B.M. (nom supprimé) c. Suède, Communication No. 179/2001, U.N. Doc. CAT/C/28/D/179/2001 (2002).
Requérant : B. M. (nom supprimé)
Représentée par : Juristfirma Madelaine Seidlitz
État partie : Suède
Date de la requête : 23 mars 2001
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants,
Réuni le 30 avril 2002,
Ayan achevé l'examen de la requête no 179/2001, présentée au Comité en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte la décision suivante en vertu du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention.
1.1 Le requérant est B. M., de nationalité
tunisienne, qui se trouve actuellement en Suède où il est frappé d'une mesure
d'expulsion. Il affirme que son expulsion forcée vers la Tunisie constituerait
de la part de la Suède une violation de l'article 3 de la Convention contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 11 avril 2001, le Comité a transmis la communication à l'État partie
en le priant de faire des observations et lui a demandé, en application du paragraphe
9 de l'article 108 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant
vers la Tunisie tant qu'il serait saisi de sa requête. L'État partie a accédé
à la demande.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant a vécu et travaillé en Arabie saoudite de 1983 à 1998, années
pendant lesquelles il a été très actif dans la communauté musulmane; il se réunissait
avec d'autres musulmans pour débattre de questions religieuses et recueillait
des fonds pour les pauvres et pour les familles des membres du mouvement Al-Nahda
(Parti de la Renaissance) emprisonnés en Tunisie. Sans être membre de ce parti,
le requérant en était un partisan actif. Il dit que toutes les organisations
musulmanes de Tunisie sont considérées comme des militants politiques opposés
au régime tunisien, y compris Al-Nahda.
2.2 En 1989, 1990 et 1992, alors que le requérant habitait toujours en Arabie
saoudite, il est retourné plusieurs fois en Tunisie. La première fois, en 1989,
c'était pour s'occuper de son contrat de mariage. Il a été arrêté à l'aéroport,
placé en détention et interrogé en prison puis conduit devant le tribunal de
la Kasbah où il a été obligé de signer des aveux dans lesquels il reconnaissait
adhérer au wahhabisme, doctrine d'interprétation de l'islam pratiquée en Arabie
saoudite. Le requérant aurait été torturé pendant l'interrogatoire.
2.3 En 1990, le requérant est de nouveau retourné en Tunisie pour se marier.
Il a été arrêté à l'aéroport, interrogé, accusé de nouveau d'être wahhabite
puis remis en liberté. En 1992, le requérant et sa femme sont allés ensemble
en Tunisie. Ils ont été arrêtés à l'aéroport et interrogés au sujet des activités
et des convictions religieuses du requérant. Celui-ci a de nouveau été accusé
d'être wahhabite et de recueillir des fonds pour les familles des détenus incarcérés
à cause de leurs activités contre le régime tunisien. Après l'interrogatoire,
ils ont été remis en liberté mais ont été frappés d'une interdiction de voyager.
Quelques jours plus tard, des membres de la police en uniforme et en civil ont
fait violemment irruption dans la maison où ils étaient hébergés. La police
a arraché le voile de l'épouse du requérant et a roué celui-ci de coups. Les
deux époux ont été conduits dans un camp où ils ont été interrogés séparément
pendant environ trois heures puis remis en liberté après que le requérant eut
signé des aveux reconnaissant qu'il avait adopté les idées wahhabites et obligeait
sa femme à porter le voile. Quand les deux époux ont été remis en liberté, un
ami du requérant les a aidés à quitter le pays et à rentrer en Arabie saoudite.
2.4 De retour en Arabie saoudite, en 1992, le requérant a repris ses activités
dans la communauté musulmane. En juillet 1992, il a également reçu un nouveau
passeport délivré par l'ambassade de Tunisie à Riyad. En 1993, les autorités
tunisiennes ont pris un «décret secret» interdisant à leurs ambassades de délivrer
ou de renouveler des passeports sans consulter le Ministère tunisien de l'intérieur.
Dans le cas des personnes recherchées, les ambassades ne pouvaient délivrer
qu'un laissez-passer autorisant un voyage en Tunisie.
2.5 En 1996, le requérant a appris que lui-même et d'autres Tunisiens étaient
surveillés par l'ambassade de Tunisie. Il a également appris l'arrestation et
l'incarcération pendant ses vacances en Tunisie d'un compatriote qui vivait
en Arabie saoudite et que le requérant avait l'habitude de rencontrer pour parler
de religion.
