X. c. Pays-Bas, Communication No. 36/1995, U.N. Doc. CAT/C/16/D/36/1995 (1996).
Présentée par : X
Au nom de : L'auteur
État partie concerné : Pays-Bas
Date de la communication : 17 novembre 1995
Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants,
Réuni le 8 mai 1996,
Ayant achevé l'examen de la communication No 36/1995 présentée au Comité
contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées
par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention
1. L'auteur de la communication est un citoyen zaïrois. Au moment où il a présenté sa communication, il était en attente d'expulsion des Pays-Bas. Il affirme que son renvoi au Zaïre constituerait une violation de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur dit être un sympathisant du parti politique appelé, l'Union
pour la démocratie et le progrès social (UDPS). En 1992, il a été arrêté
en compagnie de nombreuses autres personnes au cours d'une manifestation
et il est resté en détention pendant plusieurs jours. Selon lui, il a
été frappé à coups de corde renforcée. En 1993, il a été arrêté de nouveau
et est resté en détention pendant quelques jours. Une fois libéré, il
a quitté le pays.
2.2 L'auteur a déposé une demande d'asile politique aux Pays-Bas, qui a
été rejetée par le Secrétaire d'État à la justice. Celui-ci voulait bien
admettre que l'auteur avait été détenu à deux reprises, mais estimait
que rien n'indiquait que les autorités zaïroises voyaient en lui un opposant
politique important. À cet égard, le Secrétaire d'État a noté que l'auteur
n'avait pas subi de brimades de la part des autorités entre sa première
et sa seconde arrestation.
2.3 L'auteur a par la suite demandé le réexamen de cette décision et a
demandé au Président du Tribunal de La Haye de prendre des mesures interlocutoires
afin que son expulsion soit reportée jusqu'à ce qu'une décision sur sa
demande de réexamen soit prise. Cette requête a été rejetée. Le Président
a estimé que la situation au Zaïre ne justifiait pas une interdiction
générale d'expulsion vers ce pays. À son avis, l'auteur n'avait pas montré
en quoi il courait personnellement le risque d'être arrêté et torturé
à son retour. À ce sujet, le Président a considéré que les activités
de soutien pour l'UDPS n'avaient été que marginales et que l'auteur n'avait
pas la réputation d'être un opposant politique.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme que s'il est renvoyé de force au Zaïre, il sera assassiné
en raison de ses activités politiques. Son conseil ajoute qu'il craint
d'être arrêté et torturé.
3.2 L'auteur demande au Comité de demander aux Pays-Bas de prendre des
mesures provisoires de protection et de ne pas l'expulser tant que sa
communication serait examinée par le Comité.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond de la
communication
4.1 Dans ses observations datées du 22 janvier 1996, l'État partie reconnaît
que X a épuisé tous les recours internes et ne soulève pas d'objection
quant à la recevabilité de la communication. À la demande du Comité contre
la torture, l'auteur ne sera pas expulsé tant que sa communication sera
examinée par le Comité.
4.2 En ce qui concerne le fond, l'État partie commence par expliquer sur
la base de quels critères les Pays-Bas octroient le statut de réfugié.
Aux Pays-Bas les demandes d'asile sont traitées par le Service d'immigration
et de naturalisation qui relève du Secrétaire d'État à la justice. En
plus des renseignements fournis par l'intéressé, ce service prend en
considération, lors de l'examen des demandes individuelles d'asile, les
conclusions du Ministère néerlandais des affaires étrangères concernant
le pays d'origine du demandeur d'asile — ces conclusions sont consignées
dans des rapports du Ministère (ambtsberichten) — ainsi que les informations
fournies par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
et par des organisations comme Amnesty International.
4.3 L'État partie indique que les décisions prises concernant les demandes
d'asile peuvent être contestées devant cinq tribunaux de district (rechtbanken).
En outre, une chambre pour l'application uniforme de la loi (rechtseenheidskamer)
a été mise en place en vue d'assurer une plus grande uniformité des jugements.
Cette instance a rendu une décision normative dans le cas du Zaïre, le
3 novembre 1994.
4.4 L'État partie indique que si des facteurs médicaux entrent en ligne
de compte dans une affaire d'asile ou si le demandeur d'asile dit avoir
été victime de mauvais traitements ou de tortures, le Service d'immigration
et de naturalisation peut demander l'avis du médecin inspecteur du Ministère
de la justice. Ce médecin pourra examiner lui-même le demandeur d'asile
ou adresser une demande de renseignements au médecin qui a traité l'intéressé.
