University of Minnesota


M. K.O. (nom supprimé) c. Pays-Bas, Communication No. 134/1999, U.N. Doc. CAT/C/26/D/134/1999 (2001).


 

Présentée par: M. K. O. (nom supprimé) (représenté par un conseil)


au nom de:
L'auteur


État partie:
Pays-Bas


Date de la communication:
25 mai 1999



Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Réuni le 9 mai 2001,


Ayant achevé l'examen de la Communication n 134/1999 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,


Adopte ses constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.

 

1.1 L'auteur de la communication est M. K. O., citoyen turc d'origine kurde né en 1970, résidant actuellement aux Pays-Bas. L'auteur a demandé l'asile aux Pays-Bas le 22 juin 1997. Sa demande a été rejetée. Il affirme qu'il risque, s'il est expulsé en Turquie, d'être torturé et que son expulsion constituerait par conséquent une violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention. L'auteur est représenté par un conseil.


1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité a transmis la communication à l'État partie le 26 mai 1999 en lui demandant de lui faire part de ses observations concernant la recevabilité et le fond. Conformément au paragraphe 9 de l'article 108 du règlement intérieur du Comité, il a également été demandé à l'État partie de surseoir à l'expulsion de l'auteur tant que sa communication serait à l'examen.


Rappel des faits présentés par l'auteur


2.1 L'auteur vient d'un village situé dans la région de Tunceli (Kurdistan turc), où, depuis de nombreuses années, une guerre oppose l'armée turque aux Kurdes. Il affirme avoir été pressé plusieurs fois par les militaires turcs à devenir gardien de village, ce qu'il a refusé.


2.2 Selon l'auteur, en tant que gardien de village il aurait été obligé de tuer des Kurdes et des Alevis, c'est-à-dire des membres de sa propre communauté. En raison de son refus, il a été souvent maltraité. Il a été battu à plusieurs reprises par des militaires turcs. Pendant l'hiver, l'auteur et d'autres Kurdes étaient forcés à rester pieds nus dans la neige des heures durant. L'auteur souffre encore des reins. Parfois, il a même été menacé de mort avec d'autres Kurdes et, en raison de la répression pratiquée par les militaires turcs, lui et les siens étaient privés de vivres. L'auteur affirme également qu'il a été arrêté à plusieurs reprises et emmené dans une forêt ou dans les montagnes, où il a été torturé.


2.3 Lorsque des voisins ont été arrêtés pour avoir donné des vivres à la guérilla, l'auteur a décidé de quitter la Turquie parce qu'il craignait d'être arrêté à son tour pour le même motif. Il est arrivé au Pays-Bas le 21 juin 1997 et a demandé l'asile le même jour. Sa demande a été rejetée le 22 août 1997.


2.4 Après avoir fait deux fois recours sans succès auprès du Ministère de la justice et des tribunaux l'auteur a présenté, le 22 février 1999, une deuxième requête qui a été également rejetée, tout comme l'ont été ses recours suivants. Son expulsion vers la Turquie a été fixée au 26 mai 1999.


2.5 À La Haye, l'auteur est membre actif de l'Union kurde. Il a participé à des marathons sous les couleurs kurdes aux Pays-Bas et en Allemagne et est passé plusieurs fois avec le groupe de musique kurde Zylan sur MED-TV, station de télévision kurde diffusant à partir de l'Europe et pouvant être également captée en Turquie qui a été récemment interdite. Le 16 février 1999, l'auteur a été arrêté en même temps que 300 autres Kurdes aux Pays-Bas lors d'une manifestation contre l'extradition d'A. O. vers la Turquie. Depuis lors, il est détenu parce qu'il n'a pas de permis de séjour.


Teneur de la plainte


3. L'auteur affirme qu'il risque fort d'être torturé s'il est renvoyé en Turquie et que la décision de renvoi constitue donc une violation de l'article 3 de la Convention.


Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond


4.1 Dans une lettre datée du 6 décembre 1999, l'État partie a fait part au Comité de ses observations sur le fond de la communication. Il n'a élevé aucune objection en ce qui concerne la recevabilité. Il a résumé les faits de la cause et présenté brièvement la procédure nationale ainsi que les différents arguments invoqués par l'auteur dans sa communication.


4.2 Sur le fond, l'État partie considère qu'il n'est pas possible d'accorder l'asile à tous les Kurdes de Turquie et que l'auteur devait prouver qu'il risquait personnellement d'être torturé, ce qu'il n'a pas fait. L'État partie ne conteste pas l'origine ethnique de l'auteur mais affirme que ce dernier s'est montré peu convaincant à ce sujet pendant la procédure d'examen de sa demande d'asile; il rejette par conséquent l'allégation de ce dernier selon laquelle il n'y a pas eu d'enquête minutieuse sur son origine ethnique.


