A.S. (nom supprimé) c. Suède, Communication No. 149/1999, U.N. Doc. CAT/C/25/D/149/1999 (2001).
Présentée par : A. S. (nom supprimé) [représentée par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Suède
Date de la communication : 6 novembre 1999
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 24 novembre 2000,
Ayant achevé l'examen de la communication n° 149/1999 présentée au Comité en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte la décision suivante:
1.1 L'auteur de la communication est A. S., de nationalité iranienne, qui réside actuellement avec son fils en Suède, où elle demande le statut de réfugié. L'auteur et son fils sont arrivés en Suède le 23 décembre 1997 et ont déposé une demande de statut de réfugié le 29 décembre 1997. Mme S. affirme qu'elle risque d'être torturée et exécutée si elle rentre en République islamique d'Iran, et que son renvoi dans ce pays constituerait donc une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention. L'auteur est représentée par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la communication no 149/1999 à l'attention de l'État partie le 12 novembre
1999, et lui a demandé, en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement
intérieur, de ne pas expulser l'auteur vers l'Iran tant que sa communication
serait en cours d'examen. Le 12 janvier 2000, l'État partie a informé le Comité
que l'auteur ne serait pas renvoyée vers son pays d'origine tant que sa communication
serait examinée par le Comité.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur déclare qu'elle n'a jamais eu d'activités politiques en Iran. En
1981, son mari, qui était officier supérieur de l'armée de l'air iranienne,
a été tué pendant un exercice, dans des circonstances qui demeurent obscures.
Il n'a jamais été possible de déterminer si sa mort était accidentelle ou pas.
Selon l'auteur, elle-même et son mari venaient de familles de mentalité laïque,
opposées au régime des mollahs.
2.2 En 1991, le Gouvernement de la République islamique d'Iran a proclamé martyr
le défunt mari de l'auteur. L'auteur précise que le martyre a une importance
suprême pour les musulmans chiites d'Iran. Toutes les familles de martyrs sont
secourues et surveillées par une fondation, – la Bonyad-e Shahid –,
Fondation pour les martyrs, qui est une institution puissante de la société
iranienne. Ainsi, si ses conditions de vie matérielles et son statut social,
et ceux de ses deux fils, se sont considérablement améliorés, l'auteur a dû
se soumettre aux règles rigides de la société islamique encore plus scrupuleusement
qu'auparavant. L'un des objectifs de la Bonyad-e Shahid était de convaincre
les veuves de martyrs de se remarier, ce que l'auteur a refusé de faire.
2.3 À la fin de 1996, l'un des dirigeants de la Bonyad-e Shahid , le
grand ayatollah Rahimian, a finalement forcé l'auteur à l'épouser, en proférant
des menaces contre elle et ses enfants, dont le plus jeune était handicapé.
L'ayatollah était un homme puissant, et il avait la loi pour lui. L'auteur soutient
qu'elle a été forcée de contracter un mariage dit « sighe » ou « mutah
», c'est-à-dire un mariage temporaire, contracté dans son cas pour une
année et demie, dont la valeur légale n'est reconnue que par les musulmans chiites.
Elle n'était pas tenue de vivre avec son mari, mais elle devait être sexuellement
à sa disposition.
2.4 En 1997, l'auteur a rencontré un chrétien, dont elle est tombée amoureuse.
Le couple se voyait en secret puisque les femmes musulmanes n'ont pas le droit
d'avoir de relations avec des chrétiens. Une nuit, alors que l'auteur n'avait
pas pu trouver de taxi, l'homme l'a raccompagnée chez elle en voiture. Ils ont
été arrêtés à un barrage par les Pasdaran (gardiens de la révolution iranienne)
qui ont fouillé la voiture. Lorsqu'ils ont compris que l'homme était chrétien
et que l'auteur était veuve d'un martyr, ils les ont emmenés tous deux en garde
à vue au commissariat de police d'Ozghol, dans le quartier Lavison de Téhéran.
Selon l'auteur, elle n'a pas revu cet homme depuis lors mais, après son arrivée
en Suède, elle aurait appris qu'il avait reconnu l'adultère sous la torture,
et qu'il aurait ensuite été emprisonné et condamné à mort par lapidation.
2.5 L'auteur dit qu'elle a été brutalement interrogée par les soeurs Zeinab,
équivalent féminin des Pasdaran, qui enquêtent sur les femmes suspectes de «comportement
non conforme à l'Islam», et informée que son affaire aurait été portée devant
le tribunal révolutionnaire. Lorsqu'il est apparu que l'auteur était non seulement
veuve de martyr, mais aussi épouse sighe d'un puissant ayatollah,
son mari a été averti par les Pasdaran. L'auteur a été ramenée au domicile de
l'ayatollah, et celui-ci l'a battue brutalement pendant 5 à 6 heures. Au bout
de deux jours, elle a été autorisée à partir, et l'ayatollah a usé de son influence
pour faire cesser les poursuites devant le tribunal révolutionnaire.
2.6 L'auteur indique que, avant ces événements, elle avait, au prix de certaines
difficultés, obtenu un visa pour rendre visite à sa belle-sœur en Suède. Le
voyage était prévu pour le lendemain du jour où elle avait quitté le domicile
de l'ayatollah. Selon les renseignements qu'elle a fournis, l'auteur avait prévu
de poursuivre son voyage de Suède au Canada, où elle espérait émigrer avec son
amant, car celui-ci avait de la famille dans ce pays, notamment un fils. Elle
avait quitté l'Iran sans difficulté, en compagnie de son fils cadet, avec un
passeport valide et le visa qu'elle avait obtenu auparavant.
