University of Minnesota


A.A. c. Pays-Bas, Communication No. 198/2002, U.N. Doc. CAT/C/30/D/198/2002 (2003).


Présentée par : A. A.

Au nom de : A. A.

État partie : Pays-Bas

Date de la requête : 10 octobre 2001 (date de la lettre initiale)


Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 30 avril 2003,

Ayant achevé l'examen de la requête no 198/2002 présentée par M. A. A. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit:

CONSTATATIONS AU TITRE DU PARAGRAPHE 7
DE L'ARTICLE 22 DE LA CONVENTION


1.1 Le requérant est A. A., de nationalité soudanaise, né le 11 novembre 1968 et séjournant actuellement aux Pays-Bas, où il a demandé l'asile. Il affirme que son renvoi au Soudan constituerait une violation par les Pays-Bas de l'article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 10 janvier 2002, le Comité, agissant conformément à l'article 108 de son règlement intérieur, a prié l'État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait en cours d'examen. Le 11 mars 2002, l'État partie l'a informé qu'il respecterait cette demande.


Rappel des faits présentés par le requérant

2.1 Le requérant exerçait la profession d'avocat au Soudan. Il affirme que sa sœur, Zakia, est la veuve de Bashir Mustafa Bashir, l'une des 28 personnes ayant participé au coup d'État au Soudan en 1989, ce pour quoi M. Bashir a été exécuté. Par la suite, la sœur du requérant a milité dans une organisation de l'opposition œuvrant pour les familles des martyrs. À partir de 1993, le requérant a été un membre actif du Parti unioniste démocrate (DUP) interdit, appartenant à une coalition de partis d'opposition, al-Tajammu'al-Watani li'adat al-Dimuqratiya (Alliance nationale démocratique). Il est membre de l'Association soudanaise des avocats depuis 1992.

2.2 Au cours de l'été 1997, un parti progouvernemental s'est présenté contre le DUP aux élections de l'Association soudanaise des avocats. Pendant la préparation de cette consultation, le DUP a organisé une réunion pour ses sympathisants. Le requérant faisait partie des organisateurs et intervenants. Il affirme que les participants à la réunion étaient si nombreux que les autorités soudanaises ont jugé nécessaire d'intervenir et ont arrêté plusieurs personnes, dont le requérant. Il aurait ensuite été détenu dans un centre des services de la sûreté de l'État à Khartoum-Bahri pendant 10 jours, au cours desquels il a été interrogé, maltraité et torturé. Puis, il a été libéré sous condition (interdiction de voyager).

2.3 Alors qu'il se rendait à Port Soudan pour participer à des activités du parti d'opposition en septembre 1997, le requérant a été arrêté pour la deuxième fois. Il a été détenu à Sawakin, où il a été interrogé et aurait reçu des menaces de mort. Après trois jours de détention, il aurait été jeté à la mer et repêché au bout d'un quart d'heure. Il a ensuite été conduit dans une prison où il a été détenu pendant une semaine. Lorsqu'il a été relâché, on lui a demandé d'arrêter ses activités politiques.

2.4 Le jour des élections, un différend a éclaté entre le parti gouvernemental et les partisans de l'opposition à propos d'allégations de fraude électorale. Le requérant a une nouvelle fois été arrêté et maintenu en détention pendant trois jours, au cours desquels il aurait été torturé. Le 30 janvier 1998, il a de nouveau été arrêté alors qu'il participait à une grande manifestation qu'il avait contribué à organiser. Il a été conduit dans une prison secrète (dite «maison fantôme»), où il a été gardé pendant environ deux mois. Ayant réussi à s'échapper, il s'est enfui aux Pays-Bas, où il est arrivé le 13 avril 1998.

2.5 Le requérant a demandé l'asile aux Pays-Bas le 15 avril 1998. Le 12 mai 1998, il a été interrogé par les services de l'immigration et, le 23 mai 1999, le Secrétaire d'État à la justice a rejeté sa demande au motif qu'elle était manifestement non fondée. Sa demande d'autorisation de séjour pour motifs humanitaires a également été rejetée.

