University of Minnesota


M. B.B. (nom supprimé) c. Suède, Communication No. 104/1998, U.N. Doc. CAT/C/22/D/104/1998 (1999).


 

Présentée par : M.B.B. (nom supprimé)

Au nom de : L'auteur

État partie : Suède

Date de la communication : 12 décembre 1997

Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 5 mai 1999,

Ayant achevé l'examen de la communication No 104/1998 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui on été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 7

de l'article 22 de la Convention

 

1. L'auteur de la communication est M.B.B., de nationalité iranienne, né en 1965, qui a demandé l'asile à la Suède. Il affirme qu'il risque d'être torturé et exécuté s'il est renvoyé contre son gré en Iran. Aucun article de la Convention n'est expressément invoqué dans la communication. L'auteur n'est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l'auteur

2.1 L'auteur déclare que son père est un musulman fondamentaliste iranien et un sympathisant du régime iranien. Par son influence, l'auteur a été enr_lé par les Gardiens de la Révolution (Pasdaran) et a combattu au front pendant trois ans. Tout en assumant ses activités en tant que Gardien de la Révolution, l'auteur exerçait dans le civil le métier de mécanicien àIspahan, de manière à dissimuler à sa famille son engagement auprès des Pasdaran. Une carte d'identité de membre de la Garde nationale lui a été délivrée.

2.2 L'auteur déclare que sa situation est devenue extrêmement difficile parce qu'il refusait d'accomplir certaines tâches qui lui avaient été assignées et qu'il a décidé de quitter l'Iran pour la Suède, où sa mère et son beau-père vivaient. Il a quitté le pays muni d'un passeport valide, qu'il a obtenu moyennant une forte somme d'argent, et d'un visa de touriste que son beau-père l'avait aidé à obtenir. Il est arrivé en Suède le 26 octobre 1995, dans un état psychologique déplorable. Le 10 janvier 1996, il a demandé l'asile. Le Conseil suédois de l'immigration a rejeté sa demande le 5 septembre 1996. La Commission de recours des étrangers l'a débouté de son appel le 21 avril 1997.

2.3 En juin 1996, l'auteur s'est converti au christianisme. Des membres de sa famille qui vivent toujours en Iran lui ont fait savoir que les Pasdaran avaient délivré un mandat d'arrêt contre lui et que la Cour suprême d'Iran l'avait condamné à la peine de mort.

Teneur de la plainte

3.1 Vu son engagement passé auprès des Pasdaran et sa conversion au christianisme, l'auteur craint d'être soumis à la torture et exécuté à son retour en Iran.

Observations de l'État partie

4.1 Le 19 janvier 1998, le Comité, agissant par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a transmis la communication à l'État partie, pour observations, et lui a demandé de ne pas expulser l'auteur vers l'Iran tant que sa communication serait examinée par le Comité. Dans sa réponse du 29 juin 1998, l'État partie a informé le Comité que le 21 janvier 1998, le Conseil suédois de l'immigration avait décidé de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion jusqu'à ce que le Comité prenne une décision finale sur cette question.

4.2 S'agissant de la recevabilité de la communication, l'État partie déclare qu'à sa connaissance, la même question n'a pas été et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Il ajoute que l'article 5 b) du chapitre 2 de la loi sur les étrangers prévoit le réexamen de la question du permis de séjour. Une nouvelle demande de permis de séjour peut être déposée auprès de la Commission de recours des étrangers à tout moment. Cette demande est obligatoirement examinée par la Commission, sous réserve qu'il existe de nouveaux éléments susceptibles d'appeler une décision différente. Enfin, l'État partie, à propos du fond, soutient que la communication devrait être jugée irrecevable pour être incompatible avec les dispositions de la Convention.

4.3 Sur le fond, l'État partie fournit les informations et l'évaluation suivantes.

4.4 L'auteur a déposé une demande de permis de séjour et de travail à l'Ambassade de Suède à Téhéran le 18 mai 1995. À la rubrique "profession", il a indiqué : "Pasdar (membre de la Garde nationale) à la retraite". Il est entré en Suède le 26 octobre 1995, muni d'un visa valide pour 90 jours et a voyagé avec un passeport iranien valide. Il n'a demandé l'asile que le 10 janvier 1996. Son épouse et leurs trois enfants sont toujours en Iran.