2.7 L'auteur et son fils sont arrivés en Suède le 23 décembre 1997, et ils ont
demandé l'asile le 29 décembre 1997. Le Conseil suédois de l'immigration a rejeté
la demande de l'auteur le 13 juillet 1998. La Commission de recours des étrangers
l'a déboutée le 29 octobre 1999.
2.8 L'auteur affirme que, après avoir quitté l'Iran, elle y a été condamnée
à mort par lapidation pour adultère. L'ayatollah a pris contact avec sa belle-sœur
en Suède, et lui a dit que l'auteur avait été reconnue coupable. Elle a aussi
appris que les autorités avaient trouvé dans l'appartement de son ami chrétien
des films et des photographies, qui avaient été utilisés comme preuve.
2.9 L'auteur appelle l'attention du Comité sur un rapport de l'ambassade de
Suède en Iran, où il est dit que le chapitre I de la loi iranienne sur les Hudud
«traite de l'adultère, y compris de la prostitution, et de l'inceste,
dont la preuve est rapportée par un aveu quatre fois répété ou par le témoignage
de quatre hommes justes, ou de trois hommes et de deux femmes, qui tous doivent
être témoins oculaires. La peine est capitale en cas d'inceste et dans d'autres
cas spécifiques, par exemple en cas d'adultère entre un non-musulman et une
femme musulmane. L'adultère est puni de lapidation si la personne adultère est
mariée». Ce rapport souligne encore que, même si des règles de preuve strictes
ne sont pas remplies, l'auteur peut tout de même être condamnée à mort en vertu
de la loi pénale, qui prévoit des règles de preuve plus souples.
2.10 L'auteur appelle en outre l'attention du Comité sur les documents qu'elle
a présentés à l'appui de sa demande aux autorités d'immigration suédoises, y
compris un certificat attestant son statut de femme de martyr. Elle joint aussi
un certificat médical de l'hôpital psychiatrique de Kungälvs, indiquant qu'elle
souffre d'anxiété, d'insomnie, de pensées suicidaires et qu'elle craint fortement
pour sa sécurité personnelle si elle est renvoyée en Iran. Le certificat indique
que l'auteur souffre de troubles post-traumatiques, associés à une dépression.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'elle risque
d'être torturée si elle était renvoyée en Iran. Son renvoi constituerait donc
une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention. En outre, l'auteur
affirme qu'il existe en Iran un ensemble de violations systématiques et graves
des droits de l'homme, circonstances qui doivent être prises en considération
dans la décision d'expulsion.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans sa réponse du 24 janvier 2000, l'État partie déclare qu'à sa connaissance
cette affaire n'a jamais fait l'objet d'une procédure devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement. En ce qui concerne la recevabilité
de la communication, il explique en outre que, conformément à la loi suédoise
sur les étrangers, l'auteur peut à tout moment faire une nouvelle demande de
permis de séjour auprès de la Commission de recours des étrangers, sur la base
de nouveaux éléments de fait n'ayant pas encore été examinés. Enfin, l'État
partie objecte que la communication est irrecevable pour incompatibilité avec
les dispositions de la Convention, et qu'elle est insuffisamment étayée.
4.2 Concernant le fond de la communication, l'État partie explique que, pour
déterminer si l'article 3 de la Convention est applicable, il y a lieu de tenir
compte des considérations suivantes: a) la situation générale des droits de
l'homme dans le pays concerné, encore que l'existence d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne soit
pas en soi déterminante, et b) le fait que l'intéressé risque personnellement
d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé.
4.3 L'État partie connaît les violations des droits de l'homme commises en Iran,
y compris les exécutions extrajudiciaires et sommaires, les disparitions, ainsi
que l'utilisation généralisée de la torture et autres traitements dégradants.
4.4 En ce qui concerne la question de savoir si l'auteur risquerait personnellement
d'être soumise à la torture si elle était renvoyée en Iran, l'État partie appelle
l'attention du Comité sur le fait que plusieurs dispositions de la loi suédoise
sur les étrangers reprennent le principe qui est énoncé au paragraphe 1 de l'article
3 de la Convention. L'État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon
laquelle, aux fins de l'article 3, l'individu concerné doit courir un risque
prévisible, réel et personnel d'être torturé dans le pays vers lequel il est
expulsé. L'État partie renvoie en outre à l'Observation générale du Comité sur
l'application de l'article 3, où il est dit que l'existence du risque de torture
doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations
ou soupçons, sans qu'il soit nécessaire de démontrer que le risque est hautement
probable.
4.5 L'État partie rappelle que l'auteur de la communication n'a jamais appartenu
à aucune organisation politique et qu'elle n'a pas eu d'activités politiques
dans son pays. L'auteur affirme qu'elle a été condamnée à la lapidation par
un tribunal révolutionnaire, condamnation qui, selon elle, serait exécutée si
elle était renvoyée en Iran. L'État partie indique qu'il s'en remet à l'analyse
des faits et des preuves et à l'appréciation de la crédibilité de l'auteur faites
par le Conseil suédois de l'immigration et la Commission des recours des étrangers
lorsqu'ils ont examiné la plainte de l'auteur.
4.6 Dans sa décision du 13 juillet 1998, le Conseil suédois de l'immigration
a relevé que, alors qu'elle avait bien donné les noms de son mari sighe
et de son ami chrétien, l'auteur n'avait pas fourni de renseignements
vérifiables sur plusieurs points tels que les numéros de téléphone, adresses
et noms des membres de la famille de son ami. Le Conseil de l'immigration a
jugé invraisemblable que l'auteur, comme elle le prétendait, ne connaisse pas
l'adresse exacte de son ami chrétien, et il a relevé à ce sujet que l'auteur
n'avait même pas voulu donner sa propre adresse en Iran.
