S.S. c. Pays-Bas, Communication No. 191/2001, U.N. Doc. CAT/C/30/D/191/2001 (2003).
Requête présentée par : S.S. (représenté par un conseil)
Au nom de : S.S.
État partie : Pays-Bas
Date de la requête : 20 septembre 2001 (lettre initiale)
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 5 mai 2003,
Ayant achevé l'examen de la requête no 191/2001 présentée en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte la décision suivante en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
Décision adoptée
en vertu du paragraphe 7
de l'article 22 de la Convention
1.1 Le requérant est M.
S.S., ressortissant sri-lankais appartenant au groupe de population tamoul,
né le 27 novembre 1956 à Kayts (Jaffna) et qui se trouve actuellement aux Pays-Bas
où il est frappé d'une mesure d'expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son
renvoi contre son gré à Sri Lanka constituerait une violation par les Pays-Bas
de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 23 octobre 2001, le Comité a transmis la requête à l'État partie en lui
demandant de lui faire part de ses observations et, en application du paragraphe
1 de l'article 108 de son règlement intérieur, il l'a prié de ne pas expulser
le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait en cours d'examen. L'État
partie a accédé à cette demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant a vécu dans le district de Jaffna de 1989 à 1995; il était
professeur de karaté et donnait aussi des leçons aux membres des Tigres de libération
de l'Eelam tamoul (LTTE). Tout en étant sympathisant de ce mouvement, il refusait
de dispenser son enseignement dans ses camps militaires. Quand l'armée sri-lankaise
a repris Jaffna, à la fin de 1995, le requérant a fui à Chavakachchery puis
à Killinochi avec sa femme et ses enfants.
2.2 Le 7 avril 1996, la mère du requérant est morte à Trincomalee, ville qui
était contrôlée en partie par les LTTE et en partie par l'armée sri-lankaise.
Le requérant a voulu se rendre à Trincomalee pour rendre les derniers honneurs
à sa mère mais les LTTE lui ont refusé un laissez-passer parce qu'il n'avait
personne pour se porter garant de lui (1). En juin 1996, en échange de leçons
de karaté qu'il donnait gratuitement à des membres des LTTE, il a enfin réussi
à obtenir l'autorisation de se rendre avec un guide à Mullaitivu – qui était
toujours sous le contrôle des LTTE. Après être resté deux mois à Mullaitivu
où il était hébergé chez un pêcheur, il a pris un bateau de pêche pour se rendre
dans le district de Trincomalee. Pendant deux ou trois mois il s'est caché avec
un Tamoul à Anbuvelipuram, dans le district de Trincomalee, puis il est allé
chez sa sœur dans le centre de Trincomalee, en novembre 1996.
2.3 Le 13 décembre 1996, deux jours après que les LTTE eurent bombardé un camp
militaire de l'armée sri-lankaise, celle-ci s'est emparée de Trincomalee et
a arrêté un grand nombre de personnes, dont le requérant. Tous ceux qui avaient
plus de 12 ans ont été contraints de s'aligner devant un temple et un homme
masqué a désigné plusieurs hommes parmi lesquels se trouvait le requérant. Celui-ci
a été conduit à Trincomalee dans un camp militaire où il est resté en détention
pendant environ deux mois. Il était enfermé avec quatre autres hommes dans une
cellule étroite à peine éclairée; le sol était en béton et il n'y avait aucun
meuble. On lui donnait une ration journalière d'une nourriture de mauvaise qualité.
Comme il n'y avait pas de tinette, les prisonniers se soulageaient dans les
coins de la cellule et les excréments étaient enlevés de temps en temps. D'après
le récit du requérant, les soldats entraient régulièrement dans la cellule,
surtout quand il y avait eu des attaques armées des LTTE, pour brutaliser les
prisonniers, leur donnant des coups de pied et les rouant de coups, parfois
en même temps qu'ils leur posaient des questions. Le requérant affirme qu'on
lui a demandé s'il était professeur de karaté et il avait dit non. Les prisonniers
de cette cellule étaient souvent laissés complètement nus ou seulement en sous-vêtements.
Fréquemment, les soldats les aspergeaient d'eau avant de commencer à les frapper.
Les coups étaient portés de toute sorte de façons: avec le plat de la main,
avec le poing, avec la crosse d'un fusil, avec une matraque en caoutchouc. Une
fois, on lui a donné des coups de canne sur la plante des pieds, ce qui lui
a causé des douleurs extrêmes aux pieds pendant plusieurs jours. Une autre fois,
on l'a obligé à se tenir face contre un placard, les mains en l'air, et on lui
a donné des coups de matraque en caoutchouc sur le dos; il lui en était resté
des douleurs chroniques dans le dos, qui persisteraient encore à ce jour. Il
a aussi reçu un coup de poing sur l'œil qui lui a causé une blessure à l'arcade
sourcilière. Les soldats l'ont également frappé sur les organes génitaux et
sur les reins, à la suite de quoi il a eu un testicule enflé et du sang dans
les urines. De plus, d'après son récit, il a été brûlé avec un bâton incandescent
au bras gauche et il en gardait des cicatrices. Le gros orteil de son pied droit
a subi une grave lésion quand les tortionnaires lui ont piétiné le pied avec
leurs bottes. Quand les soldats l'ont frappé à la main droite avec un tesson
de bouteille en lui demandant s'il n'était pas professeur de karaté, il a perdu
connaissance. (2)
2.4 Le requérant s'est réveillé à l'hôpital du camp militaire, où il est resté
quelques jours jusqu'à ce qu'un homme qu'il ne connaissait pas, un musulman
du nom de Nuhuman, réussisse à organiser son évasion. Le requérant soupçonne
que sa sœur avait donné de l'argent à Nuhuman et que celui-ci avait «acheté»
les gardiens qui étaient postés devant sa chambre d'hôpital. Il ajoute qu'avec
Nuhuman, il a réussi à quitter l'hôpital et le camp militaire sans la moindre
difficulté.
