M. K.K. c. Suisse, Communication No. 186/2001, U.N. Doc. CAT/C/31/D/186/2001 (2003).
Présentée par : M. K. K. (représenté par un conseil)
Au nom : Du requérant
État partie : Suisse
Date de la requête : 3 juillet 2001 (date de la lettre initiale)
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 11 novembre 2003,
Ayant achevé l'examen de la communication no 186/2001 présentée par M. K. K. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
Décision au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention
1.1 Le requérant est K. K., Sri-Lankais
d'origine tamoule, né en 1976, actuellement en rétention à Zoug (Suisse) dans
l'attente de son expulsion vers Sri Lanka. Il affirme que son renvoi à Sri Lanka
constituerait une violation par la Suisse de l'article 3 de la Convention contre
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il est représenté par un conseil.
1.2 Le 8 août 2001, le Comité a adressé la requête à l'État partie en le priant
de faire ses observations et, en application du paragraphe 1 de l'article 108
de son règlement intérieur, il lui a demandé de ne pas renvoyer le requérant
à Sri Lanka tant que sa requête serait en cours d'examen. L'État partie a accédé
à cette demande.
Rappel des faits
2.1 Le requérant est originaire de Jaffna, dans le nord de Sri Lanka. Lorsque,
en octobre 1995, l'armée sri-lankaise a bombardé la maison de ses parents, sa
famille et lui-même se sont réfugiés dans la ville de Killinochi, qui était
alors contrôlée par les LTTE, (1) d'où il est parti pour Colombo, en mai 1996,
en compagnie de sa mère. En cours de route, il a été séparé de celle-ci et arrêté
à un poste de contrôle de l'armée sri-lankaise et du Front révolutionnaire de
libération du peuple de l'Eelam (EPRLF) près de Vavuniya, en même temps que
plusieurs autres hommes tamouls soupçonnés d'appartenir aux LTTE.
2.2 Le requérant a ensuite été détenu dans un local scolaire, d'où il a été
conduit au département de la police criminelle (CID) de Thandikulam pour y être
interrogé sur ses liens avec les LTTE. Pendant cette période, il dit qu'il a
été torturé par des membres tamouls de l'EPRLF, qui l'ont laissé nu, les mains
liées derrière le dos et lui ont brûlé les parties génitales à la cigarette.
Le requérant a également été frappé à coups de matraque et menacé d'être exécuté
s'il refusait d'avouer son appartenance aux LTTE. Durant sa détention, on ne
lui a donné à manger que du riz mal lavé et à boire que de l'eau nauséabonde
ou de l'urine. Au bout de 12 jours, le requérant a été relâché à la suite des
interventions répétées de sa mère et aussi parce qu'un parent éloigné de Colombo,
M. J. S., s'était porté garant de lui.
2.3 Peu après son arrivée à Colombo, où il vivait dans une pension [tamoule],
le requérant a été appréhendé par l'armée, qui l'a remis à la police. Le lendemain
de son arrestation, il a été traduit devant un juge qui, par une décision en
date du 2 août 1996, l'a acquitté de toutes les accusations d'activités terroristes
portées contre lui, faute de preuves. Malgré cela, il a été maintenu en détention
au CID, dans une cellule qu'il partageait avec des toxicomanes et des alcooliques
cingalais, qui l'auraient brutalisé. Au bout d'une semaine, il a de nouveau
été présenté à un juge et a pu obtenir sa remise en liberté avec l'aide d'un
avocat.
2.4 Peu de temps après, le requérant a été arrêté une nouvelle fois par le CID,
qui le soupçonnait d'être un activiste des LTTE. D'après son récit, le fonctionnaire
auquel il a eu affaire dans les bureaux du CID de Boralle lui a donné une demi-heure
pour passer aux aveux faute de quoi il menaçait de l'exécuter. Lorsqu'il a été
interrogé ensuite en même temps que deux autres suspects, M. J. S. et sa sœur,
K. S., il a été frappé à la tête avec un tuyau en plastique (tuyau de type «S-Lon»)
rempli de sable. Après cela, il a passé sept jours en détention dans les locaux
du CID avant que les deux autres suspects et lui-même n'obtiennent leur libération
contre paiement de 15 000 roupies.