2.6 Le 14 avril 2000, le Secrétaire d'État à la justice a rejeté sa demande de révision de la décision. De plus, le recours formé par le requérant devant le tribunal de district de La Haye a été rejeté le 29 mars 2001.


Teneur de la plainte


3. Le requérant affirme qu'il serait soumis à la torture s'il était renvoyé au Soudan. Pour justifier ses craintes, il évoque ses précédentes détentions, affirmant avoir été torturé à cause des activités politiques qu'il menait au Soudan. Il invoque en outre l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme par les autorités soudanaises et renvoie à des rapports d'organisations non gouvernementales et des documents de la Commission des droits de l'homme de l'ONU.


Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1 Par une note verbale datée du 11 mars 2002, l'État partie a informé le Comité qu'il ne contestait pas la recevabilité de la requête. Il a présenté ses observations quant au fond le 9 juillet 2002.

4.2 L'État partie déclare qu'en renvoyant le requérant il ne manquerait pas aux obligations qu'il a contractées au titre de l'article 3 de la Convention. Il donne une description détaillée de la procédure suivie au niveau national dans le cas d'espèce. L'admission et l'expulsion des étrangers sont réglées par la loi de 1965 sur les étrangers, le décret sur les étrangers, le règlement relatif aux étrangers et les directives de 1994 concernant l'application de la loi sur les étrangers. (1)

4.3 Le premier entretien avec un demandeur d'asile a lieu dès que possible. Il est mené sur la base d'un formulaire que le demandeur doit remplir en portant les renseignements demandés. À ce stade, le demandeur n'est pas interrogé sur les raisons qui l'ont poussé à quitter son pays d'origine. Un deuxième entretien est consacré à ces motifs. Le demandeur ou son représentant reçoit copie du compte rendu établi par le fonctionnaire chargé de l'entretien et dispose d'au moins deux jours pour soumettre des corrections ou des renseignements complémentaires. Une décision est ensuite prise par un fonctionnaire du Service de l'immigration et des naturalisations au nom du Secrétaire d'État à la justice.

4.4 Lorsqu'une demande d'admission en tant que réfugié ou d'autorisation de séjour fait l'objet d'une décision de rejet, le demandeur d'asile peut faire opposition. La décision est alors examinée par un comité, qui interroge l'intéressé. Si son objection est déclarée infondée, il peut former un recours auprès du tribunal de district de La Haye, dont les décisions sont sans appel, aux termes de la loi de 1965 sur les étrangers. (2)

4.5 L'État partie indique que le Ministre néerlandais des affaires étrangères publie régulièrement des rapports (3) sur la situation des droits de l'homme au Soudan. Selon le rapport publié en septembre 1998, après le coup d'État effectué par le général Omar Hassan El Bachir le 30 juin 1989, tous les partis politiques ont été interdits et leurs dirigeants ont quitté le pays ou poursuivaient leur activité politique dans la clandestinité. Le Front islamique national restait l'unique force politique influente. Depuis 1993, Omar Hassan El Bachir est le Président du Soudan. Le Front dispose d'une large majorité au Parlement. Le rapport notait que les arrestations arbitraires et détentions sans inculpation étaient courantes. Les partisans des partis politiques interdits, les syndicalistes, les avocats et les militants des droits de l'homme faisaient partie des victimes potentielles. On connaissait des cas de «disparition» de membres de ces groupes, qui finissaient dans les «maisons fantômes» des services de sécurité ou étaient soumis à d'autres formes de harcèlement par ces mêmes services.

