University of Minnesota


 

Seid Mortesa Aemei et sa famille c. Suisse, Communication No. 34/1995, U.N. Doc. CAT/C/18/D/34/1995 (1997).


Présentée par: Seid Mortesa Aemei (représenté par avocat)


Au nom de: L'auteur et sa famille


Etat partie: Suisse


Date de la communication: 26 octobre 1995


Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Réuni le 9 mai 1997,


Ayant achevé l'examen de la communication No. 34/1995 présentée au Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,


Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui on été communiquées par l'auteur de la communication, son conseil et l'Etat partie,


Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 7 de
l'article 22 de la Convention

1. L'auteur de la communication est Seid Mortesa Aemei, citoyen iranien né le 1er février 1957 et résidant actuellement en Suisse où il demande l'asile. L'auteur affirme qu'en le renvoyant en Iran après avoir rejeté sa demande de statut de réfugié, la Suisse violerait l'article 3 de la Convention. Il présente la communication également au nom de sa femme. L'auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l'auteur


2.1 L'auteur a commencé à militer pour les moudjahidin du peuple en Iran en 1979. Le 20 juin 1981, après avoir participé à une manifestation des moudjahidin, il a été arrêté et emprisonné pendant 25 jours. Il a dû par la suite abandonner ses études universitaires. En 1982, l'auteur a lancé un cocktail Molotov dans la résidence d'un haut responsable du Comité révolutionnaire.


2.2 Le 4 avril 1983, l'auteur a été arrêté de nouveau et son domicile a été perquisitionné. Il affirme avoir été maltraité pendant les interrogatoires et explique en particulier qu'il a été battu avec des cannes après que ses pieds et sa tête avaient été couverts de glace, que le lendemain, les policiers ont éteint des cigarettes sur son corps qui ne portait que des sous-vêtements et qu'il garde des cicatrices de ces brûlures. Par ailleurs, il ajoute que sa femme n'a pu lui rendre visite qu'au bout de six mois. Il a ensuite été condamné à deux ans de prison pour ses activités politiques et pour vol de la plaque d'immatriculation d'une voiture.


2.3 Sept mois après sa libération, le beau-frère de l'auteur a fui le pays et l'auteur lui-même a été arrêté pendant trois heures et interrogé au sujet de son beau-frère. Il a ensuite déménagé à Téhéran mais a regagné sa ville natale au bout de trois ans. En février ou mars 1989, il a été identifié par un client de la société de son père comme étant l'auteur de l'attentat au cocktail Molotov commis sept ans plus tôt. Pris de panique, l'auteur a fui à Téhéran. Il affirme que la police est régulièrement allée voir ses parents et les a questionnés pour savoir où il se trouvait. Au bout d'un an, l'auteur a décidé de quitter le pays, également parce que son fils, né le 23 janvier 1984, était désormais d'âge scolaire et qu'il craignait que l'inscription de celui-ci dans une école ne permette à la police de retrouver sa trace. Muni d'un faux passeport, il a fui le pays avec sa femme et ses deux enfants et a demandé l'asile en Suisse le 2 mai 1990.


2.4 Le 27 août 1992, sa demande a été rejetée par l'Office fédéral des réfugiés qui a jugé que son récit n'était pas crédible et que les contradictions y étaient nombreuses. On a également estimé que la femme de l'auteur n'était pas au courant des activités politiques de son mari. La Commission de recours a rejeté l'appel le 26 janvier 1993, considérant que la requête de l'auteur et son récit manquaient de logique, ne faisaient pas apparaître qu'il ait véritablement eu des activités politiques illégales et que les contradictions y étaient nombreuses.


