. Azurmendi les 23 et 24 mars 1998 lors de sa garde à vue par la Guardia Civil. C'est sur la base de ces déclarations obtenues par la torture que la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a fondé son avis favorable à l'extradition rendu le 21 juin 2000 et que le Gouvernement français a pris le décret d'extradition du 29 septembre 2000.
3.5.9 Selon la requérante, les autorités et les juridictions françaises n'ont pas réuni et examiné, de manière objective, équitable et approfondie, tous les éléments qui permettent d'établir que la déclaration litigieuse a été obtenue de manière illicite . En effet, il apparaît d'une part que la plainte pour tortures formulée le 25 mars 1998 par M. Azurmendi lors de sa comparution devant le magistrat instructeur n'a pas été prise en compte par les juridictions et autorités françaises. De même, les preuves médicales qui établissent sans conteste possible que les déclarations de M. Azurmendi lors de sa garde à vue ont été obtenues par la torture, ont été systématiquement écartées par les autorités et juridictions françaises. De plus, les juridictions françaises ont systématiquement refusé d'intervenir auprès des autorités espagnoles afin d'obtenir tout élément complémentaire qui aurait permis d'établir que lesdites déclarations n'ont pas été obtenues par la torture.
3.5.10 Selon la requérante, les déclarations de M. Azurmendi n'ont pas été frappées de nullité par les autorités et juridictions françaises . Malgré qu'il soit établi que les déclarations de M. Azurmendi ont été obtenues par la torture, ces déclarations sont le fondement de l'avis favorable rendu le 21 juin 2000 par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris à la troisième demande d'extradition formulée par les autorités espagnoles et au décret d'extradition pris le 29 septembre 2000 par le Gouvernement français. Or, en vertu de l'article 15 de la Convention contre la torture, ces déclarations obtenues par des moyens illicites auraient dû être frappées de nullité absolue.
3.5.11 Enfin, il convient de plus, dans le cadre d'une procédure d'extradition, de déterminer s'il existe dans l'État requérant une pratique de la torture, et si, de manière habituelle, les déclarations obtenues par la torture sont validées par les juridictions de l'État requérant .
3.5.12 Selon la requérante, il est établi que l'infliction de la torture et des mauvais traitements par les Forces de sécurité espagnoles est une «pratique administrative» incompatible avec la Convention contre la torture, car il y a répétition d'actes contraires à l'article 1 de la Convention et tolérance officielle des autorités. Cette pratique de torture et de mauvais traitements est corroborée par de nombreux rapports d'organismes internationaux concernant l'Espagne, ceci depuis de nombreuses années et de façon persistante aujourd'hui. Ainsi, dans ses conclusions relatives au rapport complémentaire de l'Espagne, le Comité contre la torture «s'inquiète… de l'augmentation du nombre de plaintes faisant état de torture et de mauvais traitement, des retards dans l'instruction desdites plaintes et de l'impunité d'un certain nombre d'auteurs d'actes de torture». Comme le souligne le Comité européen pour la prévention de la torture, «il serait prématuré de conclure que le phénomène de la torture et des mauvais traitements graves a été éradiqué» en Espagne.
3.5.13 Les risques de torture et de mauvais traitements sont également corroborés par de nombreux rapports des organismes internationaux concernant l'Espagne, et ceci de façon récente:
3.5.14 De plus, il résulte des constatations dignes de foi formulées par les
organes internationaux de protection des droits de l'homme que les mauvais traitements
infligés habituellement par les fonctionnaires espagnols, de manière intentionnelle
et avec professionnalisme, afin d'obtenir des aveux ou des renseignements ou
de provoquer la terreur ont un caractère de gravité tel qu'ils peuvent être
qualifiés de tortures au sens de l'article 1 de la Convention contre la torture
et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
3.5.15 L'impunité dont bénéficient les tortionnaires de la part des autorités espagnoles est un facteur de risque supplémentaire. En effet, cette impunité incite les auteurs de tortures et de mauvais traitements à continuer leurs exactions. Souvent, les plaintes des victimes sont classées sans suite; les procédures sont très longues; les condamnations des tortionnaires sont très rares; lorsque des condamnations sont prononcées par les tribunaux espagnols, les tortionnaires sont le plus souvent graciés par le pouvoir politique et certains tortionnaires ont même bénéficié de promotions. L'absence de répression contre les fonctionnaires tortionnaires crée donc un sentiment d'impunité qui favorise la continuation de la pratique de la torture.
