Orhan Ayas c. Suède, Communication No. 97/1997, U.N. Doc. CAT/C/21/D/97/1997 (1998).
Présentée par : Orhan Ayas
[représenté par un conseil]
Au nom de : L'auteur
État partie : Suède
Date de la communication : 26 novembre 1997
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 12 novembre 1998,
Ayant achevé l'examen de la communication No 97/1997 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit :
Constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22 de la Convention
1. L'auteur de la communication est M. Orhan Ayas, citoyen turc né en 1973, résidant actuellement en Suède où il demande l'asile. L'auteur prétend que son renvoi en Turquie constituerait une violation par la Suède de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur est kurde, né et élevé à Midyat, dans le sud-est de la Turquie. Sa famille est connue depuis longtemps par les autorités turques, plusieurs membres de sa famille et amis ayant participé aux activités menées par le PKK (Partya Karkeren Kurdistan, Parti des travailleurs du Kurdistan). Sa famille possédait également deux cafés où se retrouvaient des sympathisants du PKK. C'est pourquoi des membres de sa famille ont été souvent arrêtés et interrogés. La fréquence, ainsi que la gravité des mesures d'intimidation se sont accrues à la fin des années 80, après qu'un des frères de l'auteur eut fui le pays à cause de ses activités politiques. En 1991, l'auteur, qui avait 18 ans, a été arrêté à trois reprises par la police militaire et interrogé notamment à propos des activités de son frère à l'étranger. L'auteur déclare qu'alors on lui bandait les yeux et le soumettait à différentes méthodes de torture, telles que les passages à tabac, la suspension par les bras, l'arrosage d'eau glacée à haute pression et la privation de nourriture. Il signale également qu'il a encore les cicatrices des blessures causées par ces mauvais traitements. En 1991, il a quitté Midyat pour Antalya, où il a partagé un appartement avec quatre membres du PKK.
2.2 En juillet 1992, il a été arrêté par la police, avec des amis kurdes, et a été détenu pendant deux jours durant lesquels il a été interrogé sur ses activités à Antalya, et a été battu. Il a été également poussé dans les escaliers et s'est blessé à l'oeil. En août 1992, il a participé à l'organisation d'un festival kurde non autorisé. Deux des coorganisateurs ont été arrêtés et condamnés ultérieurement à des peines de prison. Alors que la police était à sa recherche, l'auteur s'est enfui à Istanbul où il est passé dans la clandestinité jusqu'à ce qu'il puisse quitter le pays.
2.3 L'auteur est arrivé en Suède en février 1993 et a demandé l'asile. Le 28 mars 1994, sa demande a été rejetée par l'Office suédois de l'immigration au motif que les informations qu'il avait fournies manquaient de crédibilité. L'Office a donné les raisons suivantes à l'appui de son appréciation : a) l'auteur avait détruit son passeport et refusait de révéler sous quel nom et quelle nationalité celui-ci avait été délivré; b) il n'avait pas quitté la Turquie immédiatement après les événements qui l'avaient, selon lui, poussé à s'enfuir; c) il n'avait pas démontré par des arguments convaincants que les autorités s'intéressaient à lui, puisqu'il avait déclaré qu'il n'avait pas lui-même d'activités politiques.
2.4 L'auteur a formé un recours devant la Commission de recours des étrangers, dans lequel il a affirmé qu'il craignait que les personnes qui l'avaient aidé à s'enfuir n'aient des ennuis s'il révélait toute information à propos de son passeport. C'est pour cette raison qu'il avait décidé de suivre leurs instructions et l'avait détruit. Il a répété qu'immédiatement après l'arrestation de ses deux amis, il s'était caché jusqu'à ce que sa famille puisse organiser sa fuite de la Turquie. Il a également affirmé qu'en septembre 1993, l'un de ses frères avait été arrêté et condamné à 15 ans de prison pour ses activités avec le PKK. L'auteur avait été informé par sa famille que, dans ce contexte, la police l'avait recherché chez lui à Midyat et avait battu son père et son frère cadet. À l'appui de ses affirmations, l'auteur a soumis un article de presse portant sur l'incident au cours duquel son frère a été arrêté. Il a également fourni un compte rendu d'audience concernant les amis qui avaient été arrêtés durant le festival.
2.5 Le 2 janvier 1995, la Commission de recours des étrangers a rejeté le recours pour manque de crédibilité, étant donné que l'auteur avait attendu deux jours avant de demander l'asile, et qu'il avait détruit le passeport avec lequel il était arrivé en Suède. De plus, la Commission a fait savoir que le compte rendu d'audience ne confirmait pas que l'auteur avait des activités politiques.