4.7 Le Conseil de l'immigration a aussi noté que l'auteur, au cours de l'enquête
initiale, avait déclaré qu'un ami pasdaran lui avait donné des photos de personnes
torturées dans la prison d'Evin, photos qu'elle avait demandées «par curiosité»
et qu'elle avait donné à son ami chrétien, bien que «ne sachant pas» pourquoi
il les voulait. Le Conseil de l'immigration a jugé que les renseignements fournis
par l'auteur au sujet de cet incident manquaient de crédibilité et paraissaient
avoir été arrangés pour ne pas révéler des détails vérifiables.
4.8 Enfin, le Conseil de l'immigration avait mis en doute la crédibilité des
dires de l'auteur sur son mariage avec l'ayatollah, sa relation avec son ami
chrétien et les problèmes qui en étaient résultés.
4.9 Dans sa décision du 29 octobre 1999, la Commission de recours des étrangers
a confirmé l'appréciation du Conseil de l'immigration. Elle a en outre renvoyé
aux travaux préparatoires de la loi de 1989 sur les étrangers d'où il ressort
que l'appréciation de la demande d'un requérant d'asile doit se fonder sur les
déclarations du requérant si les affirmations de celui-ci concernant les risques
de persécution semblent plausibles et si les faits ne peuvent pas être établis.
La Commission a noté que l'auteur avait choisi de fonder sa demande d'asile
sur ses seules déclarations, sans fournir aucune preuve écrite pour les étayer,
bien qu'on lui eût dit l'importance de le faire.
4.10 En sus des décisions du Conseil de l'immigration et de la Commission de
recours des étrangers, l'État partie renvoie au Guide des procédures et critères
à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, établi par le HCR, aux termes
duquel «le demandeur doit: i) (d)ire la vérité et prêter tout son concours à
l'examinateur pour l'établissement des faits [et] ii) (s')efforcer d'apporter
à l'appui de ses affirmations tous les éléments de preuve dont il dispose et
expliquer de façon satisfaisante toute absence de preuve. Si besoin est, il
doit s'efforcer de fournir des éléments de preuve supplémentaires». Selon le
Guide du HCR, le demandeur doit avoir le bénéfice du doute mais uniquement lorsque
tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque
l'examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur.
4.11 Dans la présente affaire, l'État partie rappelle d'abord au Comité que
l'auteur a refusé de donner des renseignements vérifiables, et que les raisons
qu'elle donne pour agir ainsi – à savoir que son ami lui aurait interdit de
le faire et que de nouveaux locataires occuperaient maintenant son appartement
à Téhéran – ne sont pas plausibles.
4.12 Deuxièmement, l'État partie soutient qu'il paraît invraisemblable que l'auteur,
par simple curiosité, ait voulu avoir en sa possession des photographies de
personnes torturées. Il paraît encore plus invraisemblable qu'elle ait remis
ces photographies à quelqu'un qu'elle ne connaissait que depuis quelques mois.
En outre, l'État partie note que, bien que l'auteur affirme que les autorités
iraniennes ont en leur possession un film présentant sa dernière rencontre avec
son ami, elle n'a pas donné d'informations complémentaires sur ce point.
4.13 Le troisième élément qui fait douter de la crédibilité de l'auteur est
que l'auteur n'a remis ni copie de jugement ni aucune autre preuve à l'appui
de son affirmation selon laquelle elle aurait été condamnée pour adultère par
un tribunal révolutionnaire. Elle n'a pas donné non plus d'explications sur
les raisons pour lesquelles sa belle-sœur n'avait pas pu se procurer de copie
du jugement du tribunal révolutionnaire lorsqu'elle s'était rendue en Iran.
En outre, l'État partie note que, selon les renseignements dont il dispose,
les tribunaux révolutionnaires d'Iran ont compétence pour juger les crimes politiques
et religieux, mais non pas des crimes tels que l'adultère. Les crimes «hudud»,
autrement dit les crimes contre Dieu, y compris l'adultère, relèvent des tribunaux
ordinaires.
4.14 L'État partie appelle aussi l'attention du Comité sur le fait que l'auteur
a quitté Téhéran sans difficulté quelques jours seulement après l'incident qui
aurait entraîné son arrestation, ce qui tend à indiquer qu'elle n'intéressait
pas les autorités iraniennes au moment de son départ. De plus, l'auteur a prétendu
qu'elle avait remis son passeport à son beau-frère à son arrivée en Suède. Cependant,
l'État partie note que le numéro de son passeport est indiqué sur la demande
d'asile qu'elle a déposée six jours plus tard. L'explication donnée à cet égard
par le conseil de l'auteur au cours de la procédure suédoise d'examen de la
demande d'asile – à savoir que le numéro venait peut-être d'un séjour antérieur
fait par l'auteur en Suède en 1996 – est peu vraisemblable. Rien dans le dossier
de l'auteur n'indique que des documents concernant son séjour antérieur en Suède
aient été consultés pendant la procédure de demande d'asile.
4.15 L'État partie appelle en outre l'attention du Comité sur le fait que l'auteur
n'a cité aucun rapport médical à l'appui de sa déclaration selon laquelle elle
aurait été battue violemment par l'ayatollah Rahimian quelques jours seulement
avant son arrivée en Suède. De plus, selon les renseignements reçus par l'État
partie, le chef de la Bonyad-e Shahid était jusqu'en avril 1999 l'hojatolleslam
Mohammad Rahimian, mais celui-ci n'a pas le titre d'ayatollah.