2.5 Le 26 avril 1993, l'auteur, représenté par la "Beratungsstelle für Asylsuchende der Region Basel", a demandé que sa requête soit examinée de nouveau, sur la base des activités qu'il menait en Suisse pour le comptedel'APHO, organisation d'aide arménienne et perse qui, selon l'auteur, est considérée comme une organisation illégale en Iran. Dans ce contexte, l'auteur se réfère à trois tentatives de meurtre contre le responsable de l'APHO à Zürich et affirme que ces tentatives prouvent que les membres de l'organisation sont persécutés par l'Iran. L'auteur a révélé qu'il avait distribué des tracts et qu'il avait participé à différents stands de l'APHO, notamment lors d'une manifestation à Berne. Afin de prouver ses dires, il a présenté une carte de membre de l'APHO ainsi que des permis de stand, établis à son nom, et des photos montrant ses activités. Il a également mentionné que des incidents avec les représentants du gouvernement d'Iran avaient eu lieu en mai 1991 (lorsqu'un proche du frère du Président du Conseil des ministres iranien a menacé les membres de l'APHO avec un pistolet) et en juin 1992 (lorsque le consul d'Iran a visité le stand de l'APHO et a tenté d'identifier les participants). L'auteur a indiqué que ce jour-là, il a signalé l'incident à la police, agissant en qualité de responsable du stand. Dans cette demande de réexamen, il a fait valoir que son engagement dans l'APHO l'exposerait à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention s'il retournait en Iran.


2.6 Par décision du 5 mai 1993, l'Office fédéral des réfugiés refusa d'entrer en matière sur la demande de réexamen. La Commission suisse de recours en matière d'asile déclara également le recours mal fondé par jugement du 10 août 1994. L'auteur déclare que dès lors, la police a pris contact avec lui en vue de préparer son départ de Suisse.


Teneur de la plainte


3. L'auteur craint d'être interrogé au sujet de ses activités politiques à son retour en Iran. Il ajoute que la torture pendant les interrogatoires est chose courante dans le pays. De plus, il craint d'être accusé d'avoir commis l'attaque au cocktail Molotov de 1982 et d'être de ce fait condamné à une longue peine de prison, voire à mort. L'auteur ajoute que le simple fait de demander l'asile dans un autre pays est considéré en Iran comme un délit.


Questions de procédure


4.1 Le 22 novembre 1995, le Comité a transmis la communication à l'Etat partie pour que celui-ci lui fasse part de ses observations.


4.2 Dans ses observations du 22 janvier 1996, l'Etat partie conteste la recevabilité de la communication, considérant que l'auteur, n'ayant pas soulevé au cours de la procédure ordinaire d'asile devant les instances nationales ses craintes que ses activités politiques en Suisse l'exposeraient à un risque de torture s'il retournait en Iran, n'a pas épuisé les recours internes. L'Etat partie explique que ce motif aurait dû être présenté durant la procédure déterminant le droit d'asile. N'ayant présenté ce motif que lors de la demande de réexamen, les autorités n'ont pas pu entrer en matière étant donné que ses activités au sein de l'APHO ne constituaient pas un fait nouveau au regard des critères établis par la jurisprudence du tribunal fédéral.


4.3 Dans ses observations précitées, l'Etat partie déclare cependant "qu'il s'agit là d'un motif subjectif selon l'article 8a de la loi sur l'asile qui prévoit, dans ce cas, que 'l'asile n'est pas accordé à un étranger lorsque seul (...) son comportement après son départ justifierait qu'il soit considéré comme un réfugié au sens de l'article 3'. Selon la jurisprudence et la doctrine, la notion de 'motifs subjectifs intervenus après la fuite du pays' recouvre des situations dans lesquelles la menace de persécution n'a pu être la cause du départ du requérant d'asile mais résulte de son comportement ultérieur. Bien que de tels motifs soient non pertinents pour l'octroi de l'asile en vertu de la clause d'exclusion de l'article 8a susmentionné, le requérant qui invoque des motifs subjectifs pourra toutefois rester en Suisse, en raison du principe de non refoulement, si les conditions de l'article 45 de la loi sur l'asile sont réunies. L'allégation de 'motifs subjectifs', à l'instar de ceux ayant amené le requérant à quitter son pays, doit toutefois satisfaire aux exigences de la procédure en matière d'asile parmi lesquelles figurent celles liées à l'obligation de collaborer. Selon l'article 12b de la loi sur l'asile, le requérant est tenu de collaborer à la constatation des faits; à cette fin, il doit en particulier exposer, lors de son audition, ses motifs d'asile ainsi que les raisons qui l'ont incité à demander l'asile".


