T.M. c. Suède, Communication No. 228/2003, U.N. Doc. CAT/C/31/D/228/2003 (2003).
Présentée par : T. M. (représenté par Mme Gunnel Stenberg)
Au nom de : T. M.
État partie : Suède
Date de la requête : 6 mars 2003 (date de la lettre initiale)
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 18 novembre 2003,
Ayant achevé l'examen de la requête no 228/2003 présentée par M. T. M. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui
suit:
Décision du Comité contre la torture au titre
de l'article 22 de la Convention
1.1 Le requérant est M.
T. M., de nationalité bangladaise, né en 1973, qui attendait son expulsion de
Suède vers le Bangladesh au moment où la requête a été présentée. Il affirme
que son expulsion vers le Bangladesh constituerait, dans les circonstances de
l'espèce, une violation par la Suède des articles 2, 3 et 16 de la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 Le requérant est entré en Suède le 26 septembre 1999 et a immédiatement
demandé l'asile. Au cours de l'entretien qu'il a eu avec le Service de l'immigration,
il a déclaré être devenu membre du Parti de la liberté du Bangladesh (ci-après
dénommé «BFP» pour Bangladesh Freedom Party) en 1991, parti politique qui serait
illégal, et a commencé à militer activement pour ce parti en 1994, en organisant
des meetings et des manifestations et en y participant. En 1997, après avoir
été arrêté pour détention illégale d'armes puis remis en liberté sous caution,
il affirme avoir vécu dans la clandestinité. Comme la situation politique empirait,
il a payé un passeur pour qu'il le fasse sortir du Bangladesh.
2.2 Le 29 septembre 1999, le Service de l'immigration a eu un second entretien
avec le requérant, qui a déclaré avoir été secrétaire adjoint du parti entre
1994 et 1997 dans le district de la ville de Dhaka. Il a affirmé que les agents
des pouvoirs publics soumettent des membres du parti à des tracasseries et à
des brimades et que, étant une figure connue du parti, le requérant lui aussi
a été persécuté. Il a déclaré avoir été accusé à tort de meurtre, de détention
d'armes et de corruption passive en 1997. Il a déclaré avoir été torturé, pendant
sa garde à vue, à coups de pied et de matraque, et déclare qu'il continue à
souffrir des séquelles, à savoir une blessure au dos. Le parti a obtenu sa libération
sous caution, après quoi il a quitté Dhaka pour vivre dans la clandestinité.
Il affirme ignorer s'il a été déclaré coupable des délits dont on l'avait accusé.
Le conseil du requérant, dans des courriers ultérieurs destinés à dissiper des
«malentendus», a fait observer que le parti était légal mais qu'en raison des
obstacles que le Gouvernement opposait à ses activités celles-ci étaient «clandestines».
Le conseil a déclaré que les accusations de corruption consistaient à accuser
le requérant d'avoir extorqué de l'argent illégalement, accusations qui avaient
été formulées par la police sous la pression du parti au pouvoir à l'époque,
la Ligue Awami (Awami League).
2.3 Le 8 octobre 1999, le Service de l'immigration a rejeté sa demande, invoquant
divers problèmes de crédibilité liés aux documents soumis et au fait que le
requérant n'avait pas pu prouver son identité. Concernant le fond de la requête,
le Service de l'immigration a relevé que le BFP était un parti légal au Bangladesh
et que le requérant n'avait eu aucune activité politique non autorisée. Reconnaissant
que certaines accusations avaient des motivations politiques, le Service de
l'immigration a considéré que le système de justice pénale du Bangladesh offrait
au justiciable suffisamment de garanties d'un procès équitable en matière pénale.
Le Service de l'immigration a observé que le requérant avait été remis en liberté
après avoir passé trois jours en garde à vue, n'avait pas pu fournir de documents
corroborant ses accusations portées contre lui et avait fourni des renseignements
très vagues sur d'éventuelles procédures engagées après sa libération. Par conséquent,
le Service de l'immigration a conclu que le requérant n'avait pas montré qu'il
existait des raisons de croire qu'il courrait un risque d'être sanctionné pour
des raisons politiques.