2.5 Nuhuman a conduit le requérant en voiture à Colombo, d'où ce dernier a quitté
Sri Lanka par avion le 14 février 1997, sous le nom de Mohamed Alee, à l'aide
d'un faux passeport sri-lankais. Il s'est d'abord rendu à Doubaï, puis en Ukraine
où il est resté cinq mois. Le 1er août 1997, un «agent de voyages» russe l'a
conduit en camion jusqu'à un endroit inconnu, où il a traversé une rivière avec
cinq autres Tamouls. Il a été conduit jusqu'à une ville de Pologne inconnue
de lui où il a pris un train pour Berlin. Le 14 août 1997, le guide russe a
emmené le requérant jusqu'aux Pays-Bas, où il a déposé une demande d'admission
au statut de réfugié et de permis de séjour le 15 août 1997. Le même jour il
a eu un premier entretien avec un fonctionnaire du Département néerlandais de
l'immigration et des naturalisations qui l'a interrogé sur son identité et sa
nationalité, son état civil, sa famille, ses documents de voyage et autres papiers,
la date à laquelle il avait quitté son pays d'origine et les modalités de son
départ ainsi que l'itinéraire qu'il avait suivi jusqu'aux Pays-Bas.
2.6 Par une lettre datée du 16 février 1998, le requérant a adressé une réclamation
au Département de l'immigration parce que celui-ci ne s'était pas prononcé sur
sa demande de statut de réfugié dans le délai légal de six mois. Le 7 avril
1998, il a formé un recours auprès du tribunal de district de Zwolle parce que
le même Département n'avait pas pris de décision dans les délais sur la réclamation
en question. Le requérant a retiré ce recours le 4 juin 1998 car le Département
s'était engagé à prendre une décision rapidement mais il l'a réintroduit par
une lettre datée du 28 août 1998 parce que cet engagement n'avait pas été tenu.
Par une décision en date du 18 novembre 1998, le tribunal de district a ordonné
au Département de l'immigration et des naturalisations de se prononcer dans
un délai de six semaines.
2.7 Le 6 octobre 1998, le requérant a été convoqué pour un deuxième entretien,
lors duquel il a bénéficié de l'assistance d'un interprète. Pendant l'entretien,
qui a duré trois heures, le requérant a répété ce qu'il avait dit la première
fois: sa femme était enceinte de trois mois quand il l'avait quittée en juin
1996, il ne l'avait jamais revue depuis son départ de Killinochi et il était
resté caché pendant les deux mois de son séjour à Mullaitivu. Pour ce qui était
de sa situation de famille, le requérant a déclaré que son père avait péri dans
un bombardement de l'armée sri-lankaise et que l'une de ses filles était morte
d'un accès de fièvre parce qu'elle n'avait pas pu être transportée à l'hôpital
assez rapidement, à cause du couvre-feu. Dans une lettre du 1er décembre 1998,
l'ancien avocat du requérant a élevé des objections au sujet de la façon dont
s'était déroulé le deuxième entretien. Il joignait également les lettres que
la femme du requérant avait envoyées à ce dernier, indiquant qu'elle avait accouché
le 21 mai 1997.
2.8 Le 11 février 1999, le requérant a été entendu par une commission du Département
de l'immigration et des naturalisations. L'entretien a porté surtout sur la
contradiction qui avait été relevée dans les déclarations du requérant, celui-ci
ayant dit que sa femme était enceinte de trois mois quand il l'avait quittée
en juin 1996, alors qu'elle avait accouché le 21 mai 1997. Au terme de l'audition,
l'ancien avocat du requérant a dit à la commission qu'il allait élucider l'affaire.
Par une lettre datée du 26 février, l'avocat a fait savoir au Département que
le requérant maintenait toujours que sa femme était enceinte de trois mois en
juin 1996. D'autre part, pendant son séjour à Mullaitivu, il ne se cachait pas
au sens strict du terme et sa femme lui rendait visite de temps en temps. Elle
avait fait une fausse couche, chose dont on ne parle pas facilement dans la
culture hindoue, d'autant que selon la religion hindoue la naissance de l'enfant
qui avait été perdu aurait représenté la renaissance de la mère décédée du requérant.
