A.A. c. Pays-Bas, Communication No. 198/2002, U.N. Doc. CAT/C/30/D/198/2002 (2003).
Présentée par : A. A.
Au nom de : A. A.
État partie : Pays-Bas
Date de la requête : 10 octobre 2001 (date de la lettre initiale)
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 30 avril 2003,
Ayant achevé l'examen de la requête no 198/2002 présentée par M. A. A. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
CONSTATATIONS
AU TITRE DU PARAGRAPHE 7
DE L'ARTICLE 22 DE LA CONVENTION
1.1 Le requérant est A. A., de nationalité soudanaise, né le 11 novembre 1968
et séjournant actuellement aux Pays-Bas, où il a demandé l'asile. Il affirme
que son renvoi au Soudan constituerait une violation par les Pays-Bas de l'article
3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 10 janvier 2002, le Comité, agissant conformément à l'article 108 de
son règlement intérieur, a prié l'État partie de ne pas expulser le requérant
tant que sa requête serait en cours d'examen. Le 11 mars 2002, l'État partie
l'a informé qu'il respecterait cette demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant exerçait la profession d'avocat au Soudan. Il affirme que sa
sœur, Zakia, est la veuve de Bashir Mustafa Bashir, l'une des 28 personnes ayant
participé au coup d'État au Soudan en 1989, ce pour quoi M. Bashir a été exécuté.
Par la suite, la sœur du requérant a milité dans une organisation de l'opposition
œuvrant pour les familles des martyrs. À partir de 1993, le requérant a été
un membre actif du Parti unioniste démocrate (DUP) interdit, appartenant à une
coalition de partis d'opposition, al-Tajammu'al-Watani li'adat al-Dimuqratiya
(Alliance nationale démocratique). Il est membre de l'Association soudanaise
des avocats depuis 1992.
2.2 Au cours de l'été 1997, un parti progouvernemental s'est présenté contre
le DUP aux élections de l'Association soudanaise des avocats. Pendant la préparation
de cette consultation, le DUP a organisé une réunion pour ses sympathisants.
Le requérant faisait partie des organisateurs et intervenants. Il affirme que
les participants à la réunion étaient si nombreux que les autorités soudanaises
ont jugé nécessaire d'intervenir et ont arrêté plusieurs personnes, dont le
requérant. Il aurait ensuite été détenu dans un centre des services de la sûreté
de l'État à Khartoum-Bahri pendant 10 jours, au cours desquels il a été interrogé,
maltraité et torturé. Puis, il a été libéré sous condition (interdiction de
voyager).
2.3 Alors qu'il se rendait à Port Soudan pour participer à des activités du
parti d'opposition en septembre 1997, le requérant a été arrêté pour la deuxième
fois. Il a été détenu à Sawakin, où il a été interrogé et aurait reçu des menaces
de mort. Après trois jours de détention, il aurait été jeté à la mer et repêché
au bout d'un quart d'heure. Il a ensuite été conduit dans une prison où il a
été détenu pendant une semaine. Lorsqu'il a été relâché, on lui a demandé d'arrêter
ses activités politiques.
2.4 Le jour des élections, un différend a éclaté entre le parti gouvernemental
et les partisans de l'opposition à propos d'allégations de fraude électorale.
Le requérant a une nouvelle fois été arrêté et maintenu en détention pendant
trois jours, au cours desquels il aurait été torturé. Le 30 janvier 1998, il
a de nouveau été arrêté alors qu'il participait à une grande manifestation qu'il
avait contribué à organiser. Il a été conduit dans une prison secrète (dite
«maison fantôme»), où il a été gardé pendant environ deux mois. Ayant réussi
à s'échapper, il s'est enfui aux Pays-Bas, où il est arrivé le 13 avril 1998.
2.5 Le requérant a demandé l'asile aux Pays-Bas le 15 avril 1998. Le 12 mai
1998, il a été interrogé par les services de l'immigration et, le 23 mai 1999,
le Secrétaire d'État à la justice a rejeté sa demande au motif qu'elle était
manifestement non fondée. Sa demande d'autorisation de séjour pour motifs humanitaires
a également été rejetée.
