M. Bhaou Belgacem Thabti c. Tunisie, Communication No. 187/2001, U.N. Doc. CAT/C/31/D/187/2001 (2003).
Présentée par : | M. Dhaou Belgacem Thabti (représenté par l'organisation non gouvernementale Vérité-Action) |
Au nom du : | Requérant |
État partie : | Tunisie |
Date de la requête : | 1er juin 2000 |
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 14 novembre 2003
Ayant achevé l'examen de la requête no 187/2001 présentée par M. Dhaou Belgacem Thabti en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
DÉCISION AU TITRE DU PARAGRAPHE 7 DE L'ARTICLE 22
DE LA CONVENTION
1. Le requérant est M. Dhaou Belgacem
Thabti, ressortissant tunisien, né le 4 juillet 1955 à Tataouine (Tunisie),
résidant en Suisse depuis le 25 mai 1998 où il bénéficie du statut de réfugié.
Il affirme avoir été victime de violations par la Tunisie des dispositions de
l'article premier de la Convention, du paragraphe 1 de l'article 2 et des articles
4, 5, 12, 13, 14, 15 et 16. Il est représenté par l'organisation non gouvernementale
Vérité-Action.
1.2 La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants et a fait la déclaration prévue
à l'article 22 de la Convention le 23 septembre 1988.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant déclare avoir été un membre actif de l'organisation islamique
ENNAHDA (ex-MTI). À la suite d'une vague d'arrestations en Tunisie qui a débuté
en 1990 et visait en particulier des membres de cette organisation, le requérant
est entré dans la clandestinité à compter du 27 février 1991. Le 6 avril 1991,
à une heure du matin, il a été arrêté par les forces de police, lesquelles l'ont
violemment frappé (coups de matraque, de pied, de poing et gifles).
2.2 Placé dans les geôles au sous-sol du Ministère de l'intérieur (DST) à Tunis
et privé de sommeil, le requérant a été conduit le lendemain matin au bureau
du Directeur de la sûreté de l'État, Ezzedine Jneyeh. Selon le requérant, ce
responsable a ordonné en personne son interrogatoire sous la torture.
2.3 Le requérant donne un descriptif détaillé et illustré par des croquis des
différentes pratiques de torture qu'il a subies jusqu'au 4 juin 1991 dans les
locaux du Ministère de l'intérieur (DST).
2.4 Le requérant fait état de ce qu'on appelle communément la position du «poulet
rôti» (nue, mains liées, jambes pliées entre les bras, une barre de fer placée
derrière les genoux, la victime est suspendue entre deux tables) accompagnée
de coups, en particulier sur les plantes des pieds, jusqu'à l'évanouissement.
Le requérant ajoute que les policiers responsables de ces tortures le réveillaient
en lui versant de l'eau froide sur le corps ainsi que de l'éther sur les zones
sensibles (fesses et testicules).
2.5 Le requérant déclare avoir également été victime de la pratique de la «position
à l'envers» (nue, mains liées dans le dos, la victime est suspendue au plafond
par une corde attachée à un seul pied ou les deux à la fois, la tête en bas)
accompagnée de coups de pied, de bâton et de cravache jusqu'à l'évanouissement.
Le requérant ajoute que ses tortionnaires lui ont attaché le pénis à un fil
qu'ils tiraient, par coups successifs, comme pour l'arracher.
2.6 Le requérant affirme avoir été soumis au bain d'immersion (attachée en position
à l'envers à un palan, la victime est immergée dans un mélange d'eau, de savon
en poudre, de javel, voire d'urine et de sel; elle ne peut respirer et est ainsi
contrainte d'avaler ce mélange jusqu'à ce que son estomac soit plein) accompagné
ensuite de coups de pied sur le ventre jusqu'à vomissement.
2.7 Le requérant fait en outre état de la position du «scorpion» (nue, mains
et pieds attachés derrière le dos, le ventre vers le bas, la victime est soulevée
par les membres du corps avec une chaîne de palan, et la colonne vertébrale
est soumise à pression) accompagnée de coups de bâton et de fouet sur les jambes,
les bras, le ventre et le sexe.
2.8 Le requérant ajoute avoir subi le supplice de la table (nue, à plat sur
une longue table, sur le dos ou le ventre, les quatre membres attachés, la victime
est assaillie de coups).
