D. (nom supprimé) c. France, Communication No. 45/1996, U.N. Doc. CAT/C/19/D/45/1996 (1997).
Présentée par : D. (nom supprimé) (représenté par AFIDRA)
Au nom de : L'auteur
État partie : France
Date de la communication : 13 décembre 1995
Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants,
Réuni le 10 novembre 1997,
Adopte la décision suivante :
Décision concernant la recevabilité
1. L'auteur de la communication est D., citoyen de la République démocratique du Congo (ex-Zaïre), né le 25 mai 1959, résidant actuellement en France. Il est représenté par l'Association pour la formation, l'insertion et le développement rural en Afrique.
Faits présentés par l'auteur
2.1 L'Association indique que D. est membre de l'Union pour la démocratie
et le progrès social et qu'il a participé à des activités pour ce parti
au Zaïre, comme l'impression de tracts et d'affiches. Le 13 février 1990,
il a été arrêté par la Division spéciale présidentielle pour atteintes
à l'ordre public. Il a été détenu pendant trois mois sans jugement ni
comparution devant un juge et a été soumis à de mauvais traitements par
ses gardiens. L'auteur dit qu'à la suite de l'intervention de sa famille,
il a été mis en liberté provisoire le 20 mai 1990 et qu'il devait se
présenter à la police une fois par mois. Toutefois, dans la requête qu'il
a présentée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
le 16 août 1990, D. a indiqué qu'il s'était évadé de prison le 20 mai
1990 et, à titre de preuve, il joint à sa déclaration un «avis de recherche».
2.2 Il est dit dans la communication qu'à la suite des massacres d'étudiants
à Lubumbashi, en mai 1990, D. a été de nouveau suspecté d'avoir imprimé
des tracts et a décidé de quitter le pays avec un faux passeport et un
faux visa. Après avoir traversé la Belgique, il est entré en France le
1er août 1990.
2.3 Le 16 août 1990, D. a déposé une demande de statut de réfugié qui a
été rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides
le 24 août 1990, au motif que les faits allégués et le risque de persécution
n'étaient pas suffisamment étayés de preuves. Son recours a été rejeté
par la Commission de recours des réfugiés, le 22 février 1991. En conséquence,
la Préfecture de police de Paris a rejeté sa demande de permis de résidence
le 2 mai 1991 et D. a été informé qu'il devait quitter la France avant
le 2 juin 1991. Mais il est apparemment resté en France.
2.4 Le 15 juillet 1993, D. a déposé une nouvelle demande, alléguant que
son père avait été assassiné au Zaïre le 10 juillet 1993, demande qui
a été rejetée par l'Office français des réfugiés et apatrides. Son recours
contre cette décision a également été rejeté le 17 décembre 1993 par
la Commission de recours des réfugiés au motif qu'il n'avait fait valoir
aucun fait nouveau, puisqu'il avait indiqué que la situation politique
au Zaïre n'avait pas changé. D. n'aurait pu faire appel de cette décision
devant le Conseil d'État parce qu'il n'a pas bénéficié d'une aide judiciaire
à cette fin.
2.5 Ayant fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, D. a été
arrêté en 1994 lors d'un contr_le d'identité mais, après 48 heures de
garde à vue et six jours de détention, il a dû être relâché parce qu'il
n'avait pas été possible de lui trouver une place dans un avion pour
le renvoyer au Zaïre. D. affirme qu'il n'a appris qu'il faisait l'objet
d'un arrêté de reconduite à la frontière qu'après avoir été arrêté. À
cet égard, on fait valoir qu'apparemment il a été donné notification
de l'arrêté à D. par voie de lettre recommandée et que les services postaux
français ne distribuent pas de courrier à un étranger qui ne possède
pas de permis de résidence. L'auteur fait observer également qu'aucun
mandat d'arrêt n'a été présenté à D., bien qu'il l'ait demandé pour pouvoir
former un recours contre son arrestation. C'est donc pour cette raison
que D. n'aurait pu former de recours ni contre l'arrêté de reconduite
à la frontière ni contre son arrestation.
La teneur de la plainte
3. D. indique qu'il craint pour sa vie s'il est renvoyé en République démocratique
du Congo.
Observations de l'État partie sur la recevabilité de la communication
4.1 Dans sa réponse du 29 avril 1997, l'État partie fait valoir que la
communication est irrecevable en raison du non-épuisement des voies de
recours internes.