2.4 Le requérant a fait appel devant la Commission de recours des étrangers
en présentant ce qu'il affirmait être des copies de quatre pièces de son dossier
judiciaire envoyées par son avocat bangladais, ainsi qu'une déclaration de ce
dernier datée du 16 octobre 1999. Selon cette déclaration, le requérant faisait
toujours l'objet d'une procédure par défaut, dans laquelle l'auteur de ladite
déclaration avait été désigné «avocat du défendeur». L'avocat déclarait également
que la situation politique au Bangladesh était critique, que la police cherchait
à arrêter le requérant, et que des membres de la Ligue Awami voulaient le tuer.
Le requérant a présenté un document, daté du 14 octobre 1999, décrit comme étant
un certificat du BFP émanant du «Secrétaire administratif» du Comité exécutif
central du parti, qui déclarait que le requérant avait été arrêté et soumis
à la torture pendant trois jours, que sa vie était en danger, et qu'il «pourrait
être tué par les hommes de main du Gouvernement s'il rentrait dans son pays».
2.5 Le 10 décembre 1999, la Commission de recours des étrangers a rejeté l'appel,
en relevant que le fait d'être membre actif du BFP, parti légal qui était autorisé
à fonctionner, ne constituait pas un motif pour demander et obtenir l'asile.
La situation au Bangladesh n'avait pas non plus atteint le point où la persécution
perpétrée par des particuliers était soutenue par les autorités ni le point
où ces dernières, faute de volonté et de moyens, ne prenaient pas les mesures
appropriées pour lutter contre une telle persécution. Touchant les accusations
mensongères dont aurait fait l'objet le requérant, le Service de l'immigration
a considéré qu'étant donné sa connaissance du système judiciaire bangladais
l'intéressé pourrait obtenir que son cas soit jugé d'une manière juridiquement
acceptable. Quant à l'allégation de brutalités subies après son arrestation,
le Service de l'immigration a reconnu que ce type d'actes avaient pu être commis
par la police, mais refusait l'allégation selon laquelle ils étaient cautionnés
par le Gouvernement ou par les autorités, exposant le requérant à un risque
quelconque de persécution ou de violence dans l'éventualité d'un retour. À la
suite de la décision de la Commission de recours des étrangers, le requérant
est passé dans la clandestinité, où il est resté jusqu'à ce qu'il soit retrouvé
et arrêté le 4 mars 2003.
2.6 Le 20 décembre 2002, le requérant a déposé une nouvelle demande auprès de
la Commission de recours des étrangers, faisant valoir que, pendant sa détention
en janvier 1997, il avait été soumis à différentes formes de torture grave ayant
provoqué des lésions physiques et mentales. Selon lui, sa famille aurait été
menacée par des membres de la Ligue Awami après son départ. S'il rentrait dans
son pays, il serait arrêté, et vu que, selon lui, la torture était largement
pratiquée pendant les enquêtes judiciaires, il était «très improbable» qu'il
puisse échapper à ce type de traitement. À la suite des tortures qu'il aurait
subies, il souffrait de troubles post-traumatiques de sorte que, s'il était
renvoyé dans son pays, il «risquait sérieusement» de mettre fin à ses jours.
Il a présenté des expertises psychiatriques de son état de santé mentale ainsi
que des rapports détaillés établis en Suède par des médecins légistes, attestant
que le requérant avait subi des tortures en 1997.
2.7 Le 16 janvier 2003, la Commission a rejeté la demande, en appliquant les
normes énoncées à l'article 3 de la Convention et dans l'Observation générale
du Comité sur son application. Elle a observé que le requérant avait attendu
trois ans après l'arrêté d'expulsion définitif avant de se plaindre en premier
lieu d'actes de torture subis pendant sa détention en 1997. Toutefois en appliquant
un critère tolérant concernant la charge de la preuve, elle a constaté que le
dossier médical justifiait l'allégation de torture. Quant à la question de savoir
s'il courait actuellement un risque de torture, la Commission a conclu que,
vu que six ans s'étaient écoulés, que le requérant ne pouvait pas prouver qu'il
était encore recherché par les autorités bangladaises et que le parti l'ayant
prétendument persécuté n'était plus au pouvoir, il n'y avait aucune raison de
craindre aujourd'hui un tel traitement. Quant à la santé du requérant, la Commission
a observé qu'il ne s'était jamais plaint auparavant des troubles psychologiques
qu'il faisait brusquement valoir et qu'il n'avait pas démontré qu'il s'était
adressé à des services de santé mentale en Suède. Par conséquent, la Commission
a conclu que l'état de santé mentale du requérant était essentiellement dû à
l'instabilité de sa vie en Suède résultant de son refus de respecter l'arrêté
d'expulsion et de son statut de clandestin dans le pays.
