H.B. H. et consorts c. Suisse, Communication No. 192/2001, U.N. Doc. CAT/C/30/D/192/2001 (2003).
Présentée par : | H.B. H., T.N. T., H.J. H., H.O. H., H.R. H. et H.G. H. (représentés par un conseil, Peter Bozli) |
Au nom de : | Les requérants |
État partie : | Suisse |
Date de la requête : | 15 octobre 2001 |
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 29 avril 2003,
Ayant achevé l'examen de la requête no 192/2001, présentée par H.B. H., T.N. T., H.J. H., H.O. H., H.R. H. et H.G. H. en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
DECISION AU TITRE DU PARAGRAPHE 7 DE L'ARTICLE 22
DE LA CONVENTION
1.1 Les requérants - M. H.B. H., son
Úpouse, Mme T.N. T., et leurs enfants H.J. H., H.O. H., H.R. H. et H.G. H. –
sont des ressortissants syriens d'origine kurde. Actuellement, ils se trouvent
en Suisse, où ils avaient déposé une demande d'asile. Cette demande a été rejetée
et les requérants soutiennent que leur renvoi en Syrie constituerait une violation
par la Suisse de l'article 3 de la Convention contre la torture. Ils ont demandé
au Comité de bénéficier de mesures d'urgence, étant donné qu'au moment du dépôt
de leur requête, ils risquaient une expulsion imminente. Ils sont représentés
par un conseil.
1.2 Conformément au paragraphe 3 de l'article 22 de la Convention, le Comité
a porté la requête à l'attention de l'État partie le 20 novembre 2001. Dans
le même temps, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l'article 108
de son règlement intérieur, a demandé à l'État partie de ne pas expulser les
requérants vers la Syrie tant que leur requête serait en cours d'examen.
Rappel des faits présentés par les requérants
2.1 Le requérant affirme avoir été arrêté au cours de son service militaire
obligatoire, en raison de son refus d'adhérer au parti Baath au pouvoir. Il
prétend avoir été détenu à la prison de Tadmur du 1er novembre 1987 au 31 mars
1988 et avoir été maltraité.
2.2 Il déclare également être un sympathisant engagé du parti Yekiti depuis
1992, dont il est devenu membre en 1995. Dans ce contexte, il explique avoir
distribué des tracts, des journaux et participé aux assemblées du parti. Il
affirme avoir été accusé, le 5 novembre 1996, par le Service de sécurité politique
syrien de distribution de tracts prohibés et placé en détention, avant d'être
remis en liberté faute de preuves le 20 novembre 1996.
2.3 Le requérant explique que, le 18 juillet 1998, une réunion comptant 45 à
50 personnes, parmi lesquelles de hauts dirigeants du parti Yekiti, s'est tenue
à son domicile à Kamischli. Il affirme y avoir sévèrement critiqué la politique
du Gouvernement. Il déclare s'être ensuite réfugié chez sa sœur, sur le conseil
du responsable de la réunion, par crainte de mesures de répression de la part
des autorités en raison de ses propos. D'ailleurs, d'après lui, peu après la
réunion, des membres du Service de sécurité syrien se sont rendus à son domicile
et l'ont cherché. Dans les jours suivants, le requérant affirme avoir entendu
dire que les forces de sécurité auraient tenté, à plusieurs reprises, de l'arrêter.
Il affirme s'être d'abord caché chez sa sœur à Kamischli, puis chez son oncle
domicilié à proximité de la frontière turque. Il déclare y avoir retrouvé sa
famille qui avait entre-temps également fui Kamischli. Les requérants affirment
avoir quitté ensemble la Syrie, début août 1998, et traversé la Turquie pour
se rendre en Suisse.
2.4 M. H. affirme être resté en contact, après sa fuite, avec les organisations
exilées de son parti en Europe. Il déclare, en outre, avoir participé à une
manifestation contre le régime syrien au printemps 2000, à Genève.
2.5 Les requérants ont déposé une demande d'asile en Suisse le 17 août 1998,
laquelle fut rejetée le 21 janvier 1999. Appelée à statuer sur le recours déposé
par les requérants le 20 février 2001, la Commission suisse de recours en matière
d'asile (CRA) a confirmé la décision initiale de rejet le 11 avril 2001. Par
lettre du 23 avril 2001, un délai de départ a été imparti aux requérants, au
23 juillet 2001.