2.6 En 1997, un autre Tunisien qui avait le même genre d'activités que le requérant
s'est vu refuser le renouvellement de son passeport par l'ambassade de Tunisie
à Riyad. Il a ensuite quitté l'Arabie saoudite pour aller en Suisse. En août
1997, le requérant a fait une demande d'asile en Suisse mais l'a retirée parce
qu'il n'avait pas de preuve des risques qu'il encourait s'il rentrait en Tunisie
et parce qu'il souhaitait vivre en Arabie saoudite; il est donc retourné dans
ce pays.
2.7 Le 27 juillet 1997, son passeport ayant expiré, le requérant a demandé sa
prorogation à l'ambassade de Tunisie à Riyad qui l'a refusée, le 9 novembre
1997, pour «des raisons administratives». Le requérant est convaincu que le
motif du refus était qu'il était recherché par les autorités tunisiennes. Avec
l'aide d'amis, il a ensuite essayé d'obtenir un passeport saoudien mais sans
succès. Le requérant savait que s'il restait en Arabie saoudite avec un passeport
périmé il serait renvoyé de force en Tunisie où il serait arrêté, jeté en prison
et très probablement soumis à la torture. Il a persuadé quelqu'un qu'il connaissait
en Arabie saoudite de faire de faux tampons pour prolonger la validité de son
passeport. Avec l'aide d'amis à lui, il a obtenu un visa d'affaires qui lui
a permis d'entrer en Suède, le 26 mars 1998.
2.8 Depuis son arrivée en Suède, le requérant a eu des activités à la mosquée
et donne des conférences sur l'islam. Il est convaincu que les autorités tunisiennes
le savent. L'épouse du requérant est rentrée en Tunisie. Elle a subi divers
types de harcèlements et tracasseries et a fini par être «contrainte» à divorcer.
Le 14 mai 1999, le requérant a épousé une femme d'origine tunisienne ayant la
nationalité suédoise. Les deux époux ont divorcé depuis, mais ils ont une fille.
2.9 Le 1er mars 1999, la demande d'asile et de permis de séjour a été rejetée
par le Conseil suédois de l'immigration, et la Commission de recours pour les
réfugiés devant laquelle le requérant s'est pourvu l'a déboutée le 28 septembre
2000.
2.10 En février 2001, le requérant a présenté à la Commission de recours pour
les réfugiés une deuxième demande d'asile et de permis de séjour, qui a également
été rejetée. Il avait produit les faux tampons qu'il avait achetés en Arabie
saoudite pour faire prolonger son passeport, une lettre du dirigeant du parti
Al-Nahda attestant qu'il connaissait personnellement le requérant et que celui-ci
serait probablement soumis à la torture s'il était expulsé vers la Tunisie et
une lettre du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) indiquant
ce qui suit: «Le HCR n'a aucune raison de douter de l'authenticité de l'attestation
[le certificat du dirigeant d'Al-Nahda]. Par conséquent, et vu que les membres
du parti Al-Nahda risquent toujours d'être persécutés en Tunisie, nous conseillons
de ne pas renvoyer le requérant en Tunisie.».
2.11 Le 6 mars, le requérant a soumis une troisième demande à la Commission
de recours pour les étrangers. Il joignait une lettre d'Amnesty International
et le rapport du Département d'État des États-Unis décrivant la situation générale
des droits de l'homme en Tunisie. Dans sa lettre Amnesty International indique
également qu'à son avis, le requérant risquerait d'être torturé s'il était renvoyé
en Tunisie, du fait de ses liens avec le mouvement Al-Nahda. Le 19 mars 2001,
la Commission des réfugiés a rejeté la demande, en indiquant qu'il n'y avait
pas de nouveaux éléments par rapport aux précédentes demandes.
2.12 Le requérant dit que la situation générale des droits de l'homme en Tunisie
est très mauvaise. Des milliers de personnes sont jetées en prison pour leurs
convictions religieuses ou politiques. Il cite plusieurs rapports d'Amnesty
International selon lesquels le risque de persécution des membres et des sympathisants
d'Al-Nahda est élevé.
Teneur de la requête
3.1 Le requérant affirme que ses liens avec le mouvement Al-Nahda, le fait qu'il
ait déjà été arrêté et interrogé par les autorités tunisiennes et l'existence
d'un ensemble de violations systématiques et graves des droits de l'homme constituent
des motifs suffisants pour penser qu'il risque d'être soumis à la torture s'il
est expulsé vers la Tunisie et par conséquent la Suède commettrait une violation
de l'article 3 de la Convention s'il était renvoyé.