2.8 Le 4 mars 2003, le requérant a été arrêté après avoir été signalé à la police
pour avoir mis le feu à un centre de soins psychiatriques où il avait demandé
à être soigné. Le 7 mars 2003 au matin, le Comité a reçu la communication. Dans
le courant de la même journée (7 mars 2003), le conseil a fait savoir que le
requérant avait été expulsé de Suède l'après-midi même et, selon elle, sans
avoir pu prendre de médicaments pour ses troubles mentaux ni emporter ses vêtements.
Elle a déclaré que le soir précédent le requérant avait tenté de se couper avec
un couteau en plastique.
Teneur de la requête
3.1 Le requérant prétend qu'il serait soumis à la torture s'il rentrait dans
son pays et que son renvoi serait une violation des articles 2, 3 et 16 de la
Convention. Il affirme qu'il serait arrêté à son retour et devrait affronter
un long procès, et que cette situation n'était en rien modifiée par le changement
de gouvernement, d'autant qu'aucune amnistie n'avait été prononcée. Le requérant
cite le rapport sur les droits de l'homme pour 2001 du Département d'État des
États-Unis, des rapports non précisés d'Amnesty International, ainsi qu'un rapport
récent du Ministère des affaires étrangères suédois, portant tous sur la situation
des droits de l'homme en général au Bangladesh, à l'appui de l'affirmation selon
laquelle la police utilise couramment la torture pendant les enquêtes, dans
l'impunité, et qu'il serait par conséquent exposé à un «risque très élevé» de
torture au cas où il serait renvoyé et arrêté. Selon lui, les policiers ne sont
qu'exceptionnellement sanctionnés pour avoir utilisé la torture. Pour prouver
«l'impunité presque totale» dont jouissent les policiers et le prétendu manque
d'empressement que met son pays à respecter les obligations qu'il a contractées
en vertu de la Convention, le requérant mentionne une ordonnance d'indemnisation
prise pour des actes commis par les forces armées entre le 16 octobre [2002
probablement] et le 24 janvier 2003.
3.2 Le requérant fait également valoir que son expulsion de Suède dans les circonstances
décrites au paragraphe 2.8 ci-dessus constituait une violation de l'article
16 de la Convention.
3.3 Le requérant déclare que la même question n'a pas été soumise à l'examen
d'une autre instance internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le fond
4.1 Dans une lettre datée du 12 mai 2003, l'État partie a contesté la recevabilité
et le bien-fondé de la requête. Tout en reconnaissant que les recours internes
avaient été épuisés, l'État partie fait valoir, compte tenu de ses observations
sur le fond, que le requérant n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, les
allégations qu'il formule au titre de l'article 3. En ce qui concerne l'allégation
du requérant selon laquelle son expulsion constituerait en outre une violation
des articles 2 et 16, l'État partie note que l'article 2 requiert tout État
partie de prendre des mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture
ne soient commis, et observe qu'une expulsion ne peut être considérée comme
un acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës sont intentionnellement
infligées à une personne à l'une des fins énoncées à l'article 1, au point que
cet acte puisse relever de la définition de la torture énoncée dans ce même
article. Cette allégation est par conséquent incompatible avec les dispositions
de la Convention, elle est insuffisamment étayée aux fins de la recevabilité,
et le requérant n'a pas le statut de victime requis par la Convention pour présenter
ce grief. Quant à l'article 16, l'État partie renvoie à la jurisprudence du
Comité selon laquelle l'obligation de non-refoulement ne s'applique pas aux
situations pouvant présenter un risque de traitement cruel, inhumain ou dégradant,
(1) et considère par conséquent cette allégation comme incompatible avec les
dispositions de la Convention.
