K.T. (nom supprimé) c. Suisse, Communication No. 118/1998, U.N. Doc. CAT/C/23/D/118/1998 (2000).
Présentée par : K.T. (nom supprimé)[représenté
par un avocat]
Au nom de : L'auteur
État partie : Suisse
Date de la communication : 30 septembre 1998
Le Comité contre la torture , institué conformément à l'article 17 de
la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants,
Réuni le 19 novembre 1999,
Ayant achevé l'examen de la communication No 118/1998 présentée au Comité
en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées
par l'auteur de la communication et l'État partie,
Adopte la décision suivante :
1.1 L'auteur de la communication est K.T., ressortissant de la République démocratique du Congo (RDC), né en 1969, qui réside actuellement en Suisse, où il a demandé l'asile et d'où il risque d'être expulsé. Il affirme que son renvoi en RDC constituerait une violation par la Suisse de l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la communication à l'attention de l'État partie le 20 octobre 1998.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur affirme avoir été membre du Mouvement populaire de la révolution (MPR) depuis 1992. Il travaillait donc pour le compte de l'ancien Président Mobutu et faisait de la propagande pour ce dernier. Il recevait de l'argent du MPR et n'avait pas d'autre occupation. Le 10 mai 1997, six soldats de Laurent-Désiré Kabila l'ont interrogé et pillé sa maison. L'auteur est resté caché quatre jours chez son supérieur au sein du MPR puis il a quitté le pays le 14 mai 1997 avec un faux passeport.
2.2 L'auteur est entré en Suisse illégalement le 5 juin 1997 et a déposé le
même jour une demande d'asile au Centre d'enregistrement de Genève. Par décision
du 13 août 1997, l'Office fédéral des réfugiés (ODR) a rejeté la demande d'asile
et a fixé à l'auteur un délai au 30 septembre 1997 pour quitter la Suisse. Un
recours contre cette décision a été déposé à la Commission suisse de recours
en matière d'asile (CRA). Ce recours a été rejeté le 6 août 1998 et un nouveau
délai au 15 octobre 1998 a été fixé à l'auteur pour quitter la Suisse.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur considère que, refoulé en RDC, il risque d'être arrêté, torturé et même tué par l'armée ou la population au vu de son engagement auprès du MPR et du fait que le Président Kabila poursuit actuellement tous les partisans de l'ancien régime. La presse et Amnesty International ont fait état de tortures et de massacres de la part des soldats de l'Alliance des forces démocratiques de libération (AFDL). Il paraît donc certain que les anciens partisans de Mobutu ne sont pas en sécurité en RDC.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le bien-fondé
de la communication
4.1 Par lettre du 17 décembre 1998, l'État partie a informé le Comité qu'il ne contestait pas la recevabilité de la communication. Par lettre du 6 avril 1999, il a soumis des observations sur le bien-fondé.
4.2 L'État partie fait valoir que la CRA n'a pas estimé, dans sa décision du
6 août 1998, que les risques de persécutions futures allégués par l'auteur étaient
objectivement fondés. En premier lieu, l'appartenance de l'intéressé au MPR
n'avait pas été établie, l'auteur n'ayant pas produit sa carte de membre du
parti. De plus, à supposer que l'auteur fût membre de ce parti, il n'en aurait
été qu'un rouage subalterne, comme il l'avait d'ailleurs lui-même souligné lors
de sa deuxième audition. Dans ces conditions, il était pour le moins difficile
de comprendre les raisons qui auraient incité les soldats de Kabila à l'interroger
sur ses activités au sein du MPR plutôt que les cadres du parti. Enfin, la CRA
a estimé que les déclarations de l'auteur concernant les événements du 10 mai
1997 n'étaient pas vraisemblables. En effet, l'avant-garde de l'AFDL ne pénétra
dans la capitale que le 17 mai 1997; les six soldats en question ne pouvaient
donc être que des soldats du régime encore en place à cette date. Partant, et
pour autant que l'on admette la réalité de cet événement, les craintes de persécutions
auraient disparu depuis la prise de pouvoir de l'AFDL, les forces armées de
Mobutu ayant été dissoutes dans l'intervalle.
4.3 L'État partie se rallie sans réserve aux motifs retenus par la CRA concernant
le manque de crédibilité des allégations de l'auteur. Il estime également que
les déclarations de l'auteur ne permettent nullement de conclure qu'il existe
des motifs sérieux de penser, conformément au paragraphe 1 de l'article 3 de
la Convention, que l'auteur serait exposé à la torture si la décision de renvoi
devait être exécutée. Enfin, il formule des observations complémentaires sous
l'angle du paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention.