4.16 Enfin, l'État partie ajoute que lorsque la belle-sœur de l'auteur a demandé
l'asile en Suède en 1987, elle avait déclaré que son frère, le premier mari
de l'auteur, était mort dans un accident d'avion causé par une défaillance technique,
en 1981. Dix ans plus tard, le beau-frère de l'auteur et sa famille ont également
demandé l'asile, en faisant valoir que le mari de l'auteur avait été tué parce
qu'il critiquait le régime, et que lui-même et sa famille risquaient donc d'être
persécutés s'ils étaient renvoyés en Iran. Le beau-frère et sa famille avaient
été renvoyés en Iran en novembre 1999, et l'État partie déclare n'avoir reçu
aucune information indiquant qu'ils aient été maltraités.
4.17 En s'appuyant sur les arguments qui précèdent, l'État partie maintient
que la crédibilité de l'auteur peut être contestée, qu'elle n'a présenté aucune
preuve à l'appui de sa demande, et qu'il n'y a donc pas lieu de lui donner le
bénéfice du doute. En conclusion, l'État partie considère que l'exécution de
l'ordonnance d'expulsion vers l'Iran ne constituerait pas, dans les circonstances
de l'espèce, une violation de l'article 3 de la Convention.
Observations du conseil
5.1 Dans ses réponses datées des 4 février et 6 mars 2000, l'avocate qui représente
l'auteur conteste les arguments de l'État partie qui affirme que l'auteur n'a
pas présenté de preuves écrites. Elle déclare que l'auteur a fourni les seules
preuves écrites qu'elle pouvait obtenir, à savoir ses papiers d'identité et
des documents prouvant qu'elle est la veuve d'un martyr. Elle indique que l'ayatollah
a célébré le mariage sighe ou mutah lui-même, sans témoins
et sans contrat écrit. Quant au fait que l'auteur n'a pas fourni aux autorités
d'immigration copie du jugement du tribunal, le conseil ajoute qu'elle ne dispose
que d'informations de seconde main au sujet du verdict, celui-ci ayant été prononcé
après qu'elle eut quitté l'Iran. Elle ne peut donc présenter le texte du jugement.
Le conseil conteste en outre que la belle-sœur de l'auteur aurait dû pouvoir
obtenir ce texte lorsqu'elle s'est rendue en Iran. Elle a en effet rompu depuis
longtemps toute relation avec l'auteur, à laquelle elle en veut beaucoup d'avoir
eu une relation avec un autre homme après le décès de son mari.
5.2 Le conseil reconnaît que des délits comme l'adultère sont jugés par les
tribunaux ordinaires. Néanmoins, elle appelle l'attention du Comité sur le fait
qu'en Iran les règles en matière de compétence ne sont pas aussi strictes que
dans l'État partie par exemple et que le ministère public peut choisir le tribunal.
En outre, que la veuve d'un martyr aille en voiture, non accompagnée, avec un
chrétien doit probablement constituer un «comportement non conforme à l'islam»
et, en tant que tel, relever de la compétence du tribunal révolutionnaire. Même
s'il n'en était pas ainsi, le conseil rappelle au Comité que l'auteur a seulement
été informée qu'un tribunal l'avait condamnée à mort par lapidation. N'étant
pas juriste et compte tenu de ce que lui avaient dit les sœurs Zeinab pendant
son interrogatoire, l'auteur a supposé que le jugement avait été prononcé par
le tribunal révolutionnaire; cette supposition n'est pas une raison de mettre
en doute la véracité de ses dires en général.
5.3 Le conseil affirme que l'auteur a expliqué de façon crédible pourquoi elle
ne pouvait pas ou ne voulait pas donner certaines adresses et certains numéros
de téléphone aux autorités suédoises. Premièrement, elle avait promis, par mesure
de sécurité, de ne donner le numéro de téléphone de son amant à personne et
n'entend pas manquer à sa promesse même sur la demande des autorités d'immigration.
C'était toujours le chrétien qui prenait contact avec elle sur le portable qu'il
lui avait donné à cette seule fin, et qu'elle a laissé en Iran lorsqu'elle est
partie; n'ayant jamais appelé son numéro et n'ayant donné celui-ci à personne,
l'auteur ne s'en souvient pas. De surcroît, l'adresse indiquée dans la demande
de visa est celle où l'auteur habitait, mais celle-ci a expliqué à maintes reprises
qu'il y a maintenant de nouveaux locataires et qu'elle ne veut pas qu'ils aient
des ennuis par suite d'investigations des autorités suédoises. Enfin, le conseil
souligne que l'auteur a donné des informations détaillées sur le quartier –
Aghdasiye – où vivait son amant et qu'elle a maintes fois insisté sur le fait
qu'elle n'a jamais su l'adresse exacte, car elle se rendait toujours à ses rendez-vous
secrets en prenant d'abord un taxi jusqu'à Meydon-e-Nobonyad, où une voiture
venait la prendre pour l'emmener chez son ami chrétien. Enfin, tout ce que l'auteur
a jamais su de la famille de cet homme c'est qu'il avait une sœur et un frère
vivant au Royaume-Uni et un fils, né d'un précédent mariage, qui vit au Canada.
Elle ne les a jamais rencontrés et n'a jamais demandé leurs noms.
5.4 Le conseil souligne que si les autorités suédoises ne jugent pas crédibles
les explications de l'auteur c'est parce qu'elles supposent a priori que tout
le monde se comporte et pense selon les normes suédoises ou occidentales. Les
autorités ne tiennent pas compte du fait qu'en Iran on ne divulgue qu'avec une
extrême circonspection des renseignements personnels, surtout à des agents de
l'État.
5.5 À propos des photos de victimes de la torture que l'auteur affirme avoir
remises à son amant, le conseil indique que ce fait ne diminue nullement la
crédibilité de l'auteur. Le couple entretenait une relation sérieuse et avait
l'intention de se marier et il n'y avait aucune raison que l'auteur ne communique
pas ces photos à un homme en qui elle avait une entière confiance. De surcroît,
l'auteur n'a jamais prétendu que le fait d'avoir remis les photos en question
venait étayer sa demande d'asile ou avait un rapport quelconque avec elle.
