S.L. (nom supprimé) c. Suède, Communication No. 150/1999, U.N. Doc. CAT/C/26/D/150/1999 (2001).
Présentée par: S. L. (nom supprimé) [représenté
par un conseil]
Au nom de: L'auteur
État partie: Suède
Date de la communication: 5 novembre 1999
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 11 mai 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 150/1999 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
1.1 L'auteur de la communication est M. S. L., citoyen iranien vivant actuellement en Suède, où il a demandé le statut de réfugié. Il est arrivé en Suède le 8 février 1998 et a demandé l'asile le lendemain. Il affirme qu'il risquerait d'être torturé s'il est renvoyé en Iran et que son rapatriement forcé constituerait donc une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention. L'auteur est représenté par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la communication n° 150/1999 à la connaissance de l'État partie le 18
novembre 1999. Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 9 de l'article 108
de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser l'auteur
en Iran tant que sa communication serait en cours d'examen par le Comité. Le
21 décembre 1999, l'État partie a informé le Comité que l'auteur ne serait pas
renvoyé dans son pays d'origine tant que sa communication serait en cours d'examen
par le Comité.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur affirme qu'il n'a jamais eu d'activités politiques en Iran. Musulman
fervent et respecté, il a étudié l'agronomie à l'Université de Téhéran et vivait
dans l'aisance grâce aux revenus de son exploitation avicole. En décembre 1988,
une fois qu'il eut quitté l'université après quelques années d'études, l'auteur
a été appelé sous les drapeaux et a intégré à sa demande le Sepah-Pasdaran (groupe
des Gardiens de la Révolution) à Téhéran.
2.2 L'auteur explique qu'au début des années 90, les Pasdaran (Gardiens de la
Révolution) et la police ont été regroupés en une entité placée sous l'autorité
du ministre de l'intérieur. Parallèlement, un nouvel organe des forces de sécurité,
le Sepah-Pasdaran, a été créé sur ordre direct du chef suprême, l'Ayatollah
Khamenei, dont la mission est de «protéger le régime et de défendre les valeurs
de l'Islam et la révolution». Cet organe comprend également des unités de renseignement
qui sont chargées de surveiller les membres du groupe des Gardiens de la Révolution.
L'auteur a été placé dans le bureau de l'une de ces unités à Téhéran, où il
a bientôt gagné la confiance de tous ses collègues et a été nommé secrétaire
personnel du chef. À ce titre, il avait accès à tous les dossiers et armoires,
à l'exception d'une dont seul le chef avait la clef.
2.3 Un jour, le chef s'est rendu à une réunion en oubliant ses clés au bureau.
Par curiosité, l'auteur a ouvert «l'armoire secrète» et y a trouvé des dossiers
personnels contenant des informations sur des actes immoraux et des infractions
commis par des personnalités en vue, très respectées et considérées, à commencer
par l'auteur lui-même, comme des piliers de la société. Dans sa communication
au Comité, l'auteur donne des renseignements détaillés à ce sujet, dont le nom
des personnes concernées et la nature des infractions qu'elles auraient commises
(viol, trafic d'armes et de drogue et détournement de fonds).
2.4 L'auteur a fait des copies de ces dossiers qu'il a cachées chez lui. Pensant
que, si ces allégations étaient portées à la connaissance des organes appropriés,
les intéressés seraient poursuivis, condamnés et punis comme ils le méritaient,
il a envoyé anonymement en février et mars 1990 des renseignements au groupe
d'intervention des Gardiens de la Révolution, qui a procédé à des perquisitions
chez ces individus et découvert des stocks illégaux d'armes et de munitions.
L'auteur a continué d'informer de manière anonyme le groupe d'intervention,
qui a effectué d'autres perquisitions. Cependant, comme les personnes impliquées
avaient beaucoup d'influence, l'affaire a été étouffée et il n'y a eu aucune
arrestation. Convaincu de la véracité des faits imputés à ces individus, l'auteur
a également envoyé des copies des dossiers au bureau de l'Ayatollah Khamenei.
2.5 Selon l'auteur, le groupe des Gardiens de la Révolution a dû le soupçonner
car, en avril ou mai 1991, peu de temps après avoir accompli son service militaire,
l'auteur a été arrêté et retenu six mois dans l'une des prisons secrètes du
groupe, appelée «n° 59». D'après l'un des rapports médicaux fournis à l'appui
de ses affirmations, l'auteur a subi des tortures et des mauvais traitements.