4.5 Lors de l'enquête initiale menée après le dép_t de la première demande d'asile, l'auteur a déclaré qu'il avait travaillé au sein d'un "Sepah-Pasdaran" (groupe de Pasdaran) et qu'il avait pour tâche d'espionner les forces contre-révolutionnaires dans le Kurdistan iranien. Au cours de ses activités, il avait été formé aux méthodes de torture et il avait infligé des mauvais traitements. Il avait pris part aussi à l'exécution de personnes condamnées sans jugement. Comme il n'avait pas été jugé psychologiquement suffisamment solide pour torturer, il avait pour instruction d'extorquer des informations sur les opposants au régime et de les transmettre aux autorités. Il ne pouvait pas parler de son travail à son épouse et à leurs enfants. Il avait quitté l'Iran parce qu'il ne supportait plus de faire ce travail. Les membres des forces armées n'étant pas autorisés à détenir un passeport légalement, il en avait obtenu un moyennant le versement de pots-de-vin. Il ne savait rien de l'existence de visas de sortie. Il s'était converti au christianisme le 23 juillet 1996. Enfin, il a dit que s'il retournait en Iran, il risquait d'être exécuté.

4.6 Le 5 septembre 1996, le Conseil national de l'immigration a rejeté la demande d'asile de l'auteur. Il a noté que ce dernier avait quitté l'Iran avec un passeport et un visa de sortie iraniens valides, ce qui signifie que les autorités iraniennes ne lui portaient pas un intérêt particulier au moment de son départ. Le Conseil a déclaré que cette déduction était étayée par la demande de permis de séjour déposée antérieurement par l'auteur et dans laquelle il avait déclaré ne plus travailler pour les Pasdaran. Le Conseil a considéré qu'il était hautement improbable que l'auteur eût été autorisé à quitter l'Iran si, au moment où il l'a fait, il servait dans l'armée comme il l'a expliqué. Les informations données sur la manière dont il a versé un pot-de-vin à quelqu'un à l'aéroport au moment de son départ n'ont pas été jugées crédibles.

4.7 De plus, le Conseil a souligné que l'auteur avait attendu plus de deux mois avant de demander l'asile, ce qui porte à penser qu'il ne considérait pas que sa situation dans son pays d'origine était particulièrement grave. En conséquence, le Conseil n'a pas jugé crédible la déclaration qu'il a faite selon laquelle il court le risque d'éveiller l'intérêt des autorités s'il retourne en Iran. Le Conseil a conclu qu'il n'y avait aucune raison de croire qu'en retournant dans son pays d'origine, l'auteur risquerait de s'exposer à des formes de persécution ou de harcèlement qui motiveraient l'octroi de l'asile. Le Conseil n'a trouvé aucun autre motif justifiant l'octroi d'un permis de séjour. Il a considéré que les activités à l'exercice desquelles l'auteur a dit avoir pris part en Iran, notamment l'exécution de personnes condamnées sans jugement, sont des crimes contre l'humanité au sens de l'article 1 F de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Indépendamment de tout jugement porté sur la crédibilité de l'auteur, cet élément est un motif suffisant pour refuser l'octroi de l'asile, conformément à la Convention de 1951.

4.8 Dans le recours qu'il a formé devant la Commission de recours des étrangers, l'auteur a soutenu avoir été un "agent spécial". Il a fourni à la police de Boras, en janvier 1996, copie de deux cartes d'identité. Il ressort de l'une d'elles, délivrée par une autorité compétente, qu'il avait cessé ses fonctions d'agent spécial, bien qu'en fait cela ne fût pas le cas. Il apparaît de l'autre qu'il était toujours employé à ce titre et qu'il était encore en activité comme agent spécial. Cette carte était réservée à l'usage interne uniquement. Selon ses dires, il arrive qu'en Iran des personnes qui ont été des opposants au régime, des trafiquants de drogue ou encore qui ont exercé d'autres activités répréhensibles soient "éliminées" sans jugement. Dans ces cas-là, il recevait de ses supérieurs hiérarchiques des instructions indiquant qu'un tel, indésirable, devait disparaître. De 1988 à 1992, il a travaillé avec un groupe au sein d'un Sepha au Kurdistan et au Khuzestan. Au cours de la période 1992-1996, il a suivi une formation complémentaire dans une école de torture. Lui-même ne pratiquait cependant pas la torture, il devait seulement "regarder". Une quarantaine de fois, il a fouetté des personnes qui avaient été condamnées à la peine du fouet. Grâce à des pots-de-vin importants versés à un membre du Sepha, il a pu quitter l'Iran muni d'un passeport valide, alors qu'il n'était pas autorisé à quitter le pays.