4.2 En ce qui concerne l'allégation selon laquelle les circonstances spécifiques
qui ont entouré l'expulsion du requérant ont constitué une violation de l'article
16 vu son état de santé physique et mentale, l'État partie renvoie aux études
d'auteurs qui considèrent que l'objectif de cet article est de protéger les
personnes privées de liberté ou soumises de fait au pouvoir ou au contrôle de
la personne responsable de la peine ou du traitement incriminés. En outre, cette
allégation est insuffisamment étayée, aux fins de la recevabilité, pour les
raisons exposées plus loin.
4.3 Sur le fond de la requête, l'État partie fait valoir que, s'agissant de
la situation générale des droits de l'homme au Bangladesh et des éléments de
preuve avancés, le requérant n'a pas étayé l'existence d'un risque personnel
et important de torture, selon la définition de l'article premier, qui rendrait
son expulsion contraire à l'article 3. En ce qui concerne la situation générale,
l'État partie reconnaît qu'elle est problématique, mais souligne l'amélioration
progressive observée sur une longue période. Depuis l'introduction d'un régime
démocratique en 1991, il n'a pas été fait état d'une oppression systématique
des dissidents, et les groupements de défense des droits de l'homme sont en
règle générale autorisés à poursuivre leurs activités. Le Bangladesh National
Party (BNP) a repris le pouvoir (après l'avoir occupé de 1991 à 1996 puis avoir
été dans l'opposition de 1996 à 2001, ayant cédé le pouvoir à la Ligue Awami)
à la suite des élections du 1er octobre 2001, qui ont été déclarées libres et
honnêtes. Toutefois, la violence est un élément permanent de la vie politique,
avec des heurts entre partisans des différents partis lors des meetings et une
police qui aurait souvent recours aux arrestations arbitraires et aux brutalités
pendant les interrogatoires. Les actes de torture font rarement l'objet d'enquête,
et la police, que le Gouvernement utiliserait à des fins politiques, est peu
disposée à ouvrir des enquêtes contre des personnes ayant des liens avec le
Gouvernement. Si les juridictions inférieures sont sensibles aux pressions du
pouvoir exécutif, les juridictions supérieures en revanche sont dans l'ensemble
indépendantes et rendent des jugements défavorables au Gouvernement dans les
affaires concernant des personnalités très en vue. Il arrive que des personnes
soient jugées en leur absence mais si la personne ainsi jugée rentre au Bangladesh
elle ne peut pas bénéficier d'un nouveau procès.
4.4 En 2002, des membres de la Commission suédoise de recours des étrangers
se sont rendus au Bangladesh, ont rencontré des avocats, des membres du Parlement
et du pouvoir exécutif ainsi que des représentants des ambassades et des organisations
internationales, et n'ont pas constaté de persécution institutionnelle. S'il
est vrai que des personnalités «très en vue» peuvent être arrêtées et brutalisées
par la police, la persécution politique est rare dans la population en général.
Les procès engagés sur de fausses accusations sont chose courante, mais visent
essentiellement des cadres éminents des partis politiques. Il est possible d'éviter
les brimades en changeant de domicile dans le pays. L'État partie fait observer
que le Bangladesh est partie à la Convention et, depuis 2001, au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques.
4.5 En ce qui concerne le critère du risque réel, personnel et prévisible d'être
soumis à la torture qui doit peser sur le requérant dans l'hypothèse d'un retour,
critère requis par l'article 3, l'État partie souligne que les autorités suédoises
ont explicitement appliqué les dispositions pertinentes de la Convention. De
plus, les autorités compétentes sont particulièrement bien placées pour évaluer
les demandes d'asile, compte tenu notamment de l'expérience acquise en faisant
droit à 629 demandes fondées sur l'article 3 parmi les 1 427 émanant de requérants
du Bangladesh que la Suède a reçues en l'espace de 10 ans. En conséquence, il
convient d'accorder tout le crédit voulu aux décisions du Service de l'immigration
et de la Commission de recours des étrangers, dont l'argumentation est entérinée
par l'État partie. L'État partie souligne, en se référant à la jurisprudence
du Comité, que le fait d'avoir subi des tortures dans le passé n'est pas suffisant
en soi pour conclure à l'existence d'un risque d'être à l'avenir soumis à la
torture, en violation de l'article 3.