4.4 Dans sa communication, l'auteur craint d'être persécuté par l'armée ou la
population au vu de son engagement au sein du MPR. Les craintes de persécutions
émanant de la population ne sauraient figurer parmi les considérations pertinentes
que le Comité doit prendre en compte conformément au paragraphe 2 de l'article
3 de la Convention. Sous l'angle du paragraphe 1 du même article, seules les
persécutions provenant de l'armée, au cas où elles seraient retenues, se révéleraient
pertinentes.
4.5 L'auteur n'a jamais allégué avoir été arrêté ou torturé par le passé. Ce
n'est que le 10 mai 1997 qu'il aurait été, pour la première et unique fois,
en proie à des difficultés lorsque des soldats de Kabila se seraient rendus
chez lui et l'auraient interrogé. Or, comme la CRA l'a relevé dans sa décision,
il n'existe aucun indice sérieux permettant de considérer que cet événement
a réellement eu lieu : d'une part, compte tenu des fonctions subalternes que
l'auteur dit avoir exercées au sein du MPR, on ne voit pas pour quel motif des
soldats de l'AFDL se seraient intéressés à lui plutôt qu'aux responsables politiques
de ce parti, certainement mieux renseignés que lui au sujet des ressources financières
du MPR; d'autre part, à la date indiquée par l'auteur, les troupes de l'AFDL
n'avaient pas encore pénétré dans la capitale. De plus, même si l'on admettait
la version de l'auteur, non seulement il faudrait considérer établie son affiliation
au MPR, ce qui n'est nullement le cas, mais surtout, cet événement ne permettrait
nullement d'étayer la crainte de persécutions futures. En effet, on voit mal
pourquoi l'auteur serait torturé à son retour alors que, lors de son prétendu
interrogatoire du 10 mai 1997, il n'a pas fait l'objet de mauvais traitements.
Pour que le risque de persécutions futures apparaisse suffisamment concret et
réel, l'auteur aurait dû avancer d'autres éléments, postérieurs à sa fuite,
qui autoriseraient à considérer que le risque de torture se concrétiserait.
4.6 La présente communication se distingue de celles où le Comité avait estimé
que le renvoi de leurs auteurs au Zaïre enfreignait l'article 3 de la Convention.
Contrairement aux communications Balabou Mutambo c. Suisse
CAT/C/12/D/13/1993. et Pauline Muzonzo Paku Kisoki c. Suède
CAT/C/16/D/41/1996., l'auteur de la présente communication n'a pas pu démontrer
qu'il avait quitté son pays en raison de persécutions subies dans le passé ou
que ses activités politiques dans les pays d'accueil renforcent ses craintes
d'être torturé en cas de renvoi. Enfin, l'auteur n'a pas allégué que ses origines
ethniques pourraient l'exposer à un risque de torture.
4.7 Son affiliation au MPR n'est pas, non plus, démontrée. Malgré sa promesse
de verser au dossier sa carte de membre qui serait restée chez lui après son
départ, l'auteur n'a, semble-t-il, pas entrepris de démarches pour la récupérer.
Pourtant, selon les informations de l'Ambassade suisse à Kinshasa, les communications
postales avec la RDC fonctionnent normalement. Des entreprises privées, comme
DHL et EMS, sont bien implantées dans la capitale et offrent des services performants
d'acheminement du courrier. L'auteur n'a de surcroît nullement laissé entendre
que sa famille serait en butte à des persécutions de la part des autorités.
On doit donc admettre qu'il était loisible à l'auteur de prendre contact avec
sa famille afin d'obtenir sa carte de membre du MPR. Cela dit, même si l'auteur
avait été membre du MPR, son appartenance ne suffirait pas pour considérer que
le risque de torture serait suffisamment ciblé. Il y a, en effet, des centaines
de milliers d'anciens membres du MPR en RDC et le Gouvernement n'a pas entrepris
des mesures de persécutions sur un plan général vis-à-vis de ces personnes.
De surcroît, il a été incapable de donner des informations détaillées sur ses
fonctions au sein du MPR. Dans sa communication, il n'a du reste même pas jugé
utile de donner des informations sur ce sujet.
4.8 À la lumière des développements qui précèdent, l'État partie est d'avis
que rien n'indique qu'il existe des motifs sérieux de craindre que l'auteur
serait exposé concrètement et personnellement à la torture à son retour en RDC.