2.6 L'auteur a soumis une nouvelle demande dans laquelle il révélait, pour la première fois, qu'il avait lui-même apporté un soutien actif au PKK. Il expliquait que ses parents lui avaient fortement conseillé de ne faire état d'aucun lien avec le PKK pour ne pas risquer d'être pris pour "un terroriste" par les autorités suédoises. L'auteur a également fourni une copie du verdict d'un tribunal militaire, qui indiquait qu'en 1993, il avait été condamné par contumace à cinq ans de prison pour ses activités et ses liens avec le PKK. Son père lui avait envoyé de la Turquie la copie du verdict. Le 7 mars 1995, la Commission de recours des étrangers a rejeté sa nouvelle demande. Selon la Commission, les explications fournies par l'auteur sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas révélé plus t_t son affiliation au PKK n'étaient pas crédibles et remettaient en question l'authenticité du verdict du tribunal militaire.
2.7 L'auteur a présenté pour la deuxième fois une nouvelle demande dans laquelle il demandait à la Commission d'expliquer les raisons de ses doutes quant à l'authenticité du verdict. Cette demande a été également rejetée. La Commission a attiré l'attention sur le fait que les tribunaux militaires ne s'occupaient plus de ce genre d'affaire en Turquie et a noté que les cachets apposés sur le document n'étaient pas conformes à la loi turque.
2.8 L'auteur a pris un nouveau conseil et a déposé pour la troisième fois une nouvelle demande fondée sur les examens médicaux pratiqués par un psychiatre et un expert en médecine légale du Centre pour les survivants de la torture et de ses séquelles, de l'h_pital universitaire Karolinska à Stockholm. Les rapports médicaux indiquent, entre autres, que l'auteur souffre d'un syndrome de stress post-traumatique qui peut être dû au fait qu'il a été torturé, et que ses allégations de torture semblaient tout à fait crédibles. L'auteur a également soumis le texte de la décision de la Cour de sûreté de l'État, par laquelle son frère a été condamné à 15 ans de prison pour ses liens avec le PKK. L'un des accusés traduits devant la Cour a révélé que l'auteur, qui était nommément cité, avait participé à une collecte de fonds illégale pour le PKK. L'auteur a également signalé que le verdict du tribunal militaire avait été rendu en 1993, à une époque où les tribunaux militaires étaient encore compétents pour juger de telles affaires. Cette nouvelle requête a été rejetée le 1er septembre 1997 au motif que l'auteur manquait de crédibilité. Pour ce qui est des rapports médicaux, la Commission les a considérés insuffisants pour conclure que les blessures de l'auteur étaient dues à la torture.
Teneur de la plainte
3.1 Le conseil de l'auteur fait valoir que les autorités suédoises ont fondé leur décision de ne pas accorder l'asile sur le fait que l'auteur manque de crédibilité; mais elles n'ont pas tenu compte des facteurs expliquant son comportement et son attitude. Par exemple, il n'avait que 20 ans lorsqu'il est arrivé en Suède. Auparavant, il avait vécu longtemps dans un état de stress profond et sa crainte d'être persécuté était fondée. À ce propos, il lui a été conseillé par les personnes qui l'avaient aidé à s'enfuir de détruire le passeport qu'il avait utilisé et de ne pas donner le nom inscrit sur celui-ci. On ne pouvait pas s'attendre à ce qu'il soit à ce moment-là en mesure de comprendre l'importance que les autorités suédoises attacheraient à ces éléments. Il a demandé l'asile le deuxième jour après son arrivée, ce qu'on ne peut guère considérer comme un retard important. Ses parents lui ont fortement conseillé de ne faire état d'aucun lien avec le PKK, de crainte qu'il ne soit pris pour un terroriste par les autorités suédoises. Au cours du premier entretien, l'auteur a expliqué quels étaient les facteurs essentiels qui l'avaient poussé à s'enfuir en Suède. Ceux-ci ne sont pas en contradiction avec les versions qu'il a données ultérieurement.