2.6 Le 14 avril 2000, le Secrétaire d'État à la justice a rejeté sa demande
de révision de la décision. De plus, le recours formé par le requérant devant
le tribunal de district de La Haye a été rejeté le 29 mars 2001.
Teneur de la plainte
3. Le requérant affirme qu'il serait soumis à la torture s'il était renvoyé
au Soudan. Pour justifier ses craintes, il évoque ses précédentes détentions,
affirmant avoir été torturé à cause des activités politiques qu'il menait au
Soudan. Il invoque en outre l'existence d'un ensemble de violations systématiques
des droits de l'homme par les autorités soudanaises et renvoie à des rapports
d'organisations non gouvernementales et des documents de la Commission des droits
de l'homme de l'ONU.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Par une note verbale datée du 11 mars 2002, l'État partie a informé le Comité
qu'il ne contestait pas la recevabilité de la requête. Il a présenté ses observations
quant au fond le 9 juillet 2002.
4.2 L'État partie déclare qu'en renvoyant le requérant il ne manquerait pas
aux obligations qu'il a contractées au titre de l'article 3 de la Convention.
Il donne une description détaillée de la procédure suivie au niveau national
dans le cas d'espèce. L'admission et l'expulsion des étrangers sont réglées
par la loi de 1965 sur les étrangers, le décret sur les étrangers, le règlement
relatif aux étrangers et les directives de 1994 concernant l'application de
la loi sur les étrangers. (1)
4.3 Le premier entretien avec un demandeur d'asile a lieu dès que possible.
Il est mené sur la base d'un formulaire que le demandeur doit remplir en portant
les renseignements demandés. À ce stade, le demandeur n'est pas interrogé sur
les raisons qui l'ont poussé à quitter son pays d'origine. Un deuxième entretien
est consacré à ces motifs. Le demandeur ou son représentant reçoit copie du
compte rendu établi par le fonctionnaire chargé de l'entretien et dispose d'au
moins deux jours pour soumettre des corrections ou des renseignements complémentaires.
Une décision est ensuite prise par un fonctionnaire du Service de l'immigration
et des naturalisations au nom du Secrétaire d'État à la justice.
4.4 Lorsqu'une demande d'admission en tant que réfugié ou d'autorisation de
séjour fait l'objet d'une décision de rejet, le demandeur d'asile peut faire
opposition. La décision est alors examinée par un comité, qui interroge l'intéressé.
Si son objection est déclarée infondée, il peut former un recours auprès du
tribunal de district de La Haye, dont les décisions sont sans appel, aux termes
de la loi de 1965 sur les étrangers. (2)
4.5 L'État partie indique que le Ministre néerlandais des affaires étrangères
publie régulièrement des rapports (3) sur la situation des droits de l'homme
au Soudan. Selon le rapport publié en septembre 1998, après le coup d'État effectué
par le général Omar Hassan El Bachir le 30 juin 1989, tous les partis politiques
ont été interdits et leurs dirigeants ont quitté le pays ou poursuivaient leur
activité politique dans la clandestinité. Le Front islamique national restait
l'unique force politique influente. Depuis 1993, Omar Hassan El Bachir est le
Président du Soudan. Le Front dispose d'une large majorité au Parlement. Le
rapport notait que les arrestations arbitraires et détentions sans inculpation
étaient courantes. Les partisans des partis politiques interdits, les syndicalistes,
les avocats et les militants des droits de l'homme faisaient partie des victimes
potentielles. On connaissait des cas de «disparition» de membres de ces groupes,
qui finissaient dans les «maisons fantômes» des services de sécurité ou étaient
soumis à d'autres formes de harcèlement par ces mêmes services.
4.6 L'État partie déclare que, selon le rapport susvisé, les prisonniers politiques
étaient principalement détenus à la prison centrale de Khartoum-Nord (prison
de Kober). Au regard des normes européennes, les conditions de vie y étaient
mauvaises, mais l'interdiction de la torture était respectée. L'armée et les
services de sécurité avaient leurs propres centres de détention, où la torture
et la détention sans inculpation étaient fréquemment pratiquées. Les «maisons
fantômes» étaient des centres de détention non officiels, qui n'étaient soumis
à aucune forme de contrôle. La détention durait généralement de quelques jours
à trois semaines. Elle visait à intimider les adversaires politiques présumés;
les détenus étaient soumis à des violences mentales et physiques et à la torture.