4.6 L'État partie déclare que, selon le rapport susvisé, les prisonniers politiques étaient principalement détenus à la prison centrale de Khartoum-Nord (prison de Kober). Au regard des normes européennes, les conditions de vie y étaient mauvaises, mais l'interdiction de la torture était respectée. L'armée et les services de sécurité avaient leurs propres centres de détention, où la torture et la détention sans inculpation étaient fréquemment pratiquées. Les «maisons fantômes» étaient des centres de détention non officiels, qui n'étaient soumis à aucune forme de contrôle. La détention durait généralement de quelques jours à trois semaines. Elle visait à intimider les adversaires politiques présumés; les détenus étaient soumis à des violences mentales et physiques et à la torture. Les attaques armées dans l'est du Soudan avaient entraîné une utilisation accrue de ces centres au cours du premier semestre de 1997, mais après que le Gouvernement eut repris le contrôle de la situation plus tard la même année, leur utilisation avait diminué. Le Ministre concluait que depuis 1997 l'on discernait au Soudan certains changements positifs. La situation n'était pas telle qu'il fût irresponsable d'y renvoyer un Soudanais dont la demande d'admission comme réfugié ou d'autorisation de séjour pour motifs humanitaires aurait été refusée à l'issue d'un examen attentif.

4.7 Par lettre du 20 novembre 1998, le Secrétaire d'État à la justice a informé la Chambre des représentants de sa décision de ne plus admettre les demandeurs d'asile nord-soudanais au bénéfice de permis de séjour temporaires. (4) Le 2 juin 1999, la Division pour l'application uniforme de la loi (affaires relatives aux étrangers) a conclu que, compte tenu des informations disponibles, la décision du Secrétaire d'État à la justice était justifiée.

4.8 Selon le rapport sur le Soudan pour 1999, la situation des droits de l'homme s'était légèrement améliorée, tout en restant préoccupante. En particulier, la situation dans les zones de conflit était inquiétante. Devenues moins fréquentes, les arrestations et détentions arbitraires restaient cependant possibles en vertu de la loi sur la sécurité nationale et du Code pénal (aucune date n'est précisée).

4.9 Le 21 juillet 2000, le Ministère des affaires étrangères a publié un rapport complémentaire sur la politique d'un certain nombre de pays occidentaux en matière de renvoi des Soudanais dont la demande d'asile n'avait pas abouti. Se fondant sur les rapports pour 1999 et 2000, le Secrétaire d'État à la justice a modifié sa politique de protection catégorielle. En particulier, les membres des groupes sud-soudanais non arabes ou groupes nouba qui, avant de quitter le pays, résidaient sans être inquiétés au Nord-Soudan n'étaient plus admis au bénéfice de permis de séjour temporaires.

4.10 Selon le rapport le plus récent sur le Soudan, publié en mars 2001, la situation relative aux droits de l'homme s'était quelque peu améliorée mais restait préoccupante, en particulier dans les zones de conflit. Le Président El Bachir a remplacé la loi du Tawali de janvier 1999 par une nouvelle loi sur les partis politiques, autorisant les partis comptant au moins 100 adhérents à mener des activités politiques. Ces partis peuvent, raisonnablement, exercer leurs activités sans avoir à en pâtir. Ils ne sont toutefois pas complètement libres. Des responsables politiques, par exemple, ont à plusieurs occasions été convoqués pour interrogatoire par les services de sécurité et une arrestation a été signalée. Il n'existait cependant pas de cas de détention se prolongeant plus d'une journée ou de violences graves, comme cela se produisait auparavant. Les partis, comme l'UP et le DUP, jouissaient d'une plus grande liberté que par le passé. Des membres de l'opposition du nord étaient rentrés au Soudan, à la suite de l'«Appel de la patrie» et de l'amnistie des réfugiés politiques vivant en exil, annoncée à plusieurs reprises par le Président El Bachir et proclamée par écrit le 3 juin 2000. Aussi, la politique de l'État partie concernant l'octroi d'autorisations de séjour aux demandeurs d'asile soudanais restait-elle inchangée.