5.6 Le conseil note que l'État partie relève que l'auteur n'a pas cité de certificat
médical attestant des dommages corporels résultant des coups infligés par son
mari sighe . Elle rappelle au Comité que l'auteur a quitté l'Iran le
lendemain et que son principal souci était d'arriver en Suède saine et sauve.
En outre, la plupart des femmes iraniennes ont l'habitude de la violence masculine
et ne s'attendent pas, ou ne peuvent s'attendre à ce que le système juridique
les protège, en dépit des changements positifs qui se sont produits récemment
en Iran à cet égard. À titre d'exemple, si une femme iranienne veut signaler
un viol, elle doit être examinée par les médecins attachés au tribunal, les
certificats médicaux établis par des médecins généralistes n'étant pas accepté
par les tribunaux.
5.7 Quant au fait que le numéro du passeport de l'auteur figurait dans sa demande
d'asile, alors qu'elle a prétendu s'être débarrassée du passeport à son arrivée
en Suède, le conseil fait valoir que rien n'indique dans la demande d'asile
que le passeport de l'auteur ait été confisqué par l'agent du Conseil de l'immigration
– comme il est de règle pour garantir l'exécution d'une éventuelle mesure d'expulsion
–, fait qui semble corroborer la version des événements donnée par l'auteur.
Par ailleurs, l'auteur a affirmé que, lorsqu'elle a rempli sa demande, elle
n'a eu qu'à donner son nom, tous les autres détails nécessaires apparaissant
sur un écran d'ordinateur. Cette information a été corroborée par l'agent d'enregistrement
du service d'immigration qui a reçu sa demande d'asile: il a dit au conseil
que, ces dernières années, une personne ayant obtenu un visa de touriste est
enregistrée dans une base de données contenant toutes les informations disponibles
à son sujet, dont son numéro de passeport. Des visas de tourisme pour la Suède
ayant été accordés deux fois à l'auteur ces dernières années, sa relation des
faits est absolument correcte.
5.8 Le conseil note que l'État partie a confirmé que le mari sighe
de l'auteur était le Directeur de la Bonyad-e Shahid , ce qui devrait
corroborer les affirmations de l'auteur; il était généralement désigné par le
terme «ayatollah» bien qu'il ait eu le titre de hojatolleslam. Le conseil rappelle
au Comité que les véritables ayatollahs ne sont qu'une dizaine en Iran. La grande
majorité des mollahs ont le rang de hojatolleslam. Toutefois, ceux qui ont un
certain pouvoir, en particulier un pouvoir politique, sont souvent appelés ayatollah
par courtoisie, comme par exemple, l'ayatollah Khamenei qui, de par ses fonctions,
devait avoir le rang d'ayatollah mais n'était en fait que hojatolleslam lorsqu'il
a été nommé.
5.9 Pour ce qui est de l'argument de l'État partie qui objecte que l'auteur
a quitté l'Iran sans difficultés, le conseil fait observer qu'il concorde avec
la version donnée par l'auteur des événements qui l'ont incitée à partir. Elle
a toujours dit qu'au moment de son départ les autorités iraniennes ne s'intéressaient
pas encore à elle puisque son mari sighe avait fait disparaître le
rapport des Pasdaran au tribunal révolutionnaire.
5.10 Enfin, selon le conseil, ce que les parents du premier mari de l'auteur
ont déclaré au sujet des circonstances entourant son décès n'affecte en rien
l'argumentation de l'auteur ou sa crédibilité. On notera que l'auteur elle-même
n'a jamais dit que son mari avait été assassiné par le régime, mais seulement
qu'elle avait des doutes quant aux circonstances de son décès.
5.11 À l'appui de ses arguments, le conseil joint un certificat médical daté
du 22 novembre 1999 établi par l'un des responsables du service psychiatrique
de l'hôpital Sahlgrenska, où l'auteur a été hospitalisée après une tentative
de suicide. Elle a fait cette tentative après que la police suédoise l'eut emmenée,
avec son fils, d'un centre d'accueil pour demandeurs d'asile à un centre de
rétention de façon à garantir son expulsion. Le diagnostic était qu'elle souffrait
de dépression profonde et envisageait le suicide.
5.12 Le conseil joint également une lettre datée du 27 décembre 1999, émanant
du principal spécialiste suédois de l'Islam, M. Jan Hjärpe, qui confirme les
explications données par l'auteur au sujet de l'institution des mariages sighe
ou mutah et des sanctions prévues par la loi en cas d'adultère.
5.13 Le conseil appelle l'attention du Comité sur le fait que les autorités
d'immigration n'ont pas, lorsqu'elles ont étudié le cas de l'auteur, pris en
considération la situation des femmes en Iran, la législation en vigueur et
la façon dont elle est appliquée, ni les valeurs de la société iranienne. Leur
argumentation, qui se fonde presque exclusivement sur le fait que l'auteur n'a
pas fourni certains renseignements vérifiables, semble être un prétexte pour
rejeter la demande de l'auteur. En conclusion, selon le conseil, les renseignements
communiqués par l'auteur montrent qu'il y a des motifs sérieux de croire que,
si elle retourne en Iran, elle risque d'être soumise à la torture, et l'auteur
a fourni des explications plausibles des raisons pour lesquelles elle ne pouvait
pas ou ne voulait pas fournir certains détails.