2.6 S'appuyant sur un nouveau document destiné à prouver le bien-fondé de la
persécution invoquée - à savoir une lettre interne de la Division de la sécurité
politique d'Al Hassaka, datée du 21 ao¹t 1998, adressée à la Division de la
sécurité politique de Kamischli afin de procéder à l'arrestation de M. H. pour
propagande politique interdite en faveur de la cause kurde -, le requérant a
déposé le 21 juin 2001, auprès de la CRA, une demande de révision du jugement
du 11 avril 2001. Par décision incidente du 28 juin 2001, la CRA a rejeté la
demande d'accorder l'effet suspensif à la demande de révision et de surseoir
à l'exécution du renvoi.
2.7 Par courrier du 27 août 2001, la copie d'un jugement du 20 mai 1999 du tribunal
d'Al Hassaka condamnant M. H. à trois ans de prison ferme en raison de son appartenance
à une organisation interdite a été remise à la CRA. Celle-ci n'a pas jugé opportun
de revenir sur sa décision incidente.
2.8 Le 31 août 2001, a été également adressé à la CRA un rapport d'Amnesty International,
Section suisse, Berne, du 3 juillet 2001, concluant que les requérants seraient
très probablement incarcérés, interrogés sous la torture et feraient l'objet
d'une détention arbitraire s'ils retournaient en Syrie. La CRA n'a pas modifié
sa décision initiale.
2.9 Par courrier du 18 septembre 2001, une autre confirmation du danger couru
par les requérants - à savoir une lettre de soutien de la "Western Kurdistan
Association" a été transmise à la CRA. Par lettre du 19 septembre 2001,
la CRA a réitéré son refus d'accorder l'effet suspensif à la demande de révision
et d'ordonner de surseoir à l'exécution du renvoi.
2.10 Les requérants déclarent avoir épuisé les voies de recours internes. Ils
précisent que, bien que la demande de révision n'ait pas encore fait l'objet
d'un jugement sur le fond, la dÚcision de renvoi est exÚcutoire depuis le 23
juillet 2001.
Teneur de la plainte
3.1 Les requérants affirment qu'ils risquent réellement d'être soumis à la torture
s'ils sont expulsés vers la Syrie.
3.2 Afin de justifier cette crainte, ils rappellent leur différentes soumissions
auprès des instances suisses, en particulier le rapport d'Amnesty International
n'ayant, selon eux, pas ou insuffisamment été apprécié à sa juste valeur, ainsi
que la copie du jugement du tribunal syrien n'ayant pas été observé comme moyen
de preuve par les autorités. Ils font valoir qu'ayant quitté leur pays depuis
trois ans, ils devraient très probablement, s'ils y retournaient, justifier
leur séjour à l'étranger. Ils seraient, pour cette raison, soumis à un interrogatoire
intensif par l'autorité autorisant les départs et délivrant les passeports.
Ils risqueraient ensuite d'être arrêtés par l'un des services secrets syriens,
du fait qu'ils sont kurdes et très proches du parti Yekiti. D'après les requérants,
ceci n'a pu échapper aux autorités syriennes, d'autant plus qu'ils ont participé
à une manifestation à Genève. Par conséquent, les requérants estiment que tout
porte à croire qu'ils seraient interrogés sous la torture au sujet de leurs
relations et de leurs contacts à l'étranger ainsi que de leurs activités.
Observations de l'État partie sur la recevabilité et le bien-fondé
de la requête
4.1 Par lettre du 10 janvier 2002, l'État partie a déclaré qu'il ne contestait
pas la recevabilité de la requête. Il a précisé que les requérants avaient introduit,
le 25 juin 2001, une demande de révision devant la CRA et que, par arrêt du
12 décembre 2001, ce recours avait été rejeté.
4.2 Par lettre du 20 mai 2002, l'État partie a formulé ses observations sur
le bien-fondé de la requête.