4.11 Pour ce qui est de la situation personnelle du requérant, l'État partie rappelle que ce dernier affirme avoir commencé à exercer comme avocat à Khartoum en mars 1992 et être membre du Syndicat des avocats soudanais (le «Syndicat des avocats»). En 1993, il a adhéré au Parti unioniste démocratique (DUP) appartenant à l'Alliance nationale démocratique. Le Syndicat des avocats comprenait deux fractions, dont l'une soutenait le régime au pouvoir et l'autre le DUP. Les activités menées par le requérant pour le DUP au sein du Syndicat des avocats consistaient principalement à coordonner et à organiser des réunions dans le but de renverser le régime. L'intéressé a indiqué que ses problèmes avaient commencé en juillet 1997, pendant la préparation des élections au conseil du Syndicat des avocats qui devaient se tenir en novembre de la même année. Il déclare que les autorités lui manifestaient de l'hostilité ainsi qu'à sa famille dès avant cela, parce que son beau-frère, Bashir Mustafa Bashir, avait été l'un des 29 officiers exécutés pour leur participation à une tentative de coup d'État le 28 juin 1989.

4.12 L'État partie constate que le requérant a été arrêté à quatre reprises: en juillet 1997, au cours d'une réunion sur les élections à venir tenue dans les locaux du Syndicat des avocats; en septembre 1997, quand, voulant assister à une réunion du parti à Port Soudan, il s'était adressé aux services de sécurité pour obtenir une autorisation de voyager; il avait été informé alors qu'après son arrestation de 1997 il n'était plus autorisé à voyager. Cela ne l'a pas empêché de partir, mais il a été arrêté à Sawakin et placé en détention. Trois jours plus tard, il a été jeté dans l'océan par les services de sécurité. Il affirme qu'on a ainsi cherché à l'effrayer; il a été repêché par un remorqueur, accusé de trafic d'armes et de sortie illégale du Soudan, et livré aux services de sécurité. Il a été détenu pendant sept jours avant d'être relâché. La troisième arrestation a eu lieu en novembre 1997, alors qu'il surveillait les élections au Syndicat des avocats. La dernière arrestation a eu lieu le 30 janvier 1998, pendant une manifestation. Le requérant a affirmé avoir été conduit dans une «maison fantôme», où étaient détenus les principaux opposants au régime. Il a été enfermé dans une cellule d'isolement, mesurant 0,5 m par 3 m, interrogé à deux reprises et soumis à la torture psychologique. Le 20 mars 1998, il a été interrogé par un ancien camarade de classe de l'école secondaire, qui a décidé de l'aider et lui a indiqué comment s'évader de sa cellule. Le 25 mars 1998, le requérant a quitté le Soudan en bateau depuis Port Soudan.

4.13 L'État partie rappelle que le requérant a déposé une demande d'asile et d'autorisation de séjour le 15 avril 1998. Le 12 mai 1998, il a eu un entretien avec un fonctionnaire des services de l'immigration et des naturalisations, avec le concours d'un interprète arabe, sur les raisons de sa demande d'asile. Par décision du 23 mai 1999, sa demande a été rejetée comme manifestement infondée; sa demande d'autorisation de séjour a également été rejetée. Le 17 juin, il a fait opposition de la décision du 23 mai 1999; le 10 février 2000, il a été interrogé par un comité au sujet de son objection. Celle-ci a été déclarée infondée le 14 avril 2000. Le requérant a formé un recours de cette décision le 9 mai 2000. Par un jugement en date du 29 mars 2001, le tribunal de district de La Haye a déclaré son recours non fondé.

4.14 L'État partie considère que l'existence d'un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l'homme dans un pays ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs précis donnant à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. (5) L'État partie rappelle que l'expression «motif sérieux» signifie qu'il doit exister plus qu'une simple possibilité de torture, mais qu'il n'est pas pour autant nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable pour que les conditions énoncées à l'article 3 de la Convention soient satisfaites. (6)

4.15 L'État partie invoque l'Observation générale du Comité sur l'article 3, en particulier les paragraphes 6 et 7, (7) ainsi que les constatations adoptées par le Comité dans l'affaire S. S. et S. A. c. Pays-Bas, communication no 142/1999.