4.6 L'État partie relève que, selon son propre récit, le requérant a fait l'objet
de fausses accusations et de violences policières en raison de fortes pressions
exercées par le Gouvernement. Les tortures dont il aurait fait l'objet lui auraient
été infligées six ans auparavant, et le requérant n'a pas eu d'activité politique
depuis janvier 1997. Étant donné que la situation politique au Bangladesh a
sensiblement évolué depuis l'arrivée du requérant en Suède, notamment à la suite
de la défaite du gouvernement de la Ligue Awami lors des élections de 2001 et
de son remplacement par un gouvernement «anti-Ligue Awami» composé du parti
BFP (celui du requérant) et d'un autre parti, entretenant de bonnes relations
entre eux, il n'y a actuellement aucune raison de soupçonner le Gouvernement
de s'intéresser au requérant pour des raisons politiques. Même si d'anciens
opposants ont cherché à le retrouver, les mauvais traitements dont le requérant
pourrait éventuellement faire l'objet de leur part ne pourraient qu'être le
fait de particuliers agissant sans le consentement ou l'aval de l'État et ne
relèveraient donc pas de l'article 3.
4.7 En ce qui concerne les «pièces du dossier» et les déclarations faites devant
la Commission de recours des étrangers, l'État partie observe qu'il n'est pas
en mesure de déterminer si ces pièces corroborent de façon crédible l'assertion
selon laquelle une procédure judiciaire a été ouverte contre le requérant en
1997 et restait en instance en octobre 1999. Aucun élément de preuve n'a été
produit qui donne à penser que cette procédure engagée à l'époque de la Ligue
Awami reste encore ouverte. Même si c'était le cas, cela ne serait pas la preuve
d'un risque réel et personnel pour le requérant d'être soumis à la torture,
et la situation générale des droits de l'homme ne permet pas de penser que toutes
les personnes susceptibles d'être arrêtées du chef d'accusation en matière pénale
à leur retour au Bangladesh encourent automatiquement un risque sérieux d'être
soumises à la torture. Compte tenu des changements considérables qu'il y a eu
dans la situation personnelle du requérant et dans celle de son pays depuis
1997, par conséquent, le requérant n'a pas démontré qu'il réunissait les critères
requis par la Convention pour que son expulsion soit une violation des droits
énoncés à l'article 3.
4.8 Au sujet des griefs tirés des articles 2 et 16, dans l'hypothèse où le Comité
considérerait que ces dispositions sont applicables, l'État partie mentionne
deux affaires dans lesquelles l'existence d'un état de stress post-traumatique
sévère était attestée par des certificats médicaux et où il était allégué que
l'état de santé du requérant empêchait son expulsion. Dans l'affaire G.R.B.
c. Suède, le Comité a considéré que l'aggravation de l'état de santé qui pourrait
résulter de l'expulsion ne constituerait pas un traitement cruel, inhumain ou
dégradant attribuable à l'État partie au sens de l'article 16, tandis que, dans
l'affaire S.V. c. Canada, le Comité a considéré l'allégation de traitements
cruels, inhumains ou dégradants constitués par l'expulsion comme insuffisamment
étayée. (2) L'État partie cite la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme qui, sur des dispositions équivalentes, a établi que les mauvais
traitements devaient atteindre un degré minimum d'intensité et que le seuil
au-dessous duquel la responsabilité de l'État partie dans les sévices n'est
pas engagée était élevé. L'affaire à l'examen ne présente aucune circonstance
exceptionnelle permettant d'affirmer que l'exécution de l'arrêté d'expulsion
soulève de telles questions.