2.9 Le requérant produit à l'appui de ses déclarations de torture et des séquelles
en résultant une attestation d'un physiothérapeute suisse, un rapport d'un spécialiste
en neurologie de Fribourg, et une attestation de traitement psychiatrique du
service médical d'un organisme d'assurance suisse. Le requérant se réfère également
à un rapport de mission d'observation de la Fédération internationale des droits
de l'homme (FIDH) précisant que lors du procès intenté le 9 juillet 1992 contre
des militants islamistes au nombre desquels était le requérant, l'ensemble des
prévenus interrogés se sont plaints des sévices graves subis durant leur garde
à vue.
2.10 Le requérant fournit une liste des personnes ayant pratiqué la torture
à son encontre au cours de cette période, à savoir de manière précise Ezzedine
Jneieh (directeur de la DST), Abderrahmen El Guesmi, El Hamrouni, Ben Amor (inspecteur),
Mahmoud El Jaouadi (service de renseignement de Bouchoucha), Slah Eddine Tarzi
(idem), Mohamed Ennacer-Hleiss (idem). Il ajoute que ses tortionnaires étaient
assistés de deux médecins et qu'il a été témoin de tortures pratiquées sur ses
codétenus.
2.11 Le 4 juin 1991, le requérant a comparu devant le juge d'instruction militaire,
le commandant Ayed Ben Kayed. Il affirme qu'au cours de l'audition, il a nié
les accusations à son encontre de tentative de coup d'état et il s'est vu refuser
l'assistance d'un avocat.
2.12 Le requérant affirme avoir ensuite été placé, du 4 juin au 28 juillet 1991,
dans les locaux du Ministère de l'intérieur (DST), en isolement total (privation
de visites et de courrier, de médicaments et des soins médicaux nécessaires)
à l'exception de la visite, le 18 juillet 1991, du docteur Moncef Marzouki,
président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. Le requérant ajoute
qu'il n'a pas eu une alimentation saine, qu'il a été interdit de pratiques religieuses,
et qu'il a à nouveau, été soumis à la torture.
2.13 À partir du 28 juillet 1991, date de la fin de sa garde à vue, le requérant
a fait l'objet de plusieurs transferts parmi les établissements pénitentiaires
du pays (à Tunis, Borj Erroumi à Bizerte, Mahdia, Sousse, Elhaoireb, Rejim Maatoug),
selon lui dans le but d'empêcher les contacts avec sa famille.
2.14 Le requérant fait état des mauvaises conditions de détention dans ces établissements,
telles que le surpeuplement (60 à 80 personnes dans les petites cellules où
le requérant a été placé), et le manque d'hygiène, facteur de maladies (le requérant
déclare être ainsi devenu asthmatique, et avoir souffert d'allergies de la peau,
et de déformations au pied). Il précise qu'il a été placé, à plusieurs reprises,
en isolement, en raison d'une part de ses grèves de la faim afin de protester
contre les conditions de détention et les mauvais traitements (en juillet 1992
à la Prison du 9 avril à Tunis durant 12 jours, à Mahdia en octobre 1995 durant
8 jours, et en mars 1996 durant 10 jours) et d'autre part de l'arbitraire des
gardiens de prison. Le requérant souligne également qu'il a été battu, complètement
nu, en public.
2.15 Le 9 juillet 1992, le procès du requérant a été instruit devant le tribunal
militaire de Bouchoucha à Tunis. Le requérant précise qu'il n'a pu s'entretenir
qu'une seule fois avec son avocat, le 20 juillet 1992, et ce sous la surveillance
des gardiens de prison. Le 28 août 1992, le requérant a été condamné à une peine
d'emprisonnement de six ans.
2.16 Une fois purgée sa peine, le 27 mai 1997 conformément au bulletin de sortie
de prison produit par le requérant, ce dernier a été placé sous contrôle administratif
pour une durée de cinq ans se traduisant dans les faits par une assignation
à résidence, à Remada, à 600 km de Tunis où vivaient sa femme et ses enfants.
Après quatre mois, le requérant a fui la Tunisie pour la Libye le 1er octobre
1997, puis la Suisse où il a obtenu le statut de réfugié politique le 15 janvier
1999. Le requérant produit à l'appui de ses déclarations une copie du rapport
en date du 10 mars 1996 du Comité pour le respect des libertés et des droits
de l'homme en Tunisie faisant état de la situation du requérant après sa libération
ainsi qu'une attestation de l'Office fédéral des réfugiés de Suisse sur l'octroi
de son statut de réfugié politique. Le requérant ajoute qu'après sa fuite, il
a été condamné par défaut à 12 ans de prison ferme.