4.16 En ce qui concerne le risque que son renvoi au Soudan ferait personnellement courir au requérant, l'État partie constate que la situation actuelle des droits de l'homme dans ce pays, même si elle est préoccupante, ne constitue pas un motif sérieux de croire que tous les Soudanais risquent de façon générale d'être soumis à la torture. Il renvoie aux rapports du Ministre néerlandais des affaires étrangères et à la jurisprudence du Comité.

4.17 Selon l'État partie, le fait que le requérant ait été avocat et membre du DUP ne constitue pas en soi un motif suffisant de supposer que, s'il était renvoyé au Soudan, il risquerait d'être soumis à un traitement contraire à l'article 3 de la Convention. L'État partie invoque les rapports susmentionnés du Ministre des affaires étrangères. Les militants des partis politiques ne jouissent toujours pas d'une totale liberté, mais il n'y a plus de cas de détention se prolongeant plus d'une journée ou d'autres violences graves. Qui plus est, après l'«Appel de la patrie» et la proclamation d'une amnistie, des membres importants de l'opposition du nord sont rentrés au Soudan.

4.18 Selon l'État partie, il n'est pas possible de conclure que le renvoi du requérant dans son pays d'origine aurait pour conséquence prévisible de lui faire courir personnellement un risque réel d'être torturé. Des doutes subsistent quant à la crédibilité des déclarations de l'intéressé selon lesquelles les autorités seraient mal disposées envers lui et sa famille parce que son beau-frère avait participé à une tentative de coup d'État le 23 septembre 1989. L'État partie déclare ne pas être au courant d'une telle tentative à cette date; tous ses rapports indiquaient qu'un coup d'État avait eu lieu le 30 juin 1989, sous la direction du général El Bachir, devenu depuis lors Président du Soudan. Il déclare que le requérant n'a pas suffisamment étayé l'affirmation selon laquelle les problèmes qu'il avait eus avec les autorités en 1989 résultaient des activités de son beau-frère et étaient tels qu'il devait craindre un traitement contraire à la Convention.

4.19 L'État partie rejette comme invraisemblable l'affirmation selon laquelle le requérant a été détenu du 30 janvier au 23 mars 1998. Ses déclarations auraient été contradictoires, vagues et imprécises. En particulier, le requérant a fourni des renseignements contradictoires sur le nombre de personnes présentes à ses interrogatoires.

4.20 Selon l'État partie, le requérant a été incapable de donner des renseignements détaillés sur la prison dans laquelle il était détenu et, bien qu'il y ait séjourné plus de deux mois, n'a pas pu décrire précisément sa cellule. L'État partie rejette comme invraisemblable l'affirmation selon laquelle des obstacles empêchaient l'intéressé de marcher dans sa cellule. Il est, à son avis, inimaginable qu'au cours d'une détention de près de deux mois, le requérant n'ait pas cherché à en savoir plus sur l'endroit où il se trouvait. L'intéressé aurait dû pouvoir décrire sa cellule plus en détail, ne serait-ce que parce qu'il affirme que ses repas y étaient jetés chaque jour.

4.21 L'État partie met en doute la facilité avec laquelle le requérant, selon ses dires, a pu quitter sa prison. Il soutient que le fait que d'importants opposants au régime puissent être détenus dans une prison dont les portes ne sont pas verrouillées défie l'imagination. L'État partie trouve également surprenant que le requérant ait pu partir sans se faire remarquer dans une voiture qui l'attendait à 100 mètres à peine de la prison. Enfin, l'État partie considère que le récit qu'a fait le requérant de sa détention n'est pas plausible.

4.22 L'État partie conclut que, à son sens, la présentation des faits par le requérant contient des incohérences caractérisées qui suscitent des doutes quant à la véracité de ses déclarations; ces incohérences portent sur des aspects essentiels des raisons invoquées par l'intéressé pour quitter le Soudan. L'État partie considère qu'il existe des motifs suffisants de penser qu'il est peu plausible que les autorités soudanaises soient mal disposées à l'égard du requérant et, par conséquent, que celui-ci risque d'être torturé à son retour au Soudan, ou que les raisons de croire que ce risque existe sont si sérieuses que l'intéressé se trouverait personnellement et actuellement en danger.