4.9 L'État partie note que les expertises médicales fournies par le requérant
font état d'un diagnostic de troubles post-traumatiques, un certificat daté
du 16 décembre 2002, apparemment établi d'après un examen effectué le 31 juillet
2002, attestant que le requérant présentait les signes d'une profonde dépression
avec un risque sérieux de suicide. Le 29 octobre 2002 toutefois, le risque de
suicide a été décrit comme «très difficile à évaluer». L'État partie observe
que les problèmes de santé mentale ont été invoqués pour la première fois dans
une nouvelle demande de permis de séjour déposée en décembre 2002, trois ans
après l'arrivée du requérant et deux ans après sa fuite, ce qui donne à penser
que son état de santé mentale s'est détérioré à la suite du refus de sa demande
d'admission en Suède et à cause de sa situation instable de clandestin. Selon
les informations disponibles, le requérant n'a ni demandé ni reçu de traitement
médical régulier et n'a pas non plus sollicité de traitement psychiatrique.
Pour autant qu'on le sache, le type de soin et de traitement dont il aurait
apparemment besoin ne serait pas indisponible non plus au Bangladesh. Même si
la crainte d'un renvoi au Bangladesh qu'exprime le requérant du fait qu'il souffre
de stress post-traumatique sévère devait justifier une analyse dans le cadre
de l'article 16, ce que l'État partie réfute, le requérant n'a pas fourni d'éléments
suffisants pour étayer cette crainte.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
5.1 Par une lettre du 15 mai 2003, le conseil du requérant a été prié de faire
part de ses commentaires éventuels sur les observations de l'État partie dans
un délai de six semaines, et a été informé qu'en l'absence de tels commentaires
le Comité examinerait la requête sur la base des informations dont il disposait.
De tels commentaires n'ont pas été reçus.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication,
le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu
de l'article 22 de la Convention. Conformément au paragraphe 5 a) de l'article
22 de la Convention, le Comité s'est assuré que la même question n'avait pas
été et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement. Le Comité note en outre que l'État partie reconnaît
que les recours internes ont été épuisés.
6.2 S'agissant de l'argument du requérant selon lequel l'État partie violerait
les articles 2 et 6 en l'exposant à un risque de mauvais traitements au Bangladesh,
le Comité constate que l'obligation de non-refoulement énoncée à l'article 3
n'englobe pas les cas de mauvais traitements visés à l'article 16. En conséquence,
les griefs tirés des articles 2 et 16 concernant l'expulsion du requérant sont
irrecevables ratione materiae car incompatibles avec les dispositions de la
Convention. En outre, s'agissant du grief tiré de l'article 16 concernant les
circonstances de l'expulsion du requérant, le Comité relève, en se référant
à sa jurisprudence, que l'aggravation de l'état de santé physique ou mentale
d'une personne due à l'expulsion est généralement insuffisante pour constituer,
en l'absence d'autres facteurs, un traitement dégradant en violation de l'article
16. (3) En l'absence de circonstances exceptionnelles et vu que le conseil n'a
pas répondu à l'argument de l'État partie selon lequel il n'avait pas été démontré
que le traitement médical nécessité par le requérant n'était pas disponible
au Bangladesh, le Comité considère que ce dernier n'a pas suffisamment étayé
cette allégation aux fins de la recevabilité, et qu'elle doit par conséquent
être déclarée irrecevable.
6.3 S'agissant du grief du requérant tiré de l'article 3 concernant la torture,
aux fins de la recevabilité, le Comité estime, vu en particulier la relation
du requérant concernant les actes de torture subis précédemment, que l'intéressé
a fait apparaître qu'il y a eu à première vue une violation de l'article 3 qui
pourrait être établie si la requête était examinée quant au fond. En l'absence
d'autres obstacles à la recevabilité, le Comité va donc procéder à l'examen
de la requête quant au fond.
7.1 Le Comité doit déterminer en premier lieu si le renvoi forcé du requérant
au Bangladesh a constitué une violation de l'obligation qu'impose à l'État partie
l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers
un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise
à la torture.
7.2 Le Comité doit déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire que le
requérant risquerait personnellement d'être soumis à la torture à son retour
dans son pays. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l'article
3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y
compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits
de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Il s'agit toutefois de déterminer
si l'intéressé risquerait d'être personnellement soumis à la torture dans le
pays dans lequel il retournerait. En conséquence, l'existence dans un pays d'un
ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes
ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu'une
personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il
doit exister des motifs supplémentaires de penser que l'intéressé serait personnellement
en danger. De même, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes, constantes
et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse
être considérée comme risquant d'être soumise à la torture dans sa situation
particulière.