3.2 Contrairement à l'article 3, paragraphe 2, de la Convention, les autorités suédoises n'ont pas tenu compte de toutes les considérations pertinentes dans leur évaluation d'un futur risque de torture. De plus, elles ont attaché une importance excessive aux facteurs, qui selon elles, entament la crédibilité du récit de l'auteur, en regard des arguments sérieux fournis à l'appui de sa demande. Les circonstances de l'affaire, notamment l'existence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme en Turquie et le fait que l'auteur est une victime de la torture, montrent clairement que son retour en Turquie l'exposerait particulièrement au risque d'être torturé de nouveau.
Observations de l'État partie
4.1 Le 26 novembre 1997, le Comité, agissant par l'intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a transmis la communication à l'État partie pour observations et a demandé à ce dernier de ne pas expulser l'auteur vers la Turquie tant que sa communication serait examinée par le Comité. Dans sa réponse l'État partie indique que, suite à la demande du Comité, l'Office suédois de l'immigration a décidé de surseoir à l'exécution de l'arrêté d'expulsion jusqu'à ce que le Comité prenne une décision finale sur cette question.
4.2 Pour ce qui est de la recevabilité de la communication, l'État partie fait valoir que conformément à la loi sur les étrangers, une nouvelle demande de permis de séjour peut être adressée à la Commission de recours des étrangers à tout moment, à condition que de nouveaux éléments susceptibles de l'amener à prendre une décision différente, soient présentés. Qui plus est, sur la base de ses arguments sur le fond, l'État partie affirme que la communication est incompatible avec les dispositions de la Convention et devrait par conséquent être considérée comme irrecevable.
4.3 En ce qui concerne le fond, l'État partie soutient qu'il est nécessaire, pour déterminer si le renvoi de l'auteur constituerait une violation de l'article 3 de la Convention, d'examiner les questions ci-après : a) la situation générale des droits de l'homme en Turquie; b) le risque que court personnellement l'auteur d'être soumis de nouveau à la torture en Turquie; et c) les conséquences nécessaires et prévisibles de son retour en Turquie.
4.4 Pour ce qui est de la situation générale des droits de l'homme en Turquie, l'État partie soutient, comme étant un fait bien connu, que les arrestations arbitraires, la démolition des villages et la torture sont utilisées dans la lutte contre les séparatistes kurdes. Cela dit, à son avis, la situation n'est pas grave au point qu'on ne puisse en général expulser des citoyens turcs d'origine kurde. Une bonne partie de la population turque est d'origine kurde. Bien que beaucoup d'entre eux vivent dans le sud-est de la Turquie, les Kurdes sont disséminés actuellement dans tout le pays, où ils sont en général complètement intégrés dans la société turque. Si un arrêté d'expulsion de la Suède est exécuté à l'encontre d'un citoyen turc d'origine kurde, celui-ci ne sera pas renvoyé dans les régions kurdes, mais à Istanbul ou Ankara.
4.5 Il est évident que les autorités suédoises n'ont pas de motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumis à la torture à son retour en Turquie. Elles n'ont pas considéré les informations sur les activités politiques de l'auteur et les tortures qu'il aurait subies comme crédibles. Il est vrai que plusieurs éléments du récit de l'auteur font naître des doutes. Lors de la première enquête qui a fait suite à la première demande d'asile, l'auteur a indiqué clairement que ni lui ni sa famille n'avaient d'activités politiques. Il a également informé les autorités compétentes qu'il n'avait pas quitté la Turquie immédiatement après les événements qui l'avaient conduit à fuir le pays et qu'il n'était pas en possession d'un passeport à son entrée en Suède, parce qu'il l'avait détruit juste après son arrivée dans ce pays. Au vu de ces facteurs, les services de l'immigration ont conclu que ses déclarations n'étaient pas crédibles quant au fait qu'il intéressait les autorités turques.
4.6 Dans une nouvelle demande, l'auteur a affirmé qu'il avait été membre du PKK, et avait des activités politiques. Cette demande n'a toutefois pas été jugée crédible, non plus que les explications sur les raisons pour lesquelles il n'avait pas donné ces informations au début de l'enquête. Les autorités ont également mis en doute l'authenticité du document soumis par l'auteur, qui selon lui, prouvait qu'il avait été condamné à cinq ans de prison pour activités politiques.
4.7 Par ailleurs, dans sa troisième nouvelle demande qu'il a adressée à la Commission de recours des étrangers, l'auteur a affirmé que tous les membres de sa famille étaient connus pour leur opposition au régime en Turquie et a présenté la copie d'un jugement rendu le 31 août 1995 par une cour de sûreté de l'État à Izmir, en vertu duquel un de ses frères avait été condamné à 15 ans de prison pour ses liens avec le PKK. Le nom de l'auteur était mentionné dans ce jugement.