4.23 L'État partie affirme que, même si l'on prêtait foi aux déclarations faites par le requérant au sujet des problèmes liés aux activités qu'il menait pour le DUP au sein du Syndicat des avocats, cela ne permettrait pas de conclure que l'intéressé subirait un traitement contraire à l'article 3 de la Convention s'il rentrait maintenant au Soudan. L'État partie considère qu'il n'est pas vraisemblable que les autorités soudanaises aient été complètement au courant des activités politiques personnelles du requérant, étant donné que celui-ci les menait sous le couvert du Syndicat des avocats. Il fait également observer que, selon les déclarations du requérant lui-même, celui-ci n'a jamais été visé personnellement par une arrestation ou des mauvais traitements (dans sa propre ville, par exemple) de la part des autorités. L'intéressé a été arrêté une fois dans le cadre d'une intervention de la police visant à réprimer des troubles importants de l'ordre public et une autre fois parce qu'il avait enfreint une interdiction de voyager.

4.24 L'État partie conclut enfin que, compte tenu de la situation générale au Soudan et de la situation particulière de l'intéressé, il n'y pas de raison de considérer qu'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait à son retour au Soudan un risque prévisible, réel et personnel d'être soumis à la torture.


Commentaires du requérant

5.1 Dans ses commentaires en date du 22 décembre 2002 sur les observations de l'État partie, le requérant note que celui-ci émet certains doutes sur la crédibilité de ses déclarations, ce qui, à son avis, ne suffit pas pour remettre en cause ce qu'il affirme. Il conteste les doutes exprimés par l'État partie au sujet de sa détention du 30 janvier au 23 mars 1998. Il relève que l'État partie ne conteste pas sa participation à la manifestation du 30 janvier 1998, et estime que les contradictions relevées par l'État partie sont mineures. Il juge purement spéculatives les observations de l'État partie, qui n'a pas tenu compte du fait qu'il était détenu dans une prison secrète, c'est-à-dire dans un lieu de détention inhabituel, et qu'il est difficile d'obtenir des informations sur ces «maisons fantômes». Il objecte que l'État partie n'a pas pris en considération les circonstances de sa détention et le fait qu'il avait déjà été à l'époque victime d'actes de torture.

5.2 Selon le requérant, l'État partie n'a pas exprimé auparavant de doutes explicites sur la crédibilité de ses déclarations concernant ses première, deuxième et troisième détentions. Le requérant estime avoir fait des déclarations détaillées, cohérentes et non contradictoires.

5.3 Le requérant conteste la conclusion à laquelle arrive l'État partie au paragraphe 4.24 ci-dessus. Il rappelle, que pour commencer, les élections au Syndicat des avocats avaient un caractère hautement politique et qu'il n'est donc pas invraisemblable que les autorités aient été au courant de son engagement politique. Il réaffirme avoir été interrogé sur ses activités et prié d'y mettre fin.

5.4 Par ailleurs, le requérant déclare que les faits ne corroborent pas l'observation de l'État partie selon laquelle il n'était pas personnellement «visé». La première fois qu'il a été arrêté, interrogé et torturé, il était l'un des organisateurs et orateurs de la réunion tenue dans les locaux du Syndicat. La deuxième fois, il a été arrêté, détenu et torturé, et on lui a demandé de mettre fin à ses activités politiques, après qu'il eut enfreint une interdiction de voyager. La troisième fois, il faisait partie des personnes qui avaient décelé une tentative de fraude électorale.

5.5 Le requérant relève également que l'État partie n'a pas pris en considération, comme il l'aurait dû, le fait qu'à chacune de ses détentions il a été torturé.