D'ailleurs, ce dernier n'avait parlé même à son frère le plus proche de la perte
de cet enfant qu'en février 1999.
2.9 Le 15 mars 1999 et le 22 avril 1999, le Département de l'immigration et
des naturalisations a demandé au Bureau de conseil médical de déterminer si
le requérant avait besoin d'un traitement médical et s'il était en assez bonne
santé pour voyager. Le 20 mai 1999, le Département a rejeté la réclamation dont
il avait été saisi pour n'avoir pas pris de décision dans les délais sur la
demande de statut de réfugié du requérant. Celui-ci a été informé en même temps
que la mesure d'expulsion ne serait pas exécutée tant que le Bureau de conseil
médical n'aurait pas rendu son avis. Le Département fondait sa décision sur
les motifs ci-après: a) le fait que le requérant soit tamoul n'était pas en
soi un élément suffisant pour qu'il obtienne l'asile; b) les contradictions
relevées dans les déclarations du requérant à propos des grossesses de sa femme
et de sa situation de clandestin à Mullaitivu; c) le récit peu plausible qu'il
avait fait de son évasion de l'hôpital militaire eu égard au fait que, d'après
ses propres dires, il était un prisonnier relativement important et d) l'absence
de motif humanitaire justifiant l'octroi d'un permis de séjour. Le Département
concluait que le requérant ne serait pas exposé au risque de torture s'il était
renvoyé à Sri Lanka et qu'il n'y avait pas lieu d'appliquer la politique relative
aux troubles post-traumatiques comme motif d'admission, étant donné que ses
allégations de torture n'étaient pas crédibles. La décision du Département était
accompagnée de conseils sur les recours disponibles, le requérant étant informé
que son expulsion serait suspendue s'il formait un recours devant un tribunal.
2.10 Le 16 juin 1999, le requérant a formé un recours auprès du tribunal de
district de Zwolle contre la décision susmentionnée du Département, en avançant
les arguments ci-après: a) le Département de l'immigration n'était pas fondé
à rejeter l'explication qu'il avait donnée au sujet des grossesses de sa femme;
b) sa description détaillée des faits ainsi que les cicatrices visibles qu'il
portait sur le corps démentaient la conclusion du Département selon laquelle
ses allégations de torture n'étaient pas crédibles; c) donner des pots-de-vin
à des soldats était une pratique générale à Sri Lanka et donc une explication
plausible pour son évasion de l'hôpital militaire; d) le Département n'avait
tenu aucun compte des déclarations faites par son frère 12 ans plus tôt quand
lui-même avait déposé une demande d'asile aux Pays-Bas, qui confirmaient que
le requérant avait toujours eu des problèmes parce qu'il était professeur de
karaté et e) les tortures qu'il avait subies étaient assez traumatisantes pour
que la politique concernant les troubles post-traumatiques lui soit appliquée.
2.11 Le Bureau de conseil médical a rendu son avis le 14 décembre 1999, déclarant
que, au moment où l'avis était émis, le requérant souffrait notamment de douleurs
lombaires et de problèmes visuels, qu'il ne suivait plus de traitement médical
particulier, qu'il était en état de voyager et qu'il n'y avait pas lieu de craindre
une quelconque urgence médicale.
2.12 Par une lettre du 8 novembre 2000, le Département de l'immigration et des
naturalisations a informé le requérant que la suspension de la mesure d'expulsion
allait être levée. Par une lettre datée du 15 novembre 2000, l'avocat du requérant
a déposé au tribunal de district de La Haye une demande d'injonction interlocutoire.
2.13 À la demande de l'avocat du requérant, le groupe des examens médicaux de
la section néerlandaise d'Amnesty International a rendu un rapport, en date
du 12 juin 2001, attestant que le requérant portait plusieurs cicatrices sur
le corps et ne pouvait pas allonger complètement l'index. Les cicatrices sur
le corps, en particulier les marques de brûlures sur le bras gauche, une blessure
à l'orteil et une tache brune sur la peau près de l'œil, semblaient confirmer
les allégations de torture, et le problème au doigt pouvait avoir été causé
par les coups qui auraient été portés au requérant avec un tesson de bouteille.
D'autre part, d'après le rapport d'Amnesty International, aucune lésion anatomique
ne pouvait être diagnostiquée dans le dos mais cela n'excluait pas qu'il ait
pu y avoir un lien entre les douleurs dorsales chroniques dont souffrait le
requérant et les coups qu'il aurait subis. En outre, d'après le rapport les
symptômes psychiques présentés par le requérant, comme la souffrance permanente
liée à ce qu'il avait vécu, son hypersensibilité et son anxiété excessive, ses
difficultés de concentration et ses insomnies, étaient des signes typiques de
troubles post-traumatiques.