4.2 L'État partie explique qu'un étranger qui fait l'objet d'une décision
définitive de rejet par la Commission de recours de réfugiés (CRR), se
voit notifier une invitation à quitter le territoire français dans un
délai d'un mois à compter de ladite notification. Cette notification
est faite par lettre recommandée avec accusé de réception à l'adresse
indiquée par l'intéressé. S'il n'est pas présent à son domicile lors
du passage du préposé du service des postes, un avis est laissé à son
domicile qui l'informe qu'il peut retirer le pli au bureau de poste indiqué
sur l'avis. Selon l'État partie, l'administration des postes, contrairement
aux allégations de l'auteur, remet le pli sur simple justification par
l'intéressé de son identité, sans qu'elle ait à apprécier de la validité,
eu égard à sa durée, du titre de séjour présenté, une telle appréciation
ne relevant pas de la compétence de l'administration des postes. La notification
de l'invitation à quitter le territoire mentionne que l'intéressé a la
possibilité
dans les 15 jours de présenter des observations, notamment sur les risques
éventuels auxquels il serait exposé en cas de retour dans son pays d'origine.
4.3 L'État partie fait valoir que plusieurs voies de recours s'offraient
à D., qu'il n'a pas utilisées. Selon l'État partie, il pouvait saisir
le Conseil d'État d'un pourvoi en cassation contre les décisions de la
Commission des 28 février 1991 et 17 décembre 1993. En deuxième lieu,
il aurait pu demander l'annulation devant le tribunal administratif de
l'invitation à quitter le territoire français.
4.4 Enfin, l'État partie souligne que D. n'a pas exercé de recours contre
l'arrêté de reconduite à la frontière en date du 25 novembre 1991. L'État
partie fait observer que la loi prévoit un recours spécifique contre
les arrêtés de reconduite à la frontière, devant le juge délégué aux
reconduites à la frontière du tribunal administratif territorialement
compétent. Le délai pour introduire ce recours est de 24 heures à compter
de la notification de l'arrêté. Le juge, une fois saisi, dispose d'un
délai de 48 heures pour statuer et sa saisine présente un caractère suspensif.
À l'occasion de l'examen de recours, le juge est amené à connaître, le
cas échéant, du grief tiré de ce que l'intéressé court le risque d'être
exposé à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas
de retour dans son pays d'origine, par application soit des normes internationales,
soit des règles de droit interne.
Observations de l'auteur
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, l'auteur
prétend que de très nombreux bureaux de poste refusent de délivrer les
correspondances en recommandé aux personnes démunies de titre de séjour
et se présentant avec un passeport ou avec un titre de séjour périmé,
même si légalement ils n'ont pas la compétence d'apprécier la validité
d'un titre de séjour. Selon l'auteur, certains bureaux de poste se permettent
même d'appeler la police quand un étranger sans titre de séjour se présente.
5.2 Quant au pourvoi de cassation, l'auteur explique que ce recours n'est
recevable que pour des motifs d'ordre juridique, et de plus doit être
présenté par un avocat. L'auteur soutient également que les décisions
du Conseil d'État sont très tardives et manquent de caractère suspensif.
5.3 En ce qui concerne l'arrêté de reconduite à la frontière, l'auteur
prétend qu'il n'a jamais reçu la notification et qu'il n'en a eu connaissance
que lors d'une interpellation par la police. Il soutient que lorsqu'il
en a été informé par la police, il lui était impossible de faire le recours,
à cause du délai de 24 heures dans lequel le recours doit être fait.
Délibération du Comité
6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le
Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en
vertu de l'article 22 de la Convention.
6.2 Conformément à l'alinéa b) du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention,
le Comité n'examine aucune communication sans s'être assuré que l'auteur
a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s'applique
pas s'il est établi que les procédures de recours ont excédé ou excéderaient
des délais raisonnables ou qu'il est peu probable qu'elles donneraient
satisfaction à la victime présumée. En l'espèce, l'auteur a reconnu qu'il
na pas exercé les voies de recours prévues par la législation française,
ni devant le Conseil d'État contre la décision de la Commission de recours
des réfugiés, ni devant la juridiction administrative contre l'invitation
à quitter le territoire, ni devant le tribunal administratif contre l'arrêté
de reconduite à la frontière. Les motifs invoqués par l'auteur ne montrent
pas que ces recours auraient peu de chances d'aboutir. Le Comité constate
que les conditions prescrites à l'article 22, paragraphe 5 b), de la
Convention, ne sont pas remplies.
7. Le Comité décide en conséquence :
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision sera communiquée à l'auteur de la
communication et à l'État partie.