3.5.16 Comme il a été constaté par le Comité contre la torture, les déclarations obtenues par la torture sont validées par les juridictions espagnoles, et notamment par l'Audiencia Nacional qui est une juridiction spéciale en matière de crimes et délits terroristes. De plus, les jugements rendus par l'Audiencia Nacional ne peuvent pas être frappés d'appel et ce en contradiction avec l'article 14, paragraphe 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; seul un recours en cassation est possible devant le Tribunal suprême qui refuse de réexaminer la licéité des preuves acceptées en premier ressort par l'Audiencia Nacional.
3.5.17 Enfin, s'agissant de la situation en Espagne, il convient de rappeler comme il a été fait par le Comité contre la torture que, selon le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention, «aucune circonstance exceptionnelle quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse … d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture». Ainsi, la situation de conflit aigu qui règne au Pays basque ne peut être invoquée pour justifier la pratique de la torture par les Forces de sécurité espagnoles et l'utilisation de preuves obtenues par la torture par les juridictions espagnoles.
Observations de l'État partie
4.1 L'État partie a communiqué ses observations par une note verbale du 29 avril
2002.
4.2 L'État partie avance que la requérante a été arrêtée en possession d'armes
et soupçonnée d'appartenir à l'ETA. Elle a été condamnée par un jugement du
tribunal correctionnel de Paris à une peine de deux ans et six mois d'emprisonnement
pour des infractions liées au transport et à la détention d'armes, détention
de faux documents administratifs et participation à association de malfaiteurs
en vue de la préparation d'un acte de terrorisme.
4.3 La première demande d'extradition du 15 septembre 1997 (7) dont elle a fait
l'objet était basée sur son appartenance à l'ETA et sur le fait d'avoir créé
l'infrastructure du «commando Madrid» qui perpétrait des attentats dans la capitale
espagnole. Pour cette raison, la requérante a été placée sous écrou extraditionnel
le 21 octobre 1997 à la maison d'arrêt de Fresnes. Par un arrêt du 18 mars 1998,
la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a émis un avis favorable
à son extradition et la Cour de cassation a rejeté son pourvoi contre cet avis
en date du 23 juin 1998.
4.4 La requérante a fait l'objet d'une demande complémentaire d'extradition
le 10 mars 1999. L'instruction de cette demande complémentaire étant en cours
ainsi que la procédure pénale diligentée par les juridictions françaises, les
autorités de l'État partie ont dès lors décidé de ne pas procéder directement
à la première extradition. Selon l'acte d'accusation et les pièces produites
par les autorités espagnoles à l'appui de cette demande d'extradition complémentaire:
Il est fait grief à P., en tant que membre de l'organisation terroriste ETA,
d'avoir avec d'autres membres de cette organisation, à Madrid, recherché des
informations, opéré des surveillances et des vérifications sur le trajet emprunté
par une fourgonnette de l'état-major de l'armée de l'air espagnole, afin de
commettre un attentat. Le 30 novembre 1993, un véhicule Opel était volé et les
plaques d'immatriculations étaient changées. L'extradable en compagnie de ses
complices confectionnait un engin explosif composé de deux «cocottes» contenant
chacune une charge explosive d'environ 45 kilos. Le 24 janvier 1994, deux des
complices de l'extradable conduisaient le véhicule piégé à l'intersection du
«Paseo» de «la Ermita» et de l'avenue «del Manzanarès» (à Madrid). Le 25 janvier
1994, aux environs de 8 heures, au passage de la fourgonnette militaire, Angel
Azurmendi Penagaricano activait l'engin sans parvenir à le faire exploser. Il
prenait alors la fuite en compagnie d'Arri Pascual d'Alvaro […]. [Quelques instants
après, les policiers essayaient de provoquer une explosion contrôlée. Ils échouaient
et l'] engin explosait faisant 19 blessés et causant d'importants dégâts à des
immeubles et à des véhicules stationnés.