2.14 Le 2 juillet 2001, le tribunal de district de La Haye, a rejeté le recours
formé contre la décision du Département de l'immigration et des naturalisations
du 20 mai 1999 comme non fondé et a déclaré irrecevable la demande de mesures
provisoires. Le tribunal a considéré que les allégations du requérant n'étaient
pas crédibles du fait des contradictions concernant les grossesses de sa femme
et parce qu'il n'avait pas dit la vérité sur la question de savoir s'il était
dans la clandestinité pendant son séjour à Mullaitivu. Le tribunal a également
considéré qu'il n'y avait pas de motif justifiant d'appliquer la politique concernant
les troubles post-traumatiques, et que le fait que le Département de l'immigration
et des naturalisations eût rendu sa décision sans attendre l'avis du Bureau
de conseil médical n'avait causé au requérant aucun préjudice. Le tribunal a
également considéré que le requérant ne faisait pas partie d'une catégorie de
personnes risquant d'être soumises à des traitements contraires à l'article
3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales en cas de renvoi à Sri Lanka.
Teneur de la requête
3.1 Le conseil fait valoir que les conclusions du tribunal de district n'excluent
pas la possibilité que le requérant coure un risque sérieux d'être soumis à
la torture ou à d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants s'il était
renvoyé à Sri Lanka, et que par conséquent les Pays-Bas commettraient ce faisant
une violation de l'article 3 de la Convention.
3.2 Pour ce qui est de la crédibilité du requérant, le conseil fait valoir que
l'essentiel de ses déclarations a trait à l'époque où il était détenu au camp
militaire de Trincomalee et non à la question de savoir quand sa femme était
enceinte ou quand elle a accouché.
3.3 Le conseil s'élève contre les conditions dans lesquelles s'est déroulé le
deuxième entretien avec le Département de l'immigration et des naturalisations
et la façon dont le requérant s'est vu opposer les contradictions de ses déclarations
concernant les grossesses de sa femme et sa situation à Mullaitivu.
3.4 Le conseil dit que le Département n'aurait pas dû examiner seulement le
rapport du Bureau de conseil médical mais aussi le rapport du groupe des examens
médicaux d'Amnesty International qui, d'après lui, corrobore les allégations
du requérant et confirme qu'il a subi un traumatisme. Le conseil fait valoir
que le doute devrait bénéficier au requérant, étant donné qu'il n'existe guère
de preuves sûres à 100 % dans les affaires de demande d'asile.
3.5 D'après le conseil, le requérant ne peut pas être renvoyé dans la région
de Sri Lanka contrôlée par les Tigres de libération parce que la situation y
est globalement dangereuse en raison des opérations militaires aussi bien des
LTTE que de l'armée sri-lankaise et parce que le requérant peut craindre des
sanctions pour avoir quitté cette région sans l'autorisation des LTTE. De même,
de l'avis du conseil, le requérant ne peut pas être renvoyé dans le sud de Sri
Lanka, où il risquerait d'être soumis à la torture pour les raisons suivantes:
a) son passé de professeur de karaté connu susciterait des soupçons quant à
ses liens avec les Tigres de libération; b) les cicatrices qu'il porte sur le
corps peuvent donner à penser qu'il a participé à la lutte armée des Tigres
ou du moins qu'il a reçu d'eux un entraînement; c) son origine tamoule, le fait
qu'il ne parle pas le cingalais et le fait qu'il n'ait pas de papiers d'identité
ni de raison valable de vouloir s'installer dans le sud augmentent le risque
qu'il court d'être arrêté, et ultérieurement torturé par la police sri-lankaise.
(3)
3.6 Le conseil conclut que s'il revenait à Sri Lanka, le requérant serait exposé
à un risque sérieux d'être arrêté et placé en garde à vue pendant une période
plus longue que la durée ordinaire de 48 à 72 heures pendant laquelle les Tamouls
sont souvent retenus à la suite de contrôles d'identité. Le risque d'être soumis
à la torture pendant une période de détention aussi prolongée est généralement
élevé.
Observations de l'État partie concernant la recevabilité et le fond
4.1 Le 22 avril 2002, l'État partie a fait parvenir ses observations au fond
sur la requête, dont il ne conteste pas la recevabilité.
4.2 L'État partie indique qu'en raison de la forte densité démographique des
Pays-Bas, les motifs d'admission de demandeurs d'asile sur le territoire néerlandais
sont limités à trois: a) statut de réfugié au sens de la Convention de 1951
relative au statut des réfugiés; b) préservation des intérêts essentiels du
pays; c) raisons impérieuses d'ordre humanitaire. Le statut de réfugié [point
a)] suppose qu'il y ait des raisons fondées de craindre des persécutions du
fait de convictions religieuses, idéologiques ou politiques ou de la nationalité
ou du fait de l'appartenance à une race ou à un groupe social particulier. Pour
déterminer si un individu est un réfugié, les autorités néerlandaises apprécient
également si le renvoi dans le pays d'origine serait incompatible avec les obligations
incombant aux Pays-Bas en vertu de l'article 3 de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et en vertu
de l'article 3 de la Convention européenne pour la sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales. Les demandes d'asile sont traitées par
le Département de l'immigration et des naturalisations qui relève du Ministère
de la justice. Après un premier entretien avec le requérant, puis un deuxième,
le fonctionnaire du Département qui a mené le deuxième entretien établit un
rapport, sur lequel le requérant peut présenter des observations. Il est de
règle qu'un défaut de décision de la part du Département dans les six mois équivaut
à un rejet de la demande, qui peut être contesté par le requérant. Si le requérant
invoque des motifs médicaux pour justifier sa demande de statut de réfugié,
un avis, ayant légalement valeur d'une expertise, peut être demandé au Bureau
de conseil médical du Ministère de la justice. En attendant que le Bureau ait
rendu son avis, la mesure d'expulsion, si elle a été ordonnée, peut être suspendue.