2.5 En septembre 1996, le requérant a de nouveau été arrêté après qu'un attentat
à la bombe eut été perpétré contre un train à Dehiwala (Colombo) et que des
armes et des engins explosifs eurent été découverts à proximité du domicile
de ses proches, J. S. et K. S., suspects eux aussi. Durant sa détention, au
cours de laquelle il affirme avoir été roué de coups et obligé à dénuder ses
organes génitaux, et n'avoir reçu qu'une nourriture de mauvaise qualité, le
requérant a reçu deux fois la visite de délégués du Comité international de
la Croix-Rouge (CICR) (9 et 19 septembre 1996). J. S., sa sœur et lui-même ont
été remis en liberté au bout de 22 jours, après l'arrestation par la police
du véritable auteur de l'attentat et le paiement par sa mère de 45 000 roupies;
il a été prié de quitter Colombo dans un délai d'un mois.
2.6 Le 29 octobre 1996, le requérant a quitté Sri Lanka à l'aide d'un faux passeport.
Arrivé en Suisse le 30 octobre 1996, il a déposé le jour même une demande d'asile.
L'Office fédéral des réfugiés (OFR), après l'avoir entendu à deux reprises,
le 14 novembre 1996 et le 6 mars 1997, et après qu'il eut été interrogé par
la police des étrangers de Zoug, le 9 décembre 1996, a rejeté sa demande par
une décision en date du 23 octobre 1998, et a ordonné en même temps son renvoi
à Sri Lanka. Tout en tenant pour authentiques les pièces soumises à titre de
preuve (2) par le requérant, l'Office fédéral a relevé dans les déclarations
de celui-ci plusieurs contradictions qui le faisaient douter de sa crédibilité.
Ainsi, tandis qu'il avait déclaré à la police des étrangers de Zoug que les
délégués du CICR étaient venus le voir pendant sa deuxième détention à Colombo,
il a indiqué, lors de sa seconde audition par l'OFR, qu'il avait reçu ces visites
au cours de sa troisième et dernière détention à Colombo. Au vu de cette incohérence,
qu'il n'a pas pu expliquer, les autorités se sont demandé s'il avait véritablement
été détenu trois fois à Colombo. Le récit qu'il a fait lors de sa seconde audience
devant l'OFR, selon lequel il avait quitté Colombo 12 jours seulement après
sa remise en liberté définitive, avait été jugé invraisemblable, ce qui entamait
encore davantage sa crédibilité. De plus, le fait que le requérant ait été acquitté
par un tribunal sri-lankais et remis en liberté à plusieurs reprises après avoir
été détenu par la police attestait qu'il n'était pas véritablement menacé de
persécution. Les actes de torture dont il déclarait avoir été victime ne pouvaient
pas être attribués aux autorités sri-lankaises, qui avaient déployé des efforts
considérables pour améliorer la situation des droits de l'homme dans le pays,
mais étaient le fait de certains policiers coupables d'abus d'autorité. Les
problèmes de santé dont le requérant affirmait souffrir (difficultés à uriner,
maux d'estomac, pertes de mémoire) ne l'avaient pas empêché de voyager.
2.7 Le 24 novembre 1998, le requérant a fait appel de la décision de l'OFR auprès
de la Commission suisse de recours en matière d'asile (Asylrekurskomission),
affirmant que les apparentes contradictions quant au moment où les visites de
délégués du CICR avaient eu lieu résultaient d'un malentendu. En effet, quand
il avait été entendu la deuxième fois par l'OFR, il avait parlé de sa deuxième
arrestation par le CID et non de sa deuxième détention à Colombo. En ce qui
concerne le peu de temps qu'il lui avait fallu pour organiser son départ de
Colombo, il a expliqué que sa mère et son oncle avaient préparé ce voyage bien
avant sa libération définitive, lorsqu'ils étaient arrivés à la conclusion qu'il
n'était plus en sécurité à Sri Lanka. Par ailleurs, le requérant a contesté
que les actes de torture commis par certains membres de la police ne puissent
pas être attribués aux autorités sri-lankaises et que la situation des droits
de l'homme se soit notablement améliorée à Sri Lanka. Le fait qu'il ait été
arrêté et torturé après avoir été acquitté par une décision judiciaire montrait
bien que son acquittement ne le mettait pas à l'abri d'une arrestation ni de
la torture.
2.8 Ultérieurement, le requérant a présenté deux rapports médicaux. L'un, daté
du 7 décembre 1998, indiquait qu'il avait sur les organes génitaux quatre marques
de brûlure probablement causées par des cigarettes; l'autre, daté du 17 janvier
1999, était un rapport psychiatrique confirmant qu'il présentait des symptômes
patents de troubles post-traumatiques. Dans une communication datée du 29 janvier
1999, l'OFR a contesté la transparence, l'exactitude scientifique, la plausibilité
et l'impartialité du rapport psychiatrique.