4.3 L'État partie fait valoir que l'auteur n'a pas prouvé qu'il ferait l'objet d'une attention particulière de la part des autorités turques, surtout qu'il avait clairement déclaré qu'il n'avait jamais été arrêté et qu'il n'avait jamais été inquiété pour avoir aidé le PKK. C'est seulement pendant la phase d'appel de la procédure que l'auteur a indiqué aux autorités néerlandaises qu'il avait été arrêté une fois par trois soldats en civil. Qui plus est, l'auteur n'a jamais pu donner d'explication claire à cette contradiction.


4.4 L'allégation de l'auteur selon laquelle il a été victime d'une discrimination et d'un traitement dégradant ne permet pas nécessairement de conclure qu'il remplit les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié car la vie des Kurdes du sud-est de la Turquie n'est peut-être pas facile, mais elle n'est pas intolérable et «un tel traitement est sans doute subi par l'ensemble de la communauté kurde avec un certain degré d'arbitraire».


4.5 Même en admettant que l'auteur ait eu des problèmes avec les militaires turcs, cela ne signifie pas qu'il risque de nouveau d'être soumis au même traitement dans toutes les régions de la Turquie. Il n'a eu par exemple aucun problème lorsqu'il s'était rendu en 1996 à Istanbul. Il peut donc s'installer dans une autre région de la Turquie.


4.6 En ce qui concerne les activités de l'auteur aux Pays-Bas, l'État partie considère que le fait d'être membre du groupe Zylan, d'être passé plusieurs fois sur MED-TV avec ce groupe, d'avoir participé aux cérémonies organisées par le PKK, d'avoir couru des marathons sous les couleurs kurdes ainsi que d'avoir participé à une manifestation de soutien à A. O. et d'avoir été arrêté pendant cette manifestation ne fait pas véritablement de l'auteur un opposant et n'est donc pas de nature à attirer l'attention des autorités turques. Même son arrestation après la manifestation susmentionnée ne porte pas à conséquence puisqu'il a été appréhendé en même temps que de nombreuses autres personnes.


4.7 Selon l'État partie, ni les raisons données par l'auteur pour expliquer son départ de Turquie ni ses activités aux Pays-Bas ne constituent des motifs sérieux de penser qu'il risque personnellement d'être torturé s'il est renvoyé dans son pays.


Commentaires du conseil


5.1 Dans une lettre datée du 26 janvier 2000, l'avocate qui représente l'auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l'État partie.


5.2 Pour ce qui est de l'origine kurde de l'auteur, le conseil fait quelques remarques pour expliquer la confusion qui a pu caractériser les différents entretiens. Elle note que, quoi qu'il en soit, l'origine ethnique de l'auteur n'est plus contestée par l'État partie. Elle note également que, pour des raisons de sécurité, le PKK n'a pas de système d'adhésion, ce qui explique en partie le fait que l'auteur ne soit «membre» d'aucune organisation.


5.3 Le conseil fait valoir que les problèmes rencontrés par l'auteur pendant qu'il était en Turquie ne manqueraient pas d'attirer sur lui l'attention des autorités turques s'il était renvoyé dans son pays. Elle note également qu'il est normal que davantage de renseignements soient disponibles vers la fin de la procédure parce que les questions posées sont plus nombreuses et que l'auteur, qui n'a pas dépassé le stade de l'école primaire, a pu avoir des difficultés à comprendre certaines questions au début de la procédure. Le conseil fait également valoir que des personnes qui demandent le statut de réfugié dès leur arrivée dans l'État partie n'ont pas suffisamment de temps pour réfléchir posément à leurs déclarations et sont soumises pendant les premières semaines de la procédure à de très nombreuses obligations qui sont parfois une
source de confusion.


5.4 En ce qui concerne Tunceli, la région dont l'auteur est originaire, le conseil affirme que la vie y est réellement devenue intolérable et que, cette région étant le symbole de la résistance kurde, toute personne qui en est originaire rencontrerait des problèmes dans toute la Turquie, en sorte que l'auteur aurait du mal à s'installer dans d'autres parties du pays. Elle cite à cet égard le Ministre néerlandais des affaires étrangères qui a déclaré que le fait de refuser d'être gardien de village revient à soutenir implicitement le PKK.


5.5 Le conseil signale de plus que le dénommé A. Kisaoglu, Kurde de nationalité néerlandaise, a été arrêté en Turquie quelques jours après la manifestation qui avait eu lieu le 17 février 1999 à La Haye et sauvagement torturé pendant cinq jours. Selon le conseil, les autorités turques l'ont arrêté après avoir été informées que son fils avait été appréhendé pendant la manifestation de La Haye. Il s'est toutefois révélé par la suite que la personne qui avait été arrêtée pendant la manifestation avait utilisé le nom du fils de Kisaoglu et que ce dernier n'avait jamais fait de politique. Le conseil considère qu'un tel incident montre que les autorités turques peuvent obtenir des informations sur les événements politiques concernant la question kurde qui se produisent à l'extérieur de la Turquie, ainsi que sur les arrestations ou les mesures de détention qui en résultent, et qu'il est probable qu'il y ait une coopération entre les services de sécurité turcs et néerlandais.


