M. S.G. c. Pays-Bas, Communication No. 135/1999, U.N. Doc. CAT/C/32/D/135/1999 (2004).
Présentée par : M. S. G. (représenté par un conseil, Mme Mariette Timmer)
Au nom de : M. S. G.
État partie : Pays-Bas
Date de la requête : 19 juillet
1999
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 12 mai 2004,
Ayant achevé l'examen de la requête no 135/1999 présentée par M. S. G. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Décision au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention
1.1 Le requérant est M. S. G., ressortissant
turc né en 1965, résidant actuellement aux Pays-Bas et frappé d'une mesure d'expulsion.
Il affirme que son renvoi en Turquie constituerait une violation par les Pays-Bas
de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 18 août 1999, le Comité a transmis la requête à l'État partie; en application
du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement intérieur, il l'a prié de
ne pas renvoyer le requérant en Turquie tant que sa requête serait en cours
d'examen. Dans une note datée du 13 octobre 1999, l'État partie a accédé à la
demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant est un ressortissant turc d'origine kurde, originaire de la
ville de Batman dans l'est de la Turquie. En 1993, il a commencé à soutenir
le Front national de libération du Kurdistan (ERNK), l'aile politique du PKK.
En 1994, il est devenu membre du Parti démocratique populaire (HADEP). Il a
participé à des réunions et a recueilli des fonds et des vivres pour les Kurdes
qui étaient contraints (1) de quitter leur village et de se réinstaller à Batman.
2.2 Le 19 mars 1995, le requérant a été arrêté avec sept autres personnes, pour
des raisons non spécifiées, et est resté détenu durant 15 jours. Il affirme
que pendant sa détention il a été torturé à plusieurs reprises et qu'il en porte
les cicatrices sur le dos et sur la jambe gauche. (2)
2.3 Le 10 mai 1997, le requérant a été arrêté par quatre policiers alors qu'il
se rendait à une réunion de l'Association turque des droits de l'homme (IHD).
On lui a bandé les yeux et on l'a emmené dans un champ, où les policiers ont
menacé de le tuer s'il refusait de leur servir d'indicateur et ne leur fournissait
pas des noms de sympathisants du PKK, de l'ERNK et de l'HADEP. Terrorisé, le
requérant a accepté de coopérer et a donc été relâché. Il s'est ensuite caché
et a pris la fuite pour Istanbul, le 14 mai 1997. Il a ensuite quitté la Turquie
pour les Pays-Bas, le 29 mai 1997, muni d'un faux passeport.
2.4 Une fois arrivé aux Pays-Bas, le requérant a appris de son père que les
autorités le recherchaient, que la maison familiale était placée sous surveillance
policière et que son père avait été interrogé plusieurs fois par la police qui
voulait savoir où se trouvait son fils. (3) Il a également appris que la police
avait demandé par écrit les mêmes renseignements à son père.
2.5 Le 29 mai 1997, le requérant a demandé l'asile aux Pays-Bas. Le Secrétaire
d'État à la justice a rejeté sa demande le 13 août 1997. Le 25 août 1997, le
requérant a demandé au Secrétaire à la justice de réexaminer sa décision, mais
il s'est vu opposer un refus le 29 septembre 1997. Un recours formé contre le
refus d'accorder l'asile a été rejeté par le tribunal de district de La Haye
le 23 juillet 1998. Ensuite, le requérant a quitté les Pays-Bas et s'est rendu
au Danemark (4) où il a demandé l'asile. (5)
2.6 Le requérant a quitté le Danemark le 14 février 1999 et il est retourné
aux Pays-Bas le 15 février 1999. Peu de temps après, (6) il a participé à une
manifestation de protestation contre le rôle joué par le Gouvernement grec dans
l'arrestation d'Abdullah Ocalan, qui a abouti à l'occupation de la résidence
de l'Ambassadeur de Grèce à La Haye par environ 200 Kurdes, dont le requérant.
Cette occupation a reçu une attention considérable sur le plan international.