4.4 De même, l'Etat partie conteste à Madame Aemei la qualité d'auteur de la communication.


4.5 Par lettre du 1er mars 1996, le conseil de l'auteur s'oppose à l'argumentation de l'Etat partie visant à mettre en doute la qualité d'auteur de la communication de Madame Aemei qui d'après l'Etat partie, n'a fait valoir aucun motif d'asile qui lui soit propre. De plus, le conseil affirme que dans le cas où Madame Aemei serait renvoyée en Iran, elle encourerait les mêmes risques, voire plus grands, que son mari. Par ailleurs, le conseil invoque que même l'Etat partie a admis que le comportement ultérieur du requérant en Suisse ne constitue pas un motif d'asile selon la législation en Suisse. Il soutient également que durant les procédures d'asile, le requérant n'avait pas de raison de faire part de ses activités politiques en Suisse et a d'ailleurs toujours été interrogé sur son passé et sur les faits qui pouvaient appuyer sa demande d'asile.


4.6 Le conseil rappelle qu'en tout état de cause, l'obligation de non-refoulement est une obligation absolue. Bien que l'argument des activités politiques de l'auteur en Suisse ait été présenté en retard et de ce fait, pour des raisons de procédure, n'a pas pu être pris en considération concernant la décision d'asile, le conseil est d'avis que le rejet de la demande d'asile ne signifie pas encore que la personne peut être renvoyée dans son pays. Il précise que le droit suisse propose d'autres alternatives telles que la possibilité de permis de séjour pour raisons humanitaires (article 17, paragraphe 2, de la loi sur l'asile) ou l'admission provisoire (article 18, paragraphe 1, de la loi sur l'asile). Par ailleurs, le conseil attire l'attention sur le fait que l'intégrité de la personne ne doit pas être mise en danger à cause de raisons procédurales. Le risque d'un abus de la part d'un requérant d'asile ne doit pas être surestimé, d'autant plus qu'il y a peu de requérants d'asile qui peuvent présenter des événements aussi graves que ceux évoqués par les requérants dans le cas en question.


4.7 Après avoir examiné les observations des parties, le Comité a décidé, lors de sa seizième session, de suspendre l'examen de la communication dans l'attente du résultat des demandes de reconsidération de l'auteur compte tenu de ses activités politiques en Suisse. Le Comité a sollicité également à l'Etat partie des renseignements sur les recours internes, et demandé au requérant de fournir des informations supplémentaires concernant ses demandes en Suisse sur la base de ses activités politiques en Suisse. Le Comité a, par ailleurs, prié l'Etat partie de ne pas expulser l'auteur et sa famille tant que leur communication est en examen.


Observations supplémentaires du conseil


5.1 Par lettre du 5 août 1996, le conseil explique que l'auteur n'a pas fait état de ses activités au sein de l'APHO dans la procédure ordinaire pour l'obtention du statut de réfugié, qui a conduit à la décision de la Commission de recours du 26 janvier 1993, parce qu'il n'était pas conscient du caractère déterminant de ces activités. La situation a changé après la décision, lorsqu'il a compris qu'il devrait retourner en Iran. A partir de ce moment, il a réalisé qu'en raison de ses activités politiques en Iran avant 1990 et surtout à cause de ses activités politiques en Suisse depuis 1990, il existait un très grand risque pour lui et son épouse d'être exposés à des actes contraires à l'article 3 de la Convention en cas de retour en Iran. Le conseil réitère que depuis 1990, l'auteur est actif dans l'APHO, considérée comme illégale et oppositionnelle en Iran et dont les activités en Suisse sont observées par la police secrète d'Iran. L'auteur a distribué des tracts contre le régime en Iran et en mai 1991, il a été observé et menacé par le frère du Président du Conseil des ministres iranien. En juin 1992, le consul iranien a tenté d'identifier les personnes participant aux activités de l'APHO en visitant le stand de l'APHO à Berne. Le conseil conclut qu'il est très probable que l'identité de l'auteur soit connue des autorités iraniennes.