4.9 L'auteur faisait valoir en outre que l'affirmation figurant dans la décision prise par le Conseil national de l'immigration selon laquelle il était à la retraite n'était pas exacte, parce qu'il est bien trop jeune pour être à la retraite. Il avait attendu deux mois après son arrivée en Suède avant de demander l'asile, parce qu'il était très déprimé. Il avait cependant contacté la police dès qu'il avait commencé à se sentir un peu mieux. Il se sentait depuis de nombreuses années attiré par le christianisme. En Suède, il avait suivi des cours à l'Église St. Andrews de Göteborg et s'était converti au christianisme le 23 juin 1996. Si jamais les autorités iraniennes apprenaient qu'il s'était converti au christianisme, cela signerait certainement sa mort. Il se souciait fort de ses enfants et de son épouse parce qu'il ne savait pas quelle était leur situation en Iran. Sa désertion pouvait valoir à la famille un châtiment.

4.10 Le 21 avril 1997, la Commission de recours des étrangers a débouté l'auteur de son appel. Elle a déclaré qu'il ressort du passeport de l'auteur que ce dernier est passé par le service du contr_le des passeports à l'aéroport de Téhéran, ce qui signifie que les autorités ne s'intéressaient pas particulièrement à lui au moment de son départ d'Iran. La Commission a indiqué aussi que nul ne peut quitter l'aéroport de Téhéran sans avoir été soumis à des contr_les stricts. L'affirmation selon laquelle l'auteur n'a pu quitter l'Iran qu'en versant des pots-de-vin n'a donc pas été jugée sérieuse. Parallèlement, la Commission n'a pas jugé crédibles les assertions selon lesquelles, au moment de son départ, l'auteur servait dans les forces armées et qu'il lui était donc interdit de voyager.

4.11 La Commission a signalé par ailleurs que l'auteur avait attendu plus de deux mois après son entrée en Suède pour demander l'asile, ce qui donne à penser qu'il n'estimait pas avoir vraiment besoin de protection lorsqu'il est arrivé dans ce pays. S'agissant de sa conversion, la Commission a estimé qu'un converti ne court aucun risque notable d'être en butte à des tracasseries de la part des autorités.

4.12 Le 30 octobre 1997, la Commission de recours des étrangers a examiné une nouvelle demande d'asile déposée par l'auteur, à laquelle il joignait copie d'un document, daté du 11 juin 1996, en précisant que celui-ci lui avait été remis par une connaissance et qu'il avait été obtenu moyennant le versement de pots-de-vin. L'auteur a notamment déclaré que ce document avait été établi par un "procureur près le tribunal révolutionnaire central d'Iran" et prouvait que l'auteur était recherché en Iran. Il s'agissait là d'un élément nouveau, parce que l'auteur, manifestement, n'était pas recherché par la police lorsqu'il a quitté l'Iran.

4.13 L'auteur a communiqué ultérieurement copie d'un arrêt daté du 15 juillet 1996 qui, selon ses dires, avait été rendu par le tribunal militaire suprême d'Iran. Il a déclaré qu'il avait été reconnu coupable d'avoir abandonné son poste d'officier de la sécurité au sein du Sepah, d'avoir adhéré à des groupes d'opposants à l'islam, d'avoir mis en danger la sécurité de l'État et d'avoir quitté illégalement le pays. Il a déclaré que le document lui avait été expédié d'Iran par la poste.

4.14 Le 10 juillet 1997, la Commission a décidé de surseoir à l'exécution de la décision de non-admission en Suède. Elle a ensuite demandé à l'Ambassade de Suède à Téhéran de faire procéder à une enquête sur l'arrêt susmentionné.