Il a été menotté les mains derrière les genoux et suspendu à un bâton placé
entre ses bras et ses cuisses, sur lequel on le faisait tourner, parfois pendant
des heures. L'auteur a également indiqué qu'il recevait des coups de matraque
sur les rotules et les coudes. L'auteur a été interrogé au sujet des renseignements
envoyés anonymement, mais il a nié en bloc, sachant qu'un aveu équivaudrait
à une mort certaine. Après six mois de détention, en novembre ou décembre 1991,
il a été transféré dans un hôpital pour y être soigné puis il a été libéré sous
caution.
2.6 L'auteur affirme qu'après sa libération, il a été maintenu sous étroite
surveillance par le Sepah-Pasdaran. On lui a demandé par la suite de suivre
pour le compte de ce dernier les faits et gestes de certains des dirigeants
de la coopérative agricole d'État dont il était membre. Il devait également
accompagner les dirigeants de la coopérative quand ils se rendaient dans des
foires internationales et faire rapport sur leur comportement et leurs relations
avec les étrangers et, à cet effet, un passeport lui avait été délivré. L'auteur
a tenté de répondre aux exigences des Gardiens de la Révolution en leur fournissant
un certain nombre de renseignements, d'un intérêt toutefois limité. En août
1995, le Sepah-Pasdaran l'a arrêté une nouvelle fois et l'a conduit tout d'abord
à la prison d'Evin. L'auteur a dû donner des échantillons de son écriture, probablement
afin qu'elle puisse être comparée avec celle figurant sur l'une des enveloppes
qu'il avait utilisée pour l'envoi des renseignements. Selon ses affirmations,
l'auteur a de nouveau été torturé et a été mis au secret pendant plusieurs mois.
2.7 En juin 1996, l'auteur a été traduit en justice et condamné à une peine
d'un an de prison et à une amende pour infraction à la législation sur les chèques,
par un jugement que l'auteur a communiqué aux services suédois de l'immigration.
D'après l'auteur, les accusations ont été montées de toutes pièces. Il n'a pas
été représenté par un avocat pendant le procès et ne connaissait aucun des prétendus
plaignants. Une fois le jugement rendu, l'auteur a été transféré à la prison
de Qasar, où les conditions de détention étaient quelque peu meilleures et,
quoiqu'il y ait été soumis à de mauvais traitements, il n'a jamais été torturé.
2.8 L'auteur dit qu'il s'est évadé le 22 juin 1997. Son épouse et quelques amis
proches ont organisé son évasion en le dénonçant au procureur comme coupable
d'infractions qu'ils avaient inventées, ensuite de quoi l'auteur a été transféré
avec deux autres détenus, accompagné de deux policiers et de trois soldats pour
répondre de ces accusations devant le tribunal du district de Kosh. Les gardes
avaient été soudoyés par l'épouse et les amis de l'auteur, ce qui lui a permis
de s'échapper.
2.9 Après son évasion, l'auteur a vécu caché chez des amis à Karach. Un ami
influent de sa famille, qui avait des relations d'affaires en Allemagne, a pu
lui faire établir un visa de tourisme. Il disposait déjà d'un passeport qui
lui avait été délivré en 1991 (cf. par. 2.6). Avec l'aide d'un passeur, il a
quitté illégalement l'Iran par les montagnes kurdes pour se rendre en Turquie.
D'Ankara, il a pris en toute légalité l'avion pour l'Allemagne grâce à son visa
touristique puis s'est rendu en voiture en Suède en passant par le Danemark.
2.10 L'auteur est arrivé en Suède le 8 février 1998 et a demandé l'asile le
lendemain. Les services de l'immigration ont ordonné qu'il soit expulsé vers
l'Allemagne en vertu de la Convention de Dublin mais, avant l'exécution de l'arrêté
d'expulsion, l'auteur s'est enfui en Norvège. De Norvège, il a été reconduit
en Suède conformément à l'accord relatif à la libre circulation des personnes
conclu en 1957 par les pays nordiques. Il a été expulsé de Suède vers l'Allemagne
le 9 novembre 1998, puis renvoyé en Suède car l'Allemagne n'acceptait pas de
l'accueillir au motif qu'il avait séjourné dans un pays n'appartenant pas à
l'Union européenne après sa première entrée en Allemagne.
2.11 Le Conseil suédois de l'immigration a rejeté la demande d'asile de l'auteur
le 13 septembre 1999 et la Commission de recours des étrangers a rejeté son
recours le 4 novembre 1999.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur affirme qu'étant donné qu'il a été emprisonné et torturé dans le
passé, il existe des motifs sérieux de croire qu'il serait soumis à la torture
s'il était renvoyé en Iran. Son expulsion constituerait en conséquence une violation
par la Suède de l'article 3 de la Convention.