Observations supplémentaires de l'État partie
6.1 Dans sa réponse datée du 2 mai 2000, l'État partie affirme que le Conseil
suédois de l'immigration et la Commission de recours des étrangers ont fait
procéder à une enquête approfondie sur le cas de l'auteur. Il rappelle au Comité
que durant la procédure de demande d'asile, on avait à maintes reprises rappelé
à l'auteur qu'il importait de fournir des renseignements vérifiables, mais que
celle-ci a choisi de ne pas le faire. L'État partie ne pense pas que les explications
qu'elle a données à ce sujet soient convaincantes, réaffirme qu'en principe
la charge de la preuve incombe à l'auteur et maintient que la crédibilité de
l'auteur est contestable.
6.2 Enfin, l'État partie appelle l'attention du Comité sur le fait que l'auteur
a affirmé pour la première fois avoir été condamnée à mort pour adultère lors
d'un entretien initial, en mai 1998. L'État partie estime qu'elle a donc eu
amplement le temps de présenter copie du jugement ou d'autres preuves à l'appui
de cette affirmation.
Complément d'information de l'État partie et du conseil, demandé
par le Comité
7.1. Ayant pris note des arguments avancés par l'auteur et par l'État partie
au sujet du fond de l'affaire, le Comité a demandé, par des lettres en date
du 19 et du 20 juin 2000, un complément d'information aux deux parties.
Réponse du conseil
7.2 Dans sa réponse, en date du 1er septembre 2000, l'avocate qui représente
l'auteur confirme les renseignements qu'elle a déjà donnés concernant: a) la
nature des mariages sighe ou mutah et le fait que le mariage
peut très bien se faire sans témoins et sans être enregistré devant un juge
si les deux partenaires sont en mesure de célébrer la cérémonie correctement;
b) les activités de la Bonyad-e Shahid , confirmant que les veuves
de martyrs sont présentées, sur des listes et des albums de photographies, à
ses employés et à son directeur, aux fins de mariages temporaires. Le conseil
confirme ces renseignements en joignant des lettres émanant notamment de l'Association
des prisonniers politiques iraniens en exil, du Comité de soutien pour les femmes
en Iran et d'un professeur de droit international à l'Université de Stockholm,
Said Mahmoodi.
7.3 Pour ce qui est de la peine capitale dont l'auteur est menacée, le Conseil
fait valoir que, malgré tous ses efforts, l'Association des prisonniers politiques
iraniens en exil n'a pas réussi à obtenir la preuve que l'amant chrétien de
l'auteur avait été incarcéré et que l'un et l'autre avaient été condamnés à
mort par lapidation pour adultère. L'Association et d'autres sources affirment
qu'il n'est pas possible d'obtenir ce genre de renseignement si l'on ne connaît
pas la prison, le tribunal ou le numéro du dossier.
7.4 Le conseil joint des lettres et des renseignements provenant de spécialistes
du droit islamique qui confirment que la femme sighe est soumise aux
règles concernant l'adultère et qu'elle n'a pas le droit d'avoir des relations
sexuelles avec un autre homme que son époux sighe . L'adultère avec
un chrétien est puni de mort par lapidation. Le conseil ajoute qu'en théorie
la loi exige soit quatre témoins de bonne renommée attestant que l'acte sexuel
a bien été commis soit des aveux pour que la lapidation soit ordonnée mais que
le mari sighe de l'auteur étant un homme influent, il n'aurait aucun
mal à trouver des personnes prêtes à témoigner. D'après des organisations internationales
de défense des droits de l'homme, la règle qui oblige à avoir des témoins oculaires
est rarement respectée et la lapidation pour adultère est encore fréquemment
pratiquée en Iran, malgré des réformes récentes.
7.5 L'avocate fait référence aux coups de téléphone reçus par la belle-sœur
de l'auteur (voir par. 2.8) et donne des précisions à ce sujet. Le conseil qui
représentait précédemment l'auteur avait dit aux autorités suédoises que la
belle-sœur, qui habitait en Suède, avait été contactée par l'hojatolleslam Rahimian
qui lui avait dit que l'auteur avait été reconnue coupable. Le conseil a, depuis,
pu parler directement avec la belle-sœur et affirme que la version correcte
des faits est la suivante: peu après l'arrivée de l'auteur en Suède, la belle-sœur
a été contactée par un homme furieux, qui n'a pas décliné son identité mais
voulait savoir où se trouvait l'auteur en Suède. Cet homme était agressif et
connaissait en détail le passé de l'auteur et disait qu'elle n'avait pas le
droit de quitter l'Iran. La belle-sœur a ajouté qu'elle n'avait jamais vérifié
si les tribunaux avaient rendu un jugement quand elle s'était rendue en Iran.
7.6 Pour ce qui est du complément d'information demandé par le Comité, le conseil
indique que le fils aîné de l'auteur, né en 1980, a voulu demander l'asile en
Suède, depuis le Danemark en mars 2000. Conformément à la Convention de Dublin,
il a subi un bref interrogatoire puis a été renvoyé au Danemark où il se trouve
toujours, attendant d'être interrogé par les autorités d'immigration danoises.
Étant donné que son cas n'a pas encore été examiné par les autorités danoises,
le conseil a demandé à Amnesty International d'avoir un entretien avec lui.
7.7 Les enregistrements de l'entretien confirment les déclarations de l'auteur
relatives à son mariage sighe et relatives aux convocations à se rendre
dans les locaux de la fondation Bonyad-e Shahid plusieurs fois par
semaine. Le fils dit également que quand elle est partie, sa mère lui a dit
de quitter l'école et d'aller se cacher chez des proches parents de sa mère
à Baghistan. Il a suivi des cours privés pour faire une formation de chirurgie
vétérinaire puis s'est inscrit à l'Université. Le 25 janvier 2000, il a été
convoqué au bureau d'information de l'Université par le Service des renseignements,
Harasar, et de là, deux hommes l'ont conduit au bureau de la fondation Bonyad-e
Shahid à Téhéran où il a été retenu, interrogé, menacé et frappé. D'après
lui, ceux qui l'interrogeaient voulaient savoir où se trouvait sa mère et le
menaçaient de le garder et de le frapper jusqu'à ce que sa mère revienne «en
rampant» et alors «nous exécuterons la sentence». Le fils de l'auteur dit que
c'est cet interrogatoire qui lui a fait comprendre pleinement la situation de
sa mère, même si elle ne lui avait pas parlé depuis qu'elle avait quitté le
pays.