Les médias turcs l'ont décrite comme une «action du PKK» et ont qualifié les
participants de «terroristes». Quand l'occupation a été terminée, le requérant
a été arrêté en raison de sa participation à la manifestation et, le 20 février
1999, il a été placé en rétention puis inculpé. (7)
2.7 Le 23 février 1999, alors qu'il était encore en rétention, le requérant
a déposé une deuxième demande d'asile auprès des autorités néerlandaises. Le
19 mars 1999, le Secrétaire à la justice a déclaré la demande irrecevable. (8)
Le recours formé contre cette décision auprès du tribunal de district de La
Haye a été rejeté le 7 mai 1999.
2.8 Le requérant affirme qu'outre l'occupation de la résidence de l'Ambassadeur
de Grèce à La Haye il a participé à d'autres activités politiques kurdes. Aux
Pays-Bas, il a assisté à des réunions à La Haye et à Arnhem en 1997, (9) à une
«célébration» le 15 août 1997 à Middelburg, à la «célébration du Newroz» le
21 mars 1998 à Middelburg, à la Fête internationale du travail le 1er mai 1998
à Rotterdam, et aux festivals de la jeunesse «Mazlum Dogan» en 1998, dans plusieurs
villes des Pays-Bas. Au Danemark, il a participé à des réunions à Copenhague,
où des prospectus dont le contenu n'est pas précisé ont été distribués, et à
ce qu'il appelle «diverses activités en rapport avec Abdullah Ocalan». (10)
Il mentionne également sa participation à plusieurs «activités kurdes» en Allemagne,
en France et en Belgique.
2.9 Le requérant évoque la situation générale des droits de l'homme en Turquie
et en particulier les rapports émanant de plusieurs organisations non gouvernementales,
et de gouvernements concernant la pratique de la torture en Turquie. Il mentionne
les rapports d'Amnesty International et de Human Rights Watch pour 1999, selon
lesquels la torture en Turquie était «courante» et «répandue». Il cite un rapport
du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants daté du 23 février 1999, dans lequel celui-ci évoque
la visite qu'il a effectuée en Turquie en 1997 et note que l'existence et l'ampleur
de la pratique de la torture en Turquie ont été établies sans qu'aucun doute
ne soit possible. L'auteur mentionne en particulier un rapport publié en 1999
par l'Association suisse d'assistance aux réfugiés (Schweizerische Flüchtlingshilfe),
qui décrit la «détérioration de la situation des droits de l'homme en Turquie
en raison de l'arrestation du dirigeant du PKK, Abdullah Ocalan», et note que
parmi les groupes de personnes qui risquent d'être soumises à la torture si
elles retournent en Turquie figurent les membres et les sympathisants de l'HADEP
et les personnes en relation avec des partis ou organisations illégaux.
Teneur de la plainte
3. Le requérant affirme qu'il risque d'être torturé s'il est renvoyé en Turquie
et que son expulsion constituerait une violation de l'article 3 de la Convention.
Il dit que ce risque est réel parce qu'il est un jeune Kurde qui a déjà été
torturé en Turquie et qu'il a participé à des activités politiques en Turquie
et à l'étranger. À ce propos, il affirme qu'il est fort probable que sa participation
à l'occupation de la résidence de l'Ambassadeur de Grèce à La Haye soit connue
des autorités turques.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Dans une note datée du 13 octobre 1999, l'État partie a fait savoir qu'il
n'avait aucune objection à opposer à la recevabilité de la requête; il a fait
part de ses observations sur le fond dans une note datée du 18 février 2000.
4.2 L'État partie fait valoir que l'expulsion du requérant ne constituerait
pas une violation de l'article 3 de la Convention. Il décrit la procédure légale
à suivre pour demander le statut de réfugié aux Pays-Bas ainsi que les possibilités
de recours administratifs et judiciaires. Le cadre législatif applicable à l'admission
et à l'expulsion des étrangers est défini dans la loi sur les étrangers et les
règlements connexes. Les demandeurs d'asile sont interrogés deux fois par les
autorités d'immigration qui s'attachent, la deuxième fois, à connaître les raisons
pour lesquelles le demandeur a quitté son pays d'origine. Un conseil peut assister
aux entretiens. Le demandeur d'asile reçoit une copie du rapport rédigé après
les entretiens et il a deux jours pour soumettre des rectifications ou des ajouts.