3.2 Le requérant fait valoir que la décision du Conseil de l'immigration de
lui refuser l'asile reposait sur une appréciation incorrecte des éléments qui
lui étaient soumis et qu'il n'a pas été tenu compte de pièces très importantes
produites par le requérant, notamment l'attestation du dirigeant d'Al-Nahda,
la lettre du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et les informations
d'Amnesty International, qui toutes indiquaient spécifiquement que le requérant
risquerait d'être soumis à la torture.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond et commentaires
du requérant
4.1 L'État partie ne conteste pas la recevabilité de la requête. Le 8 octobre
2001, il a adressé ses observations sur le fond. Il précise que quand le Conseil
de l'immigration a rejeté la demande d'asile et de permis de séjour du requérant,
il a ordonné en même temps que le requérant soit expulsé vers la Tunisie ou
vers l'Arabie saoudite.
4.2 L'État partie fait valoir qu'il appartient au premier chef au requérant
de recueillir et de présenter les éléments à l'appui de ses griefs (1). De plus,
il est d'avis que l'autorité nationale compétente pour conduire l'audience sur
la demande d'asile est le mieux à même de juger de la véracité générale des
propos du requérant et qu'il faut donc accorder un grand crédit à son appréciation.
D'après l'État partie le requérant n'a pas apporté d'éléments permettant de
montrer qu'il court personnellement un risque réel et prévisible de torture
en cas de renvoi en Tunisie.
4.3 En ce qui concerne l'allégation du requérant qui affirme avoir subi des
actes d'intimidation de la part de la police du fait de ses convictions politiques
et religieuses en 1989, 1990 et 1992, l'État partie fait valoir que les incidents
de 1989 pas plus que ceux de 1990 ne l'ont empêché de retourner dans son pays.
Or, l'incident de 1989 semble avoir constitué la violation la plus grave de
ses droits. L'État partie souligne que le requérant n'a donné à ce sujet aucun
détail permettant de savoir en quoi consistaient les violations subies, aucune
information sur les séquelles éventuelles et aucun élément étayant sa plainte
et se réfère à l'Observation générale du Comité concernant l'application de
l'article 3 de la Convention (2) Il ajoute que, alors que le requérant était
déjà à cette époque accusé entre autres choses de soutenir financièrement les
familles des personnes incarcérées pour des activités dirigées contre le régime,
il n'a jamais été condamné du fait des accusations portées contre lui. Au contraire
et selon le requérant lui-même, le tribunal a délivré en 1989 une attestation
certifiant qu'il n'était pas recherché par les autorités. L'État partie fait
valoir que les deux autres fois où le requérant dit avoir été interrogé, il
ne dit pas qu'il a été torturé et à ce sujet l'État partie relève qu'un risque
de détention n'est pas suffisant pour justifier l'application de l'article 3
de la Convention et renvoie à l'affaire I. A. O. c. Suède (3).
4.4 L'État partie objecte que le fait d'avoir été surveillé par les autorités
tunisiennes depuis son arrivée en Arabie saoudite n'a pas été étayé et que rien
n'indique que les autorités connaissaient ses activités en Arabie saoudite ou
s'intéressaient particulièrement à lui à un autre moment entre 1992 et 1997.
Dans ce contexte, le requérant n'a pas signalé que d'autres Tunisiens qui participaient
aux activités qui d'après lui avaient motivé son arrestation avaient été torturés
(4). De plus l'État partie relève que le requérant a obtenu un nouveau passeport
délivré par l'ambassade de Tunisie en juillet 1992 et semble avoir eu des contacts
avec l'ambassade sans que celle-ci ne lui signifie à aucun moment qu'il était
recherché par les autorités tunisiennes ou qu'il devait rentrer en Tunisie.
4.5 Compte tenu de ce qui précède, l'État partie fait valoir que l'allégation
de l'auteur qui affirme qu'en 1997 le renouvellement de son passeport a été
refusé parce qu'il était recherché par les autorités tunisiennes en vue de son
arrestation paraît douteuse. Pour ce qui est du décret de 1993 interdisant la
délivrance de passeport aux nationaux tunisiens recherchés, l'État partie n'a
reçu aucun renseignement permettant de confirmer l'existence d'un tel texte.
Sur le certificat de l'ambassade fourni par le requérant le motif du refus de
renouveler le passeport est justifié par «des causes purement administratives»
et le requérant n'a pas montré que la raison était autre.
4.6 L'État partie évoque également deux griefs avancés par le requérant pendant
la procédure d'immigration. D'abord il avait dit que sa femme lui avait écrit
et se plaignait d'avoir subi des actes d'intimidation de la part de la police
une fois rentrée en Tunisie. Deuxièmement il avait dit avoir appris que son
père avait été interrogé en 1994 par la police au sujet de ses allées et venues.