Le demandeur d'asile peut toujours demander un autre examen médical ou
consulter de son c_té le médecin de son choix.
4.5 L'État partie déclare que la situation au Zaïre est certes préoccupante
mais ne justifie pas que le non-rapatriement des demandeurs d'asile dont
la demande a été rejetée devienne un principe général. À l'appui de ce
qu'il avance, il rappelle les constatations du Comité concernant la communication
No 13/1993 Mutombo c. Suisse, constatations adoptées le 27 avril 1994,
par. 9.3 (voir Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-neuvième
session, Supplément No 44 (A/49/44), annexe V, sect. B). dans lesquelles
il a déclaré ceci : "L'existence,
dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de
l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas un motif suffisant
en soi pour affirmer qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture
à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires
de penser que l'intéressé serait personnellement en danger". L'État partie estime donc qu'il appartient aux demandeurs d'asile zaïrois d'apporter
la preuve de l'existence de faits et de circonstances propres à leur
cas qui justifient le danger encouru.
4.6 L'État partie indique que lors de l'examen de la situation de chaque
demandeur d'asile originaire du Zaïre, la règle suivie est celle qu'a
édictée la Chambre pour l'application uniforme de la loi, dans sa décision
du 3 novembre 1994 déjà mentionnée, à savoir qu'un ressortissant zaïrois
qui a déjà été détenu et qui est, par conséquent, connu des autorités
risque davantage d'être appréhendé à son retour et placé de nouveau en
détention. La Cour a estimé qu'un permis de séjour devait donc être accordé,
pour des raisons humanitaires impératives, aux demandeurs d'asile qui
peuvent apporter de manière suffisamment convaincante la preuve qu'ils
entrent dans cette catégorie. L'État partie explique à ce propos qu'il
faut entendre par détention "une
détention ayant donné matière à inscription sur un registre", c'est-à-dire une détention qui a duré un certain temps. S'il s'avère qu'une
détention a donné matière à inscription sur un registre, un permis de
séjour est accordé au demandeur d'asile pour des raisons humanitaires
impératives.
4.7 Pour ce qui est de la plainte de l'auteur, l'État partie dit que sa
demande d'asile a été examinée à la lumière de la Convention relative
au statut des réfugiés et de l'article 3 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4.8 D'après l'État partie, l'appartenance de l'auteur à l'UDPS ne suffit
pas en soi à justifier ses craintes d'être victime de persécution. La
justice a estimé que l'UDPS étant un parti d'opposition politique reconnu
au Zaïre et les activités de l'auteur dans ce parti n'ayant été que marginales,
il était peu probable que les autorités zaïroises en aient contre lui
pour cette raison. L'État partie affirme en outre que, lors de sa première
arrestation, l'auteur a reconnu qu'il avait été appréhendé tout à fait
par hasard en même temps que de nombreuses autres personnes. Sa deuxième
arrestation ne le visait pas non plus personnellement.
4.9 L'État partie affirme que, lors de son premier interrogatoire par un
fonctionnaire du Service d'immigration et de naturalisation, l'auteur
s'était plaint d'avoir été soumis à de mauvais traitements et avait montré
les cicatrices qu'il portait. Toutefois leur nature était telle que ce
fonctionnaire n'avait pas jugé bon de demander un examen médical approfondi.
Par ailleurs, l'État partie indique que ni l'intéressé ni son représentant
mandaté n'avait à aucun moment de la procédure formulé cette requête.
L'auteur n'avait pas non plus décidé de se faire examiner par un autre
médecin afin de produire un certificat médical. La Cour n'avait pas davantage
jugé utile de faire procéder à examen médical.
4.10 L'État partie partage le point de vue des tribunaux néerlandais à
savoir qu'on ne saurait, sur la base des faits invoqués, présumer que
X est tellement connu des autorités zaïroises qu'il sera arrêté s'il
retourne au Zaïre. En outre, le fait qu'il ait été remis en liberté rapidement,
après sa deuxième arrestation, donne à penser, selon l'État partie, que
les autorités zaïroises ne voient pas en lui un individu dont les agissements
feraient peser une menace sur l'État, contrairement à ce qui s'était
passé dans le cas de M. Mutombo Mutombo c. Suisse, communication No 13/1993,
constatations adoptées le 27 avril 1994. qui avait été condamné par un
tribunal militaire à une lourde peine de prison.
Observations du conseil
5.1 Dans ses observations sur la réponse de l'État partie en date du 5
mars 1995, le conseil déclare que la loi néerlandaise sur les étrangers
permet à un juge unique statuant en chambre du Conseil de se prononcer
sur la question de savoir si l'expulsion serait contraire à l'article
33 de la Convention de Genève. Si le juge déclare que la demande d'asile
politique est manifestement dénuée de fondement, la procédure prend fin.