Une décision est alors rendue par un agent du Département de l'immigration et
de la naturalisation au nom du Secrétaire d'État à la justice. En cas de rejet,
le demandeur d'asile peut formuler une objection et la demande est réexaminée
par le Département. Dans certains cas, celui-ci doit consulter le Comité consultatif
pour les étrangers. Une recommandation est transmise au Secrétaire d'État à
la justice, qui tranche. Si l'objection est rejetée, un recours peut être formé
auprès du tribunal de district.
4.3 L'État partie rappelle que le Ministère des affaires étrangères publie régulièrement
des rapports sur la situation dans les pays d'origine pour aider le Département
de l'immigration et de la naturalisation à évaluer les demandes d'asile. Pour
établir ces rapports, le Ministère utilise des sources publiées et des rapports
d'organisations non gouvernementales ainsi que des informations fournies par
les représentations diplomatiques néerlandaises. Dans son rapport du 17 septembre
1999, le Ministère a noté que, bien que la situation des droits de l'homme en
Turquie soit «clairement déficiente», l'intensification de la surveillance internationale
avait conduit à une amélioration dans plusieurs domaines. Il a indiqué que dans
de nombreux cas les atteintes aux droits de l'homme étaient liées à la «question
kurde» et qu'elles consistaient essentiellement en des restrictions du droit
à la liberté d'expression et de réunion. Il est relevé dans le rapport que les
Kurdes victimes de persécution peuvent en général s'établir dans une autre région
de Turquie et que pour la plupart des pays européens la situation en Turquie
n'est pas considérée comme un motif de ne pas renvoyer des demandeurs d'asile
déboutés dans ce pays.
4.4 L'État partie souligne que la situation des droits de l'homme en Turquie
est suivie en permanence par le Gouvernement néerlandais et qu'en juillet 1999,
à la suite d'informations selon lesquelles un ancien demandeur d'asile renvoyé
en Turquie en avril 1999 serait mort, il a suspendu l'expulsion de Kurdes vers
la Turquie. Dans une lette datée du 8 décembre 1999, le Secrétaire d'État à
la justice a fait savoir que l'enquête effectuée par le Ministère des affaires
étrangères permettait de reprendre les expulsions, ce qui avait été décidé.
(11)
4.5 En ce qui concerne la situation personnelle du requérant, l'État partie
résume les informations fournies par ce dernier au Département de l'immigration
et de la naturalisation au cours des deux entretiens qu'il a eus concernant
ses activités en Turquie et le traitement que lui avaient réservé les autorités
turques. Il note que dans ses décisions du 13 août et du 29 septembre 1997 le
Secrétaire d'État à la justice a conclu que le requérant n'était pas un réfugié
et que, s'il était renvoyé dans son pays, il ne courrait pas un risque réel
d'être soumis à un traitement inhumain au sens de l'article 3 de la Convention
européenne des droits de l'homme. Le tribunal de district de La Haye a rejeté
le 23 juillet 1998 le recours formé par le requérant. La deuxième demande d'asile
a été rejetée le 19 mars 1999 et cette décision a été confirmée en appel par
le tribunal de district de La Haye le 7 mai 1999. L'État partie fait remarquer
qu'à la suite des démarches entreprises par le requérant pour contester sa rétention,
l'ordre de rétention le concernant a été annulé avec effet au 1er septembre
1999.
4.6 L'État partie fait observer que l'existence de violations graves et systématiques
des droits de l'homme dans un pays donné ne constitue pas, en soi, un motif
suffisant de penser qu'une personne donnée risque d'être soumise à la torture
si elle retourne dans ce pays; il doit y avoir des raisons spécifiques de penser
que la personne concernée serait personnellement en danger. (12) L'intéressé
doit courir un risque réel, prévisible et personnel d'être torturé dans le pays
vers lequel il doit être expulsé. (13) D'après les propres rapports par pays
de l'État partie, la situation générale en Turquie n'est pas telle qu'il y ait
lieu de penser que les personnes originaires de Turquie, dont les Kurdes, risquent
d'être soumis à la torture.