4.3 En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements ou de tortures
qu'aurait subis le requérant par le passé, l'État partie souligne que le seul
élément figurant au dossier est la déclaration de M. H., selon laquelle il aurait
été maltraité durant sa détention du 1er novembre 1987 au 31 mars 1988 à la
prison de Tadmur. Selon l'État partie, malgré les questions précises qui lui
ont été posées à ce propos lors de son interrogatoire par les autorités suisses
en matière d'asile, le requérant n'a pas été en mesure de fournir de plus amples
détails. À la question «Comment avez-vous été torturé?», il a répondu: «La première
chose que l'on pratique là-bas est la torture avec le pneu. On vous met dedans
et on vous rosse de coups. Je n'ai reçu qu'un morceau de pain et du thé froid.
Nous n'avons pas pu voir de miroir durant cinq mois. Les visites n'étaient pas
autorisées. Ma famille ne savait pas où je me trouvais.» (1). L'État partie
estime que le requérant parle, en termes très généraux, d'une méthode de torture
apparemment utilisée, sans toutefois préciser explicitement que lui-même aurait
été torturé de cette manière. En outre, il ne donne aucune précision sur les
circonstances précises des mauvais traitements subis, par exemple le nombre
de personnes l'ayant maltraité, la fréquence, le lieu et les fins recherchées.
D'après l'État partie, ce défaut de précisions et d'éléments concrets met grandement
en doute la crédibilité des mauvais traitements subis par le requérant pendant
son service militaire.
4.4 Toutefois, dans l'hypothèse où le requérant aurait effectivement subi des
mauvais traitements par le passé, selon l'État partie ceux-ci ne seraient pas
déterminants pour se prononcer dans la présente procédure. En effet, les mauvais
traitements allégués ayant eu lieu plus de 10 ans avant le départ du requérant
de Syrie, la condition de leur caractère récent afin de démontrer le risque
d'être soumis à la torture au sens de l'article 3 de la Convention - telle qu'Útablie
par l'Observation gÚnÚrale n░ 1 du ComitÚ - n'est manifestement pas remplie.
L'╔tat partie ajoute que les mÛmes conditions valent a fortiori pour la requérante,
puisque celle-ci n'a, à aucun moment, allégué avoir été maltraitée par des organes
étatiques.
4.5 Concernant ses activités politiques en Syrie, le requérant a fourni, dans
le cadre de la procédure d'asile nationale, des attestations datées du 1er octobre
1998 et du 12 mars 1999 sur son appartenance au parti Yekiti. Or, lors de son
interrogatoire sur ce parti au cours de la procédure d'asile, le requérant,
de façon surprenante, n'a pu fournir que des renseignements très vagues sur
les buts du parti dont il prétend être un membre avec des fonctions de responsabilité.
Il n'avait, en outre, que des connaissances très approximatives des structures
de celui-ci, en particulier de ses organes dirigeants. Il a cité le secrétaire
du parti comme organe suprême de celui-ci, alors que, selon les informations
de sources fiables en possession des autorités suisses en matière d'asile, c'est
le Congrès, que le requérant n'a même pas nommé, qui constitue l'organe de décision
suprême dans le parti Yekiti. (2) D'après l'État partie, étant donné que tous
les membres du parti Yekiti doivent accomplir un « temps d'apprentissage » avant
leur admission formelle au sein de celui-ci, les renseignements fournis par
le requérant à propos des buts et de la structure du parti sont par trop imprécis
pour que son appartenance au parti soit crédible. Aussi, les autorités en matière
d'asile en ont conclu que le requérant n'est pas lié au parti Yekiti de la manière
dont il prétend l'être. Selon l'État partie, les deux attestations de qualité
de membre n'y changent rien, étant donné que de tels documents n'ont aucun caractère
officiel et qu'ils sont, en outre, selon les expériences et les connaissances
des autorités suisses, établis avec une telle facilité qu'ils doivent être considérés
comme de simples documents de complaisance.
4.6 À titre de preuves de ses relations étroites avec le parti Yekiti et de
son engagement en son sein, le requérant a fait des allégations considérées
comme non crédibles par l'État partie. En premier lieu, l'affirmation selon
laquelle une réunion secrète, rassemblant environ 50 personnes, a eu lieu au
domicile du requérant n'est guère plausible. En effet, d'après l'État partie,
si le requérant était aussi surveillé par les forces de sécurité syriennes qu'il
le prétend, il ne pouvait, en aucun cas, tenir une réunion de cette ampleur
à son domicile sans attirer l'attention des forces de sécurité. N'est également
pas crédible, selon l'État partie, l'affirmation du requérant selon laquelle
il se serait, après la réunion, réfugié durant environ une semaine chez sa sœur
domiciliée dans la même ville, où il aurait appris que les forces de sécurité
le recherchaient intensivement. D'après l'État partie, il ne fait en effet nul
doute que si les forces de sécurité avaient voulu arrêter le requérant, elles
ne se seraient pas limitées à le rechercher à son domicile, mais elles auraient
également effectué des recherches chez sa sœur, domiciliée dans la même localité.