Commentaires de l'auteur
5.1 Par lettre du 15 juillet 1999, l'auteur informe le Comité qu'il est en détention administrative en vue de son renvoi vers la RDC. Il revient sur l'interprétation faite par les autorités suisses concernant l'origine des menaces dont il a fait l'objet dans son pays. Selon la CRA, ses craintes de persécutions devraient avoir disparu puisque le 10 mai 1997 les forces de Kabila n'étaient pas encore rentrées dans Kinshasa. En fait, le 10 mai 1997, quelques infiltrés étaient déjà parvenus jusqu'à la capitale, même si officiellement les troupes d'avant-garde ne sont arrivées que le 17 mai. Ce sont bien des soldats de l'AFDL qui ont interrogé l'auteur. Il n'a pas pu faire de confusion avec des soldats des forces armées du Président Mobutu, dont par ailleurs il ne craignait rien, puisqu'ils le connaissaient.
5.2 L'auteur fait valoir qu'il lui est actuellement impossible de fournir des
moyens de preuve de ses activités politiques. Quant à sa carte de membre du
MPR, il signale que si les communications sont supposées fonctionner parfaitement
entre la RDC et la Suisse, ce qui est douteux quant à la distribution postale
à Kinshasa, cela ne peut être que très récent. Il n'a pas eu de nouvelles de
sa famille durant des mois après son arrivée en Suisse, justement à cause des
problèmes de communication. Il a finalement appris par une lettre de sa mère
qu'elle avait quitté Kinshasa depuis plus de neuf mois pour se rendre avec ses
frères à Brazzaville à cause des problèmes qu'elle avait eus à Kinshasa. Elle
lui a expliqué que son père avait été arrêté après son départ du pays et qu'il
avait été interrogé et battu pour qu'il révèle où l'auteur était parti. La lettre
est restée au domicile de l'auteur à la Chaux-de-Fonds.
5.3 Dans sa demande d'asile, l'auteur a bien expliqué ses tâches au sein du
MPR. Il était responsable de la mobilisation du peuple à l'aéroport pour tous
les déplacements du Président Mobutu. À cause de cette fonction il était bien
connu, particulièrement à Kinshasa. C'est pour cela que ses craintes d'être
reconnu et arrêté s'il retourne en RDC existent encore à ce jour.
5.4 Selon l'auteur, si de nombreux anciens agents du Président Mobutu sont restés
au pays, c'est après avoir fait en sorte qu'ils n'auraient pas de problèmes,
en payant et en corrompant autour d'eux pour conserver leur liberté. Il affirme
avoir connu en Suisse deux compatriotes, dont il donne les noms, qui auraient
été arrêtés à leur retour en RDC et seraient en prison à Makala.
Délibération du Comité
6.1 Avant d'examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5, alinéa a), de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note aussi que tous les recours internes sont épuisés et estime que rien ne s'oppose à ce qu'il déclare la communication recevable. L=État partie et l'auteur ayant chacun formulé des observations sur le fond de la communication, le Comité procède à l'examen quant au fond.
6.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi de l'auteur
vers la République démocratique du Congo violerait l'obligation de l'État partie,
en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une
personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque
d'être soumise à la torture.
6.3 Le Comité doit décider, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 3,
s'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur risquerait d'être soumis
à la torture s'il était renvoyé en République démocratique du Congo. Pour prendre
cette décision, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes,
conformément au paragraphe 2 de l'article 3 de la Convention, y compris l'existence
dans ce pays d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme,
graves, flagrantes ou massives. Toutefois, le but de cette analyse est de déterminer
si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture. Il s'ensuit
que l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des
droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une
raison suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise
à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui
donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement,
l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits
de l'homme ne signifie pas qu'une personne ne puisse pas être soumise à la torture
dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4 Dans le cas d'espèce, il est à signaler que l'auteur n'a présenté de preuves
ni au Comité ni à l'État partie, qui permettent de croire à son appartenance
au MPR et au fait que sa famille a été l'objet de persécutions par le régime
actuellement en place à Kinshasa. Les explications données par l'auteur pour
justifier une telle absence de preuves n'ont pas été considérées convaincantes
par le Comité. L'auteur n'a pas fourni de preuves non plus des prétendues persécutions
dont les anciens membres du MPR, en particulier les membres subalternes, seraient
actuellement l'objet du fait de leur soutien à l'ancien président du pays et
d'un engagement actif en faveur de l'opposition au régime actuellement au pouvoir.
6.5 Le Comité note avec préoccupation les nombreux rapports faisant état de
violations des droits de l'homme, y compris le recours à la torture, en République
démocratique du Congo, mais rappelle qu'aux fins de l'article 3 de la Convention,
il doit exister dans le pays vers lequel une personne est renvoyée un risque
prévisible, réel et personnel pour celle-ci d'être torturée. Compte tenu des
considérations ci-dessus, le Comité estime que l'existence d'un tel risque n'a
pas été établie.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, estime que la décision de l'État partie de renvoyer
l'auteur en République démocratique du Congo ne fait apparaître aucune violation
de l'article 3 de la Convention.