4.7 L'État partie fait valoir que les activités politiques auxquelles le requérant
affirme avoir participé en Turquie ne sont pas de nature à faire penser qu'il
ferait l'objet d'une attention particulière de la part des autorités turques.
Il s'agissait d'activités secondaires, telles que la collecte de fonds. Le requérant
n'a pas affirmé connaître d'autres membres de l'ERNK ni avoir joué un rôle particulier
au sein du groupe. En ce qui concerne l'HADEP, il s'est limité à participer
à des réunions. Il n'a pas démontré que ces activités l'avaient signalé aux
autorités turques. Ainsi, les autorités, ayant appris qu'il était membre de
l'HADEP en mars 1995, l'avaient relâché sans condition en avril 1995. (14)
4.8 L'État partie relève que le requérant a fait des déclarations contradictoires
au sujet des circonstances de son arrestation le 10 mai 1997. En premier lieu,
les rapports par pays de l'État partie indiquaient que toutes les antennes locales
de l'IHD, comme celle à laquelle le requérant a dit qu'il se rendait lorsqu'il
avait été arrêté, avaient été fermées. Le requérant n'avait pas été en mesure
de dire où se trouvait le bureau de l'IHD. En deuxième lieu, il s'était contredit
à propos de la chronologie des différents événements survenus la nuit du 10
mai 1997, affirmant qu'il avait été détenu jusqu'à minuit et qu'après un voyage
de deux heures en voiture il avait été interrogé durant deux heures supplémentaires,
ce qui ne concordait pas avec la précédente version selon laquelle il avait
été relâché dans sa ville à 2 h 30. En outre, l'État partie estime qu'il n'est
pas plausible, comme semble l'indiquer le récit du requérant, qu'une personne
identifiée par les autorités comme un indicateur potentiel ne soit pas immédiatement
sommée de donner des noms de membres du PKK et de l'HADEP. Il relève que les
autorités n'ont donné au requérant aucune instruction spécifique sur ce qu'il
devait faire en tant qu'indicateur et l'ont laissé seul dans les jours qui ont
suivi le 10 mai 1997 et en conclut qu'elles ne le considéraient pas comme une
figure importante de l'opposition. Dans son deuxième entretien avec les fonctionnaires
du Département de l'immigration et de la naturalisation, le requérant a déclaré
qu'il n'était qu'un membre passif de l'HADEP et ne connaissait aucun membre
actif de l'ERNK. L'État partie ne pense donc pas qu'il soit considéré par les
autorités turques comme un personnage important de l'opposition kurde. L'État
partie ajoute que le fait que la police ait demandé au père du requérant où
se trouvait son fils ne laissait rien présager de fâcheux et que l'on ne peut
pas être certain que les autorités ont cherché à savoir où était son fils parce
que le père ne peut pas être considéré comme une source d'information objective
en ce qui concerne la requête déposée par son fils.
4.9 Pour ce qui est des activités politiques du requérant hors de la Turquie,
l'État partie note qu'aucune preuve n'a été apportée pour les étayer et qu'en
tout état de cause les activités mentionnées ne sont pas de grande envergure.
Il rejette comme étant infondé le grief tiré du risque réel que ces activités
soient connues des autorités turques. En ce qui concerne la participation du
requérant à l'occupation de la résidence de l'Ambassadeur de Grèce à La Haye,
les poursuites pénales engagées contre lui ont été abandonnées faute de preuves.
Même si la participation du requérant à cet incident est connue des autorités
turques, elle n'est pas suffisamment dissidente pour les inciter à s'en prendre
à lui.
4.10 L'État partie note que les mauvais traitements (15) que le requérant aurait
subis lorsqu'il a été arrêté en mars 1995 ne sont pas déterminants pour la question
à l'examen. Le fait qu'un requérant ait été auparavant soumis à la torture n'est
qu'une des considérations à prendre en compte pour l'examen d'une requête fondée
sur l'article 3 recensées par le Comité dans son observation générale. L'État
partie fait valoir que les mauvais traitements subis par le requérant à la suite
d'une descente de police qui ne le visait pas personnellement ne donnent pas
à penser qu'il court personnellement le risque d'être torturé s'il est renvoyé
dans ce pays. En outre, les tortures qu'aurait subies le requérant en 1995 ne
peuvent être qualifiées de «récentes». Enfin, après sa libération en avril 1995,
il n'a eu aucun problème avec les autorités jusqu'en 1997. Compte tenu de ce
qui précède, l'État partie considère qu'il n'y a pas violation de l'article
3 et que la plainte n'est pas fondée.