7.8 En conclusion, le conseil maintient que même s'il n'a pas été possible d'obtenir
des preuves écrites directes pour les raisons mentionnées plus haut, il existe
suffisamment de preuves indirectes d'une telle nature qu'il ne peut y avoir
lieu de douter des propos de l'auteur. En outre l'auteur fait référence à une
décision récente de la Cour européenne des droits de l'homme, en date du 11
juillet 2000, portant sur une femme iranienne demandeur d'asile qui aurait commis
un adultère et qui craignait, si elle était renvoyée en Iran, d'être mise à
mort par lapidation ou flagellation. Comme dans le cas de l'auteur, aucune preuve
écrite n'existait – sous forme de jugement – mais la Cour européenne a statué
qu'elle «n'était pas convaincue que la situation dans le pays d'origine de la
requérante avait évolué au point qu'un comportement adultère ne soit plus considéré
comme une atteinte répréhensible grave au droit islamique. La Cour a accepté
comme établis les éléments rapportés dans des études récentes sur la situation
actuelle en Iran et note que le châtiment de l'adultère par la lapidation continue
de figurer dans le recueil des lois et peut être appliqué par les autorités»
Jabari c. Turquie (par. 40), Cour européenne des droits
de l'homme, 11 juillet 2000.. La Cour a statué que l'expulsion de la requérante
constituerait une violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales.
Réponses de l'État partie
7.9 L'État partie a envoyé deux nouvelles réponses en date du 19 septembre et
du 19 octobre 2000. Pour ce qui est des renseignements complémentaires demandés
par le Comité, l'État partie maintient sa position et réaffirme que c'est à
l'auteur qu'il appartient de présenter un dossier convaincant. Il maintient
que l'auteur n'a fourni aucune preuve à l'appui de son allégation et qu'il y
a donc lieu de douter sérieusement de la véracité de sa plainte.
7.10 En ce qui concerne le mariage sighe de l'auteur, l'État partie
confirme que la loi iranienne autorise ce genre de forme temporaire de mariage.
Il objecte que, même si les mariages sighe ne sont pas portés sur
les documents d'identité, ces contrats devraient, d'après des sources dignes
de foi, énoncer avec précision la durée pendant laquelle le mariage est valable
et être enregistrés par une autorité compétente. Dans la pratique, une autorité
religieuse peut approuver le mariage et délivrer un certificat. Étant donné
que l'auteur affirme que son mariage sighe et mutah a été
célébré par l'hojatolleslam Rahimian lui-même et qu'aucun contrat n'a été signé,
l'État partie doute que l'auteur se soit valablement et légalement mariée.
7.11 L'État partie fait observer que dans ses réponses récentes, le conseil
a joint des certificats et d'autres informations qui n'avaient jamais été soumis
à l'attention des autorités d'immigration suédoises. Vu que les nouveaux éléments
d'information semblent être avancés pour démontrer l'existence des mariages
sighe en Iran, l'État partie souligne qu'il ne met pas en doute cette
réalité ni l'existence de la fondation Bonyad-e Shahid , mais qu'il
doute, entre autres choses, que l'auteur se soit mariée selon ces modalités.
La crédibilité de l'auteur est également entamée par les contradictions relevées
dans les renseignements donnés sur les appels téléphoniques reçus par sa belle-sœur.
7.12 De plus, même si le Comité accepte les propos de l'auteur au sujet de ce
mariage, l'État partie affirme que ce seul fait ne constitue pas en soi un motif
suffisant pour conclure qu'elle risquerait d'être torturée ou mise à mort si
elle était renvoyée en Iran.
7.13 L'État partie fait valoir en outre que l'Ambassade de Suède à Téhéran affirme
ne pas pouvoir demander si c'est un juge aux affaires familiales et non le tribunal
révolutionnaire qui a rendu un jugement concernant l'auteur. En revanche, d'après
l'Ambassade, l'auteur devrait pouvoir, en mandatant quelqu'un, obtenir une copie
du jugement s'il existe ou obtenir au moins le nom du tribunal et le numéro
du dossier de l'affaire. L'État partie ajoute que seule une personne mariée
peut être condamnée pour adultère et qu'il est par conséquent improbable que
l'amant de l'auteur ait été condamné à mort, comme il est prétendu dans la communication.
7.14 De surcroît, l'État partie souligne que ni les rapports du Département
d'État des États-Unis ni ceux d'Amnesty International ne viennent confirmer
que la lapidation, comme l'affirme le conseil, est pratiquée fréquemment en
Iran.
7.15 En ce qui concerne l'arrêt de la Cour européenne cité par le conseil, l'État
partie objecte que dans cette affaire, la requérante s'était vu octroyer le
statut de réfugié par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
et que la Cour européenne s'était appuyée sur les conclusions du HCR pour se
faire une idée de la crédibilité et de la véracité de sa relation. Dans la présente
affaire, deux autorités compétentes nationales ont étudié en détail tous les
faits présentés et ne les ont pas jugés crédibles.
7.16 Enfin, en ce qui concerne les renseignements donnés par le fils de l'auteur
qui se trouve actuellement au Danemark où il a demandé l'asile, l'État partie
souligne qu'il s'agit de renseignements nouveaux, qui n'ont pas été présentés
aux autorités nationales. D'après lui, des renseignements apportés à un stade
très tardif de la procédure devraient être traités avec la plus grande circonspection.