Les attaques armées dans l'est du Soudan avaient entraîné une utilisation accrue
de ces centres au cours du premier semestre de 1997, mais après que le Gouvernement
eut repris le contrôle de la situation plus tard la même année, leur utilisation
avait diminué. Le Ministre concluait que depuis 1997 l'on discernait au Soudan
certains changements positifs. La situation n'était pas telle qu'il fût irresponsable
d'y renvoyer un Soudanais dont la demande d'admission comme réfugié ou d'autorisation
de séjour pour motifs humanitaires aurait été refusée à l'issue d'un examen
attentif.
4.7 Par lettre du 20 novembre 1998, le Secrétaire d'État à la justice a informé
la Chambre des représentants de sa décision de ne plus admettre les demandeurs
d'asile nord-soudanais au bénéfice de permis de séjour temporaires. (4) Le 2
juin 1999, la Division pour l'application uniforme de la loi (affaires relatives
aux étrangers) a conclu que, compte tenu des informations disponibles, la décision
du Secrétaire d'État à la justice était justifiée.
4.8 Selon le rapport sur le Soudan pour 1999, la situation des droits de l'homme
s'était légèrement améliorée, tout en restant préoccupante. En particulier,
la situation dans les zones de conflit était inquiétante. Devenues moins fréquentes,
les arrestations et détentions arbitraires restaient cependant possibles en
vertu de la loi sur la sécurité nationale et du Code pénal (aucune date n'est
précisée).
4.9 Le 21 juillet 2000, le Ministère des affaires étrangères a publié un rapport
complémentaire sur la politique d'un certain nombre de pays occidentaux en matière
de renvoi des Soudanais dont la demande d'asile n'avait pas abouti. Se fondant
sur les rapports pour 1999 et 2000, le Secrétaire d'État à la justice a modifié
sa politique de protection catégorielle. En particulier, les membres des groupes
sud-soudanais non arabes ou groupes nouba qui, avant de quitter le pays, résidaient
sans être inquiétés au Nord-Soudan n'étaient plus admis au bénéfice de permis
de séjour temporaires.
4.10 Selon le rapport le plus récent sur le Soudan, publié en mars 2001, la
situation relative aux droits de l'homme s'était quelque peu améliorée mais
restait préoccupante, en particulier dans les zones de conflit. Le Président
El Bachir a remplacé la loi du Tawali de janvier 1999 par une nouvelle loi sur
les partis politiques, autorisant les partis comptant au moins 100 adhérents
à mener des activités politiques. Ces partis peuvent, raisonnablement, exercer
leurs activités sans avoir à en pâtir. Ils ne sont toutefois pas complètement
libres. Des responsables politiques, par exemple, ont à plusieurs occasions
été convoqués pour interrogatoire par les services de sécurité et une arrestation
a été signalée. Il n'existait cependant pas de cas de détention se prolongeant
plus d'une journée ou de violences graves, comme cela se produisait auparavant.
Les partis, comme l'UP et le DUP, jouissaient d'une plus grande liberté que
par le passé. Des membres de l'opposition du nord étaient rentrés au Soudan,
à la suite de l'«Appel de la patrie» et de l'amnistie des réfugiés politiques
vivant en exil, annoncée à plusieurs reprises par le Président El Bachir et
proclamée par écrit le 3 juin 2000. Aussi, la politique de l'État partie concernant
l'octroi d'autorisations de séjour aux demandeurs d'asile soudanais restait-elle
inchangée.