4.5 Suite à cette demande complémentaire, la requérante a été placée sous écrou
extraditionnel le 15 juin 1999. Après avoir ordonné un complément d'information
afin de vérifier si une partie des faits reprochés n'était pas prescrite, la
chambre d'accusation a rendu, en date du 21 juin 2000, un avis favorable à l'extradition
pour les faits qualifiés par l'État requérant de tentatives d'assassinats terroristes
mais pas pour les faits qualifiés de destructions terroristes, après avoir constaté
que la prescription de l'action publique était acquise en droit français.
4.6 La requérante a demandé sa mise en liberté le 21 octobre 1997. Celle-ci
fut accordée par la chambre d'accusation le 22 mars 2000. Dans le cadre de la
demande complémentaire d'extradition, la requérante a également demandé sa mise
en liberté le 4 septembre 2000. Celle-ci fut accordÚe le 18 octobre 2000 mais
assortie d'une mesure de placement sous contr¶le judiciaire.
4.7 C'est dans ces circonstances que le Premier Ministre a accordÚ l'extradition,
sur base de la premiÞre demande d'extradition ainsi que de la demande complÚmentaire,
par un dÚcret du 29 septembre 2000. La requÚrante Útait remise aux autoritÚs
espagnoles le jour de la dÚcision du Conseil d'╔tat rejetant son recours Ó l'encontre
de ce dÚcret, le 7 novembre 2001.
4.8 En ce qui concerne le fondement de la requÛte, l'╔tat partie prÚcise que
l'unique grief soulevÚ par la requÚrante n'a trait qu'Ó la demande complÚmentaire
d'extradition. Il ne remet nullement en cause la premiÞre demande d'extradition,
fondÚe sur des faits distincts et qui, Ó eux seuls, auraient pu justifier une
dÚcision d'extradition, aprÞs l'avis favorable rendu par la chambre d'accusation
le 18 mars 1998. Ainsi, ce n'est pas l'extradition elle-mÛme qui est en cause
mais seulement le fait que la dÚcision d'extrader prise par l'╔tat partie n'ait
pas ÚtÚ assortie d'une rÚserve, portant sur les faits liÚs aux dÚclarations
de M. Azurmendi.
4.9 Selon la lÚgislation de l'╔tat partie, c'est la loi du 10 mars 1927 qui
s'applique en cas de demande d'extradition faite par l'Espagne. En vertu de
l'article 16 de cette loi, la chambre d'accusation doit vérifier si les conditions
légales de l'extradition sont remplies. À ce titre, elle doit vérifier si le
dossier est régulièrement constitué, s'il n'y a pas «erreur évidente» sur l'identité
de l'individu demandé ou s'il est manifeste que l'individu n'est pas susceptible
d'avoir participé aux faits qui lui sont reprochés. Cependant, la chambre d'accusation,
en vertu d'un principe général de droit français en matière d'extradition, ne
peut apprécier si les poursuites sont fondées ou si les charges réunies sont
suffisantes.
4.10 La chambre d'accusation rend ensuite un avis qui peut, s'il est favorable,
être assorti de réserves ou être partiellement favorable. Si l'avis n'est pas
favorable, il est définitif. Le contrôle éventuellement effectué par la Cour
de cassation porte uniquement sur la procédure et les règles de forme se rapportant
à la procédure.
4.11 Sur base d'un avis favorable de la chambre d'accusation, le Gouvernement
adopte, le cas échéant, un décret d'extradition, susceptible de recours devant
le Conseil d'État qui contrôle «les vices de forme du décret d'extradition et
[…] la légalité interne de la mesure d'extradition, au regard des lois et conventions
internationales, afin de vérifier si, notamment après l'examen de l'affaire
par la chambre d'accusation, le Gouvernement a pu légalement décider que les
conditions de l'extradition, pour les infractions qu'il retient, étaient réunies».