4.8 D'après les informations fournies par l'ambassade de Suède à Ankara la possibilité d'avoir falsifié la copie du jugement ne peut être écartée, ce qui entame davantage la crédibilité de l'auteur. Dans une copie, les noms et les mots peuvent être effacés et changés, sans que cela puisse être décelé. L'auteur aurait pu facilement obtenir et soumettre l'original ou une copie dûment certifiée conforme du jugement. En outre, le nom de l'auteur n'est pas mentionné parmi ceux des suspects, des condamnés ou des acquittés dans ce jugement, ce qui signifie qu'il n'a même pas été poursuivi en justice.
4.9 Les rapports médicaux n'étayent pas suffisamment l'allégation de l'auteur selon laquelle ses blessures ont été causées dans les circonstances dont il a fait état. L'un des médecins a indiqué dans sa déclaration écrite que l'auteur avait été soumis à la torture en 1987. Or l'auteur lui-même n'en a rien dit. Aucun signe physique n'a été constaté qui permette de confirmer l'existence de tortures, et il n'a pas été possible d'établir avec un minimum de certitude un lien entre l'une quelconque des blessures et la torture alléguée. Il convient aussi de noter que l'auteur n'a produit aucun rapport médical, et n'a subi un examen médical que vers la fin de la procédure.
4.10 En résumé, l'auteur n'a pas étayé l'allégation selon laquelle il courrait personnellement et particulièrement le risque d'être arrêté et torturé s'il retournait en Turquie. S'il souhaite éviter les troubles qui caractérisent indubitablement la région du sud-est, il a la possibilité de s'établir dans une autre région.
4.11 Compte tenu de ce qui précède, l'État partie soutient que les informations que l'auteur a fournies ne démontrent pas que le risque d'être arrêté ou torturé est une conséquence nécessaire et prévisible de son renvoi en Turquie. L'exécution de l'arrêté d'expulsion vers la Turquie ne constituerait donc pas, dans les circonstances actuelles, une violation de l'article 3 de la Convention. En outre, du fait que l'auteur n'a pas apporté à l'appui de ses affirmations les éléments nécessaires pour rendre la communication compatible avec l'article 22 de la Convention, la présente communication devrait être considérée comme irrecevable.
Commentaires du conseil
5.1 Dans ses commentaires sur les observations de l'État partie, le conseil de l'auteur évoque la question de l'épuisement des recours internes et affirme qu'il n'existe pas de fait nouveau pouvant justifier la présentation d'une nouvelle demande conformément à la loi sur les étrangers. Par conséquent, tous les recours ont été épuisés.
5.2 Le conseil se réfère aussi à l'affirmation selon laquelle l'auteur, s'il était expulsé, ne serait pas renvoyé dans le sud-est de la Turquie. À ce propos, il convient de souligner que les personnes soupçonnées d'appartenance au PKK n'ont pas d'autre solution que de fuir à l'étranger; l'auteur court un sérieux risque d'être soumis à la torture où qu'il se trouve dans le pays, quelle que soit la ville où il pourrait être envoyé. En outre, tout lien avec le PKK est considéré comme un crime particulièrement grave.
5.3 En ce qui concerne les différentes versions données par l'auteur dans sa relation des faits aux services de l'immigration, le conseil répète que l'auteur a effectivement caché certains faits lors du premier entretien. Mais il a donné des explications rationnelles sur les raisons pour lesquelles il a agi ainsi. En outre, il a rendu compte des principaux éléments et a pu apporter la preuve que la plupart des faits mentionnés dans ses différentes versions étaient vrais. Compte tenu des certificats médicaux attestant qu'il a été torturé, ces changements ne devraient pas avoir d'effet décisif sur la crédibilité générale de l'auteur.