3.2 Le conseil fournit plusieurs certificats médicaux à l'appui des allégations
de l'auteur. L'un d'eux émane du Centre pour les survivants de la torture et
de ses séquelles, établi à Stockholm, qui indique que l'auteur souffre de troubles
post-traumatiques et qu'il existe des preuves médicales et psychologiques montrant
qu'il a été soumis à des tortures qui ont laissé des séquelles psychologiques
caractéristiques. En outre, un psychiatre a écrit dans un certificat concernant
l'auteur que «les circonstances ainsi que l'attitude et l'apparence générale
de l'auteur prises ensemble démontrent clairement […] qu'il a subi des tortures
et des sévices graves durant de longues périodes» et qu'il considérait l'auteur
comme «entièrement digne de confiance».
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Dans un mémoire daté du 21 décembre 1999, l'État partie informe le Comité
que, pour satisfaire à sa demande formulée en vertu du paragraphe 9 de l'article
108 de son règlement intérieur, le Conseil suédois de l'immigration a décidé
de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion pris à l'encontre de l'auteur
tant que sa communication serait en cours d'examen par le Comité.
4.2 Dans un mémoire daté du 2 mars 2000, l'État partie informe le Comité qu'il
ne soulève aucune objection quant à la recevabilité de la communication. Il
confirme les dires de l'auteur en ce qui concerne l'épuisement des recours internes.
4.3 S'agissant de la situation générale des droits de l'homme en Iran, l'État
partie note que bien que certains signes attestent que la société iranienne
connaît actuellement des changements susceptibles d'apporter des améliorations
dans le domaine des droits de l'homme, l'Iran semble toujours être l'un des
pays où des atteintes particulièrement graves aux droits de l'homme sont signalées.
4.4 L'État partie déclare ensuite qu'il s'abstient de déterminer si l'auteur
a suffisamment étayé son affirmation selon laquelle il risquerait la torture
s'il était expulsé, laissant au Comité le soin d'établir s'il y aurait en l'espèce
violation de l'article 3 de la Convention. L'État partie relève que, selon la
jurisprudence du Comité, le fait pour l'auteur d'une communication d'avoir été
torturé dans le passé est l'un des éléments qui doivent être pris en compte
lorsqu'il examine une plainte au titre de l'article 3 de la Convention, mais
que sa réflexion a pour but d'établir si, à l'heure actuelle , l'auteur
risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé dans son pays. L'État
partie ne conteste pas que l'auteur a été emprisonné, ni qu'il a à cette époque
subi des mauvais traitements. S'abstenant de présenter sa propre analyse à cet
égard, l'État partie renvoie le Comité aux avis émis par le Conseil suédois
de l'immigration et par la Commission de recours des étrangers.
4.5 Le Conseil suédois de l'immigration a rejeté la demande d'asile le 13 septembre
1999, estimant que les éléments avancés par l'auteur n'étaient guère crédibles.
Il mettait en doute la crédibilité de l'auteur pour les motifs suivants: i)
l'auteur n'avait pas présenté son passeport iranien ni aucun autre document
de voyage aux autorités suédoises; ii) l'auteur n'avait demandé l'asile ni en
Allemagne ni au Danemark, ce qui donnait à penser qu'il ne s'inquiétait pas
outre mesure de ce qui l'attendait dans son pays; iii) le conseil n'a guère
jugé plausible que la police de sécurité iranienne ait souhaité utiliser comme
espion une personne dont elle se méfiait; iv) les circonstances entourant l'évasion
de l'auteur de la prison où il était détenu n'étaient pas considérées comme
vraisemblables; et v) le conseil a émis des doutes sur l'authenticité du texte
de jugement condamnant l'auteur pour infraction à la législation sur les chèques.
4.6 La Commission de recours des étrangers a rejeté le recours le 4 novembre
1999. Elle n'a trouvé aucun élément permettant de douter de l'identité de l'auteur,
ni du fait que celui-ci avait été condamné par un tribunal de Téhéran pour infraction
à la législation sur les chèques ainsi que l'attestait le texte du jugement
produit, que l'ambassade de Suède à Téhéran avait fait examiner par un expert
qui avait conclu à son authenticité. Elle n'exclut pas non plus que l'auteur
ait pu être privé de liberté parce qu'il était soupçonné d'avoir commis des
infractions à la législation sur les chèques, qu'il ait purgé une peine de prison
pour ces infractions, et qu'il ait été maltraité durant sa détention. En revanche,
sur tous les autres points, elle a mis en doute la crédibilité de l'auteur pour
les mêmes motifs que le Conseil suédois de l'immigration, même à la lumière
du certificat médical produit, affirmant que l'auteur semble tout à fait digne
de confiance.