Commentaires du requérant
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, datés du 5
janvier 2003, le requérant conteste les arguments avancés par l'État partie
pour mettre en doute sa crédibilité. Il affirme que les antennes locales de
l'IHD n'étaient pas toutes fermées au moment de son arrestation en mai 1997
et qu'elles étaient à cette époque fermées et rouvertes périodiquement. Quant
aux contradictions dans la chronologie des événements du 10 mai 1997, il réplique
que les heures qu'il a indiquées aux autorités néerlandaises n'étaient que des
estimations et qu'il avait tellement peur au moment de l'incident que sa perception
des faits a été déformée. Il ajoute que ce n'est pas à lui qu'il faut demander
pourquoi les autorités turques ne l'ont pas obligé à dire des noms avant de
le relâcher. Enfin, il fait observer que l'État partie n'a pas contesté l'authenticité
de la «convocation» que la police a adressée à son père pour lui demander où
se trouvait son fils.
5.2 Le requérant fait valoir que la Turquie est un pays où des violations des
droits de l'homme sont systématiquement commises, qu'il a été torturé dans le
passé par la police turque, (16) qu'il a participé, en Turquie et à l'étranger,
à des activités politiques et autres qui l'exposent particulièrement au risque
d'être soumis à la torture à son retour et que les récits qu'il a faits de ce
qui lui était arrivé sont cohérents. Le Comité devrait donc conclure que le
renvoi du requérant en Turquie constituerait une violation de l'article 3 de
la Convention.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre
la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a
pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement, et qu'il n'y a aucun obstacle à la recevabilité de
ce point de vue. Le Comité note que l'État partie ne soulève pas d'objections
concernant la recevabilité de la requête. Ne voyant aucun autre obstacle à la
recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen
sur le fond.
6.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant en Turquie, l'État
partie ne manquerait pas à l'obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe
1 de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu
vers un autre État où il a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être
soumis à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les
éléments, y compris l'existence dans l'État où le requérant serait renvoyé d'un
ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits
de l'homme. Il s'agit cependant de déterminer si l'intéressé risque personnellement
d'être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Conformément
à la jurisprudence du Comité, l'existence d'un ensemble de violations systématiques,
graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme dans le pays ne constitue
pas en soi un motif suffisant pour conclure que l'individu risque d'être soumis
à la torture à son retour dans ce pays. À l'inverse, l'absence d'une telle situation
ne signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être
soumise à la torture.
6.3 Le Comité rappelle son observation générale concernant l'application de
l'article 3, dans laquelle il a indiqué qu'il était tenu de déterminer «s'il
y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture»
s'il est renvoyé et que l'existence d'un tel risque «doit être appréciée selon
des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons».
Il n'est pas nécessaire que le risque soit «hautement probable» mais il doit
être encouru «personnellement et actuellement». (17) À cet égard, la jurisprudence
constante du Comité est de conclure que le requérant doit courir «personnellement
un risque réel et prévisible» d'être soumis à la torture. (18)
6.4 En évaluant le risque de torture dans le cas présent, le Comité relève que
le requérant affirme avoir déjà été emprisonné et torturé par les autorités
turques. Toutefois, les actes présumés de torture remontent à 1995. Le Comité
note que, conformément à son observation générale concernant l'article 3, les
éléments à prendre en compte pour évaluer le risque de torture comprennent la
question de savoir si le requérant a été torturé dans le passé et, dans l'affirmative,
s'il s'agit d'un passé récent. Les incidents mentionnés ont eu lieu neuf ans
auparavant et ne peuvent donc être qualifiés de récents.