4.15 Dans une lettre datée du 4 septembre 1997, l'ambassade a conclu que l'arrêt et le document émanant du procureur étaient sans conteste possible des faux. Après avoir été informé de la communication de l'ambassade, l'auteur a envoyé une lettre à la Commission de recours des étrangers, insistant sur le fait qu'il avait dit la vérité et qu'il ne savait pas que les documents n'étaient pas authentiques. Il a insisté également sur le fait qu'il risquait la peine de mort s'il retournait en Iran.

4.16 Par sa décision du 30 octobre 1997, la Commission n'a pas trouvé de motif justifiant une autre évaluation que celle qui avait été exposée dans la communication de l'ambassade. Après avoir procédé à une évaluation d'ensemble des documents produits et des éléments qui avaient déjà été déduits de l'affaire, la Commission a conclu que les faits ne confirmaient pas que l'auteur avait besoin de protection en vertu de la loi sur les étrangers. De plus, elle n'a pas trouvé de motif susceptible de l'amener à considérer que l'exécution de l'arrêté d'expulsion serait contraire aux principes humanitaires. Elle a donc rejeté la nouvelle demande.

4.17 L'État partie fait valoir que pour déterminer si l'article 3 de la Convention s'applique à un cas donné, il y a lieu de tenir compte des considérations suivantes : a) la situation générale des droits de l'homme dans le pays concerné, encore que l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne soit pas en soi déterminante; b) le fait que l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé; et c) l'expression "motifs sérieux" figurant au paragraphe 1 de l'article 3 signifie que le risque qu'encourt l'intéressé d'être torturé s'il est refoulé est une "conséquence prévisible et nécessaire".

4.18 L'État partie n'est pas sans savoir que le Gouvernement de la République islamique d'Iran commettrait force violations des droits de l'homme. Il laisse au Comité le soin d'apprécier s'il existe actuellement dans ce pays un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives.

4.19 S'agissant du risque d'être personnellement soumis à la torture en Iran, l'État partie fait valoir que plusieurs dispositions de la loi sur les étrangers reprennent presque à l'identique le principe énoncé à l'article 3 de la Convention. Les autorités suédoises se sont donc livrées pratiquement à la même analyse que celle à laquelle se livre le Comité lorsqu'il applique l'article 3. Dans le cadre de cette analyse, il y a lieu de tenir compte du fait que la simple éventualité d'un acte de torture ne saurait en soi suffire à constituer une violation de l'article 3 de la Convention. Le risque doit être étayé en ce qui concerne les faits et la situation personnelle du demandeur d'asile dans la mesure où ils peuvent être objectivement déterminés.

4.20 En l'espèce, les autorités suédoises ont conclu sans équivoque possible qu'il n'existe pas de motif sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture à son retour en Iran. L'État partie partage l'évaluation à laquelle les autorités suédoises ont procédé à ce sujet et souhaite mettre en lumière certains éléments qui revêtent dans le contexte une importance particulière.

4.21 Premièrement, l'auteur a quitté l'Iran muni d'un passeport iranien valide et d'un visa de sortie. Il apparaît de son passeport que l'auteur s'est normalement présenté au contr_le lors du départ de l'aéroport de Téhéran. Compte tenu de ce que le Gouvernement sait des contr_les au départ de l'aéroport de Téhéran, cela signifie que les autorités ne s'intéressaient pas particulièrement à l'auteur au moment de son départ. Cette conclusion se trouve corroborée par la demande de permis de séjour que l'auteur avait présentée antérieurement et dans laquelle il avait déclaré ne plus travailler pour les "Pasdaran". Il est hautement improbable qu'il eût été autorisé à quitter l'Iran si, au moment de son départ, il servait dans les forces armées comme il l'a expliqué. Tout membre des forces armées qui souhaite quitter l'Iran doit obtenir une autorisation spéciale délivrée par l'autorité iranienne compétente. Aussi, l'assertion de l'auteur selon laquelle, au moment de son départ, il était membre des forces armées et tombait donc sous le coup de l'interdiction de voyager n'est-elle pas crédible. Ces éléments contredisent l'affirmation selon laquelle les autorités iraniennes portent un intérêt particulier à l'auteur.