4.11 Pour ce qui est de la situation personnelle du requérant, l'État partie
rappelle que ce dernier affirme avoir commencé à exercer comme avocat à Khartoum
en mars 1992 et être membre du Syndicat des avocats soudanais (le «Syndicat
des avocats»). En 1993, il a adhéré au Parti unioniste démocratique (DUP) appartenant
à l'Alliance nationale démocratique. Le Syndicat des avocats comprenait deux
fractions, dont l'une soutenait le régime au pouvoir et l'autre le DUP. Les
activités menées par le requérant pour le DUP au sein du Syndicat des avocats
consistaient principalement à coordonner et à organiser des réunions dans le
but de renverser le régime. L'intéressé a indiqué que ses problèmes avaient
commencé en juillet 1997, pendant la préparation des élections au conseil du
Syndicat des avocats qui devaient se tenir en novembre de la même année. Il
déclare que les autorités lui manifestaient de l'hostilité ainsi qu'à sa famille
dès avant cela, parce que son beau-frère, Bashir Mustafa Bashir, avait été l'un
des 29 officiers exécutés pour leur participation à une tentative de coup d'État
le 28 juin 1989.
4.12 L'État partie constate que le requérant a été arrêté à quatre reprises:
en juillet 1997, au cours d'une réunion sur les élections à venir tenue dans
les locaux du Syndicat des avocats; en septembre 1997, quand, voulant assister
à une réunion du parti à Port Soudan, il s'était adressé aux services de sécurité
pour obtenir une autorisation de voyager; il avait été informé alors qu'après
son arrestation de 1997 il n'était plus autorisé à voyager. Cela ne l'a pas
empêché de partir, mais il a été arrêté à Sawakin et placé en détention. Trois
jours plus tard, il a été jeté dans l'océan par les services de sécurité. Il
affirme qu'on a ainsi cherché à l'effrayer; il a été repêché par un remorqueur,
accusé de trafic d'armes et de sortie illégale du Soudan, et livré aux services
de sécurité. Il a été détenu pendant sept jours avant d'être relâché. La troisième
arrestation a eu lieu en novembre 1997, alors qu'il surveillait les élections
au Syndicat des avocats. La dernière arrestation a eu lieu le 30 janvier 1998,
pendant une manifestation. Le requérant a affirmé avoir été conduit dans une
«maison fantôme», où étaient détenus les principaux opposants au régime. Il
a été enfermé dans une cellule d'isolement, mesurant 0,5 m par 3 m, interrogé
à deux reprises et soumis à la torture psychologique. Le 20 mars 1998, il a
été interrogé par un ancien camarade de classe de l'école secondaire, qui a
décidé de l'aider et lui a indiqué comment s'évader de sa cellule. Le 25 mars
1998, le requérant a quitté le Soudan en bateau depuis Port Soudan.
4.13 L'État partie rappelle que le requérant a déposé une demande d'asile et
d'autorisation de séjour le 15 avril 1998. Le 12 mai 1998, il a eu un entretien
avec un fonctionnaire des services de l'immigration et des naturalisations,
avec le concours d'un interprète arabe, sur les raisons de sa demande d'asile.
Par décision du 23 mai 1999, sa demande a été rejetée comme manifestement infondée;
sa demande d'autorisation de séjour a également été rejetée. Le 17 juin, il
a fait opposition de la décision du 23 mai 1999; le 10 février 2000, il a été
interrogé par un comité au sujet de son objection. Celle-ci a été déclarée infondée
le 14 avril 2000. Le requérant a formé un recours de cette décision le 9 mai
2000. Par un jugement en date du 29 mars 2001, le tribunal de district de La
Haye a déclaré son recours non fondé.
4.14 L'État partie considère que l'existence d'un ensemble de violations systématiques
et flagrantes des droits de l'homme dans un pays ne constitue pas en soi une
raison suffisante pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à
la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs précis donnant
à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. (5) L'État partie
rappelle que l'expression «motif sérieux» signifie qu'il doit exister plus qu'une
simple possibilité de torture, mais qu'il n'est pas pour autant nécessaire de
montrer que le risque couru est hautement probable pour que les conditions énoncées
à l'article 3 de la Convention soient satisfaites. (6)
4.15 L'État partie invoque l'Observation générale du Comité sur l'article 3,
en particulier les paragraphes 6 et 7, (7) ainsi que les constatations adoptées
par le Comité dans l'affaire S. S. et S. A. c. Pays-Bas, communication no 142/1999.
4.16 En ce qui concerne le risque que son renvoi au Soudan ferait personnellement
courir au requérant, l'État partie constate que la situation actuelle des droits
de l'homme dans ce pays, même si elle est préoccupante, ne constitue pas un
motif sérieux de croire que tous les Soudanais risquent de façon générale d'être
soumis à la torture. Il renvoie aux rapports du Ministre néerlandais des affaires
étrangères et à la jurisprudence du Comité.
