A.R. (nom supprimé) c. Suède, Communication No. 170/2000, U.N. Doc. CAT/C/27/D/170/2000 (2001).
Présentée par : A. R. (nom supprimé) [représenté par un conseil]
Au nom de : Le requérant
État partie : Suède
Date de la requête : 27 avril
2000
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 23 novembre 2001,
Adopte ce qui suit:
1.1 L'auteur de la communication, qui
est datée du 27 avril 2000, est M. A. R., ressortissant bangladais, né le 6
septembre 1966, dont la demande de statut de réfugié a été rejetée en Suède
le 19 mars 1997. Il affirme que son expulsion vers le Bangladesh constituerait
une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté
par un conseil.
1.2 L'État partie a ratifié la Convention le 8 janvier 1986 et a fait au même
moment la déclaration prévue à l'article 22 de la Convention.
1.3 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la communication à l'attention de l'État partie le 4 octobre 2000. Le
Comité, agissant en vertu du paragraphe 9 de l'article 108 de son règlement
intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser le requérant vers le
Bangladesh tant que sa communication serait examinée par le Comité. Le 21 novembre
2000, l'État partie a informé le Comité que le requérant ne serait pas renvoyé
dans son pays d'origine tant que sa communication serait en cours d'examen par
le Comité.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant dit que depuis le début des années 80, il militait dans deux
organisations l'Hindu-Buddha Christian Minority Organization et la Bangladesh
Chattra League.
2.2 À l'automne 1992, il a été agressé et maltraité par des musulmans et arrêté
par la police pour avoir participé à une manifestation. Au cours de sa garde
à vue, il aurait été torturé, frappé sur la plante des pieds et suspendu la
tête en bas. Il a été libéré grâce à l'aide de son groupe et est parti en Inde
où il est resté plusieurs mois.
2.3 Il est revenu par la suite au Bangladesh et a milité au sein d'un parti
politique le Bangladesh Sharbohara Party (BSP). Au début de 1995, il a de nouveau
été arrêté et placé en détention pendant deux mois par la police pour avoir
participé à un rassemblement politique. Pendant sa détention, il aurait été
torturé et il présente à l'appui de ses allégations un certificat médical et
psychiatrique établi au Danemark attestant qu'il portait des marques de blessures
et souffrait de troubles post-traumatiques.
2.4 Après avoir passé encore un mois en Inde, il est revenu au Bangladesh et
a été chargé des relations publiques et de la publicité du BSP.
2.5 D'autres membres de son parti lui auraient alors conseillé de quitter le
Bangladesh. Le parti a organisé et financé son départ pour la Suède en octobre
1995.
2.6 Le requérant est arrivé en Suède le 24 octobre 1995 et a demandé le statut
de réfugié. Sa demande a été rejetée par le Conseil suédois des migrations le
13 décembre 1995 et la Commission de recours des étrangers à laquelle il s'était
adressé l'a débouté le 19 mars 1997.
2.7 Le requérant a par la suite saisi de nouveau à trois reprises la Commission
de recours des étrangers en vertu de l'article 5 b du chapitre 2 de la loi suédoise
sur les étrangers, qui autorise le dépôt de nouvelles demandes devant cet organe
sur la base d'éléments de fait qui n'avaient pas été précédemment examinés par
les autorités compétentes. Les demandes du requérant ont toutes été rejetées,
la dernière par une décision en date du 9 avril 1999.
Teneur de la requête
3.1 Le requérant affirme qu'il a été soumis à la torture pendant sa détention
au Bangladesh. Il présente des certificats médicaux à l'appui de cette allégation.
3.2 Le requérant affirme que s'il était renvoyé au Bangladesh il serait de nouveau
soumis à la torture et que la décision de le renvoyer de force au Bangladesh
constitue par conséquent une violation de l'article 3 de la Convention par l'État
partie.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans une réponse datée du 21 novembre 2000, l'État partie formule ses observations
sur la recevabilité de la communication.
4.2 L'État partie attire principalement l'attention du Comité sur la règle de
l'épuisement des recours internes et sur le fait que la décision de renvoi du
requérant a acquis force de loi dès l'instant où la Commission de recours des
étrangers a rejeté sa demande le 19 mars 1997 mais que, conformément à l'article
15 du chapitre 8 de la loi suédoise sur les étrangers, cette décision est tombée
sous le coup de la prescription au bout de quatre ans, soit le 19 mars 2001.
Lorsque le Comité examinerait la présente requête, la décision de renvoi ne
serait donc plus exécutoire (1).
4.3 L'État partie affirme donc que si le requérant voulait toujours obtenir
un permis de résidence en Suède, il devrait déposer une nouvelle demande auprès
du Conseil suédois des migrations, lequel devrait tenir compte de toutes les
circonstances invoquées par le requérant qu'elles aient ou non été déjà examinées
(2). La décision prise serait aussi susceptible de recours devant la Commission
de recours des étrangers.
4.4 L'État partie renvoie à cet égard à une décision antérieure du Comité (J.
M. U. M. c. Suède, communication no 58/1996) dans laquelle celui-ci a décidé
que la communication était irrecevable pour non-épuisement des recours internes
parce que la nouvelle demande qui avait été déposée après que la décision d'expulsion
initiale eut cessé d'être exécutoire était toujours pendante devant le Conseil
suédois des migrations.