4.3 En ce qui concerne la situation des droits de l'homme à Sri Lanka, l'État
partie cite trois décisions du tribunal de district de La Haye et les rapports
sur le pays pour les années 1996 à 2001 établis par le Ministère néerlandais
des affaires étrangères, d'où il ressort que le renvoi de Tamouls déboutés de
leur demande d'asile dans les zones de l'ouest, du centre et du sud de Sri Lanka
contrôlées par le Gouvernement - où on peut s'installer sans avoir à s'inscrire
auprès de la police ou d'une autre autorité - demeure une option raisonnable.
Toutefois, dans le rapport pour 2000, il est précisé que dans ces régions, les
Tamouls sont souvent arrêtés et placés en garde à vue pendant une période allant
jusqu'à 72 heures dans le cadre de contrôles d'identité. A Colombo, les Tamouls
sont en outre de temps en temps victimes de harcèlement de la part de la population
cingalaise et sont parfois torturés par la police quand ils sont soupçonnés
d'avoir des liens avec les Tigres de libération de l'Eelam tamoul. Les rapports
recensent aussi plusieurs facteurs de risque contribuant soit i) au risque général
d'être détenu pendant 48 à 72 heures à la suite d'un contrôle d'identité soit
ii) au risque aggravé de rester détenu plus longtemps, auquel cas le risque
de torture augmente de faþon notable. Les facteurs de risque de la première
catégorie sont a) la jeunesse, b) une mauvaise connaissance du cingalais, et
c) l'origine tamoule. Les facteurs de risque de la deuxième catégorie sont a)
l'arrivée récente à Colombo en provenance d'une des zones de conflit du pays,
b) le fait de ne pas être en possession de papiers d'identité valables, c) une
fiche dans les dossiers de police indiquant que l'intéressé pourrait être impliqué
dans les activités des Tigres de libération ou avoir des connaissances sur ces
activités, et d) des cicatrices sur le corps, si l'intéressé est déjà soupçonné
d'avoir des liens avec les Tigres de libération. Dans le cas où la participation
aux activités des LTTE est dûment établie, l'intéressé peut être détenu jusqu'à
18 mois en vertu de la loi sur les mesures d'exception ou de la loi sur la prévention
du terrorisme.
4.4 En ce qui concerne l'argument du requérant relatif à la violation de l'article
3 de la Convention, l'Etat partie fait valoir que même s'il existait au Sri
Lanka un ensemble de violations systématiques et graves des droits de l'homme,
cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant pour dire qu'une personne
donnée risquerait d'être soumise à la torture si elle était renvoyée dans ce
pays. Selon la jurisprudence du Comité, (4) il doit exister des motifs précis
de penser que l'intéressé serait personnellement exposé au risque de torture.
L'État partie renvoie également à la jurisprudence du Comité selon laquelle
l'expression «motifs sérieux» utilisée à l'article 3 implique davantage qu'une
simple possibilité de torture. (5)
4.5 De l'avis de l'État partie, le requérant ne court pas personnellement un
risque réel et prévisible d'être soumis à la torture s'il est renvoyé à Sri
Lanka. Le simple fait qu'il est Tamoul ne constitue pas en soi un motif suffisant
pour conclure à l'existence d'un tel risque. De plus, l'État partie soutient
que les déclarations du requérant ne sont pas crédibles, comme il ressort de
la contradiction entre l'information qu'il a donnée que sa femme était enceinte
de trois mois en juin 1996 et le fait qu'elle ait accouché en mai 1997. Le requérant
n'a pas pu expliquer cette contradiction quand la question lui a été posée devant
la commission du Département de l'immigration et des naturalisations le 11 février
1999. Ce n'est que dans une lettre datée du 26 février 1999 que son avocat a
admis que le requérant n'était pas «dans la clandestinité» quand il se trouvait
à Mullaitivu et qu'il avait rencontré sa femme après sa fausse couche. Cette
explication diffère sur des points essentiels de ses déclarations précédentes.
Pour l'État partie, on ne saurait expliquer cette divergence en mettant simplement
en cause la qualité de la traduction des déclarations du requérant. Même si
sa culture empêchait celui-ci de parler de la fausse couche de sa femme, il
n'avait nul besoin de faire des déclarations inexactes à propos de son séjour
à Mullaitivu. L'État partie estime que la crédibilité du requérant est également
sujette à caution en raison du récit qu'il a fait de son évasion du camp militaire
de Trincomalee. Il est peu plausible qu'il ait pu s'évader du camp sans la moindre
difficulté sous les yeux des soldats sri-lankais.