4.7 L'ambassade de Suède à Téhéran a par ailleurs signalé que les infractions
à la législation sur les chèques étaient très courantes en Iran et qu'apparemment
des milliers d'affaires de ce genre étaient pendantes devant les tribunaux de
Téhéran. L'ambassade estime possible que, dans l'ensemble, les renseignements
donnés pour expliquer sa réticence à rentrer dans son pays d'origine soient
fiables. S'agissant de son passeport, l'ambassade indique que le fait pour quelqu'un
d'avoir des ennuis judiciaires avec les autorités iraniennes ne signifie pas
nécessairement qu'on refusera de lui délivrer un passeport, mais normalement
il ne devrait pas obtenir l'autorisation de sortir du territoire.
4.8 Enfin, l'État partie relève que selon l'auteur le jugement de condamnation
pour infraction à la législation sur les chèques lui a été signifié en février
ou mars 1996, après qu'il a passé six mois en prison. Or il ressort du texte
du jugement que celui-ci a été rendu le 6 juin 1996. La Commission de recours
des étrangers a estimé que l'auteur pouvait avoir été reconnu coupable d'infraction
à la législation sur les chèques et avoir purgé une peine de prison pour cette
infraction.
Observations du conseil de l'auteur
5.1 Le conseil relève que les services de l'immigration ont fait valoir que
l'auteur n'avait pas présenté ses documents de voyage et qu'il n'était donc
pas exclu qu'il ait détruit son passeport iranien et qu'il soit sorti d'Iran
en toute légalité. Le conseil note en outre que les autorités suédoises n'estiment
pas vraisemblable que l'auteur se soit vu délivrer un passeport alors qu'il
avait éveillé les soupçons de la police secrète iranienne. S'agissant de la
première objection, le conseil déclare que lorsque les services de l'immigration
rejettent une demande en indiquant que l'auteur a pu détruire ses documents
de voyage de mauvaise foi, il s'agit d'un argument stéréotypé, systématiquement
invoqué pour mettre globalement en doute la véracité des dires d'un demandeur.
S'agissant de la deuxième objection, le conseil rappelle au Comité que l'auteur
a fourni une explication plausible de la raison pour laquelle un passeport lui
a été délivré bien qu'il fasse l'objet d'une surveillance (voir par. 2.6).
5.2 S'agissant de l'argument avancé par les services d'immigration selon lequel
il est peu vraisemblable que la police secrète demande à une personne placée
sous surveillance d'espionner pour son compte, le conseil fait valoir qu'il
est notoire que dans les régimes de dictature, la police secrète oblige volontiers
les personnes sur lesquelles elle a prise à travailler pour elle de différentes
manières.
5.3 Le conseil appelle l'attention sur les contradictions existant entre l'argumentation
du Conseil suédois de l'immigration et celle de la Commission de recours des
étrangers au sujet du jugement de condamnation pour infraction à la législation
sur les chèques. L'une des principales raisons avancées par le Conseil de l'immigration
pour mettre en doute la crédibilité de l'auteur était que l'authenticité de
ce document était douteuse. L'ambassade de Suède à Téhéran ayant établi l'authenticité
de ce jugement par voie d'expertise, la Commission de recours des étrangers
s'est alors servie de l'authenticité de ce document comme argument à l'encontre
de l'auteur, avançant que celui-ci avait été emprisonné pour infraction à la
législation sur les chèques et n'avait pas été persécuté pour des motifs politiques.
Le conseil souligne que dans les régimes d'oppression en général et en Iran
en particulier, il est courant de porter de fausses accusations pour régler
le cas de personnes considérées comme constituant une menace pour l'État tout
en donnant l'impression de respecter la loi. L'attention du Comité est appelée
sur le fait que la Commission de recours des étrangers a estimé que les déclarations
de l'auteur à ce sujet n'étaient pas crédibles, mais qu'elle n'a pas motivé
son assertion. Le conseil ajoute que pour l'auteur, il était patent qu'il avait
été jugé à la suite de fausses accusations; c'est précisément la raison pour
laquelle il avait communiqué le texte du jugement aux services suédois de l'immigration.
Nul ne s'attendrait à bénéficier de l'asile au seul motif qu'il aurait présenté
le texte d'un jugement rendu pour des faits réels.