De même, l'État partie estime que l'on peut difficilement imaginer comment le
requérant, prétendument activement recherché, aurait réussi à préparer sa fuite
ainsi que celle de sa famille depuis son refuge chez sa sœur.
4.7 Dans la procédure de révision devant la CRA, le requérant a produit un document
du Service de sécurité syrien d'Al Hassaka daté du 21 août 1998 (voir par. 2.6).
Le requérant a fait valoir qu'une connaissance de sa famille, domiciliée en
Syrie et qui entretenait de bonnes relations avec l'entourage du Service secret
syrien, avait réussi à obtenir ce document en recourant à la corruption. Par
la suite, ce document aurait transité par l'Allemagne, par une autre connaissance,
dans une photographie polaroïd et de là, il aurait été envoyé en Suisse par
la poste. D'après l'État partie, comme l'a retenu la CRA dans son jugement du
12 décembre 2001, il est incompréhensible que le requérant ait pu prendre possession
de ce document, qui ne lui est pas adressé personnellement et qu'il qualifie
lui-même de note interne. Pour l'État partie, les explications que le requérant
donne concernant la manière dont ce document du Service de sécurité syrien lui
serait parvenu en Suisse sont extrêmement vagues et peu convaincantes. En effet,
aucune des personnes qui auraient participé à l'obtention de ce document n'est
citée nommément. De même, les liens unissant ces personnes au requérant ne sont
pas précisés. En outre, aucune indication sur l'acte de corruption invoqué n'est
donnée et, finalement, on ignore totalement les raisons pour lesquelles ce document
a dû transiter par l'Allemagne avant de parvenir au requérant en Suisse. Compte
tenu de ces incohérences, l'État partie estime que le document est un faux.
En outre, dans sa communication au Comité, le requérant n'allègue absolument
aucun fait qui pourrait contredire cette appréciation. Enfin, selon l'État partie,
il est pour le moins étrange que le requérant n'ait acquis ce document, qui
date de 1998, et ne l'ait versé au dossier qu'après que l'Office fédéral des
réfugiés (OFR) ainsi que la CRA aient rejeté sa demande d'asile. Il est donc
fort probable que ce document a été établi à la seule fin de constituer un nouveau
moyen de preuve qui permettrait d'introduire une procédure de révision.
4.8 Toujours dans la procédure de révision devant la CRA, le requérant a produit
la copie d'un jugement du 20 mai 1999 du tribunal d'Al Hassaka le condamnant
à trois ans de prison ferme en raison de son appartenance à une organisation
interdite (voir par. 2.7). Contrairement aux assertions du requérant (voir par.
3.2), l'État partie soutient que la CRA a examiné, dans son jugement de révision
du 12 décembre 2001, tous les documents produits par M. H., y compris le jugement
du 20 mai 1999 (3), et a considéré, à juste titre, ce dernier comme étant un
faux, pour les raisons suivantes:
a) En premier lieu, son contenu ne correspond pas aux déclarations du requérant
et de son épouse. En effet, ces derniers n'ont jamais évoqué, lors des interrogatoires
par les autorités en matière d'asile, la détention du 1er au 16 juin 1998, mentionnée
dans le jugement. Lors de l'interrogatoire du 21 décembre 1998, le requérant
n'a évoqué qu'une détention subie au cours de son service militaire en 1987
et une autre subie en 1996. À la question expresse de savoir s'il avait été
détenu ou arrêté à d'autres occasions, le requérant a répondu par la négative
(4). L'épouse du requérant n'a également jamais mentionné, lors de son interrogatoire,
la détention de son mari de juin 1998. Au contraire, elle a affirmé que son
époux avait été arrêté pour la dernière fois le 5 novembre 1996; (5)
b) En deuxième lieu, la peine de trois ans mentionnée dans le jugement outrepasse
la peine prévue par la loi syrienne pour le délit auquel le requérant aurait
été condamné;
c) De plus, le jugement est en contradiction avec la note interne du Service
de sécurité du 28 août 1998 produite par le requérant. En effet, il n'est guère
compréhensible que, malgré les soupçons qui pesaient sur lui d'avoir fondé une
organisation secrète, le requérant n'ait été détenu que deux semaines et ait
été relâché le 16 juin 1998, pour être recherché seulement deux mois plus tard
par le Service de sécurité pour le même délit. Eu égard à la gravité du délit
de fondation d'une organisation secrète, la mise en liberté mentionnée dans
le jugement apparaît plus que douteuse. Il est, en outre, surprenant que le
requérant n'ait été condamné par défaut que le 20 mai 1999, soit environ une
année après que les autorités syriennes aient eu connaissance de ses activités
subversives;
d) Finalement, le requérant prétend qu'un fonctionnaire employé au tribunal
qui l'a condamné aurait effectué une copie du jugement contre corruption. La
copie produite par le requérant est toutefois de qualité tellement médiocre
qu'il peut difficilement s'agir d'une copie du jugement original, mais tout
au plus de la copie d'un document déjà copié à plusieurs reprises.