5.2 Le conseil ajoute que l'auteur a déposé le 13 mai 1996 une demande d'autorisation provisoire à cause des problèmes médicaux de son fils.


Observations de l'Etat partie sur la recevabilité et le bien-fondé de la communication


6.1 Dans ses observations du 7 août 1996, l'Etat partie informe le Comité qu'il ne conteste plus la recevabilité de la communication.


6.2 L'Etat partie rappelle les "faits allégués par l'auteur" et les procédures internes entamées. Concernant les éléments retenus par les autorités suisses, il observe qu'"aux termes de l'article 12a de la loi sur l'asile, le requérant d'asile doit prouver ou du moins rendre vraisemblable qu'il est un réfugié au sens de l'article 3 de la loi sur l'asile, c'est-à-dire qu'il est exposé à de sérieux préjudices ou qu'il craint, à juste titre, de l'être en raison de ses opinions politiques notamment" et conclut que "de ce point de vue, les articles 3 et 12a de la loi sur l'asile, tels qu'interprétés par la CRA, posent des critères similaires à ceux de l'article 3 de la Convention: à savoir l'existence de risques de persécutions sérieux, concrets et personnels (article 3, paragraphe 1; cf. B. Mutombo c/Suisse, ...); existence dont la détermination nécessite la prise en compte de toutes les circonstances pertinentes (article 3, paragraphe 2), parmi lesquelles figurent, en particulier, la vraisemblance des déclarations de l'auteur (article 12a de la loi sur l'asile), et le cas échéant, l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives (article 3, paragraphe 2)".


6.3 Par ailleurs, l'Etat partie déclare qu'"en l'espèce, la CRA a confirmé la décision de refus d'asile en se basant sur les déclarations de l'auteur. Elle a considéré que les motifs avancés ne permettaient pas de conclure au caractère hautement probable de sa qualité de réfugié. A cet égard, la CRA a pris en compte les éléments suivants:

- les déclarations de l'auteur concernant son engagement politique n'étaient pas suffisamment fondées, ses connaissances du programme politique de l'organisation, au sein de laquelle il prétend avoir milité activement, étant très lacunaires sur des points essentielles;
- les circonstances dans lesquelles l'auteur prétend avoir renoué avec l'organisation sont contraires aux enseignements tirés de la pratique des mouvements hostiles au régime politique en place. Ont été considérées également comme contraires aux faits les explications de l'auteur concernant sa prétendue condamnation suite à son engagement politique;

- enfin, les déclarations de l'auteur n'ont pas pu être corroborées par son épouse lors de son audition devant l'ODR".

L'Etat partie conclut que la législation suisse retient, en substance, les conditions de l'interdiction du refoulement de l'article 3 de la Convention.


6.4 L'Etat partie se réfère au texte de l'article 3 de la Convention et à la pratique du Comité selon laquelle il s'agit d'examiner s'il existe des motifs précis qui permettent de penser que l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à des actes de torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. L'existence d'un ensemble de violations systématiques, graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour conclure qu'une personne risquerait d'être soumise à la torture à son retour dans ce pays.