4.5 L'État partie estime aussi que la communication pourrait être déclarée irrecevable
pour incompatibilité avec les dispositions de la Convention, conformément au
paragraphe 2 de l'article 22, parce qu'il n'existe plus d'ordre d'expulsion
exécutoire.
Commentaires du conseil
5.1 Dans une réponse datée du 28 décembre 2000, le requérant a fait part de
ses commentaires sur les observations de l'État partie.
5.2 Le requérant affirme que, s'il avait déposé une nouvelle demande d'asile,
il aurait été placé en détention et le Conseil suédois des migrations aurait
probablement pris la décision de le renvoyer au Bangladesh même si cette décision
avait fait l'objet d'un recours. Il fait valoir qu'il n'a en fait aucune chance
de se voir accorder le statut de réfugié en Suède parce que la situation au
Bangladesh n'a pas changé depuis l'adoption de la décision de la Commission
de recours des étrangers du 19 mars 1997 et que les autorités d'immigration
de l'État partie se trouveraient dans la même situation qu'à l'origine. Il n'a
aucune chance non plus d'obtenir un permis de résidence pour motifs humanitaires
pour les mêmes raisons. On lui reprocherait au contraire de s'être caché et
de ne pas s'être conformé à la décision prise le 19 mars 1997.
5.3 Le requérant estime que dans la mesure où l'État partie ne lui a pas accordé
le statut de réfugié bien qu'il ait présenté des documents prouvant qu'il avait
été torturé dans le passé, la seule possibilité qu'il a d'échapper à la torture
au Bangladesh est de faire examiner son cas par le Comité.
Observations supplémentaires de l'État partie
6.1 Dans sa réponse datée du 6 avril 2001, l'État partie répète que la décision
initiale du 19 mars 1997 n'étant plus exécutoire, le requérant pouvait déposer
une nouvelle demande de permis de résidence, ce qu'il n'a toujours pas fait.
En outre, conformément à la législation de l'État partie, le Conseil suédois
des migrations peut aussi prendre une décision, susceptible de recours devant
la Commission de recours des étrangers, même si le requérant ne dépose pas de
nouvelle demande. Cette décision n'avait pas non plus été prise à la date de
la réponse de l'État partie.
6.2 L'État partie réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable
pour non-épuisement des recours internes. Il estime à cet égard que contrairement
à ce que dit le requérant, une nouvelle demande serait efficace dans la mesure
où le Conseil suédois des migrations devrait tenir compte de nouveaux éléments
de fait au même titre que ceux qui avaient déjà été présentés. Le requérant
se retrouverait légalement dans la même situation que lorsqu'il avait déposé
sa première demande. Il pourrait faire valoir, entre autres motifs sur lesquels
fonder sa nouvelle demande, qu'il risquait d'être torturé s'il était renvoyé
dans son pays natal, ou des motifs humanitaires, son état de santé et les liens
créés dans la société suédoise. L'État partie note à cet égard que le requérant
est en Suède depuis plus de cinq ans et que, selon les renseignements dont il
dispose, il aurait épousé une Suédoise en 1996.
6.3 Enfin, l'État partie fait observer qu'il n'est possible de faire exécuter
directement une décision du Conseil suédois des migrations avant même que le
recours contre cette décision ait été examiné, que dans les cas où il est évident
qu'il n'existe aucun motif d'accorder un permis de résidence. De plus, si le
requérant résidait en Suède depuis plus de trois mois au moment du dépôt de
sa première demande, cette mesure d'exécution directe, qui peut aussi faire
l'objet d'un recours devant la Commission de recours des étrangers, ne pourrait
être appliquée que dans des circonstances exceptionnelles, par exemple si le
requérant avait commis des délits en Suède. L'État partie est donc d'avis qu'une
telle mesure est peu probable dans le cas considéré.
Délibérations du Comité
7.1 Le Comité considère qu'en l'espèce, conformément au principe de l'épuisement
des recours internes, le requérant est tenu d'utiliser des voies de recours
qui soient directement en rapport avec le risque d'être soumis à la torture
envisagé à l'article 3 de la Convention. Par conséquent, le Comité est d'avis
que le dépôt d'une demande de permis de résidence fondée sur des éléments qui
n'ont aucun rapport avec les allégations de torture, tels que la situation du
requérant en Suède et le fait qu'il a épousé une Suédoise, n'est pas un recours
qui doit être épuisé pour satisfaire aux conditions énoncées au paragraphe 5
b de l'article 22 de la Convention.
7.2 Néanmoins, le Comité a appris, le 6 juin 2001, que le requérant avait déposé
une nouvelle demande de permis de séjour sur laquelle les autorités statueront
en prenant notamment en considération le risque de torture encouru dans pays
d'origine. Le Comité constate donc que le requérant n'a pas épuisé les recours
internes.
8. En conséquence, le Comité contre la torture décide:
a) Que la communication est irrecevable;
b) Que la présente décision pourra être reconsidérée en vertu de l'article 109
du règlement intérieur, si le Comité est saisi par le requérant, ou en son nom,
d'une demande contenant des renseignements d'où il ressort que les motifs d'irrecevabilité
ne sont plus applicables;
c) Que la présente décision sera communiquée à l'État partie, au requérant et
à son représentant.
Notes
1. L'État partie explique que, selon le droit suédois, les trois nouvelles demandes
déposées devant la Commission de recours des étrangers par l'auteur après le
19 mars 1997 n'ont aucune incidence sur le délai de prescription.
2. Cette demande ne serait donc pas de même nature que celles qui sont évoquées
au paragraphe 2.7.