Il relève en outre plusieurs points contradictoires dans les éléments de preuve
nouvellement apportés: pendant l'interrogatoire du fils par le Conseil suédois
de l'immigration, aucune mention n'a été faite d'un quelconque jugement ou d'une
condamnation à mort alors que, de l'avis de l'État partie, ces renseignements
auraient eu une importance dans les circonstances de l'affaire; interrogé sur
la question de savoir s'il a été ou non en possession d'un passeport, le fils
a donné des réponses contradictoires. L'État partie estime en outre peu probable
que l'auteur ait ignoré et n'ait jamais invoqué les harcèlements auxquels son
fils aurait été soumis après qu'elle eut quitté l'Iran.
Délibérations du Comité
8.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre
la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22
de la Convention. Il s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
à l'alinéa a du paragraphe 5 de l'article 22, que la même question
n'avait pas été examinée ou n'était pas en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité est en outre d'avis que
tous les recours internes sont épuisés. Il estime donc qu'il n'y a plus d'obstacles
à la recevabilité de la communication. L'État partie et l'auteur ayant chacun
formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité procède
immédiatement à l'examen quant au fond.
8.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi forcé de
l'auteur en République islamique d'Iran violerait l'obligation de la Suède,
en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une
personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque
d'être soumise à la torture.
8.3 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3
de la Convention, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait
d'être torturée à son retour en Iran. Pour prendre cette décision, le Comité
doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au
paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Le but
de son analyse est toutefois de déterminer si l'intéressée courrait personnellement
le risque d'être torturée dans le pays où elle serait renvoyée. Il s'ensuit
que l'existence dans un pays d'un ensemble de violations systématiques des droits
de l'homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison
suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être torturée
à son retour dans ce pays; il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser
que l'intéressée serait personnellement en danger. Par contre, l'absence d'un
ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne
signifie pas qu'une personne ne puisse être considérée comme risquant d'être
soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
8.4 D'après les informations soumises par l'auteur, le Comité note qu'elle est
la veuve d'un martyr et que, en tant que telle, elle est secourue et surveillée
par la Fondation pour les martyrs, la Bonyad-e Shahid . Il note aussi
que l'auteur affirme avoir été forcée de contracter un mariage dit « sighe»
ou « mutah» , et avoir été jugée et condamnée à la lapidation
pour adultère. Bien qu'ayant traité le récent témoignage du fils de l'auteur,
qui demande l'asile au Danemark, avec la plus grande prudence, le Comité est
néanmoins d'avis que les informations données viennent corroborer la version
des faits donnée par l'auteur.
8.5 Le Comité note que l'État partie met en doute la crédibilité de l'auteur
essentiellement parce qu'elle n'a pas fourni de renseignements vérifiables et
qu'il renvoie à ce propos aux normes internationales, en l'espèce au Guide des
procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, établi
par le HCR, aux termes duquel le demandeur d'asile doit s'efforcer d'apporter
à l'appui de ses affirmations tous les éléments de preuve dont il dispose et
expliquer de façon satisfaisante toute absence de preuve.
8.6 Le Comité appelle l'attention des parties sur l'Observation générale concernant
l'application de l'article 3 de la Convention dans le contexte de l'article
22 qu'il a adoptée le 21 novembre 1997, selon laquelle c'est à l'auteur de la
communication qu'il incombe de présenter des arguments défendables. Bien qu'il
ait noté la position de l'État partie, à savoir que l'auteur n'a pas, comme
elle y était tenue, présenté les renseignements vérifiables qui lui permettraient
d'avoir le bénéfice du doute, le Comité est d'avis qu'elle a fourni suffisamment
de détails au sujet de son mariage sighe ou mutah et de
son arrestation, par exemple les noms des personnes concernées, leur position,
les dates, les adresses, le nom du poste de police, etc., qui auraient pu être
et qui, dans une certaine mesure, ont été vérifiés par les services suédois
de l'immigration et qu'il y a donc déplacement de la charge de la preuve. Le
Comité estime à ce propos que l'État partie ne s'est pas suffisamment efforcé
de déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait
d'être soumise à la torture.
8.7 L'État partie ne conteste pas que des violations graves, flagrantes ou massives
des droits de l'homme ont été commises en Iran. Le Comité note, entre autres,
le rapport du Représentant spécial de la Commission des droits de l'homme chargé
d'examiner la situation des droits de l'homme en Iran (E/CN.4/2000/35 du 18
janvier 2000), dans lequel le Représentant spécial indique que si la condition
de la femme s'améliore sensiblement dans des domaines comme l'éducation et la
formation, «peu de progrès sont réalisés s'agissant des obstacles généraux qui
demeurent en matière d'égalité» et de «l'élimination des attitudes patriarcales
dans la société». Le Comité note en outre que ce rapport, et de nombreux rapports
établis par des organisations non gouvernementales, confirment que des femmes
mariées ont été récemment condamnées à mort par lapidation pour adultère.
9. Considérant que la version des événements donnée par l'auteur cadre avec
ce que le Comité sait de la situation actuelle des droits de l'homme en Iran
et que l'auteur a expliqué de manière plausible pourquoi elle n'avait pas fourni
ou n'avait pas pu fournir certains détails qui auraient pu être utiles, le Comité
est d'avis qu'en l'espèce l'État partie a l'obligation, conformément à l'article
3 de la Convention, de s'abstenir de renvoyer de force l'auteur en Iran ou dans
tout autre pays d'où elle risquerait d'être expulsée ou renvoyée en Iran.
10. Conformément au paragraphe 5 de l'article 111 de son règlement intérieur,
le Comité souhaite recevoir, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur
toute mesure que l'État partie aura prise conformément à ses constatations.