Sur le premier point, l'État partie note que le requérant n'a donné aucun détail
concernant les circonstances dans lesquelles se seraient produits les actes
d'intimidation, qu'il n'a pas montré les lettres ni expliqué pourquoi il ne
le faisait pas. Sur le deuxième point, l'État partie affirme que les documents
que le requérant a apportés comme preuve ont été examinés par la Commission
de recours pour les réfugiés quand elle a statué pour la première fois et n'ont
pas été jugés authentiques pour plusieurs raisons.
4.7 En ce qui concerne la deuxième lettre signée du dirigeant du parti Al-Nadha,
l'État partie fait valoir que «étant donné l'appréciation donnée du premier
certificat, la fiabilité du deuxième peut être contestée». La Commission de
recours avait décidé que le premier certificat avait été établi sans que le
dirigeant du parti connaisse personnellement le requérant.
4.8 En ce qui concerne la lettre du HCR, l'État partie dit qu'il apparaît qu'elle
reposait uniquement sur le certificat du dirigeant d'Al-Nadha et, bien que l'État
partie croie à l'authenticité du certificat, le HCR pour sa part ne semble pas
s'être interrogé sur sa fiabilité. De plus rien n'indique que le HCR ait évalué
le «risque prévisible, réel et personnel» dans son appréciation.
4.9 Pour ce qui est de la lettre d'Amnesty International, l'État partie objecte
d'abord qu'il n'est pas possible de savoir d'après cette lettre quels sont les
faits que le requérant a soumis à cette organisation. Ainsi on ne peut pas exclure
qu'il puisse y avoir des différences notables de contenu et de détail entre
les renseignements dont disposaient les autorités d'immigration et ceux dont
disposait Amnesty International. Ensuite, rien dans la note n'indique qu'Amnesty
International ait procédé à la moindre évaluation de la crédibilité de l'exposé
des faits donnés par le requérant. Rien n'indique non plus que le risque «prévisible,
réel et personnel», encouru par le requérant au sens de la Convention contre
la torture, ait été apprécié. En conséquence l'État partie est d'avis que la
conclusion de cette lettre ne peut avoir qu'une portée limitée pour apprécier
les faits dans l'affaire à l'étude. En outre il précise que des rapports d'organisations
comme Amnesty International font partie de la documentation soumise aux autorités
suédoises d'immigration pour qu'elles étudient un dossier avant de se prononcer.
4.10 À l'argument du requérant qui dit risquer d'être arrêté et torturé non
seulement en raison de ses liens avec Al-Nadha mais aussi pour être entré en
Suède muni d'un passeport tunisien falsifié, l'État partie répond premièrement
que la Commission était d'avis que le requérant n'avait pas falsifié son passeport.
Deuxièmement rien n'indique que même si le requérant était accusé en Tunisie
d'avoir falsifié son passeport il subirait des mauvais traitements ou des tortures.
Troisièmement aucun renseignement n'a été donné permettant de penser que les
autorités tunisiennes sauraient que le requérant était muni d'un passeport illégal.
4.11 Tous les arguments développés ci-dessus conduisent l'État partie à douter
de la véracité générale des dires du requérant. À son avis, celui-ci ne devrait
pas avoir «le bénéfice du doute» s'il ne donne pas des détails et des éléments
supplémentaires (5).
4.12 L'État partie ne nie pas que la situation générale des droits de l'homme
en Tunisie soit «loin d'être idéale» et renvoie au rapport d'Amnesty International
pour l'année 2001 et au rapport sur les pratiques en matière de droits de l'homme
en Tunisie du Département d'État des États-Unis pour l'année 2000. Il laisse
au Comité le soin de déterminer si cette situation constitue un ensemble systématique
de violations graves, flagrantes et massives des droits de l'homme.
4.13 En ce qui concerne l'éventualité de l'expulsion vers l'Arabie saoudite,
l'État partie note que le requérant n'a pas dit qu'il était recherché dans ce
pays ou qu'il y serait arrêté et torturé. Toutefois, d'après l'État partie il
faut que le requérant prouve qu'il y a un risque prévisible, réel et personnel
qu'il soit torturé s'il est renvoyé depuis l'Arabie saoudite vers la Tunisie.
D'après lui, les étrangers ont le droit d'habiter et de travailler en Arabie
saoudite à condition qu'un citoyen saoudien ou une entreprise saoudienne se
porte garant et à condition d'avoir un permis de séjour valable. Le requérant
a vécu en Arabie saoudite pendant 15 ans et doit donc forcément avoir un garant.