6.5 L'Etat partie observe qu'"en l'espèce, les déclarations de l'auteur concernant son activité politique au sein des moudjahidin du peuple n'ont pas paru suffisamment fondées aux yeux des autorités compétentes suisses". Il affirme qu'"au vu des déclarations incohérentes de l'auteur, leur degré de vraisemblance ne pouvait amener les autorités suisses à considérer comme 'hautement probable l'existence de la qualité de réfugié' de l'auteur de la communication. Fondée principalement, si ce n'est exclusivement, sur les conséquences de son activité politique, l'allégation d'un risque de traitement inhumain en cas de retour de l'auteur en Iran ne saurait sérieusement être prise en compte lorsque les activités politiques en question n'ont jamais été établies, ni même l'affiliation à un parti d'opposition au régime politique en place". En outre, l'Etat partie déclare "que l'auteur de la présente communication n'a produit aucun document probant, que ce soit dans le cadre de la procédure interne ou devant le Comité contre la torture, quant à ses menées politiques pour le compte des moudjahidin, ni aucun certificat médical attestant qu'il aurait subi des traitements proscrits par la Convention". De l'avis de l'Etat partie, "à ce stade déjà, la communication de l'auteur apparaît manifestement mal fondée s'agissant de l'existence d'un risque personnel, sérieux et concret de traitement contraire à l'article 3 de la Convention que l'auteur prétend encourir en cas de renvoi dans son pays".


6.6 Par ailleurs, les autorités suisses considèrent que certaines déclarations de l'auteur ne correspondent pas aux faits et en ce qu'elles méconnaissent les pratiques constantes dans le cadre d'activités politiques illégales, elles les qualifient de "totalement irréalistes". En particulier, la déclaration de l'auteur selon laquelle il n'a été condamné qu'à deux ans de prison étant donné le respect qu'inspiraient ses origines au juge, contredit les informations que les autorités suisses ont pu recueillir dans le cadre de procédures d'asile concernant des moudjahidin.


6.7 Enfin, l'Etat partie note que l'épouse de l'auteur a infirmé les déclarations de l'auteur concernant ses activités politiques. L'Etat partie conclut donc que la crainte de l'auteur apparaît manifestement mal fondée.


6.8 Quant aux activités de l'auteur en Suisse, l'Etat partie n'est pas en mesure de confirmer l'allégation de l'auteur selon laquelle son identité est très probablement connue par les autorités iraniennes en raison des événements survenus en mai 1991 et en juin 1992. En particulier, la police bernoise n'a pas connaissance de la participation du frère du Président Rafsanjani à l'incident de mai 1991. En ce qui concerne la visite du consul d'Iran au stand de l'APHO, le gouvernement suisse a déclaré qu'"un membre de la police de la ville de Berne se rappelle qu'il y a eu une échauffourée entre Iraniens en juin 1992, mais ignore si elle opposait des membres du consulat iranien et des activistes de l'APHO car, lors de l'arrivée de la police l'incident était déjà terminé et seuls des membres de l'APHO étaient présents. Au vu de ces renseignements, le gouvernement suisse estime que la réalité des événements en question est pour le moins douteuse de sorte que l'on ne saurait, sans autre, admettre que ces événements constituent un motif décisif sur le terrain de l'article 3 de la Convention".


6.9 Quant à l'allégation de l'auteur d'après laquelle le dépôt d'une demande d'asile constituerait, à elle seule, un motif pertinent au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la Convention, l'Etat partie observe que l'auteur n'avance aucun élément destiné à appuyer cet argument. De plus, l'Etat partie commente que "pareil argument ne saurait cependant suffire sur le terrain de l'article 3, paragraphe 1, de la Convention, l'interdiction énoncée par cette disposition étant subordonnée à l'existence avérée de motifs sérieux de persécution". En effet, l'Etat partie déclare ne détenir aucune information permettant d'étayer le risque concret de persécution résultant du dépôt d'une demande d'asile en Suisse.


6.10 L'Etat partie estime que les déclarations de l'auteur ne permettent pas de conclure à l'existence de motifs sérieux et avérés de croire qu'il serait exposé à la torture en cas de retour en Iran. Enfin, il observe que "la Commission européenne des droits de l'homme a jugé que la situation générale en Iran ne se caractérisait pas par des violations massives des droits de l'homme [Requête No. 21649/93, DR, 75/282]" et que "l'auteur lui-même ne prétend d'ailleurs pas qu'il existerait en Iran une situation de violation systématique des droits de l'homme".