2.9 Par une décision en date du 18 septembre 2000, la Commission suisse de recours
en matière d'asile a rejeté le recours qui avait été formé, en raison essentiellement
des contradictions déjà relevées par l'OFR. En outre, la Commission a exprimé
des doutes quant à l'identité du requérant au motif que son frère avait antérieurement
demandé l'asile en Suisse sous le même nom et que le requérant n'avait pas toujours
donné la même date de naissance. La Commission a également exclu la possibilité
que, lors de la deuxième audition par l'OFR, le requérant ait fait allusion
à sa dernière période de détention lorsqu'il avait mentionné une détention d'une
durée de sept jours (au lieu de 22) à propos des visites des délégués du CICR.
De plus, l'affirmation selon laquelle il s'était présenté spontanément au CID
lorsque sa mère l'avait informé qu'il était soupçonné d'être impliqué dans l'attentat
à la bombe de Dehiwala n'était pas crédible s'il avait vraiment été torturé
par des agents du CID durant sa détention précédente. Pour ce qui est des rapports
médicaux présentés par le requérant, la Commission, tout en admettant que les
brûlures dont il est fait état dans l'un d'eux pouvaient avoir été faites à
la cigarette, jugeait improbable que ces lésions aient été infligées au requérant
dans les circonstances que celui-ci avait décrites, sachant qu'il avait à l'évidence
exagéré le nombre de brûlures lorsqu'il avait été entendu par la police des
étrangers. De même, la Commission a observé que le rapport psychiatrique avait
été soumis à un stade avancé de la procédure et a estimé qu'il ne permettait
pas de conclure que le requérant avait été torturé. Sans exclure la possibilité
que celui-ci puisse être arrêté et frappé par la police à son retour à Sri Lanka,
la Commission a conclu à l'absence de risque concret de torture car il était
raisonnable d'attendre des autorités sri-lankaises qu'elles répriment de tels
incidents. La Commission a également considéré que les traitements médicaux
disponibles à Sri Lanka étaient suffisants pour répondre aux besoins du requérant
et a confirmé à la fois la décision et l'arrêté d'expulsion rendus par l'OFR.
2.10 Le 23 juillet 2001, le requérant a été arrêté et placé en rétention par
la police des étrangers de Zoug après avoir tenté de se soustraire à l'expulsion,
prévue pour le 24 janvier 2001, en entrant dans la clandestinité.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant affirme que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation
par l'État partie de l'article 3 de la Convention car il court un risque important
d'être soumis à la torture, étant un jeune homme tamoul, célibataire, qui a
déjà été arrêté et torturé à plusieurs reprises parce qu'il était soupçonné
d'être un activiste des LTTE.
3.2 Le requérant indique que les forces de sécurité sri-lankaises procèdent
chaque jour à des rafles contre les Tamouls qui, en vertu de la loi sur la prévention
du terrorisme, peuvent être arrêtés sans mandat et placés en détention pour
une période allant jusqu'à 18 mois sans être informés des charges pesant contre
eux. En vertu du règlement d'exception qui accompagne la loi, cette période
peut être prolongée plusieurs fois pour une durée de 90 jours par une commission
judiciaire dont les décisions sont sans appel. Pendant cette période, les détenus
sont
fréquemment interrogés au sujet de leurs liens avec les LTTE et, souvent, ils
subissent des tortures ou des mauvais traitements, quand ils ne sont pas victimes
d'une exécution extrajudiciaire.
3.3 Se référant à plusieurs rapports sur la situation des droits de l'homme
à Sri Lanka, (3) le requérant affirme que les risques de torture auxquels les
Tamouls sont exposés n'ont pas diminué de manière notable au cours des dernières
années.
3.4 Le requérant fait valoir qu'en raison des troubles post-traumatiques dont
il souffre, il pouvait avoir des réactions incontrôlées dans des situations
de danger telles que les rafles et les contrôles effectués dans la rue et que,
dès lors, il courrait davantage le risque d'être arrêté puis torturé par la
police. De plus, il n'existe pas à Sri Lanka de traitements médicaux et thérapeutiques
appropriés pour les personnes ayant subi un traumatisme.
3.5 Le requérant déclare qu'il a épuisé les recours internes et que la même
question n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre
instance internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1 Le 18 septembre 2001, l'État partie a admis que la requête était recevable
et, le 8 février 2002, il a présenté ses observations sur le fond. Faisant siens
les arguments invoqués par l'Office fédéral des réfugiés et la Commission suisse
de recours en matière d'asile, il en conclut que l'auteur n'a pas apporté la
preuve qu'il courrait personnellement un risque réel d'être soumis à la torture
à son retour à Sri Lanka.