2.17 Le requérant affirme enfin que les membres de sa famille, en particulier
sa femme et ses cinq enfants, ont été victimes de harcèlement (visites nocturnes,
fouilles systématiques du domicile familial, intimidations, menaces de viol,
confiscations de biens et d'argent, arrestations et interrogatoires, surveillance
permanente) et de mauvais traitements (le fils du requérant Ezzedine a été arrêté,
et violemment battu) de la part de la police pendant toute la période de sa
détention et de sa fuite, jusqu'en 1998.
2.18 Relativement à l'épuisement des voies de recours, le requérant précise
qu'il s'était plaint des actes de torture à son encontre devant le tribunal
militaire de Bouchoucha, en présence de la presse nationale et d'observateurs
internationaux des droits de l'homme. Il soutient que le président du tribunal
a tenté de l'ignorer, mais devant son insistance, a répondu qu'il n'avait rien
constaté. Le magistrat s'est, en outre, ouvertement, opposé à la demande du
requérant de contrôle médical.
2.19 Le requérant ajoute qu'après l'audience et son retour en prison, il a été
menacé d'être torturé s'il soulevait, à nouveau, ses plaintes de torture devant
le tribunal.
2.20 Le requérant déclare, par ailleurs, qu'à compter du 27 mai 1997, date de
sa libération, son assignation à résidence ne lui a pas permis de porter plainte.
Il explique que les policiers et la gendarmerie de Remada participaient à la
continuité du processus de harcèlement et d'intimidation lors des visites quotidiennes
du requérant pour le contrôle administratif. Selon le requérant, le simple fait
de déposer une plainte aurait provoqué une accentuation de la pression à son
encontre, voire même son retour en prison. De par cette assignation, le requérant
ne pouvait, en outre, s'adresser aux autorités de son domicile légal à Tunis.
2.21 Le requérant soutient que si le droit tunisien reconnaît la possibilité
de se plaindre pour des actes de torture, dans la pratique toute victime déposant
une plainte devient la cible d'un harcèlement policier insupportable, ce qui
décourage tout recours. Selon le requérant, les voies de recours sont ainsi,
dans les faits, inexistantes et inefficaces.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant affirme que le Gouvernement tunisien a violé les articles suivants
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants:
Article premier. Les pratiques ci-dessus exposées (position du «poulet rôti»,
position à l'envers, position du scorpion, bain d'immersion, supplice de la
table, isolement, etc.) dont le requérant a été victime constituent des actes
de torture.
Article 2, paragraphe 1. Non seulement l'État partie n'aurait pas pris des mesures
efficaces pour empêcher la torture, mais il a au contraire mobilisé son appareil
administratif et en particulier policier comme outil de torture contre le requérant.
Article 4. L'État partie n'aurait pas incriminé tous les actes de torture dont
le requérant a été victime au regard du droit pénal.
Article 5. L'État partie n'aurait pas engagé de poursuites à l'encontre des
tortionnaires du requérant.
Article 12. L'État partie n'aurait pas diligenté une enquête sur les actes de
torture commis à l'encontre du requérant.
Article 13. L'État partie n'aurait pas procédé à l'examen des plaintes de torture
soulevées par le requérant au début de son procès, lesquelles au contraire ont
été rejetées.
Article 14. L'État partie aurait ignoré le droit du requérant de porter plainte,
et l'aurait ainsi privé de son droit à réparation et à réadaptation.
Article 15. Le requérant aurait été condamné le 28 août 1992 à une peine de
prison sur la base d'aveux obtenus sous la torture.
Article 16. Les mesures et pratiques répressives ci-dessus exposées (violation
du droit aux soins médicaux et à des médicaments, à la correspondance, restriction
du droit à la propreté, des visites de proches, d'avocats, assignation à résidence,
harcèlement de la famille, etc.) utilisées par l'État partie à l'encontre du
requérant constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
Observations de l'État partie sur la recevabilité de la requête
4.1 Le 4 décembre 2001, l'État partie a contesté la recevabilité de la requête
au motif que le requérant n'avait pas utilisé, ni épuisé les recours internes
disponibles.
4.2 L'État partie soutient que le requérant peut exercer les voies de recours
internes disponibles dans la mesure où les délais de prescription quant aux
faits allégués et qualifiés de crime en droit tunisien sont de 10 ans.