L'État partie souligne que c'est dans ce contexte que le Conseil d'État a, en
date du 15 février 1999, annulé une décision d'extradition au motif d'une méconnaissance
de l'article 3 de la Convention contre la torture.
4.12 Par rapport aux allégations de la requérante selon lesquelles les déclarations
de M. Azurmendi ont été obtenues sous la torture, la chambre d'accusation a
décidé que «s'il est exact que P. E. a été mise en cause par le nommé Azurmendi,
cette mise en cause ne s'est pas déroulée sous la violence, mais tel que cela
résulte des pièces communiquées par l'État requérant, dans les locaux de la
Guardia Civil, en présence d'un avocat». De son côté, le Conseil d'État, se
basant sur les mêmes éléments a considéré que ces allégations n'étaient assorties
d'aucun commencement de preuve. Le Conseil d'État a également souligné «qu'il
résulte des principes généraux du droit applicable à l'extradition qu'il n'appartient
pas aux autorités françaises, sauf cas d'erreur évidente, de statuer sur le
bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée; qu'en l'espèce,
il n'apparaît pas qu'une erreur évidente aurait été commise tant en ce qui concerne
l'infraction d'appartenance à bande armée que le crime de complicité de tentative
d'assassinat reprochés à Mme P. E.».
4.13 L'État partie soutient que l'obligation souscrite par l'État partie en
vertu de l'article 15 de la Convention ne s'applique que dans l'hypothèse où
il est «établi» que cette déclaration a été obtenue par la torture. La rédaction
de cette disposition est fort différente de celle de l'article 3 de la Convention
interdisant à un État partie de refouler ou d'expulser une personne vers un
autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle «risque» d'être soumise
à la torture. Or, en l'espèce, la requérante n'a pas établi que les déclarations
de M. Azurmendi avait été obtenues sous la torture et la présence d'un avocat
à ses côtés durant la garde à vue jette un doute suffisamment sérieux sur ces
allégations.
4.14 En outre, l'État partie soutient que l'article 15 de la Convention ne lui
impose nullement de mener des investigations auprès d'un État tiers pour apprécier
le bien-fondé d'allégations de torture. En matière d'extradition, il n'a en
effet jamais été admis qu'un État s'immisce dans le cours de procédures juridictionnelles
se déroulant dans des pays tiers. La charge de la preuve ne peut donc qu'incomber
à l'auteur de ces allégations.
4.15 L'obligation de l'article 15 ne s'imposant que lorsqu'il est établi qu'une
déclaration a été obtenue sous la torture, cette preuve peut résulter d'un faisceau
d'indices suffisamment concordants. Or, en l'espèce, il convient de constater
la faiblesse des indices avancés par la requérante. Elle invoque une consultation
dans un hôpital à la fin de la garde à vue et la rétractation de M. Azurmendi
dès le lendemain devant le magistrat instructeur. Or, la requérante n'a jamais
apporté le moindre commencement de preuve de la détérioration de l'état de santé
de M. Azurmendi durant la garde à vue et d'un lien de causalité entre cette
détérioration et des sévices qui lui auraient été infligés. Quant à la rétractation
devant le magistrat instructeur, celle-ci s'explique par le fait qu'à ce moment,
M. Azurmendi ne faisait l'objet d'aucune pression et qu'il a ainsi pu très rapidement
diminuer la portée de ses déclarations antérieures.
4.16 En ce qui concerne la présence d'un avocat commis d'office et le fait que
la législation espagnole ne permette pas aux personnes gardées à vue de choisir
leur avocat, le fait que l'avocat présent durant les déclarations ait été commis
d'office ne constitue pas en soi un élément permettant de soupçonner d'avoir
gravement failli à ses devoirs déontologiques en ne dénonçant pas sur-le-champ
ou postérieurement l'obtention des déclarations sous la torture.