4.2 L'État partie rappelle les importantes contradictions relevées dans les
déclarations du requérant, qui donnent l'impression que celui-ci n'a pas subi
des tortures aussi graves qu'il le prétend, et ne s'expliquent pas simplement
par le manque de précision dans la relation des faits couramment observé chez
les victimes de la torture. Même si le requérant a subi des mauvais traitements
par le passé, ce n'est que l'un des éléments à prendre en compte pour apprécier
le risque qu'il court actuellement d'être torturé. On ne peut déduire automatiquement
de faits qui se seraient produits antérieurement que le requérant court un risque
sérieux d'être persécuté par les autorités sri-lankaises. Par ailleurs, selon
une évaluation du HCR, le risque encouru par les demandeurs d'asile sri-lankais
déboutés dans le cadre d'une procédure équitable était d'un niveau tolérable.
4.3 Selon l'État partie, les Tamouls arrêtés au cours de rafles de la police
étaient le plus souvent relâchés dans les 24 heures, après vérification de leur
identité. Les seuls qui risquaient d'être maintenus en détention pour des périodes
plus longues étaient ceux qui étaient soupçonnés, ou dont des proches étaient
soupçonnés, d'appartenir aux LTTE. Normalement, les résidents des pensions tamoules
n'étaient pas placés en état d'arrestation à condition qu'ils puissent faire
la preuve de leur identité. Le requérant ayant déclaré qu'il n'avait jamais
pris part à des activités politiques et qu'aucun membre de sa famille n'appartenait
aux LTTE, on pouvait supposer que le risque qu'il soit arrêté par les forces
de sécurité était relativement faible, d'autant qu'il lui était aisé de produire,
lors des contrôles de police, la pièce établissant son acquittement par une
autorité judiciaire sri-lankaise qu'il avait en sa possession. De plus, le fait
qu'il ait été relâché à deux reprises contre paiement d'une caution attestait
qu'il n'était pas véritablement soupçonné d'appartenir aux LTTE.
4.4 L'État partie affirme que la protection des détenus à Sri Lanka a été renforcée
à la suite de la création d'une commission d'enquête sur les arrestations illégales
et le harcèlement, à laquelle toutes les arrestations opérées en vertu de la
loi sur la prévention du terrorisme et du règlement d'exception doivent être
notifiées et qui peut examiner des plaintes concernant des mauvais traitements
commis par les forces de sécurité. La Commission a adopté le 7 septembre 1998
ses directives qui disposent que nul ne peut être arrêté sans être informé des
charges pesant contre lui ni sans que sa famille ne soit informée de ces charges
et de son lieu de détention, ou en l'absence de preuves à charge. Selon des
sources gouvernementales, il en est résulté un respect plus rigoureux des droits
de l'homme lors des contrôles d'identité et lors de la détention des personnes.
4.5 En ce qui concerne la situation médicale du requérant, l'État partie fait
observer qu'il existe à Sri Lanka plusieurs établissements équipés pour traiter
les personnes ayant subi un traumatisme, tels que le Centre de réadaptation
familiale qui a son siège à Colombo mais possède plusieurs antennes dans le
pays, et qui propose à la fois un traitement médicamenteux adéquat et une prise
en charge thérapeutique.
4.6 Enfin, l'État partie indique que, le 14 février 2001, le requérant lui-même
a accepté de bénéficier du programme de rapatriement proposé par l'Office fédéral
des réfugiés.
Commentaires du requérant sur la réponse de l'État partie
5.1 Dans ses commentaires datés du 16 juillet 2002, au sujet de la réponse de
l'État partie sur le fond, le conseil a fait observer que les contradictions
relevées dans les déclarations du requérant devant les autorités suisses s'expliquaient
par une «notion diffuse de la réalité». Les personnes ayant subi un traumatisme
ont souvent des difficultés à se rappeler les détails et la chronologie de leur
histoire. Le fait que le requérant ait modifié sa relation des faits sur des
points importants, par exemple la période à laquelle les visites des délégués
du CICR avaient eu lieu, au cours d'une seule de ses deux auditions devant l'OFR,
attestait simplement la gravité des troubles post-traumatiques dont il souffrait.
Une personne en pleine possession de ses moyens ayant l'intention de mentir
aux autorités aurait présenté un récit plus cohérent.