4.9 Au regard de ces contradictions et de ces incohérences, l'État partie estime
que la copie du jugement précité révèle, de toute évidence, qu'il s'agit d'un
faux.
4.10 Concernant les activités politiques du requérant hors de la Syrie (par.
2.4), l'État partie estime que, contrairement à ce qu'affirment les requérants,
la photographie produite les représentant à l'occasion d'une manifestation pour
les droits des Kurdes devant la Mission permanente de Syrie à Genève ne démontre
ni leur participation à la manifestation, ni une quelconque activité politique
en Suisse. La photographie atteste seulement que les requérants se trouvaient
à un endroit où s'est déroulée une manifestation politique, laissant ouverte
la question de savoir de quelle manifestation il s'agissait. En particulier,
elle ne permet pas de déterminer le rôle joué par les requérants lors de cette
manifestation, étant donné que leur position éloignée des personnes tenant un
transparent et le fait d'être entourés d'enfants en bas âge amènent plutôt à
la conclusion que les requérants étaient de simples spectateurs de la manifestation.
En toute hypothèse, d'après l'État partie, on ne saurait conclure de cette photographie
que les requérants ont été actifs politiquement en Suisse et, par conséquent,
qu'ils courent un risque de répression en cas de renvoi en Syrie.
4.11 À propos du rapport d'Amnesty International du 3 juillet 2001 (voir par.
2.8), l'État partie explique qu'au début de son document, cette organisation
précise que ce rapport n'est pas en mesure de se prononcer sur les risques encourus
par les requérants en raison de leurs activités avant leur fuite, étant donné
qu'elle ne peut pas entreprendre les investigations nécessaires à cet effet.
Or, selon Amnesty International, le risque de subir des mauvais traitements
en cas de renvoi en Syrie serait fondé sur les liens du requérant avec le parti
Yekiti (6) et ses activités en Syrie. (7) Selon l'État partie, ces conclusions
peuvent être remises en cause puisque, tels que précédemment exposés, les relations
étroites avec le parti Yekiti et le danger prétendument encouru en raison de
l'activité politique des requérants à l'étranger (8) ne sont nullement établis.
Relativement aux mesures dont peuvent faire l'objet les personnes retournant
en Syrie après un séjour à l'étranger, à savoir des interrogatoires par différents
organes étatiques, et des coups parfois assénés aux personnes interrogées, (9)
l'État partie souligne que ces faits sont mentionnés de manière générale et
qu'il ne ressort nullement du rapport d'Amnesty International que les requérants
courraient personnellement un risque particulier et sérieux de subir de mauvais
traitements en cas de retour dans leur pays. Relativement à la situation des
Kurdes en Syrie et aux arrestations dont ils font l'objet, (10) Amnesty International
reconnaît que ces personnes ne sont pas arrêtées en raison de leur origine kurde
mais de leur activité politique. Ainsi, d'après l'État partie, l'affirmation
des requérants selon laquelle ils risquent, en cas de renvoi en Syrie, d'être
maltraités ou torturés en raison de leur origine kurde n'est pas fondée. En
outre, l'État partie soutient que, selon les informations en possession du Gouvernement
suisse, un séjour prolongé à l'étranger en relation avec une requête d'asile
ne donne pas lieu, à lui seul, à des poursuites pour raison politique ou à des
problèmes particuliers lors du retour en Syrie. Ainsi, se référant à la jurisprudence
du Comité, (11) l'État partie conclut que la condition sine qua non d'un risque
«personnel» d'être soumis à des mauvais traitements n'est pas remplie en l'espèce.