4.17 Outre le fait que les explications supplémentaires de la requérante par
rapport aux conditions de garde à vue en Espagne sont très générales, l'État
partie souligne que des communications comportant des allégations similaires
à celles de la requérante ont déjà été rejetées dans le cadre des mécanismes
onusiens. Ainsi, dans un avis no 26/1999, le Groupe de travail sur la détention
arbitraire à considéré:
En soi, la mise au secret, lorsqu'elle est justifiée par des raisons impérieuses
liées à l'instruction de l'affaire en question, a fortiori lorsqu'il s'agit
d'infractions aussi graves que celle de terrorisme, ne peut être, par elle-même,
jugée contraire au Pacte. […] Le Groupe de travail considère que l'imputation
d'un délit de terrorisme et d'association de malfaiteurs constitue une circonstance
exceptionnelle qui, selon la loi espagnole, autorise la mise au secret pendant
un court délai. […] Les mêmes observations s'appliquent au droit de choisir
un avocat et d'être assisté par celui-ci pendant le procès, et au droit de l'avocat
de s'entretenir avec l'accusé, conformément aux dispositions dudit Ensemble
de principes adopté en 1988, par consensus, par l'Assemblée générale. Il convient
de noter que Mikel Egibar n'a pas exigé d'être interrogé en présence d'un avocat
de son choix et qu'il a accepté un avocat commis d'office, de sorte que son
droit n'a pas été violé; qui plus est, dès que la mesure de mise au secret a
été levée, il a pu désigner un avocat qu'il a conservé pendant le reste du procès.
[…] Le secret de l'instruction, pendant la première phase de l'instruction,
est une mesure autorisée non seulement par la loi espagnole mais aussi par la
quasi-totalité des législations, qui vise à ne pas entacher le jugement de nullité.
Une telle mesure ne porte pas atteinte au droit à la défense puisque le défenseur
a accès, au cours du jugement proprement dit, à toutes les pièces du dossier
et peut contester les moyens de preuve infondés ou obtenus de manière illégale.
On ne saurait dès lors conclure à la violation d'un droit essentiel pour la
défense de l'accusé.
Dans cette mesure, la requérante ne pourrait se prévaloir de l'absence du choix
d'un avocat par M. Azurmendi.
4.18 Enfin, concernant les constatations du Comité dans l'affaire Arkauz Arana,
l'État partie soutient que cette requête se distinguait de la présente, d'une
part, parce qu'il y était fait allégation d'une violation de l'article 3 et
non de l'article 15 de la Convention, ce qui explique pourquoi le Comité a longuement
énuméré les éléments qui auraient dû conduire l'État partie à craindre d'éventuels
faits de torture en cas d'expulsion et, d'autre part, parce que le Comité a
reproché à la France d'avoir mené une procédure d'expulsion, jugée ultérieurement
illégale par les tribunaux français, dans des conditions signifiant une remise
directe de police à police sans respect des droits du détenu, ce qui n'est pas
le cas en l'espèce où il s'agissait d'une procédure d'extradition conformément
aux règles applicables en la matière et où la requérante n'a nullement été privée
de faire valoir ses droits devant les juridictions françaises.
Commentaires de la requérante
5.1 Par une lettre du 23 juin 2002, la requérante a formulé ses remarques par
rapport aux observations de l'État partie sur le fond de la requête. Dans ses
commentaires, la requérante maintient ses allégations et réitère les arguments
qu'elle a développés dans sa requête.
5.2 Pour démontrer la pertinence de ses arguments selon lesquels les États parties
à la Convention doivent respecter l'article 15 de la Convention, y compris dans
le cas d'extradition ou d'expulsion, la requérante attire tout d'abord l'attention
du Comité sur le fait que deux autres pays de l'Union européenne, la Belgique
et le Portugal, ont récemment refusé l'extradition de trois membres présumés
de l'ETA en application de l'article 15 de la Convention aux motifs que ces
demandes d'extradition étaient fondées sur des preuves obtenues sous la torture.