5.2 Les troubles psychologiques dont souffre le requérant l'exposeraient davantage
au risque d'être arrêté, puis torturé, par les forces de sécurité sri-lankaises
car il panique et cherche à prendre la fuite dès qu'il voit un policier. Un
tel comportement ne peut qu'être jugé suspect par la police, comme en témoigne
l'incident survenu le 23 juillet 2002 à la gare de Zoug où le requérant, ayant
reconnu un policier habillé en civil, avait tenté de prendre la fuite et avait
été appréhendé. Une fois qu'il aurait été arrêté, les autorités sri-lankaises
pourraient fort bien prendre le requérant pour un activiste des LTTE à cause
des cicatrices qu'il porte sur le corps.
5.3 Le requérant fait remarquer que l'Office fédéral des réfugiés s'est borné
à contester l'objectivité du rapport psychiatrique sans accomplir son devoir
d'enquête en demandant une contre-expertise. De même, l'OFR s'est contenté d'émettre
des doutes quant à l'origine des brûlures visibles sur ses parties génitales,
sans chercher à en découvrir la cause.
5.4 Se référant à un jugement du tribunal administratif de Dresde (Allemagne)
en date du 12 décembre 2000, le requérant fait valoir que les moyens disponibles
à Sri Lanka pour le traitement des personnes ayant subi un traumatisme ne suffisent
pas à répondre aux besoins des dizaines de milliers de victimes de la torture.
De l'aveu même du Centre de réadaptation familiale, les demandeurs d'asile tamouls
souffrant de troubles post-traumatiques qui rentrent au pays ont peu de chances
de bénéficier d'un traitement adéquat et prolongé.
5.5 Le requérant affirme que si, en février 2001, il a accepté de participer
au programme de rapatriement, c'est uniquement parce qu'il souffrait à l'époque
d'une dépression, due aux rejets répétés de sa demande d'asile par les autorités
suisses.
5.6 Le 23 juillet 2002, le requérant a présenté un autre rapport psychiatrique
daté du 19 juillet 2002, établi par l'Institut de psychotraumatologie de Zurich
(IPZ), faisant état de symptômes de désinsertion sociale associés à un abus
d'alcool, à des symptômes dépressifs et, vraisemblablement, à des troubles post-traumatiques
liés à l'expérience que le requérant avait vécue à Sri Lanka. Le rapport confirme
que les déclarations contradictoires faites par le requérant devant les autorités
d'immigration ne devraient pas mettre en cause sa crédibilité car elles font
partie intégrante des symptômes réactionnels des troubles post-traumatiques
dont il souffre.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre
la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'a
pas été examinée et n'est pas en cours d'examen par une autre instance internationale
d'enquête ou de règlement. Le Comité note également, dans la présente affaire,
que tous les recours internes ont été épuisés et que l'État partie n'a pas contesté
la recevabilité de la communication. Il considère par conséquent que celle-ci
est recevable et procède à son examen sur le fond.
6.2 Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l'État
partie manquerait à l'obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1
de l'article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers
un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'il risque d'être soumis
à la torture. Pour ce faire, le Comité doit tenir compte de tous les éléments,
y compris l'existence dans l'État où le requérant serait renvoyé d'un ensemble
systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme
(par. 2 de l'article 3 de la Convention).
6.3 Le Comité a pris note des rapports cités par le requérant ainsi que par
l'État partie, qui nient ou confirment la réalisation de progrès notables en
ce qui concerne la protection des droits des Tamouls lors des contrôles d'identité,
ainsi que lors de l'arrestation et de la détention des personnes à Sri Lanka.
Le Comité relève également dans des rapports récents sur la situation des droits
de l'homme à Sri Lanka que, bien que des efforts aient été déployés pour éliminer
la torture, des cas de torture continuent d'être rapportés et il est fréquent
aussi que les plaintes pour torture ne soient pas traitées efficacement par
la police, les magistrats et les médecins. Cela dit, le Comité note aussi le
processus de paix en cours à Sri Lanka qui a conduit à la conclusion d'un accord
de cessez-le-feu entre le Gouvernement et les LTTE en février 2002 et les négociations
qui ont eu lieu depuis lors entre les deux parties. Le Comité rappelle en outre
que, sur la base des résultats de son enquête sur Sri Lanka au titre de l'article
20 de la Convention, il a conclu que la pratique de la torture n'était pas systématique
dans l'État partie. (4) Le Comité note enfin qu'un grand nombre de réfugiés
tamouls sont rentrés à Sri Lanka en 2001 et 2002.(5)
6.4 Le Comité rappelle toutefois qu'il s'agit pour lui de déterminer si l'intéressé
risque personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il
serait renvoyé. Dès lors, quand bien même il serait possible d'affirmer qu'il
existe à Sri Lanka un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme
graves, flagrantes ou massives, cela ne constituerait pas en soi un motif suffisant
pour établir que le requérant risque d'être soumis à la torture à son retour
dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que
l'intéressé courrait personnellement un risque. À l'inverse, l'absence d'un
ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l'homme ne
signifie pas nécessairement que le requérant ne peut pas être considéré comme
risquant d'être soumis à la torture dans ses circonstances particulières.