4.3 L'État partie explique que sur le plan pénal, le plaignant peut, y compris
à partir de l'étranger, déposer une plainte au représentant du ministère public
territorialement compétent. Il peut également charger un avocat tunisien de
son choix de déposer ladite plainte, ou demander à un avocat étranger de le
faire avec le concours d'un confrère tunisien.
4.4 Selon les mêmes règles de procédure pénale, le Procureur de la République
recevra ladite plainte et ouvrira une information judiciaire. Le juge d'instruction
saisi de l'affaire entendra l'auteur de la plainte conformément à l'article
53 du Code de procédure pénale. À la lumière de cette audition, il pourra entendre
les témoins, interroger les suspects, procéder à des constatations sur les lieux
et à la saisie des pièces à conviction. Il pourra ordonner les expertises et
accomplir tous les actes tendant à la révélation des preuves, à charge et à
décharge, pour rechercher la vérité et pour constater les faits qui serviront
à la juridiction du jugement à fonder sa décision.
4.5 L'État partie précise que le plaignant peut, en outre, se constituer partie
civile devant le juge d'instruction en cours d'information pour demander une
réparation du préjudice subi en plus de la condamnation pénale des auteurs de
l'infraction dont il a été victime.
4.6 Si le juge d'instruction estime que l'action publique n'est pas recevable,
que les faits ne constituent pas une infraction ou qu'il n'existe pas de charges
suffisantes contre l'inculpé, il déclare par ordonnance qu'il n'y a pas lieu
à poursuite. Au contraire, si le juge estime que les faits constituent un délit
passible d'une peine d'emprisonnement, il renvoie l'inculpé devant le juge compétent,
en l'occurrence la chambre d'accusation lors d'un crime. Toutes les ordonnances
du juge d'instruction sont immédiatement communiquées à toutes les parties au
procès, y compris au plaignant qui s'est constitué partie civile. Après notification
dans les 48 heures, cette dernière peut interjeter appel dans les quatre jours
contre les ordonnances faisant grief à ses intérêts. Cet appel par déclaration
écrite ou orale est reçu par le greffier de l'instruction. S'il y a des présomptions
suffisantes de culpabilité, la chambre d'accusation renvoie l'inculpé devant
la juridiction compétente (tribunal correctionnel ou chambre criminelle du tribunal
de première instance), en statuant sur tous les chefs d'inculpation résultant
de la procédure. Elle peut également ordonner, s'il échet, un complément d'information
par l'un de ses conseils ou par le juge d'instruction, voire même des poursuites
nouvelles, informer ou faire informer sur des faits n'ayant pas encore fait
l'objet d'une instruction. Les décisions de la chambre d'accusation sont immédiatement
exécutoires.
4.7 Après notification, les décisions de la chambre d'accusation peuvent faire
l'objet d'un pourvoi en cassation par le plaignant constitué partie civile.
Ce pourvoi est recevable lorsque l'arrêt de la chambre d'accusation estime qu'il
n'y a pas lieu à poursuivre, a déclaré soit l'irrecevabilité de l'action de
la partie civile, soit l'action publique prescrite, a prononcé l'incompétence
de la juridiction saisie, ou a omis de statuer sur un chef d'inculpation.
4.8 L'État partie souligne que conformément à l'article 7 du Code de procédure
pénale, le plaignant peut se constituer partie civile devant la juridiction
saisie de l'affaire (tribunal correctionnel ou chambre d'accusation près le
tribunal de première instance) et selon le cas, pourra interjeter appel, soit
devant la cour d'appel si l'infraction poursuivie est un délit, soit devant
la chambre criminelle près la cour d'appel s'il s'agit d'un crime. Le plaignant
pourra également se pourvoir en cassation.
4.9 L'État partie fait valoir que les recours internes sont efficaces.
4.10 Selon l'État partie, les juridictions tunisiennes ont, de façon systématique
et continue, agi pour remédier aux manquements à la loi et des condamnations
sévères ont été infligées aux auteurs des abus et violations de la loi. L'État
partie affirme que du 1er janvier 1988 au 31 mars 1995, la justice s'est prononcée
sur 302 cas d'agents de la police ou de la garde nationale au titre de divers
chefs d'accusation, dont 227 s'inscrivent dans le cadre de l'abus d'autorité.
Les peines infligées varient de l'amende à l'emprisonnement pour plusieurs années.