5.3 La requérante estime que l'affirmation selon laquelle les juridictions françaises
n'auraient aucune obligation de mener des investigations auprès d'un État tiers
pour apprécier le bien-fondé d'allégations de torture est une interprétation
extrêmement restrictive qui est contraire au but de la Convention. Elle vide
de sa substance le principe fondateur de la Convention, à savoir la prohibition
absolue de la torture et l'une de ses conséquences essentielles, l'illicéité
des preuves obtenues par la torture. Dès qu'il existe, comme en l'espèce, une
allégation sérieuse et fondée que des preuves obtenues par la torture sont à
la base d'une procédure, l'État partie doit utiliser les moyens dont il dispose
pour vérifier la véracité de ces allégations. En l'espèce, les juridictions
françaises pouvaient, par exemple, solliciter des autorités espagnoles un complément
d'information, cette procédure étant tout à fait courante en matière d'extradition.
Cette demande aurait permis aux autorités françaises de réunir et d'examiner,
de manière objective, équitable et approfondie, tous les éléments qui auraient
permis d'établir que ladite déclaration a été obtenue de manière illicite.
5.4 Par rapport aux éléments permettant de soutenir les allégations selon lesquelles
M. Azurmendi a fait ses déclarations sous la torture, la requérante se réfère
à un rapport de la CPT relatif à la période précise lors de laquelle les déclarations
litigieuses ont pris place et selon lequel:
Both before and during the visit, the CPT received reports from other sources
containing a considerable number of allegations of ill-treatment by the National
Police, the Civil Guard and the Basque Autonomous Police (the Ertzaintza) relating
to periods of custody during 1997 and 1998. Those allegations involved blows
to various parts of the body and, in some cases, more serious forms of physical
ill-treatment, including sexual assault of female detainees by male police officers,
and asphyxiation by placing a plastic bag over the head. In certain cases, the
reports included medical certificates recording injuries or conditions consistent
with the allegations made by the persons concerned.
Many of the above-mentioned reports related to persons detained in the Basque
Country or the Navarre region as terrorist suspects or in connection with terrorist-linked
public order offences. It would appear that, in a number of those cases, the
persons concerned or their relatives have lodged formal complaints, including
before the relevant judicial authorities, about the manner in which they have
been treated." (Report to the Spanish Government on the visit to Spain
carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman
or Degrading Treatment or Punishment (CPT) from 22 November to 4 December 1998,
Document CPT/Inf (2000) 5, §12, Rapport rendu public le 13 avril 2000).
5.5 Plus précisément, et contrairement aux affirmations de l'État partie, dans
son rapport soumis le 2 février 2000, le Rapporteur spécial sur la question
de la torture indique que:
Mikel Azurmendi Peñagarikano, arrêté à Séville le 21 mars 1998 par la Guardia
Civil est détenu au pénitencier de Madrid-2 (Alcalá de Henares). Il a déclaré
avoir été maltraité et torturé durant sa détention, notamment piétiné, frappé
aux côtes, à la tête, aux testicules; on lui aurait appliqué des électrodes
sur le pénis, à l'estomac et à la poitrine; on l'aurait soumis à des simulacres
d'exécution, on l'aurait aveuglé et on aurait proféré des menaces à l'égard
de sa famille et de sa compagne, Maite Pedrosa, également détenue. Depuis son
incarcération, Mikel Azurmendi souffrirait de douleurs à la cheville qui l'empêcheraient
de se livrer à une activité physique (E/CN.4/2000/9, p. 197 et 198).
5.6 Au sujet de la présence d'un avocat commis d'office lors des déclarations
litigieuses, la requérante se réfère également à un rapport plus récent du Rapporteur
spécial sur la torture selon lequel:
Se ha observado que la mayor parte de ellos habrían sido sometidos a interrogatorios
sin presencia de abogado o se habrían visto asignados un abogado de oficio que
durante la declaración judicial habría estado de acuerdo con su encarcelación.