Commentaires du conseil sur les observations de l'Etat partie


7.1 Par lettre du 30 octobre 1996, le conseil reitère les motifs de sa communication initiale. En ce qui concerne l'argument de l'Etat partie selon lequel les déclarations de l'auteur quant à son activité politique au sein des moudjahidin du peuple, n'ont pas paru suffisamment fondées, le conseil estime qu'il est normal qu'un sympathisant ne soit pas aussi bien informé sur l'organisation que l'un de ses membres. Il explique que l'auteur était plutôt motivé par son hostilité contre le régime que par les thèses politiques des moudjahidin. Le conseil note que l'auteur n'est pas en mesure de produire des documents appuyant ses allégations concernant les événements qui se sont déroulés en Iran, et indique qu'après sa mise en liberté, l'auteur n'était plus actif au sein des moudjahidin.


7.2 Le conseil admet que les mesures de sécurité prises par le groupe de l'auteur en Iran n'étaient pas suffisantes, mais il s'oppose à ce que cela signifie que les déclarations de l'auteur sont irréalistes. Il conteste également que la seule distribution de tracts peut conduire à l'emprisonnement à vie et explique que le fait que l'auteur n'ait été condamné qu'à deux ans de prison en avril 1983 est, entre autres, dû à l'origine de l'auteur qui est un descendant de Mahomet. Quant aux contradictions présumées, le conseil affirme que les déclarations de l'auteur ne sont pas contradictoires sur des points essentiels, et que les différences avec les informations données par sa femme ne sont pas pertinentes. En effet, Madame Aemei a vécu pendant des années dans une grande peur, ce qui expliquerait le fait qu'elle voulait savoir le moins possible au sujet des activités politiques de son mari. En tout cas, elle en avait entendu parler la première fois en avril 1983.


7.3 Le conseil est d'avis que les déclarations de l'auteur concernant ses activités politiques sont vraies, cela étant aussi prouvé par le fait que dans ses observations, le gouvernement suisse avoue qu'il y avait un stand de l'APHO en juin 1992 et qu'une échauffourée entre Iraniens a effectivement eu lieu. De plus, il affirme que le refus des autorités suisses d'entrer en matière lors de la demande de reconsidération de l'auteur, basée sur ses activités au sein de l'APHO, est une faute grave de procédure et va à l'encontre du droit de l'auteur de pouvoir faire considérer par les autorités compétentes sa crainte d'être torturé.


7.4 Le conseil réitère le fait, déjà invoqué par l'auteur dans son recours du 24 septembre 1992, que le seul dépôt d'une demande d'asile peut constituer un motif pertinent au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la Convention contre la torture, et renvoie à cet effet à une documentation du "Schweizerisches Flüchtlingswerk".


Décision concernant la recevabilité et examen quant au fond:


8. Le Comité note avec appréciation les informations données par l'Etat partie selon lesquelles l'auteur, ainsi que sa famille, ne seront pas expulsés tant que la communication est en cours d'examen devant le Comité (article 108, paragraphe 9, du règlement intérieur).


9.1 Avant de procéder à l'examen d'une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la Torture doit décider si cette communication est ou non recevable en vertu de l'article 22 de la Convention. Le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 5(a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait pas été examinée et n'était pas en cours d'examen par une autre instance internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité note que l'Etat partie n'a pas retenu d'objections contre la recevabilité de la communication (voir observations de l'Etat partie en date du 7 août 1996). Le Comité estime dès lors que rien ne s'oppose à ce qu'il déclare la présente communication recevable et il procède à son examen quant au fond.