6.5 Le Comité doit également examiner si le requérant se livrait, à l'intérieur
ou à l'extérieur de son pays, à des activités politiques ou autres de nature
à l'exposer à un risque particulier d'être soumis à la torture s'il rentre en
Turquie. À l'intérieur de la Turquie les activités du requérant ont consisté
à recueillir des fonds et des vivres pour les villageois kurdes déplacés. Bien
qu'il affirme avoir été arrêté à deux reprises, le requérant n'a pas démontré
qu'il était une figure importante de l'opposition kurde ou qu'il était considéré
comme tel par les autorités turques. Il ne prétend pas non plus assumer un rôle
spécial dans les organisations concernées. En ce qui concerne ses activités
à l'étranger, le requérant a donné plusieurs exemples de sa participation à
des activités et à des réunions politiques. Certaines sont évoquées en termes
très généraux mais il cite en particulier sa participation à l'occupation de
la résidence de l'Ambassadeur de Grèce à La Haye en 1999. Il n'est pas démontré
toutefois que les autorités turques soient au courant de la participation du
requérant à cet incident ni des autres éléments cités. Le Comité note à cet
égard que les poursuites engagées contre le requérant après l'occupation de
la résidence de l'Ambassadeur de Grèce à La Haye ont été abandonnées par manque
de preuves. Il n'a pas non plus été démontré que si réellement les autorités
turques étaient au courant de ces actes le requérant courrait un risque particulier
d'être torturé à son retour en Turquie.
6.6 Les éléments pertinents concernant les antécédents du requérant en Turquie
ainsi que ses activités à l'intérieur et à l'extérieur du pays ont été pris
en considération par les autorités néerlandaises. Le Comité n'est pas en mesure
de contester les conclusions de celles-ci sur les faits, ni de résoudre la question
de savoir s'il y a des contradictions dans le récit du requérant. Conformément
à la jurisprudence du Comité, le crédit voulu doit être accordé aux conclusions
du Gouvernement sur les faits.
6.7 Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le requérant n'a
pas montré qu'il courait personnellement un risque réel et prévisible d'être
torturé s'il était renvoyé en Turquie, au sens de l'article 3 de la Convention.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant en Turquie ne constituerait
pas une violation de l'article 3 de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en français, en espagnol et en russe.
Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité
à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Aucun détail n'est fourni.
2. Il est fait référence à un rapport médical très succinct en néerlandais (non
traduit), qui est de nouveau mentionné dans les commentaires du requérant aux
observations de l'État partie. Une description de la teneur du rapport médical
y est donnée en anglais (voir dossier, p. 3 des commentaires, sous la rubrique
«Ad 2&3»).
3. Il ressort de la réponse de l'État partie que le requérant avait dit aux
fonctionnaires des services de l'immigration que son père avait été arrêté,
fait qui n'est pas mentionné dans la communication initiale.
4. Aucune date n'est précisée.
5. Aucun détail n'est donné.
6. Aucune date n'est précisée.
7. Rien n'est dit du chef d'inculpation ni d'une éventuelle déclaration de culpabilité
ou condamnation.
8. Aucun détail n'est donné.
9. Aucun détail n'est donné.
10. Aucun détail n'est donné.
11. Aucun détail n'est donné sur la nature ni sur les résultats de l'enquête.
12. L'État partie renvoie aux constatations du Comité concernant les communications
nos 91/1997, A. c. Pays-Bas (13 novembre 1998), et 28/1995, E. A. c. Suisse
(10 novembre 1997).
13. L'État partie renvoie à l'Observation générale du Comité à propos de l'article
3.
14. Cette information ne figure pas dans la communication initiale, mais il
est possible qu'elle soit fournie dans les pièces jointes, qui sont en néerlandais.
15. Ce détail ne figure pas dans la requête, mais l'État partie note que le
requérant aurait été plongé dans de l'eau froide et frappé à coups de poing,
de bâton et de couteau.
16. Note: il affirme ici qu'il a été torturé en 1995 et en 1997, alors que la
requête initiale ne mentionne que 1995. Il semble que la torture qui aurait
eu lieu en 1997 correspond aux menaces de mort que les autorités lui auraient
adressées pour le contraindre à leur servir d'indicateur.
17. Observation générale no 1, seizième session (1996).
18. Constatations du Comité concernant la communication no 204/2002, H. K. H.
c. Suède (28 novembre 2002).