5.6 Enfin, le requérant affirme que l'État partie n'a pas tenu compte, comme il l'aurait dû, du fait que les avocats se trouvant dans sa situation demeurent au Soudan un groupe en situation de risque. (8)


Délibérations du Comité

6. Avant d'examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si cette communication est recevable au titre de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention lui en fait obligation, que la même question n'a pas été et n'est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité de la requête et l'a prié de procéder à son examen quant au fond. Il conclut qu'il n'existe aucun obstacle à la recevabilité de la requête et procède à son examen sur le fond.

7.1 Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article 22 de la Convention.

7.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l'État partie manquerait ou non à l'obligation qui lui est faite par l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

7.3 Le Comité rappelle qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 3, il doit pour ce faire tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris l'existence dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit, toutefois, de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'une personne donnée risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Inversement, l'absence d'un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas que cette personne ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4 Dans le cas d'espèce, le Comité prend note des incohérences relevées par l'État partie dans le récit du requérant, ainsi que du fait que ce dernier n'a aucunement étayé l'affirmation selon laquelle il a été soumis à la torture.

7.5 Le Comité prend également note des observations de l'État partie selon lesquelles le requérant n'a fourni aucune information sur ses conditions de détention dans une «maison fantôme» et n'a pas pu décrire la cellule dans laquelle il aurait été détenu pendant plusieurs semaines. La seule réponse apportée à ces arguments par le requérant a été qu'il ne suffisait pas que l'État partie émette «certains doutes» sur la crédibilité de ses déclarations. Le Comité constate en outre que le requérant n'a pas dissipé les doutes émis par l'État partie au sujet de la facilité avec laquelle il aurait quitté la prison.

7.6 Enfin, le Comité prend note des observations de l'État partie sur l'évolution qu'a connue le système politique au Soudan au cours des cinq dernières années, concernant en particulier la légalisation des partis politiques, l'amnistie accordée aux réfugiés politiques par le Président le 3 juin 2000 et l'«Appel de la patrie» auquel d'importants membres de l'opposition ont répondu en rentrant au Soudan. Le Comité constate que le requérant n'a contesté aucun de ces arguments dans ses commentaires.

7.7 Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les renseignements fournis par le requérant ne font pas apparaître de motifs sérieux de croire qu'il courrait personnellement le risque d'être torturé s'il était renvoyé au Soudan.

8. Le Comité contre la torture, agissant en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d'avis que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation par les Pays-Bas de l'article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l'Assemblée générale.]




Notes



1. D'emblée, l'État partie informe le Comité qu'une nouvelle loi sur les étrangers est entrée en vigueur le 1er avril 2001 mais qu'elle n'a aucune incidence notable sur la situation du requérant.

2. L'État partie déclare toutefois qu'une Division pour l'application uniforme de la loi a été créée au sein du tribunal de district de La Haye, afin de renforcer la cohérence de l'application du droit en ce qui concerne les demandes d'asile et autres procédures relatives aux étrangers.

3. Les rapports sur la situation dans les pays d'origine sont établis sur la base d'informations émanant d'organisations non gouvernementales et de rapports reçus des missions diplomatiques néerlandaises.

4. L'État partie explique que ce type de mesure est connu aux Pays-Bas sous le nom de protection catégorielle (categoriale bescherming).

5. L'État partie rappelle les constatations adoptées par le Comité dans les communications nos 91/1997, A. c. Pays-Bas, et 94/1997, K. N. c. Suisse.

6. L'État partie renvoie aux constatations adoptées par le Comité dans la communication no 28/1995, E. A. c. Suisse.

7. «… 6. Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable. … 7. L'auteur doit prouver qu'il risque d'être soumis à la torture et que les motifs de croire que ce risque existe sont aussi sérieux qu'il est décrit plus haut et que le risque est encouru personnellement et actuellement. Chacune des deux parties peut soumettre toute information pertinente à l'appui de ses affirmations.».

8. Le requérant donne comme exemples un appel d'ONG et le rapport de la Représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU pour la question des défenseurs des droits de l'homme en date du 27 février 2002.



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