9.2 Le Comité réitère qu'il ne lui appartient nullement de déterminer si les droits reconnus à l'auteur par la Convention ont été violés par l'Iran, pays vers lequel il risque d'être expulsé, et cela indépendamment du fait que cet Etat soit ou non partie à la Convention. La question devant le Comité est de savoir si l'expulsion, le refoulement ou l'extradition vers ce dernier pays violerait l'obligation de la Suisse, en vertu de l'article 3 de la Convention, de ne pas expulser ou refouler un individu vers un état ou des motifs sérieux donnent à croire qu'il risque d'etre soumis à la torture.


9.3 Conformément au paragraphe 1 de l'article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer s'il existe des motifs sérieux de croire que M. Aemei et les membres de sa famille risqueraient d'etre soumis à la torture s'ils retournaient en Iran. Pour ce faire, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l'article 3, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. En d'autres termes, l'existence d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme au sens du paragraphe 2 de l'article 3 permet au Comité d'étayer la conviction que des motifs sérieux existent au sens du paragraphe 1.


9.4 Toutefois, le Comité doit déterminer si l'intéressé risquerait personnellement d'être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait expulsé. Par conséquent, l'existence d'un ensemble de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme dans un pays ne saurait constituter en soi un motif suffisant pour conclure qu'un individu risquerait d'être victime de torture après le retour dans son pays; l'existence de motifs supplémentaires est nécessaire afin de pouvoir constater que l'intéressé est personnellement en danger. De la même manière, l'absence d'un ensemble de violations systématiques et flagrantes des droits de l'homme ne peut signifier qu'un individu ne peut être considéré comme risquant d'être soumis à la torture dans sa situation particulière.


9.5 Dans le cas d'espèce, le Comité doit donc déterminer si l'expulsion de M. Aemei (et de sa famille) vers l'Iran aurait comme conséquence prévisible de l'exposer à un risque réel et personnel d'etre arrêté et torturé. Il observe que les "motifs sérieux" donnant à croire que le refoulement ou l'expulsion mettraient en risque le requérant d'être soumis à la torture peuvent se fonder non seulement sur des actes commis dans le pays d'origine, c'est-à-dire avant la fuite du requérant, mais également sur des activités déployées par l'auteur d'une communication dans le pays d'acceuil: en effet, le libellé de l'article 3 ne distingue pas entre la commission d'actes, qui ultérieurement risqueraient d'exposer le requérant à la torture, dans le pays d'origine ou dans le pays d'acceuil. En d'autres mots, même si les activités reprochées à l'auteur en Iran ne sauraient suffire pour enclencher le seuil d'application de l'article 3, des activités ultérieures dans le pays d'acceuil pourraient s'avérer suffisantes pour l'application de cette disposition.


9.6 Le Comité ne prend nullement à la légère des préoccupations que peut avoir l'Etat partie selon lesquelles l'article 3 de la Convention pourrait être invoqué abusivement par des requérants d'asile. Or, le Comité est de l'avis que, même si quelques doutes quant à la véracité des faits présentés par l'auteur d'une communication peuvent persister, il doit s'assurer de ce que la sécurité du requérant ne soit pas mise en danger (1). Pour obtenir cette assurance, il n'est pas nécessaire que tous les faits invoqués par l'auteur de la communication soient prouvés, mais il suffit que le Comité les considère comme suffisamment étayés et crédibles.