4.6 L'État partie ajoute que le requérant n'a pas démontré de façon convaincante
que les autorités sri-lankaises le traiteraient en suspect. L'affirmation selon
laquelle il rencontrerait des problèmes avec les autorités n'est qu'une simple
spéculation qui n'est pas étayée par des faits objectifs, le seul élément à
l'appui étant les lettres de sa famille et de ses amis. En ce qui concerne les
sanctions que le requérant aurait à craindre de la part des Tigres de libération
s'il était envoyé dans la partie de Sri Lanka contrôlée par ce groupe, l'État
partie fait valoir que ces sanctions ne relèvent pas de la définition de la
torture telle qu'elle est donnée à l'article premier de la Convention et n'entrent
donc pas dans le champ d'application de l'article 3. Étant donné que, selon
l'article premier, «le terme "torture" désigne tout acte […] [infligé]
par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre
officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite», les
actes de groupes non étatiques, comme les Tigres de libération, ne sauraient
être considérés comme des actes de torture aux fins de la Convention. (6)
4.7 En ce qui concerne le rapport du groupe médical d'Amnesty International,
il confirme simplement, selon l'État partie, que les symptômes que présente
le requérant correspondent en partie à ses allégations. Il n'en découle pas
que le requérant a établi de façon convaincante que ces symptômes ainsi que
les cicatrices qu'il porte sur le corps sont le résultat de tortures.
4.8 En conclusion, l'État partie affirme qu'eu égard à la situation générale
à Sri Lanka et à la situation personnelle du requérant, il n'existe pas de motifs
sérieux de croire que le requérant courrait personnellement un risque réel et
prévisible d'être soumis à la torture s'il était renvoyé à Sri Lanka. En conséquence,
son expulsion ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
Commentaires du requérant sur la réponse de l'État partie
5.1 Le conseil affirme que le requérant n'a pas pu contester sur le fond la
décision du Département de l'immigration et des naturalisations du 20 mai 1999
parce qu'il avait déjà objecté au fait que ce département ne s'était pas prononcé
dans les délais sur sa demande d'asile; il n'a donc pas eu la possibilité de
répondre sur le fond pour défendre son dossier avant de saisir un tribunal.
5.2 En ce qui concerne les preuves d'ordre médical, le conseil critique le fait
que le Bureau de conseil médical ait limité son avis à la question de savoir
si l'état de santé du requérant justifiait son admission au statut de réfugié,
sans examiner si les symptômes dont il se plaignait ainsi que les cicatrices
qu'il portait corroboraient ses allégations de torture. Il ajoute que l'État
partie n'a pas accordé le crédit voulu au rapport du groupe des examens médicaux
d'Amnesty International et souligne que cette organisation ne produit de tels
rapports que dans un petit nombre de cas crédibles.
5.3 En ce qui concerne la situation générale à Sri Lanka, le conseil regrette
que l'État partie ait essentiellement fondé son appréciation sur les rapports
du Ministère des affaires étrangères, sans tenir compte d'autres sources pertinentes.
5.4 En ce qui concerne la contestation de la crédibilité du requérant par l'État
partie, le conseil nie que ses déclarations aient été incohérentes. En disant
que le requérant avait qualifié la traduction de l'entretien de «mauvaise»,
l'État partie simplifiait son argumentation. Ce que le requérant avait souligné,
c'est qu'il y avait différentes façons de traduire en néerlandais le mot équivalant
à «se cacher» et que chacune de ces traductions avait un sens différent.
5.5 Le conseil estime qu'on ne peut pas raisonnablement attendre du requérant
qu'il prouve dans le détail comment sa libération de l'hôpital militaire de
Trincomalee a pu avoir lieu.
5.6 En ce qui concerne le risque que le requérant court personnellement d'être
torturé s'il est renvoyé à Sri Lanka, le conseil affirme que sa notoriété en
tant que professeur de karaté accroît ce risque. À ce sujet, le conseil reproche
à l'État partie de ne pas avoir pris en considération les déclarations concernant
l'expérience de professeur de karaté du requérant que le frère de celui-ci avait
faites quand il avait déposé sa propre demande d'asile aux Pays-Bas. D'après
ces déclarations, le requérant avait quitté Sri Lanka en 1984 pour s'installer
au Qatar (où il est resté jusqu'en 1987) parce qu'il était soupçonné d'avoir
assuré la formation des militants des Tigres de libération. De plus, le conseil
soutient que le fait que le requérant ait été torturé dans le passé, joint au
risque général que courent les personnes soupçonnées d'appartenir aux Tigres
de libération d'être torturées, montre que, pour le requérant, le risque d'être
arrêté et torturé s'il est renvoyé à Sri Lanka est élevé. Ce risque est encore
aggravé parce qu'il est probable que le nom du requérant figure dans la base
de données du Bureau national du renseignement depuis qu'il a été arrêté à Trincomalee
en 1996. Le conseil considère comme vraisemblable qu'à l'occasion d'une vérification
de routine des demandeurs d'asile tamouls déboutés, les autorités sri-lankaises
s'aperçoivent que le requérant a été arrêté et placé en détention dans le camp
militaire et apprennent aussi qu'il a travaillé comme professeur de karaté à
Jaffna. De plus, les cicatrices qu'il a sur le corps le feraient soupçonner
d'avoir participé aux combats armés des Tigres de libération. Le conseil conclut
que tous ces éléments conjugués font que le requérant court personnellement
un risque élevé d'être soumis à la torture, allant au-delà d'une «simple possibilité».