(1)
4.11 L'État partie affirme que les motivations considérées «politiques et partisanes»
du requérant ainsi que ses propos considérés «insultants et diffamatoires» permettent
de considérer que sa plainte constitue un abus du droit de soumettre des requêtes.
4.12 L'État partie explique que l'idéologie et le programme politique du «mouvement»
dont le requérant était un membre actif se fondent exclusivement sur des principes
religieux, épousant une vue extrémiste de la religion négatrice des droits démocratiques
et des droits de la femme. Il s'agit d'un «mouvement» illégal prônant la haine
religieuse et raciale et faisant usage de la violence. Selon l'État partie,
ce «mouvement» s'est illustré par des attentats terroristes ayant causé des
pertes humaines et matérielles durant la période 1990-1991. C'est pourquoi,
et en raison du fait qu'il contrevient à la Constitution et à la loi sur les
partis politiques, ce «mouvement» n'a pas été reconnu par les pouvoirs publics.
4.13 L'État partie précise que le requérant porte des accusations graves et
qui ne sont réellement étayées par aucune preuve, à l'égard des autorités judiciaires,
en prétendant que les magistrats acceptent les aveux comme preuve et statuent
sur leur base.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
5.1 Par une lettre du 6 mai 2002, le requérant conteste l'argument de l'État
partie sur sa prétendue absence de volonté de saisir la justice tunisienne afin
d'user des voies de recours internes.
5.2 Le requérant rappelle à cet effet ses déclarations sur la torture à son
encontre et sa demande de contrôle médical auprès du juge du tribunal militaire
qui les a ignorées et n'y a pas donné suite, ses informations au regard des
violations des articles 13 et 14 de la Convention contre la torture; et son
placement sous contrôle administratif qui a fait obstacle à la saisine de la
justice. Selon le requérant, la pratique ci-dessus décrite des juges constitue
la règle, surtout à l'encontre des prisonniers politiques. Le requérant produit
à l'appui de ses arguments des extraits de rapports du Comité pour le respect
des libertés et des droits de l'homme en Tunisie, de la FIDH et de la Ligue
tunisienne de défense des droits de l'homme. Il se réfère, en outre, aux rapports
annuels d'organisations non gouvernementales telles qu'Amnesty International
et Human Rights Watch, qui ont dénoncé les pratiques décrites par le requérant.
5.3 Le requérant conteste, par ailleurs, les explications de l'État partie concernant
la possibilité d'engager sans délai une action en justice, l'existence de recours
effectif et la possibilité de se constituer partie civile.
5.4 Le requérant estime que l'État partie s'est contenté de réciter la procédure
décrite au Code de procédure pénale, laquelle est loin d'être appliquée dans
la réalité, surtout dans les cas de prisonniers politiques. Le requérant cite
à l'appui de son constat des rapports d'Amnesty International, de Human Rights
Watch, de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), de la Commission
nationale consultative des droits de l'homme en France, et du Conseil national
pour les libertés en Tunisie. Le requérant se réfère également aux observations
finales sur la Tunisie du Comité contre la torture en date du 19 novembre 1998.
Le requérant souligne que le Comité contre la torture a recommandé entre autres
que l'État partie a) garantisse aux victimes de torture le droit de porter plainte
sans crainte de faire l'objet de représailles, de harcèlement, de traitements
brutaux ou de persécutions de toute nature, même si les résultats de l'enquête
ne confirment pas leurs allégations, et de demander et d'obtenir réparation
si ces allégations s'avèrent justes; b) fasse en sorte que des examens médicaux
soient automatiquement prévus à la suite d'allégations de violation et qu'une
autopsie soit pratiquée dans tous les cas de décès en garde à vue; c) fasse
en sorte que les résultats de toutes les enquêtes concernant les cas de torture
soient rendus publics et que ces informations comprennent le détail des infractions
commises, le nom des auteurs, les dates, lieux et circonstances des incidents
et les sanctions imposées aux coupables. Le Comité a, en outre, constaté qu'une
grande partie de la réglementation existant en Tunisie pour la protection des
personnes arrêtées n'était pas respectée en pratique. Il s'est également déclaré
préoccupé par le large fossé qui existe entre le droit et la pratique en ce
qui concerne la protection des droits de l'homme et particulièrement troublé
par des rapports faisant état de pratiques répandues de torture et d'autres
traitements cruels et dégradants perpétrées par les forces de sécurité et par
la police et qui, dans certains cas, ont entraîné la mort de personnes placées
en garde à vue. Le requérant mentionne, par ailleurs, la décision du Comité
contre la torture dans l'affaire Faisal Baraket c. Tunisie (requête no 60/1996).