5.4 L'État partie se réfère à des informations de l'ambassade de Suède à Ankara concernant le jugement prononcé par la Cour de sûreté de l'État en 1995 et conclut qu'une falsification du document ne peut être écartée. L'État partie veut dire ainsi que le document a pu être falsifié; mais on pourrait tout aussi bien aboutir à la conclusion inverse. À l'appui de sa conclusion concernant une possible altération, l'État partie fait observer, entre autres, que le deuxième nom de l'auteur (Yusef) n'a pas été mentionné. Il convient de noter, cependant, que "Yusef" est le nom du père de l'auteur, comme indiqué sur sa carte d'identité, et a été attribué à tort à l'auteur par les autorités suédoises. L'auteur n'a pas de deuxième nom. Il a été également avancé que le nom de l'auteur n'est mentionné qu'une seule fois dans le verdict et qu'il n'était pas parmi les personnes poursuivies en justice. Il faut rappeler toutefois, qu'il s'agit là d'un verdict sommaire concernant plusieurs accusés et que l'auteur avait déjà fui le pays lorsque ce verdict a été rendu. Ce dernier ne concernait aucune personne qui n'avait pas été déjà arrêtée. Les actes attribués à l'auteur dans la décision de la Cour tombent sous le coup de la législation antiterroriste et confirment, par conséquent, que les autorités turques s'intéressaient bien à lui.
5.5 L'État partie souligne que l'auteur n'a pas demandé l'asile immédiatement après son arrivée. Cependant, il n'a donné aucune explication quant aux raisons pour lesquelles cela devrait entamer la crédibilité de l'auteur.
5.6 En ce qui concerne l'affirmation figurant dans l'un des rapports médicaux selon laquelle l'auteur avait été torturé en 1987, le conseil fournit la copie d'une déclaration écrite faite par le psychiatre le 13 mai 1998, dans laquelle ce dernier reconnaît qu'il était à l'origine de cette erreur. Le conseil affirme également que l'État partie n'a jamais fait procéder à une expertise des rapports médicaux, ni pris contact avec le Centre pour les survivants de la torture et de ses séquelles. Pourtant, cela aurait dû être logiquement la chose à faire, au vu des doutes que les autorités avaient exprimés quant à la crédibilité de l'auteur.
5.7 Dans l'une de ses requêtes, l'auteur a demandé que, si la Commission de recours avait des doutes sur la véracité des informations qu'il avait soumises, elle lui accorde une audience. La Commission a rejeté cette demande sans fournir aucune explication. Selon la loi sur les étrangers, une telle audience est obligatoire, à la demande, à moins qu'elle ne soit inutile pour l'issue de l'affaire. La Commission ayant fondé sa décision de rejet de la demande sur le manque de crédibilité de l'auteur, il est difficile de comprendre comment une audience pourrait être considérée "comme inutile pour l'issue de l'affaire".
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si cette communication est ou n'est pas recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait pas été examinée et n'était pas en cours d'examen par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et estime que rien ne s'oppose plus à ce qu'il déclare la communication recevable. L'État partie et le conseil de l'auteur ayant chacun formulé ses observations sur le fond de la communication, le Comité passe sans plus attendre à l'examen de celle-ci quant au fond.
6.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi, contre son gré, de l'auteur en Turquie violerait l'obligation qu'a la Suède en vertu de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
6.3 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3, s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumis à la torture s'il était renvoyé en Turquie. Pour prendre cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement, l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne signifie pas qu'il faille considérer qu'une personne ne court pas le risque d'être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4 Le Comité est conscient de la gravité de la situation des droits de l'homme en Turquie. Il ressort des informations émanant de sources dignes de foi que des personnes soupçonnées d'avoir des liens avec le PKK sont fréquemment torturées lors d'interrogatoires par des agents de la force publique, et que cette pratique ne se limite pas à une région particulière du pays.
6.5 Il est indiscutable que l'auteur vient d'une famille politiquement engagée. En outre, le Comité considère que les explications données au sujet de ses propres activités politiques sont crédibles et conformes aux conclusions des rapports médicaux selon lesquels il souffre d'un syndrome de stress post-traumatique et que ses cicatrices correspondent aux causes alléguées. Bien que l'auteur ait changé sa première version des faits, il a donné une explication logique des raisons pour lesquelles il l'a fait. Il s'ensuit que le Comité n'a pas constaté de contradiction qui remettrait en question la véracité en général de ses allégations.
6.6 Dans ces conditions, le Comité estime qu'au vu de la situation des droits de l'homme en Turquie, les liens et les activités politiques de l'auteur avec le PKK, ainsi que sa détention et la torture qu'il a subie constituent des motifs sérieux de croire qu'il risquerait d'être arrêté et soumis à la torture s'il était renvoyé en Turquie.
7. Compte tenu de ce qui précède, le Comité est d'avis que l'État partie a l'obligation, conformément à l'article 3 de la Convention, de ne pas renvoyer l'auteur contre son gré en Turquie ou vers tout autre pays où il court un risque réel d'être expulsé ou renvoyé en Turquie.