4.17 Selon l'État partie, le fait que le requérant ait été avocat et membre
du DUP ne constitue pas en soi un motif suffisant de supposer que, s'il était
renvoyé au Soudan, il risquerait d'être soumis à un traitement contraire à l'article
3 de la Convention. L'État partie invoque les rapports susmentionnés du Ministre
des affaires étrangères. Les militants des partis politiques ne jouissent toujours
pas d'une totale liberté, mais il n'y a plus de cas de détention se prolongeant
plus d'une journée ou d'autres violences graves. Qui plus est, après l'«Appel
de la patrie» et la proclamation d'une amnistie, des membres importants de l'opposition
du nord sont rentrés au Soudan.
4.18 Selon l'État partie, il n'est pas possible de conclure que le renvoi du
requérant dans son pays d'origine aurait pour conséquence prévisible de lui
faire courir personnellement un risque réel d'être torturé. Des doutes subsistent
quant à la crédibilité des déclarations de l'intéressé selon lesquelles les
autorités seraient mal disposées envers lui et sa famille parce que son beau-frère
avait participé à une tentative de coup d'État le 23 septembre 1989. L'État
partie déclare ne pas être au courant d'une telle tentative à cette date; tous
ses rapports indiquaient qu'un coup d'État avait eu lieu le 30 juin 1989, sous
la direction du général El Bachir, devenu depuis lors Président du Soudan. Il
déclare que le requérant n'a pas suffisamment étayé l'affirmation selon laquelle
les problèmes qu'il avait eus avec les autorités en 1989 résultaient des activités
de son beau-frère et étaient tels qu'il devait craindre un traitement contraire
à la Convention.
4.19 L'État partie rejette comme invraisemblable l'affirmation selon laquelle
le requérant a été détenu du 30 janvier au 23 mars 1998. Ses déclarations auraient
été contradictoires, vagues et imprécises. En particulier, le requérant a fourni
des renseignements contradictoires sur le nombre de personnes présentes à ses
interrogatoires.
4.20 Selon l'État partie, le requérant a été incapable de donner des renseignements
détaillés sur la prison dans laquelle il était détenu et, bien qu'il y ait séjourné
plus de deux mois, n'a pas pu décrire précisément sa cellule. L'État partie
rejette comme invraisemblable l'affirmation selon laquelle des obstacles empêchaient
l'intéressé de marcher dans sa cellule. Il est, à son avis, inimaginable qu'au
cours d'une détention de près de deux mois, le requérant n'ait pas cherché à
en savoir plus sur l'endroit où il se trouvait. L'intéressé aurait dû pouvoir
décrire sa cellule plus en détail, ne serait-ce que parce qu'il affirme que
ses repas y étaient jetés chaque jour.
4.21 L'État partie met en doute la facilité avec laquelle le requérant, selon
ses dires, a pu quitter sa prison. Il soutient que le fait que d'importants
opposants au régime puissent être détenus dans une prison dont les portes ne
sont pas verrouillées défie l'imagination. L'État partie trouve également surprenant
que le requérant ait pu partir sans se faire remarquer dans une voiture qui
l'attendait à 100 mètres à peine de la prison. Enfin, l'État partie considère
que le récit qu'a fait le requérant de sa détention n'est pas plausible.
4.22 L'État partie conclut que, à son sens, la présentation des faits par le
requérant contient des incohérences caractérisées qui suscitent des doutes quant
à la véracité de ses déclarations; ces incohérences portent sur des aspects
essentiels des raisons invoquées par l'intéressé pour quitter le Soudan. L'État
partie considère qu'il existe des motifs suffisants de penser qu'il est peu
plausible que les autorités soudanaises soient mal disposées à l'égard du requérant
et, par conséquent, que celui-ci risque d'être torturé à son retour au Soudan,
ou que les raisons de croire que ce risque existe sont si sérieuses que l'intéressé
se trouverait personnellement et actuellement en danger.