4.22 Enfin, la communication de l'Ambassade de Suède à Téhéran montre clairement que les documents présentés par l'auteur, à savoir un arrêt de la Cour suprême d'Iran et un mandat de recherche émanant du ministère public, sont manifestement des faux. Ces éléments aussi jettent des doutes et sapent la crédibilité de l'auteur en général. De surcroît, l'auteur a attendu plus de deux mois avant de demander l'asile, ce qui indique qu'il ne considérait pas que sa situation dans son pays natal était particulièrement grave. En l'occurrence, rien n'étaye l'affirmation de l'auteur selon laquelle il risquerait d'être soumis à la torture ou à d'autres formes de mauvais traitements à son retour en Iran.

4.23 Enfin, les informations que l'auteur a communiquées sur ce qui lui est arrivé en Iran et sur d'autres points ne prouvent pas que le risque d'être arrêté ou torturé est une conséquence prévisible et nécessaire de son retour en Iran.

4.24 L'État partie fait donc valoir qu'en l'espèce il n'existe pas de motif sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture. L'exécution de l'arrêté d'expulsion vers l'Iran ne constituerait donc pas, dans les circonstances présentes, une violation de l'article 3 de la Convention.

Observations de l'auteur

5.1 Dans ses observations sur la lettre de l'État partie, l'auteur fait valoir qu'il n'a jamais dit être un "Pasdar (membre de la Garde nationale) à la retraite" et que ce malentendu est peut-être imputable à une erreur de traduction. Il insiste sur le fait qu'il est un Pasdar comme l'atteste la carte d'identité qu'il a produite devant les services suédois de l'immigration.

5.2 Avant l'octroi du visa de touriste, le correspondant de l'auteur en Suède a expliqué aux autorités suédoises que l'auteur désirait quitter l'Iran parce qu'il était membre des Pasdaran et qu'il souhaitait se convertir au christianisme. Les services de l'immigration savaient donc que l'auteur venait en Suède dans la perspective d'y résider en permanence. En outre, l'État partie lui-même a reconnu que l'auteur avait présenté une demande de permis de séjour et de permis de travail à l'Ambassade de Suède à Téhéran le 18 mai 1995. S'il a tardé, après son arrivée en Suède, à demander l'asile, c'est parce qu'il était gravement malade. Le policier qui l'a interrogé à Boras a remarqué qu'il était gravement malade.

5.3 L'auteur nie avoir déclaré aux services de l'immigration qu'il avait fouetté des personnes, qu'il avait infligé d'autres mauvais traitements ou encore qu'il avait participé à des exécutions extrajudiciaires. Il affirme avoir quitté l'Iran justement parce qu'il ne voulait pas commettre d'actes criminels.

5.4 L'État partie déclare que l'auteur a produit à la police de Boras copie de deux cartes d'identité. L'auteur, quant à lui, affirme avoir produit les originaux et non des copies et que ces cartes étaient la preuve irréfutable qu'il était membre des Pasdaran jusqu'à son départ du pays. Il est irréfutable aussi que si un Pasdar fuit l'Iran, il sera puni de la peine de mort, même à l'extérieur de l'Iran.

5.5 L'auteur conteste la déclaration de l'État partie selon laquelle les musulmans qui se convertissent au christianisme ne courent aucun risque en Iran. Certains convertis ont même été récemment exécutés. Il se plaint aussi de ce que les autorités suédoises ont informé les autorités iraniennes de sa demande d'asile, ce qui l'exposerait à un risque supplémentaire.

5.6 S'agissant des observations de l'État partie selon lesquelles un citoyen iranien doit passer par des contr_les rigoureux à l'aéroport de Téhéran, l'auteur répond que cela est vrai uniquement si l'intéressé a été signalé comme étant un suspect. En revanche, un Pasdar peut jouir de certains privilèges à l'aéroport.

5.7 À propos des documents qui se sont avérés être des faux, l'auteur soutient que lui-même n'est pas sûr de l'authenticité de ces documents, mais qu'il ne peut être tenu pour responsable de l'authenticité de documents qu'il a reçus d'Iran. Il se plaint aussi de ce que les autorités suédoises ont fait savoir aux autorités iraniennes que ces documents étaient des faux et qu'ils avaient été obtenus moyennant le versement de pots-de-vin.