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner les demandes formulées dans une communication, le Comité
contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable au regard de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en
vertu du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question
n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen dans une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que l'État partie
n'a pas contesté la recevabilité de la communication. Ne voyant pas d'autre
obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et
passe donc immédiatement à son examen sur le fond.
6.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l'État
partie manquerait à l'obligation que lui fait le paragraphe 1 de l'article 3
de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État
s'il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'y être soumise à la torture.
Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes,
y compris de l'existence, dans l'État concerné, d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Le but,
cependant, est de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis
à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence
dans un pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme,
graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour
établir que la personne concernée risque d'être soumise à la torture à son retour
dans ce pays; il doit être produit des motifs supplémentaires donnant à penser
que l'intéressé courrait personnellement un risque. À l'inverse, l'absence d'un
tel ensemble de violations systématiques et graves des droits de l'homme ne
signifie pas qu'une personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être
soumise à la torture dans les circonstances qui lui sont propres.
6.3 En ce qui concerne la situation générale des droits de l'homme à Sri Lanka,
le Comité rappelle que, dans les conclusions et recommandations qu'il a formulées
à l'issue de l'examen du rapport initial de Sri Lanka, il s'était déclaré gravement
préoccupé par des «renseignements faisant état de violations graves de la Convention,
en particulier d'actes systématiques de torture associés à des disparitions».
(7) Le Comité relève également dans des rapports récents sur la situation des
droits de l'homme à Sri Lanka (8) que, bien que des efforts aient été déployés
pour éliminer la torture, des cas de torture continuent d'être rapportés et
il est fréquent aussi que les plaintes pour torture ne soient pas traitées efficacement
par la police, les magistrats et les médecins. Cela dit, le Comité note aussi
le processus de paix en cours à Sri Lanka qui a conduit à la conclusion d'un
accord de cessez-le-feu entre le Gouvernement et les LTTE en février 2002 et
les négociations qui ont eu lieu depuis lors entre les deux parties - encore
qu'elles soient actuellement interrompues. Le ComitÚ rappelle en outre que,
sur la base des rÚsultats de son enquÛte sur Sri Lanka au titre de l'article
20 de la Convention, il a conclu que la pratique de la torture n'Útait pas systÚmatique
dans l'╔tat partie.(9) Le Comité note enfin qu'un grand nombre de réfugiés tamouls
sont rentrés à Sri Lanka en 2001 et 2002.
6.4 En ce qui concerne l'argument du requérant concernant le risque qu'il courrait
d'être torturé par les LTTE qu'il courrait parce qu'il avait quitté la zone
de Sri Lanka sous leur contrôle sans avoir eu d'autorisation expresse et sans
avoir désigné de garant, le Comité rappelle que l'obligation qui est faite à
l'État partie de ne pas renvoyer une personne vers un État où il y a des motifs
sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture est directement
liée à la définition de la torture qui est donnée à l'article premier de la
Convention. Aux fins de la Convention, selon l'article premier, «le terme "torture"
désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques
ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment
d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de
la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée
d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider
ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé
sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur
ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique
ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec
son consentement exprès ou tacite». Le Comité note que la question de savoir
si l'État partie a l'obligation de ne pas expulser une personne qui risquerait
de se voir infliger des souffrances ou des douleurs par une entité non gouvernementale
sans le consentement exprès ou tacite du Gouvernement n'entre pas dans le champ
d'application de l'article 3 de la Convention, à moins que l'entité non gouvernementale
occupe le territoire vers lequel le requérant serait renvoyé et exerce une autorité
quasi gouvernementale sur ce territoire. (10) Comme le requérant peut être renvoyé
dans un territoire autre que celui qui est contrôlé par les LTTE, la question
sur laquelle il fonde une partie de sa plainte, à savoir le fait qu'il subirait
des sanctions de la part des LTTE à son retour à Sri Lanka, ne saurait être
examinée par le Comité.
6.5 En ce qui concerne le risque que des agents de l'État soumettent le requérant
à la torture s'il est renvoyé à Sri Lanka, le Comité a pris note des arguments
que le requérant a avancés à cet égard, à savoir que le risque personnel est
élevé en raison de ses activités passées de professeur de karaté, qu'il a déjà
été gravement brutalisé par des soldats de l'armée sri-lankaise et qu'il porte
sur le corps des cicatrices que les autorités imputeraient probablement à son
combat pour les Tigres de libération de l'Eelam tamoul. Il a également noté
que, d'après le requérant, le fait que le Département néerlandais de l'immigration
et des naturalisations ne s'est pas prononcé sur sa demande de statut de réfugié
dans les délais prescrits l'a empêché de contester au fond la décision finale
du Département en date du 20 mai 1999. Le Comité a noté de plus que le Département
de l'immigration a pris cette décision avant que le Bureau de conseil médical
n'ait rendu son avis sur l'état de santé du requérant. Le Comité a noté d'autre
part que l'État partie avait appelé l'attention sur un certain nombre d'incohérences
et de contradictions dans le récit du requérant, qui jetteraient un doute sur
la crédibilité de celui-ci et sur la véracité de ses allégations.