5.6 En outre, le conseil se réfère, en ce qui concerne les autres activités de l'auteur aux Pays-Bas, à plusieurs déclarations faites par le Ministère néerlandais des affaires étrangères selon lesquelles MED-TV était considérée comme la voix du PKK et que la musique kurde était parfois interdite, deux éléments qui justifient certainement aux yeux des autorités turques l'arrestation de l'auteur à son arrivée en Turquie.


5.7 Se référant à différentes affaires, le conseil souligne que de nombreux Kurdes qui ont été rapatriés de l'État partie en Turquie et dont la situation a pu être suivie avaient été arrêtés et torturés par les autorités turques.


5.8 Enfin, dans la mesure où l'auteur a déclaré dès le début de la procédure d'examen de sa demande d'asile qu'il avait été torturé, le conseil déplore que l'État partie n'ait jamais pris aucune disposition pour le soumettre à un examen médical bien qu'il ait eu maintes fois l'occasion de le faire.


Observations supplémentaires de l'État partie


6.1 Dans une lettre datée du 6 septembre 2000, l'État partie a fait des observations supplémentaires au sujet des remarques de l'auteur.


6.2 L'État partie tient tout d'abord à signaler au Comité qu'il ne conteste plus l'origine kurde de l'auteur.


6.3 S'agissant des mots «torture» et «mauvais traitements», l'État partie note qu'il y a eu une certaine confusion et des erreurs de traduction de la part de l'auteur, qui utilise indifféremment les deux concepts, ce qui ne correspond pas à la réalité.


6.4 L'État partie continue de penser que l'auteur n'a pas expliqué de façon convaincante pourquoi il avait omis de mentionner certains éléments de sa vie passée pendant la première partie de la procédure d'examen de sa demande d'asile.


6.5 En outre, l'État partie rejette fermement les allégations du conseil selon lesquelles il y aurait un échange d'informations entre les autorités néerlandaises et les autorités turques au sujet des noms des personnes qui sont détenues à la suite d'une manifestation prokurde.


6.6 En ce qui concerne la déclaration faite par le Ministère néerlandais des affaires étrangères au sujet de MED-TV, l'État partie note que le conseil a cité des phrases en dehors de leur contexte et soumet le texte intégral desdites déclarations.


6.7 L'État partie souligne qu'il suit en permanence la situation des Kurdes en Turquie. Le fait qu'il ait suspendu l'expulsion des Kurdes vers la Turquie, après avoir été informé du décès dans ce pays d'un Kurde qui avait auparavant demandé l'asile aux Pays-Bas, en est l'illustration. À la suite d'une enquête sur cette affaire et sur quatre autres, auxquelles le conseil fait apparemment allusion, l'État partie a constaté que les personnes concernées n'avaient pas rencontré de problème particulier avec les autorités turques à leur retour. Les autorités judiciaires néerlandaises ayant elles-mêmes souscrit à ces conclusions, le Gouvernement a levé la suspension des mesures d'expulsion.


6.8 Enfin, l'État partie estime que l'auteur a également eu tout le temps nécessaire pour obtenir des documents médicaux confirmant qu'il a bien été victime du traitement qu'il prétend avoir subi.


Délibérations du Comité


7.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité doit déterminer si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme l'oblige à le faire l'alinéa a) du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait pas été examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.


7.2 Le Comité note aussi que tous les recours internes ont été épuisés et que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité de la communication. Il estime donc qu'elle est recevable. L'État partie et l'auteur ayant chacun formulé des observations sur le fond, le Comité considère qu'il peut procéder à l'examen de la communication quant au fond.


7.3 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Turquie. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure qu'une personne donnée risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. De même, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne court aucun risque d'être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.


7.4 Le Comité note les arguments invoqués par les deux parties et considère que l'auteur n'a pas expliqué d'une manière satisfaisante les contradictions existant entre ses différentes déclarations aux services de l'immigration néerlandais. Il note que l'auteur a rempli ses obligations militaires sans difficulté notable et constate qu'il n'a pas prouvé que ses activités aux Pays-Bas pourraient attirer l'attention des autorités turques au point où il risquerait d'être torturé au cas où il serait renvoyé en Turquie.


7.5 Le Comité conclut que l'auteur n'a pas appporté de preuves suffisantes pour étayer son affirmation selon laquelle il courrait un risque personnel, réel et prévisible d'être torturé s'il était renvoyé dans son pays d'origine.


8. En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que les faits qu'il a pu établir ne font apparaître aucune violation de l'article 3 de la Convention.



Page Principale || Traités || Recherche || Liens