5.8 Dans une nouvelle lettre, l'auteur a fait savoir au Comité que, le 16 décembre 1998, il avait formé un autre recours auprès des services d'immigration, lequel a également été rejeté.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si cette communication est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire, aux termes du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité est d'autre part d'avis que tous les recours internes ont été épuisés et conclut qu'aucun autre obstacle ne s'oppose à la recevabilité de la communication. Étant donné que et l'État partie et le conseil de l'auteur ont formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité passe à l'examen de la communication au fond.

6.2 Le Comité doit déterminer si le renvoi de l'auteur vers l'Iran contre son gré constituerait une violation de l'obligation qui incombe à la Suède au titre de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

6.3 Le Comité doit déterminer, conformément au paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture à son retour en Iran. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit cependant de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait refoulé. L'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu'une personne donnée risque d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs précis qui donnent à penser que l'intéressé courrait personnellement un risque. Parallèlement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne peut être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans son cas particulier.

6.4 Dans l'affaire à l'examen, le Comité note que le Conseil national de l'immigration a déclaré que l'auteur n'avait pas droit à l'asile selon les dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés parce qu'il avait reconnu avoir commis des crimes du type de ceux dont il est question à la section F de l'article premier de ladite Convention. Cependant, le Comité rappelle que l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est applicable, que l'intéressé ait commis des crimes ou non et quelle que soit la gravité de ceux-ci. Cela étant, la question du statut juridique de cette personne dans le pays dans lequel elle séjourne ne relève pas de la compétence du Comité.

6.5 Le Comité prend note par ailleurs de l'argument de l'État partie, selon lequel l'expression "motifs sérieux" figurant au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention signifie que le risque qu'encourt l'intéressé d'être torturé s'il est refoulé est une "conséquence prévisible et nécessaire". À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence antérieure, àsavoir que la condition de nécessité et de prévisibilité devrait être interprétée à la lumière de son observation générale sur l'application de l'article 3, qui se lit comme suit : "Étant donné que l'État partie et le Comité sont tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable" (A/53/44, annexe IX, par. 6).

6.6 Le Comité constate qu'en l'espèce l'auteur lui a fait une description de ses activités en Iran qui diffère à maints égards de celle qu'il a faite aux autorités suédoises. De l'avis du Comité, ces importantes disparités ne peuvent être entièrement attribuées à une "erreur de traduction", ainsi qu'il le laisse entendre, et jette des doutes sur sa crédibilité. Cette crédibilité est encore amoindrie par le fait qu'il a remis aux autorités suédoises copies d'un mandat d'arrêt émis par un procureur et d'un arrêt de la Cour militaire suprême d'Iran qui se sont révélés être des faux. Cela étant, le Comité estime que l'auteur n'a pas suffisamment étayé ses allégations, selon lesquelles il risquerait d'être torturé s'il retournait en Iran.

6.7 Le Comité note en outre que l'auteur n'a pas apporté suffisamment d'éléments à l'appui de son allégation, selon laquelle, en général, les Pasdaran déserteurs qui quittent le pays ainsi que les personnes qui se convertissent au christianisme courent un risque réel d'être soumis à la torture, en particulier si, pour ceux qui se convertissent, ils ne sont pas des membres en vue de la communauté chrétienne.

6.8 Le Comité note avec préoccupation les nombreux rapports faisant état de violations des droits de l'homme, y compris le recours à la torture, en Iran, mais rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention, il doit exister dans le pays vers lequel une personne est renvoyée un risque prévisible, réel et personnel pour celle-ci d'être torturée. Compte tenu des considérations ci-dessus, le Comité estime que l'existence d'un tel risque n'a pas été établie.

6.9 Sur la base des considérations qui précèdent, le Comité considère que les informations dont il est saisi ne prouvent pas qu'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque personnellement d'être soumis à la torture s'il est renvoyé en Iran.

7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation de l'article 3 de la Convention.

Note

1. Communication No 101/1997 (CAT/C/21/D/101/1997), constatations adoptées le 20 novembre 1998.



Page Principale || Traités || Recherche || Liens