4.23 L'État partie affirme que, même si l'on prêtait foi aux déclarations faites
par le requérant au sujet des problèmes liés aux activités qu'il menait pour
le DUP au sein du Syndicat des avocats, cela ne permettrait pas de conclure
que l'intéressé subirait un traitement contraire à l'article 3 de la Convention
s'il rentrait maintenant au Soudan. L'État partie considère qu'il n'est pas
vraisemblable que les autorités soudanaises aient été complètement au courant
des activités politiques personnelles du requérant, étant donné que celui-ci
les menait sous le couvert du Syndicat des avocats. Il fait également observer
que, selon les déclarations du requérant lui-même, celui-ci n'a jamais été visé
personnellement par une arrestation ou des mauvais traitements (dans sa propre
ville, par exemple) de la part des autorités. L'intéressé a été arrêté une fois
dans le cadre d'une intervention de la police visant à réprimer des troubles
importants de l'ordre public et une autre fois parce qu'il avait enfreint une
interdiction de voyager.
4.24 L'État partie conclut enfin que, compte tenu de la situation générale au
Soudan et de la situation particulière de l'intéressé, il n'y pas de raison
de considérer qu'il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait
à son retour au Soudan un risque prévisible, réel et personnel d'être soumis
à la torture.
Commentaires du requérant
5.1 Dans ses commentaires en date du 22 décembre 2002 sur les observations de
l'État partie, le requérant note que celui-ci émet certains doutes sur la crédibilité
de ses déclarations, ce qui, à son avis, ne suffit pas pour remettre en cause
ce qu'il affirme. Il conteste les doutes exprimés par l'État partie au sujet
de sa détention du 30 janvier au 23 mars 1998. Il relève que l'État partie ne
conteste pas sa participation à la manifestation du 30 janvier 1998, et estime
que les contradictions relevées par l'État partie sont mineures. Il juge purement
spéculatives les observations de l'État partie, qui n'a pas tenu compte du fait
qu'il était détenu dans une prison secrète, c'est-à-dire dans un lieu de détention
inhabituel, et qu'il est difficile d'obtenir des informations sur ces «maisons
fantômes». Il objecte que l'État partie n'a pas pris en considération les circonstances
de sa détention et le fait qu'il avait déjà été à l'époque victime d'actes de
torture.
5.2 Selon le requérant, l'État partie n'a pas exprimé auparavant de doutes explicites
sur la crédibilité de ses déclarations concernant ses première, deuxième et
troisième détentions. Le requérant estime avoir fait des déclarations détaillées,
cohérentes et non contradictoires.
5.3 Le requérant conteste la conclusion à laquelle arrive l'État partie au paragraphe
4.24 ci-dessus. Il rappelle, que pour commencer, les élections au Syndicat des
avocats avaient un caractère hautement politique et qu'il n'est donc pas invraisemblable
que les autorités aient été au courant de son engagement politique. Il réaffirme
avoir été interrogé sur ses activités et prié d'y mettre fin.
5.4 Par ailleurs, le requérant déclare que les faits ne corroborent pas l'observation
de l'État partie selon laquelle il n'était pas personnellement «visé». La première
fois qu'il a été arrêté, interrogé et torturé, il était l'un des organisateurs
et orateurs de la réunion tenue dans les locaux du Syndicat. La deuxième fois,
il a été arrêté, détenu et torturé, et on lui a demandé de mettre fin à ses
activités politiques, après qu'il eut enfreint une interdiction de voyager.
La troisième fois, il faisait partie des personnes qui avaient décelé une tentative
de fraude électorale.
5.5 Le requérant relève également que l'État partie n'a pas pris en considération,
comme il l'aurait dû, le fait qu'à chacune de ses détentions il a été torturé.
5.6 Enfin, le requérant affirme que l'État partie n'a pas tenu compte, comme
il l'aurait dû, du fait que les avocats se trouvant dans sa situation demeurent
au Soudan un groupe en situation de risque. (8)
Délibérations du Comité
6. Avant d'examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la
torture doit déterminer si cette communication est recevable au titre de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l'article
22 de la Convention lui en fait obligation, que la même question n'a pas été
et n'est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d'enquête
ou de règlement. Le Comité note que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité
de la requête et l'a prié de procéder à son examen quant au fond. Il conclut
qu'il n'existe aucun obstacle à la recevabilité de la requête et procède à son
examen sur le fond.