6.5 En ce qui concerne le risque que court personnellement le requérant d'être
soumis à la torture par les forces de sécurité sri-lankaises, le Comité a pris
note des arguments que le requérant a avancés à cet égard: le fait qu'il ait
été arrêté et torturé par le passé parce qu'il était soupçonné d'être un activiste
des LTTE ainsi que les séquelles des tortures qu'il a subies accroissent le
risque qu'il court d'être de nouveau arrêté et torturé, sachant qu'il a des
réactions incontrôlées dans les situations de stress, ce qui peut susciter des
soupçons, et qu'il porte des cicatrices sur le corps. Le Comité a pris note
des arguments de l'État partie au sujet des contradictions relevées dans les
déclarations faites par le requérant devant les autorités suisses d'immigration,
de son acquittement par une autorité judiciaire sri-lankaise faute de preuves
de son implication dans les activités des LTTE et des garanties juridiques instaurées
en 1998 par la nouvelle Commission d'enquête sur les arrestations illégales
et le harcèlement (voir par. 4.4).
6.6 Le Comité considère que, dans l'hypothèse où les rapports médicaux et psychiatriques
soumis par le requérant sont authentiques, il convient d'accorder un poids considérable
à l'allégation selon laquelle il a été torturé pendant sa détention dans les
locaux du CID. Toutefois il relève que les faits allégués ne sont pas récents.(6)
6.7 Dans la mesure où le requérant fait valoir que les troubles post-traumatiques
dont il souffre l'amène à avoir des réactions incontrôlées dans les situations
de stress, ce qui accroît le risque pour lui d'être arrêté par la police sri-lankaise,
le Comité observe que le fait que l'intéressé ait bénéficié d'une décision de
justice par laquelle il a été acquitté des accusations d'activités terroristes
dirigées contre lui ainsi que le fait qu'il ne soit guère connu pour une action
politique quelconque, peuvent à l'inverse être considérés comme des facteurs
susceptibles de réduire le risque qu'il court de subir des conséquences graves
au cas où il serait de nouveau arrêté.
6.8 En ce qui concerne l'absence de traitements psychiatriques adéquats à Sri
Lanka pour les troubles post-traumatiques dont souffre le requérant, le Comité
estime que l'aggravation de l'état de santé du requérant qui pourrait résulter
de son expulsion vers Sri Lanka ne constituerait pas une torture au sens de
l'article 3, lu conjointement avec l'article premier de la Convention, qui pourrait
être attribuée à l'État partie lui-même.(7)
6.9 En conséquence, le Comité est d'avis que le requérant n'a pas apporté d'éléments
suffisants pour lui permettre de conclure qu'il courrait personnellement et
actuellement un risque sérieux d'être soumis à la torture s'il était renvoyé
à Sri Lanka.
7. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka ne constituerait
pas une violation de l'article 3 de la Convention.
[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Tigres de libération de l'Eelam tamoul.
2. Les pièces en question sont la décision de l'autorité judiciaire sri-lankaise
en date du 2 août 1996 par laquelle le requérant a été acquitté et une fiche
d'enregistrement du requérant comme prisonnier établie par le CICR.
3. Il est fait référence notamment au rapport d'Amnesty International du 20
juillet 2000 (ASA 37/022/2000).
4. Document A/57/44, chap. IV.B, par. 181.
5. Voir la communication no 191/2001, S. S. c. Pays-Bas, décision adoptée le
5 mai 2003, par. 6.3.
6. Voir Comité contre la torture, Observation générale no 1: Application de
l'article 3 dans le contexte de l'article 22 de la Convention contre la torture,
21 novembre 1997, par. 8 b).
7. Voir, mutatis mutandis, la communication no 83/1997, G. R .B. c. Suède, décision
adoptée le 15 mai 1998, par. 6.7.