6.6 Le Comité relève que les éléments de preuve d'ordre médical soumis par le
requérant confirment l'existence de symptômes physiques et psychologiques qui
pourraient être attribués aux mauvais traitements que l'armée sri-lankaise lui
aurait infligés. Il remarque toutefois que, même si les affirmations du requérant
selon lesquelles il a subi de graves tortures pendant sa détention dans le camp
militaire de Trincomalee en 1996 étaient suffisamment étayées, il ne s'agit
pas de faits récents.
6.7 De l'avis du Comité, le requérant n'a pas démontré qu'il existait des circonstances,
autres que le fait qu'il a été professeur de karaté à Jaffna jusqu'en 1996 et
qu'il porte des cicatrices, qui sembleraient l'exposer particulièrement au risque
d'être torturé s'il était renvoyé à Sri Lanka. D'autre part, le Comité note
à nouveau que l'évolution positive des pourparlers de paix entre le Gouvernement
sri-lankais et les Tigres de libération de l'Eelam tamoul et la mise en œuvre
du processus de paix en cours donnent à penser qu'une personne se trouvant dans
la situation du requérant ne courrait pas un tel risque à son retour à Sri Lanka.
En conséquence, le Comité conclut que le requérant n'a pas produit d'éléments
suffisants pour établir qu'il courrait, personnellement et actuellement, le
risque d'être soumis à la torture s'il était renvoyé à Sri Lanka.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par
l'État partie ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
____________________________
[Adopté en anglais (version originale), en français, en espagnol et en russe.
Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité
à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Le conseil affirme que le système des laissez-passer s'applique à toute personne
qui veut quitter la zone contrôlée par les LTTE et a été mis en place pour obtenir
des fonds pour financer la lutte armée des LTTE. Pour que le départ des Tamouls
n'entraîne pas une perte de contributions, chaque Tamoul ayant l'intention de
quitter la zone contrôlée par les LTTE doit justifier d'un garant suffisamment
aisé qui lui serve de caution pour son retour.
2. La description de la plupart de ces tortures est attestée par un rapport
médical daté du 14 juin 2001 établi par le groupe des examens médicaux de la
section néerlandaise d'Amnesty International.
3. Le conseil cite plusieurs rapports sur la situation des droits de l'homme
à Sri Lanka ainsi qu'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme. Les
membres du Comité doivent cependant avoir présent à l'esprit que la requête
date d'octobre 2001 et que la situation pourrait avoir changé depuis lors.
4. L'État partie renvoie aux décisions du Comité dans les affaires A. c. Pays-Bas
(communication no 91/1997, CAT/C/21/D/91/1997, 13 novembre 1998, par. 6.3),
et K. N. c. Suisse (communication no 94/1997, CAT/C/20/D/94/1997, 20 mai 1998,
par. 10.2).
5. Voir E. A. c. Suisse (communication no 28/1995, CAT/C/19/D/28/1995, 10 novembre
1997, par. 11.3). L'État partie renvoie en outre à l'Observation générale no
1 du Comité, relative à la mise en œuvre de l'article 3 de la Convention dans
le contexte de l'article 22 (A/53/44, 1998, annexe IX, par. 6).
6. À ce sujet, l'État partie se réfère à la décision adoptée le 15 mai 2001
par le Comité dans l'affaire S. V. et consorts c. Canada (communication no 49/1996,
CAT/C/26/D/49/1996, 15 mai 2001, par. 9.5).
7. Comité contre la torture, vingtième session, Conclusions et recommandations
du Comité contre la torture: Sri Lanka, 19 mai 1998 (A/53/44, par. 243 à 257,
citation au paragraphe 249).
8. Voir le rapport pour 2002 d'Amnesty International, Sri Lanka (AI index: POL
10/001/2002); Amnesty International «Sri Lanka: Torture prevails despite reforms»
(AI index: ASA 37/14/1999).
9. Document A/57/44, chap. IV.B, par. 181.
10. Voir Comité contre la torture, vingt-deuxième session, Sadi Shek Elmi c.
Australie, communication no 120/1998, constatations adoptées le 14 mai 1999,
CAT/C/22/D/120/1998, par. 6.5. Voir aussi, Comité contre la torture, vingt-huitième
session, M.P.S. c. Australie, Communication no 138/1999, constatations adoptées
le 30 avril 2002, CAT/C/28/D/138/1999, par. 7.4; voir aussi Comité contre la
torture, vingt-sixième session S.V. et consorts c. Canada, communication no
49/1996, constatations adoptées le 15 mai 2001, CAT/C/26/D/49/1996, par. 9.5.