7.1 Le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations
qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 4 de l'article
22 de la Convention.
7.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l'État
partie manquerait ou non à l'obligation qui lui est faite par l'article 3 de
la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État
où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
7.3 Le Comité rappelle qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 3, il doit
pour ce faire tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris
l'existence dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques
des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit, toutefois,
de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture
dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l'existence, dans un pays,
d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'une
personne donnée risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays.
Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait
personnellement en danger. Inversement, l'absence d'un ensemble systématique
de violations flagrantes des droits de l'homme ne signifie pas que cette personne
ne peut pas être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans
la situation particulière qui est la sienne.
7.4 Dans le cas d'espèce, le Comité prend note des incohérences relevées par
l'État partie dans le récit du requérant, ainsi que du fait que ce dernier n'a
aucunement étayé l'affirmation selon laquelle il a été soumis à la torture.
7.5 Le Comité prend également note des observations de l'État partie selon lesquelles
le requérant n'a fourni aucune information sur ses conditions de détention dans
une «maison fantôme» et n'a pas pu décrire la cellule dans laquelle il aurait
été détenu pendant plusieurs semaines. La seule réponse apportée à ces arguments
par le requérant a été qu'il ne suffisait pas que l'État partie émette «certains
doutes» sur la crédibilité de ses déclarations. Le Comité constate en outre
que le requérant n'a pas dissipé les doutes émis par l'État partie au sujet
de la facilité avec laquelle il aurait quitté la prison.
7.6 Enfin, le Comité prend note des observations de l'État partie sur l'évolution
qu'a connue le système politique au Soudan au cours des cinq dernières années,
concernant en particulier la légalisation des partis politiques, l'amnistie
accordée aux réfugiés politiques par le Président le 3 juin 2000 et l'«Appel
de la patrie» auquel d'importants membres de l'opposition ont répondu en rentrant
au Soudan. Le Comité constate que le requérant n'a contesté aucun de ces arguments
dans ses commentaires.
7.7 Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les renseignements
fournis par le requérant ne font pas apparaître de motifs sérieux de croire
qu'il courrait personnellement le risque d'être torturé s'il était renvoyé au
Soudan.
8. Le Comité contre la torture, agissant en vertu de l'article 22 de la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
est d'avis que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation
par les Pays-Bas de l'article 3 de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe.
Paraîtra aussi ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel
du Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. D'emblée, l'État partie informe le Comité qu'une nouvelle loi sur les étrangers
est entrée en vigueur le 1er avril 2001 mais qu'elle n'a aucune incidence notable
sur la situation du requérant.
2. L'État partie déclare toutefois qu'une Division pour l'application uniforme
de la loi a été créée au sein du tribunal de district de La Haye, afin de renforcer
la cohérence de l'application du droit en ce qui concerne les demandes d'asile
et autres procédures relatives aux étrangers.
3. Les rapports sur la situation dans les pays d'origine sont établis sur la
base d'informations émanant d'organisations non gouvernementales et de rapports
reçus des missions diplomatiques néerlandaises.
4. L'État partie explique que ce type de mesure est connu aux Pays-Bas sous
le nom de protection catégorielle (categoriale bescherming).
5. L'État partie rappelle les constatations adoptées par le Comité dans les
communications nos 91/1997, A. c. Pays-Bas, et 94/1997, K. N. c. Suisse.
6. L'État partie renvoie aux constatations adoptées par le Comité dans la communication
no 28/1995, E. A. c. Suisse.
7. «… 6. Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer
s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la
torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit
être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations
ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le
risque couru est hautement probable. … 7. L'auteur doit prouver qu'il risque
d'être soumis à la torture et que les motifs de croire que ce risque existe
sont aussi sérieux qu'il est décrit plus haut et que le risque est encouru personnellement
et actuellement. Chacune des deux parties peut soumettre toute information pertinente
à l'appui de ses affirmations.».
8. Le requérant donne comme exemples un appel d'ONG et le rapport de la Représentante
spéciale du Secrétaire général de l'ONU pour la question des défenseurs des
droits de l'homme en date du 27 février 2002.