7.3 En l'espèce, le Comité note que la Commission de recours des étrangers a
accepté l'assertion (tardive) du requérant selon laquelle il avait été soumis
à la torture en janvier 1997. Le Comité note toutefois que la requête était
fondée sur l'affirmation selon laquelle, en tant que militant politique du BFP,
le requérant avait fait l'objet de fausses accusations et avait subi des brutalités
aux mains de la police, à la suite de pressions politiques exercées par le gouvernement
au pouvoir à l'époque. Le Comité note que cette pratique a été confirmée par
diverses sources. Toutefois, compte tenu des six années qui se sont écoulées
depuis que les actes de torture allégués auraient eu lieu et, ce qui est plus
pertinent, vu que le parti politique auquel appartient le requérant est l'une
des composantes du gouvernement actuel au Bangladesh, le Comité considère que
le requérant n'a pas démontré qu'il existait, au moment de son renvoi forcé,
des motifs sérieux de croire qu'il courait personnellement un risque réel d'être
soumis à la torture.
8. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, est d'avis que le requérant n'a pas étayé l'affirmation
selon laquelle il serait soumis à la torture à son retour au Bangladesh, et
conclut par conséquent que son renvoi forcé vers ce pays n'a pas constitué une
violation de l'article 3 de la Convention par l'État partie.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Opinion individuelle (partiellement dissidente)
de M. Fernando Mariño Menéndez
Je tiens à indiquer mon désaccord avec la décision du Comité déclarant cette
plainte irrecevable ratione materiae au motif que l'allégation du requérant,
selon laquelle son expulsion, si elle avait lieu, pourrait constituer une violation
des articles 2 et 16 était compatible avec la Convention (art. 22, par. 2).
D'une part, le fait qu'une expulsion causant à l'intéressé une douleur ou des
souffrances aiguës, physiques ou mentales, pourrait constituer une torture au
sens de l'article 1 de la Convention, si elle était par exemple appliquée dans
le cadre de mesures discriminatoires, ne devrait pas être ignorée.
En tout état de cause, la manière correcte de répondre à l'allégation de violation
de l'article 2 formulée dans la plainte à l'examen aurait été de la déclarer
irrecevable au motif qu'elle était manifestement dénuée de fondement (règlement
intérieur, art. 107 b)), si telle avait été l'intention du Comité.
D'autre part, une expulsion peut manifestement constituer une peine ou un traitement
cruel, inhumain ou dégradant, cas pour lequel la Convention impose également
certaines obligations aux États parties.
En d'autres termes, il ne s'agit pas seulement en l'espèce d'examiner comment
les États s'acquittent de leurs obligations en vertu de l'article 3 de la Convention
mais comment ils s'acquittent de l'ensemble de leurs obligations en vertu d'un
accord dont l'objectif ultime est (sixième alinéa du préambule) «d'accroître
l'efficacité de la lutte contre la torture et les autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants dans le monde entier».
Par ailleurs, le paragraphe 3 de l'article 31 de la Convention de Vienne de
1969 sur le droit des traités dispose que, aux fins de l'interprétation d'un
traité, il sera tenu compte, en même temps que du contexte, de toute règle pertinente
de droit international applicable dans les relations entre les parties, disposition
pertinente dans la mesure où elle vise toute règle générale éventuelle de droit
international interdisant les traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Conformément à la jurisprudence établie par le Comité dans l'affaire B.S. c
Canada (requête no 166/2000), décision adoptée le 14 novembre 2001 il aurait
été, à mon avis, plus correct de décider que la requête soulevait des questions
de fond concernant une violation éventuelle de l'article 16, qui devrait être
traitée au stade de l'examen quant au fond et non de l'examen quant à la recevabilité.
(Signé) Fernando Mariño Menéndez
Notes
1. B.S. c. Canada, communication no 166/2000, constatations adoptées le 14 novembre
2001.
2. Communication no 83/1997, constatations adoptées le 15 mai 1998, et communication
no 49/1996, constatations adoptées le 15 mai 2001.
3. Voir ci-dessus note de bas de page 2.