4.12 Concernant la situation particulière de Mme T., l'État partie explique
que tout au long de la procédure, seul M. H. a fait valoir des motifs qui pourraient
justifier – s'ils étaient fondés – le caractère inadmissible de son renvoi en
Syrie. Par contre, il n'a pas été allégué que Mme T. aurait été active politiquement
en Syrie ou ailleurs, ou qu'elle aurait été arrêtée ou maltraitée. Dans ce contexte,
l'État partie rappelle que l'article 3 de la Convention ne garantit pas, selon
la pratique du Comité, le regroupement familial si seul un de ses membres peut
démontrer un risque réel et sérieux d'être soumis à des mauvais traitements.
Par conséquent, l'État partie conclut que le renvoi de Mme T. ne violerait en
rien la Convention.
4.13 Relativement à la crédibilité des indications fournies par les requérants,
l'État partie considère que les nombreuses contradictions mises en évidence
dans les déclarations du requérant (notamment à propos de ses prétendues activités
politiques) les rendent peu crédibles. D'après l'État partie, il convient enfin
tout particulièrement de souligner que, durant toute la procédure interne, les
requérants ont produit de nombreux documents non pas spontanément, au début
de la procédure, mais seulement en fonction des décisions négatives prises par
les autorités suisses à leur encontre. Ainsi, les requérants ont produit la
photographie les représentant à Genève au printemps 2000 seulement après avoir
reçu le jugement de la CRA du 12 avril 2001. Il en va de même du document des
forces de sécurité syriennes du 21 août 1998 et du jugement pénal syrien du
20 mai 1999. Selon l'État partie, ce comportement incite à penser que les requérants
n'ont «produit» certains moyens de preuve qu'une fois qu'ils ont constaté que
leurs allégations n'atteignaient pas le résultat escompté devant les autorités
nationales compétentes.
Commentaires des requérants sur les observations de l'État partie
5.1 Par lettre du 23 octobre 2002, les requérants ont indiqué ne pas avoir de
commentaires additionnels à ceux soumis dans leur requête initiale.
Délibérations du Comité
6.1 Avant d'examiner une plainte contenue dans une communication, le Comité
contre la torture doit décider si elle est ou non recevable en vertu de l'article
22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
à l'alinéa a du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention, que la même question
n'a pas été examinée et n'est pas en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement. Dans le cas d'espèce, le Comité note
aussi que l'État partie n'a pas contesté la recevabilité. Il estime donc que
la requête est recevable. L'État partie comme les requérants ayant formulé des
observations sur le fond de la requête, le Comité procède à l'examen quant au
fond.
6.2 Le Comité doit se prononcer sur le point de savoir si le renvoi des requérants
vers la Syrie violerait l'obligation qu'a l'État partie, en vertu de l'article
3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler une personne vers un État
où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
6.3 Le Comité doit déterminer, en application du paragraphe 1 de l'article 3,
s'il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient d'être
soumis à la torture s'ils étaient renvoyés en Syrie. Pour prendre cette décision,
le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, conformément
au paragraphe 2 de l'article 3, y compris l'existence d'un ensemble de violations
systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. Toutefois,
le but de cette analyse est de déterminer si l'intéressé risquerait personnellement
d'être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s'ensuit que
l'existence, dans un pays, d'un ensemble de violations systématiques des droits
de l'homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison
suffisante d'établir qu'une personne donnée serait en danger d'être soumise
à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister d'autres motifs qui
donnent à penser que l'intéressé serait personnellement en danger. Pareillement,
l'absence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits
de l'homme ne signifie pas que l'intéressé ne risque pas d'être soumis à la
torture dans la situation particulière qui est la sienne.