En este contexto, el Relator Especial ha sido informado de que la Ley de Enjuiciamiento
Criminal establece que durante el arresto preventivo incomunicado el abogado
es nombrado de oficio, que el detenido no puede entrevistarse con él en privado
y que el hecho y el lugar de la detención no se ponen en conocimiento de los
familiares o de la persona deseada (E/CN.4/2002/76/Add.1, 14 mars 2002. Seule
la version originale espagnole est disponible).
5.7 La requérante tient également à souligner que les autorités françaises n'ont
pas hésité à valider les déclarations de M. Azurmendi faites les 23 et 24 mars
1998 pendant la garde à vue alors qu'elles n'ont tenu aucun compte de ses déclarations
ultérieures devant le juge d'instruction. Les autorités de l'État partie ont
donc accordé une présomption irréfragable de validité aux aveux obtenus les
23 et 24 mars 1998.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité
contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
à l'alinéa a du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, que la même question
n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement. Dans le cas d'espèce, le Comité note
aussi que tous les recours internes sont épuisés et que l'État partie n'a pas
contesté la recevabilité. Il estime donc que la communication est recevable.
L'État partie et l'auteur ayant chacun formulé des observations sur le fond
de la communication, le Comité procède à l'examen quant au fond.
6.2 Le Comité note les allégations faites par la requérante au sujet des circonstances
dans lesquelles les déclarations de M. Azurmendi ont été faites, les éléments
qu'elle a apportés à l'appui de ses allégations ainsi que les arguments développés
par les parties au sujet des obligations incombant aux États parties en vertu
de l'article 15 de la Convention.
6.3 Le Comité considère à ce titre que la généralité des termes de l'article
15 découle du caractère absolu de la prohibition de la torture et implique,
par conséquent, une obligation pour tout État partie de vérifier si des déclarations
qui font partie des éléments d'une procédure pour laquelle il est compétent
n'ont pas été faites sous la torture. Le Comité constate à ce sujet que les
déclarations litigieuses font partie des éléments de la procédure d'extradition
dont la requérante a fait l'objet et pour laquelle l'État partie est compétent.
À ce titre, en présence d'allégations selon lesquelles les déclarations litigieuses,
qui constituent, à tout le moins en partie, les fondements de la demande d'extradition
complémentaire ont été obtenues par la torture, l'État partie était dans l'obligation
de vérifier la valeur de telles allégations.
6.4 Le Comité constate que les autorités françaises, tant judiciaires qu'administratives,
se sont effectivement penchées sur les allégations de la requérante et ont constaté
qu'elles n'avaient pas été suffisamment étayées. Le Comité constate également
que la plainte porté par M. Azurmendi au sujet des traitements dont il aurait
été victime durant sa garde à vue est toujours en cours d'examen devant les
autorités judiciaires espagnoles qui devraient, à l'issue de la procédure judiciaire,
dire si les aveux de M. Azurmendi ont été obtenus dans des conditions illicites.
Le Comité estime que seule cette vérité judiciaire doit être prise en considération
plutôt que la simple rétractation par M. Azurmendi d'aveux souscrits antérieurement
et en présence d'un avocat.
6.5 Le Comité réaffirme à cet égard que c'est aux tribunaux des États parties
à la Convention et non au Comité qu'il appartient d'apprécier les faits et les
éléments de preuve dans un cas d'espèce. Il appartient aux juridictions d'appel
des États parties à la Convention d'examiner la conduite du procès, sauf s'il
peut être établi que la manière dont les éléments de preuve ont été appréciés
était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice, ou que le
juge du fond a manifestement violé son obligation d'impartialité.
6.6 Le Comité, considérant que c'est à l'auteur qu'il appartient de démontrer
le bien-fondé de ses allégations, estime que, sur base des éléments qui lui
ont été soumis, il ne peut pas conclure qu'il est établi que les déclarations
litigieuses ont été obtenues par la torture.
6.7 En conséquence, le Comité est d'avis que les éléments qui lui ont été soumis
ne permettent pas d'établir qu'il y a eu une violation de l'article 15 de la
Convention.