5.4. Le conseil rappelle que la Commission de recours des étrangers ne conteste
pas que l'auteur ait été emprisonné en Iran ni que, pendant cette période, il
ait été victime de torture et de mauvais traitement.
5.5. S'agissant de l'évasion, le conseil souligne que l'auteur a fait une description
si détaillée de la façon dont les choses se sont passées qu'il n'est pas possible
d'en mettre en doute la véracité. Il a aussi donné des précisions à ce sujet
au psychiatre qui l'a examiné et celui-ci, dans son certificat médical, a consigné
que l'auteur était entièrement digne de confiance.
5.6. Les autorités suédoises demandent pourquoi l'auteur n'a pas demandé l'asile
en Allemagne si, ainsi qu'il l'affirme, il craignait d'être persécuté par les
autorités iraniennes. Le conseil fait valoir que l'auteur a donné des explications
claires et plausibles sur les raisons pour lesquelles il ne l'a pas fait. L'auteur
n'aurait pu obtenir une prorogation de son passeport ni un visa de tourisme
pour l'Allemagne sans l'aide d'un ami proche et influent de la famille qui avait
des relations d'affaires en Allemagne. L'auteur était donc résolu à ne pas demander
l'asile en Allemagne car ce faisant, il aurait probablement compromis cet ami.
L'auteur savait bien, et il est de notoriété publique, que les services de l'immigration
en Allemagne comme ailleurs prennent dûment note du nom des personnes qui se
sont portées garantes de quelqu'un qui demande l'asile après avoir obtenu un
visa de tourisme.
5.7. Enfin, le conseil souligne que les procès-verbaux du seul et unique entretien
que l'auteur a eu avec les services d'immigration suédois montrent que l'entrevue
s'est déroulée dans des conditions qui laissaient beaucoup à désirer. L'interprétation
et la traduction des déclarations de l'auteur sont mauvaises et même les interventions
en suédois sont parfois incompréhensibles. D'après les procès-verbaux, il semble
que l'auteur n'a pas pu raconter son histoire sans être constamment interrompu
par des questions provocatrices. La torture n'est pas du tout évoquée. Pour
bien montrer les insuffisances de la traduction, le conseil rapporte que la
raison pour laquelle le Conseil suédois de l'immigration a douté au départ de
l'authenticité du texte du jugement produit par l'auteur était que la traduction
donnée de ce texte lors de l'interrogatoire était inexacte, le terme «président
du tribunal» ayant été traduit par «procureur».
Délibérations du Comité
6.1. Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité
contre la torture doit déterminer si cette communication est ou non recevable
en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il
est tenu de le faire aux termes du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention,
que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant
une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité est d'autre
part d'avis que tous les recours internes ont été épuisés et conclut qu'aucun
autre obstacle ne s'oppose à la recevabilité de la communication. Étant donné
que l'État partie et l'auteur ont l'un et l'autre formulé des observations sur
le fond de la communication, le Comité passe immédiatement à l'examen de la
communication au fond.
6.2. Le Comité doit déterminer si le renvoi de l'auteur vers l'Iran contre son
gré constituerait une violation de l'obligation qui incombe à la Suède au titre
de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne
vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être
soumise à la torture.
6.3. Le Comité doit déterminer, conformément au paragraphe 1 de l'article 3
de la Convention, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risque
d'être soumis à la torture à son retour en Iran. Pour ce faire, il doit tenir
compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe
2 de l'article 3 de la Convention, y compris l'existence d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, fragrantes ou massives. Il s'agit
cependant de déterminer si l'intéressé risque personnellement d'être soumis
à la torture dans le pays vers lequel il serait refoulé. Dès lors, l'existence
d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, fragrantes
ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir
qu'une personne donnée risque d'être soumise à la torture à son retour dans
ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l'intéressé
courait personnellement un risque. Parallèlement, l'absence d'un ensemble de
violations fragrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas
qu'une personne ne peut être considérée comme risquant d'être soumise à la torture
dans son cas particulier.
6.4. Le Comité a pris note des arguments avancés par l'auteur et par l'État
partie et estime que l'auteur n'a pas apporté assez d'éléments pour lui permettre
de conclure qu'il court un risque réel et prévisible d'être personnellement
soumis à la torture s'il est renvoyé dans son pays d'origine.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, estime que l'auteur n'a pas apporté d'éléments suffisants
pour étayer ses craintes d'être soumis à la torture s'il retournait en Iran
et conclut en conséquence que la décision de l'État partie de renvoyer l'auteur
en Iran ne constitue pas une violation de l'article 3 de la Convention.