L'État partie fait valoir que le requérant n'a donné aucune précision tendant
à indiquer que son permis de séjour en Arabie saoudite ne serait pas prolongé
s'il était renvoyé dans ce pays, ni que les autorités le remettraient aux autorités
tunisiennes. En fait, le requérant a eu l'autorisation de retourner en Arabie
saoudite dans les six mois après son départ.
4.14 En réponse aux observations de l'État partie, le requérant conteste la
version des faits donnée par celui-ci. Au sujet de la lettre d'Amnesty International,
le requérant se réfère à une autre lettre d'Amnesty International, en date du
23 novembre 2001, confirmant que les renseignements qui lui ont servi à se prononcer
sur le cas du requérant étaient ceux «obtenus à l'issue de l'enquête faite par
les autorités suédoises d'immigration et les décisions prises par celles-ci».
Amnesty International ajoutait qu'elle «avait bien procédé à l'évaluation du
cas selon le critère du risque "prévisible, réel et personnel", vu
que l'organisation avait maintes fois dénoncé des violations des droits commises
contre les membres et les sympathisants d'Al-Nahda, ainsi que contre d'autres
personnes accusées de soutenir ce mouvement». En ce qui concerne les décisions
des autorités suédoises, Amnesty International souligne que même des personnes
qui n'avaient que des liens ténus avec Al-Nahda ont été soumises à des persécutions
en Tunisie.
4.15 Au sujet des renseignements fournis par le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés, le requérant dit qu'ils montraient clairement que tous
les membres d'Al-Nahda risquent d'être persécutés. Ainsi, cela va même au-delà
de l'évaluation d'un risque individuel.
4.16 Pour ce qui est de l'attestation du dirigeant d'Al-Nahda, le requérant
souligne que la deuxième attestation précise qu'il le connaissait personnellement.
Au demeurant, l'État partie lui-même a dit qu'il n'y avait pas de raison de
douter de l'authenticité de l'attestation.
Délibérations du Comité
5.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre
la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a
pas été examinée par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement
et n'est pas en cours d'examen. Le Comité note aussi que tous les recours internes
ont été épuisés et qu'il n'existe aucun obstacle à la recevabilité de la communication.
Il procède donc à son examen quant au fond.
5.2 Le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en Tunisie constituerait
une violation de l'obligation contractée par l'État partie en vertu du paragraphe
1 de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne
vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être
soumise à la torture. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments
qui entrent en jeu, notamment de l'existence, dans l'État de renvoi, d'un ensemble
systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme.
Il s'agit cependant de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement
d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l'existence
d'un ensemble de violations flagrantes, graves ou massives des droits de l'homme
dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'un
individu risquerait d'être victime de tortures à son retour dans ce pays; il
faut qu'il existe des raisons supplémentaires de penser que l'intéressé serait
personnellement en danger.
5.3 Le Comité note l'argument du requérant qui fait valoir qu'il y a un risque
prévisible pour lui d'être torturé s'il est renvoyé en Tunisie à cause de ses
liens avec le mouvement Al-Nahda et parce qu'il a déjà été interrogé et torturé
par les autorités tunisiennes. Il note toutefois que le requérant ne dit pas
qu'il a été membre du mouvement, ni qu'il a eu la moindre activité politique,
mais simplement qu'il a participé à une action de type humanitaire. De plus,
il relève que le requérant n'a fourni aucun élément montrant qu'il a été torturé
par les autorités tunisiennes et n'a pas avancé d'autres circonstances quelles
qu'elles soient qui permettraient de penser qu'il est particulièrement exposé
au risque de torture. Pour toutes ces raisons, le Comité conclut que le requérant
n'a pas donné de motifs suffisants pour permettre de croire qu'il risque d'être
torturé s'il est renvoyé en Tunisie et que ce risque est encouru personnellement
et actuellement.
6. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, estime que le renvoi du requérant en Tunisie ne constituerait
pas une violation par l'État partie de l'article 3 de la Convention.
Notes
1. L'État partie renvoie à l'affaire S. L. c. Suède, requête no 150/1999; décision
adoptée le 11 mai 2001.
2. Documents officiels de l'Assemblée générale, cinquante-troisième session,
Supplément no 44 (A/53/44), annexe IX, par. 8
3. Affaire no 65/1997.
4. L'État partie renvoie à l'affaire no 100/1997, J. U. A. c. Suisse; décision
adoptée le 10 novembre 1998.
5. L'État partie renvoie à l'affaire no 149/1999, A. S. c. Suède; décision adoptée
le 24 novembre 2000.