Il ne peut alors, comme dans le cas d'espèce, ni être procédé à un réexamen
par la justice de tout le dossier ni être fait appel de la décision.
Bien que la Chambre pour l'application uniforme de la loi énonce les
règles à observer, une décision rendue par un juge unique peut conduire
à une erreur judiciaire dans des cas individuels. Le conseil rappelle
plusieurs décisions par lesquelles des personnes qui se trouvaient dans
des circonstances analogues à celles de l'auteur ont été autorisées à
demeurer aux Pays-Bas.
5.2 En outre, le conseil affirme que les sources (tenues confidentielles)
du Ministère des affaires étrangères ne sont pas dignes de foi : à plusieurs
reprises, celui-ci a indiqué, au sujet de divers demandeurs d'asile zaïrois,
que la détention n'avait pas donné matière à inscription sur un registre,
alors qu'elle avait bien été consignée.
5.3 En outre, l'auteur pense pour sa part qu'il a été fiché par le service
secret zaïrois et ne croit pas qu'il ne sera pas arrêté à son retour.
À l'appui de cette thèse, le conseil relève que chacun sait que les membres
et sympathisants de l'UDPS sont en danger lorsqu'ils sont renvoyés au
Zaïre. La position catégorique du Gouvernement néerlandais qui se déclare
en mesure d'affirmer quels demandeurs d'asile ont été fichés par les
autorités lors de leur détention a dans certains cas précis été prise
en défaut.
5.4 Enfin, le conseil présente un certificat établi par le médecin de l'auteur
qui déclare avoir constaté sur le dos de celui-ci des cicatrices qui
pourraient fort bien avoir été provoquées par des coups. Le conseil souligne
que l'État partie n'a jamais contesté que l'auteur avait été frappé pendant
sa détention. Il fait observer que si celui-ci tombait à l'aéroport entre
les mains des forces de sécurité (ce qui est probable étant donné qu'il
n'a pas de titre de voyage valable), ses cicatrices à elles seules signeraient
son appartenance à l'opposition.
Décision concernant la recevabilité et examen quant au fond
6. Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
contre la torture doit déterminer si cette communication est recevable
en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme
il y est tenu par le paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention,
que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen
par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il note
que l'État partie n'a pas soulevé d'objection quant à la recevabilité
de la communication et qu'il lui a demandé de procéder à l'examen de
la communication quant au fond. Le Comité estime donc qu'il n'existe
aucun obstacle à la recevabilité de la communication et procède à l'examen
de la communication quant au fond.
7.1 La question qui se pose au Comité est de savoir si le renvoi de l'auteur
au Zaïre violerait l'obligation qui incombe aux Pays-Bas, en vertu de
l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne
vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque
d'être soumise à la torture.
7.2 L'article 3 de la Convention se lit comme suit :
"
1. Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne
vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque
d'être soumise à la torture.
2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront
compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant,
de l'existence, dans l'État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques
des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives."
Conformément au paragraphe 1 de l'article 3, le Comité doit déterminer
s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être
soumis à la torture. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe
2 de l'article 3, tenir compte de toutes les considérations pertinentes,
y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques de l'homme,
graves, flagrantes ou massives. Il s'agit, toutefois, de déterminer si
l'intéressé risquerait d'être personnellement soumis à la torture dans
le pays dans lequel il retournerait. En conséquence, l'existence dans un
pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves,
flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour
conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour
dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que
l'intéressé serait personnellement en danger.
8. Le Comité relève que l'auteur a affirmé avoir été frappé avec une corde
renforcée de fil de fer lors de sa première détention. Bien que cette
assertion ne soit pas explicitement corroborée par le certificat médical
produit par l'auteur, le Comité est disposé à admettre que X a été maltraité
lors de sa première détention au Zaïre. Il note également que l'auteur
n'a pas affirmé avoir été torturé durant sa deuxième détention. Enfin,
il relève que les détentions de l'auteur ont été de courte durée, que
celui-ci n'a pas dit être un opposant politique actif et que rien n'indique
qu'il soit recherché par les autorités de son pays. En conséquence, le
Comité estime que l'auteur n'a pas étayé l'allégation selon laquelle
il courrait personnellement le danger d'être soumis à la torture s'il
rentrait au Zaïre.
9. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, estime que les faits dont il est saisi
ne font pas apparaître une violation de l'article 3 de la Convention.