6.4 Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l'application de l'article
3, qui se lit comme suit : «Étant donné que l'État partie et le Comité sont
tenus de déterminer s'il y a des motifs sérieux de croire que l'auteur risque
d'être soumis à la torture s'il est expulsé, refoulé ou extradé, l'existence
d'un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas
à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n'est pas nécessaire
de montrer que le risque couru est hautement probable.» (A/53/44, annexe IX,
par. 299).
6.5 Dans le cas d'espèce, le Comité note que l'État partie fait état d'incohérences
et de contradictions patentes dans les récits et soumissions des requérants,
permettant de douter de la véracité de leurs allégations. Il prend également
acte des informations fournies par les requérants à cet égard.
6.6 En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements ou de torture
en Syrie, le Comité constate, d'une part, que seul M. H. déclare avoir subi
un tel traitement lors de sa détention à la prison de Tadmur entre le 1er novembre
1987 et le 31 mars 1988 et, d'autre part, que l'interessé est resté dans son
pays, sans être inquiété, jusqu'en 1998, date de son départ de Syrie.
6.7 Concernant les activités politiques des requérants, le Comité constate,
en premier lieu, que seul M. H. fait part d'un tel engagement en Syrie. Il estime,
en second lieu, que le requérant n'a établi ni par ses déclarations ni au moyen
des documents produits son militantisme actif au sein du parti Yekiti et d'opposition
aux autorités syriennes, ceci en raison de ses contradictions et incohérences,
ainsi que des doutes sérieux sur l'authenticité de la note interne du Service
de sécurité syrien du 21 août 1998 et du jugement du tribunal d'Al Hassaka du
20 mai 1999. Enfin, le Comité considère que l'activisme politique d'opposition
en Suisse n'a pas été démontré par les requérants.
6.8 Le Comité prend note des observations de l'État partie selon lesquelles
les documents précités n'ont été produits par les requérants qu'en réaction
à des décisions des autorités suisses de rejet de leur demande d'asile et ce,
sans que les intéressés aient expliqué de manière cohérente le caractère tardif
de leurs soumissions.
6.9 Relativement au rapport d'Amnesty international de 2001, outre les contradictions
relevées par l'État partie quant aux conclusions tirées des activités politiques
des requérants en Syrie, le Comité constate que les informations ayant trait
aux mesures pouvant affecter les personnes retournant en Syrie après un séjour
à l'étranger sont, d'une part, évoquées en termes généraux sans être pertinemment
rapportées au cas particulier des requérants et, d'autre part, sont contredites
par les informations transmises par l'État partie, soumissions que les requérants
n'ont pas souhaité contester par la suite. Il ressort, en outre, que l'origine
kurde des requérants ne constituerait pas à elle seule un motif de mauvais traitements
ou de torture en Syrie.
6.10 Enfin, le Comité relève que la requérante, Mme T., n'avance aucun argument
sur le risque d'être soumise à de mauvais traitements en cas de renvoi en Syrie.
6.11 Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les requérants n'ont
pas démontré l'existence de motifs sérieux permettant de considérer que leur
renvoi en Syrie les exposerait à un risque réel, concret et personnel de torture.
7. Par conséquent, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe
7 de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, considère que le renvoi des requérants en Syrie
ne constituerait pas une violation de l'article 3 de la Convention.
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[Fait en anglais, espagnol, français et russe, le texte français étant la version
originale. Paraîtra aussi, ultérieurement, en arabe et chinois dans le rapport
annuel présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Procès-verbal de l'audition du requérant par la Police des étrangers du canton
de Zurich du 21 décembre 1998.
2. Procès-verbal de l'interrogatoire du requérant par la Police des étrangers
du canton de Zurich du 21 décembre 1998.
3. Page 7 du jugement de révision de la CRA du 21 décembre 2001.
4. Déclarations du requérant dans le P-V de l'interrogatoire par la Police des
étrangers du canton de Zurich du 21 décembre 1998, p. 10.
5. Déclaration de la requérante dans le P-V d'audition par le Centre d'accueil
de Kreuzlingen du 20 août 1998, p. 4.
6. Rapport, chap. 5.8, 5.10 et 5.11.
7. Rapport, chap.5 «Situation dans le cas d'un renvoi de M. H. et Mme T.».
8. Rapport, chap. 5.10.
9. Rapport, p. 4 à 6.
10. Rapport, chap. 3.
11. Kioski c. Suède, requête no 41/1996, par. 9.4.