Notes
1. La requérante ayant été extradée vers l'Espagne le 7 novembre 2001, l'État
partie n'a pu faire droit à la demande de mesures provisoires du Comité du 5
décembre 2001.
2. La requérante ne donne pas la date précise de son arrestation.
3. La requérante souligne à ce sujet que ses relations avec son compagnon sont
toujours restées strictement personnelles.
4. Il s'agit de celle que l'État partie qualifie de «demande complémentaire»,
voir par. 4.4 et suiv.
5. L'État partie explique dans ses observations (voir par 4.1 et suivants) la
raison pour laquelle l'avis est partiellement favorable.
6. La requérante explique que «le déroulement même de l'ensemble de la garde
à vue ne garantit pas que la personne détenue puisse déclarer librement, même
si un avocat commis d'office est présent lors des déclarations "officielles".
Selon les témoignages dignes de foi réalisés par l'ensemble des personnes victimes
de torture et de mauvais traitements graves en Espagne, la garde à vue se déroule
en effet de la façon suivante:
a) Dès le moment de l'arrestation, y compris lors du transfert vers les locaux
des forces de sécurité espagnoles, les tortures et mauvais traitements commencent;
b) Pendant les premières heures et premiers jours de la garde à vue, l'utilisation
de la violence a pour objet de mettre en condition la personne détenue afin
qu'elle réalise les déclarations souhaitées par les tortionnaires; les violences
et les interrogatoires ont lieu de manière continue, de jour comme de nuit,
sans répit; les méthodes utilisées de façon habituelle par les membres des forces
de sécurité espagnoles provoquent isolément ou combinées des douleurs et des
souffrances aiguës physiques et/ou mentales et peuvent être qualifiées de torture
au sens de l'article 1 de la Convention contre la torture. Il s'agit notamment
de: coups répétés, chocs électriques, supplice de la bolsa (asphyxie avec un
sac plastique sur la tête), exercices physiques exténuants, privation de sommeil
et/ou de nourriture, sévices à caractère sexuel, y compris des viols, traitements
humiliants et dégradants, menaces et insultes continues contre la personne et/ou
ses proches;
c) Lorsque la résistance physique et morale de la personne détenue a été brisée
et réduite à néant, les déclarations souhaitées sont dictées par les interrogateurs
et doivent être apprises par cœur par la personne détenue; plusieurs séances
ont lieu pour vérifier que la personne fera la déclaration souhaitée. Si la
personne résiste ou si elle ne fait pas la déclaration souhaitée devant l'avocat
commis d'office, les tortionnaires menacent la personne interrogée de continuer
ou de reprendre les séances de torture. En particulier, avant la déclaration
"officielle", la personne est menacée, si elle ne récite pas parfaitement
la "leçon" apprise lors de la déclaration en présence de l'avocat
d'office, d'être à nouveau torturée. Si la déclaration n'est pas "bonne",
la torture reprend jusqu'à ce que le résultat souhaité par les tortionnaires
soit atteint.
[...] Dans ces conditions, il a été établi que la présence d'un avocat commis
d'office pendant les déclarations officielles devant les Forces de sécurité
espagnoles ne constitue absolument pas une protection suffisante pour qu'il
soit garanti que la personne ait déclaré librement. D'ailleurs, dans tous les
cas où des personnes ont fait l'objet de tortures en Espagne pendant leur garde
à vue, elles ont fait ces déclarations en présence d'un avocat commis d'office
pendant leurs déclarations. Cette présence n'a jamais empêché que la torture
ait lieu et que lesdites déclarations aient été obtenues par la violence. De
plus, il résulte de l'ensemble des témoignages et des constatations des organes
de protection des droits humains que l'avocat commis d'office a une attitude
passive et que, même si la personne interrogée comporte des traces de mauvais
traitements ou paraît désorientée et extrêmement fatiguée, le plus souvent,
l'avocat commis d'office ne le dénonce pas.».
7. L'État partie ne mentionne pas l'existence d'une autre «première» demande
d'extradition précédente que la requérante mentionne au paragraphe 2.2.