9.7 Dans le cas de l'auteur, le Comité estime que son appartenance à l'organisation des moudjahidin du peuple et sa participation aux activités de cette organisation et ses antécédents de détention en 1981 et 1983 doivent être pris en considération pour déterminer s'il risque d'être soumis à la torture lors du retour dans son pays. L'Etat partie a relevé des inconsistences et des contradictions dans les récits de l'auteur, qui selon lui permettent de douter de la véracité de ses allégations. Le Comité considère que s'il peut en effet y avoir quelques doutes quant à la nature des activités politiques de l'auteur dans son pays d'origine, il ne saurait pourtant y avoir des doutes quant à la nature des activités que mène l'auteur en Suisse pour le compte de l'APHO, organisation considérée comme illégale en Iran. L'Etat partie confirme ces activités de l'auteur et ne nie pas l'occurence d'échaufourrés entre représentants de l'APHO et d'autres ressortissants iraniens à Berne en juin 1992. L'Etat partie n'indique pas s'il a enquêté sur ces échaufourrés, mais le matériel présenté au Comité donne à croire qu'aucune investigation n'a eu lieu. Dans les circonstances, le Comité doit prendre aux sérieux l'affirmation de l'auteur selon laquelle des individus proches aux autorités iraniennes auraient menacé les membres de l'APHO et l'auteur lui-meme à deux reprises, en mai 1991 et juin 1992. L'Etat partie s'est borné à relever que les activités de M. Aemei au sein de l'APHO ne constituaient pas un fait nouveau au regard des critères établis par la jurisprudence du tribunal fédéral, et que dès lors les autorités compétentes ne pouvaient entrer en matière lors de la demande de reconsidération de l'auteur.


9.8 Le Comité ne s'estime pas convaincu par les explications de l'Etat partie dans la mesure ou celles-si se refèrent aux activités de M. Aemei en Suisse. Il rappelle que la protection qu'accorde l'article 3 de la Convention est absolue. Chaque fois qu'il y a des motifs sérieux de croire qu'un individu risque d'être soumis à la torture s'il est expulsé vers un autre Etat, l'Etat partie est tenu de ne pas renvoyer l'intéressé dans cet Etat. La nature des activités auxquelles l'intéressé s'est livré n'est pas une considération pertinente dans la prise d'une décision conformément à l'article 3 de la Convention (2). Dans le cas d'espèce, le refus des autorités compétentes suisses d'entrer en matière sur la demande de réexamen de l'auteur, fondé sur un raisonnement d'ordre procédural, ne paraît pas justifié à la lumière de l'article 3 de la Convention.


9.9 Finalement, le Comité est conscient de la gravité de la situation des droits de l'homme en Iran, comme cela a été rapporté, notamment, à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies par le représentant spécial de la Commission sur la situation des droits de l'homme dans la République islamique d'Iran. Le Comité relève, en particulier, que la Commission des droits de l'homme a exprimé des inquiétudes, notamment en ce qui concerne le nombre élevé de peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants.


9.10 A la lumière du contenu des paragraphes précédents, le Comité estime qu'il existe des motifs sérieux de croire que l'auteur et sa famille risqueraient d'être soumis à la torture s'ils étaient renvoyés en Iran.


10. Compte tenu de ce qui précède, le Comité est d'avis que, dans les circonstances actuelles, l'Etat partie est tenu de ne pas renvoyer l'auteur et sa famille contre leur gré en Iran ou dans tout autre pays où ils courent un risque réel d'expulsion ou de renvoi en Iran.


11. Le fait que le Comité constate une violation de l'article 3 de la Convention n'affecte en aucune matière la ou les décision(s) des autorités nationales compétentes sur l'octroi ou le refus d'asile. La constatation d'une violation de l'article 3 de la Convention a un caractère déclaratoire. L'Etat partie n'est pas, par conséquent, tenu de modifier sa ou ses décision(s) concernant l'octroi d'asile; il lui appartient par contre de rechercher des solutions qui lui permettront de prendre toutes mesures utiles pour se conformer aux dispositions de l'article 3 de la Convention. Ces solutions pourront être non seulement de nature juridique (par exemple, décision d'admettre provisoirement le requérant) mais également de nature politique (par exemple, recherche d'un Etat tiers prêt à accueillir le requérant sur son territoire et s'engageant à ne pas le refouler ou l'expulser à son tour).


[Texte adopté en français (version originale) et traduit en anglais, en espagnol et en russe]


Notes


1. Voir constatations sur la communication No. 13/1993 (Mutombo c. Suisse), adoptées le 27 avril 1994, paragraphe 9.2.
2. Voir constatations dans la comunication No.39/1996 (Tapia Paez c . Suède), adoptées le 28 avril 1997, paragraphe 14.5.

 



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