Le requérant considère que le discours de l'État partie sur la possibilité de
garantir un recours effectif et efficace relève de la propagande politique sans
aucune pertinence juridique. Le requérant précise que les cas cités par l'État
partie (par. 4.10) concernent des citoyens tunisiens qui n'étaient pas arrêtés
pour des affaires de nature politique alors que les autorités accordent un traitement
spécial pour les procès de prisonniers politiques.
5.5 Le requérant conteste, d'autre part, l'argument de l'État partie sur la
possibilité de charger un avocat tunisien de porter plainte à partir de l'étranger.
5.6 Le requérant soutient que cette procédure demeure lettre morte et n'a jamais
été respectée lors d'affaires politiques. Selon le requérant, les avocats qui
osent défendre de telles causes sont victimes de harcèlement et autres formes
d'atteintes graves à l'exercice libre et indépendant de leur profession, y compris
des condamnations à des peines de prison.
5.7 Le requérant soutient que sa situation de réfugié politique en Suisse ne
lui permet pas de mener à terme une probable procédure, du fait des restrictions
posées quant au contact du réfugié avec les autorités de son pays. Il explique
que la cessation de toute relation avec le pays d'origine est l'une des conditions
de l'octroi de la qualité de réfugié et joue un rôle important lors de l'appréciation
de la révocation de l'asile. Selon le requérant, il peut en effet être mis fin
à l'asile lorsque le réfugié se réclame à nouveau spontanément de la protection
de son pays d'origine, par exemple, en entretenant des contacts étroits avec
ses autorités ou en se rendant régulièrement sur place.
5.8 Enfin, le requérant estime que les commentaires de l'État partie sur son
appartenance au mouvement ENNADHA et à son encontre démontrent l'existence et
la permanence d'une discrimination à l'encontre de l'opposition, toujours considérée
comme illégale. Selon le requérant, par ses qualifications relatives au terrorisme
dans le cas d'espèce, l'État partie prouve sa partialité et dès lors soutenir
la garantie de recours internes et efficaces est une pure chimère. En outre,
le requérant souligne que l'interdiction de la torture et des traitements inhumains
et dégradants est une garantie qui ne souffre d'aucune exception, y compris
pour un terroriste. (2)
5.9 Finalement, au vu des explications précédentes, le requérant rejette le
commentaire de l'État partie considérant la présente requête comme un abus de
droit.
Observations supplémentaires de l'État partie sur la recevabilité de la requête
6.1 Le du 8 novembre 2002, l'État partie a contesté à nouveau la recevabilité
de la requête. L'État partie soutient, en premier lieu, que les prétentions
du requérant relatives à la saisine de la justice tunisienne et à l'utilisation
des voies de recours internes sont dépourvues de tout fondement et ne sont étayées
par aucune preuve. L'État partie précise que l'action publique relative aux
allégations soulevées dans la requête n'est pas prescrite car le délai de prescription
dans le cas d'espèce est de 10 ans. Il estime que le requérant n'apporte aucune
preuve étayant ses allégations selon lesquelles la pratique des autorités empêche
l'engagement sans délai d'une action en justice et la possibilité de se constituer
partie civile. Il ajoute que le statut de réfugié du requérant ne saurait le
priver de son droit de porter plainte devant les juridictions tunisiennes. En
troisième lieu, l'État partie affirme que contrairement aux allégations du requérant,
celui-ci a la possibilité de charger un avocat de son choix afin de porter plainte
depuis l'étranger. Finalement, l'État partie réaffirme que la requête ne se
base sur aucun fait concret et ne fait état d'aucune preuve, et qu'elle constitue
un abus du droit de soumettre des requêtes.
Décision du Comité concernant la recevabilité
7.1 À sa vingt-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité
de la requête et, dans une décision du 20 novembre 2002, déclaré qu'elle était
recevable.
7.2 Relativement à la question de l'épuisement des voies de recours internes,
le Comité a noté que l'État partie contestait la recevabilité de la requête
au motif que les recours internes disponibles et utiles n'avaient pas été épuisés.
Dans le cas d'espèce, le Comité a constaté que l'État partie avait fourni un
descriptif détaillé à la fois des recours ouverts, en droit, à tout requérant
ainsi que des cas d'aboutissement de tels recours à l'endroit d'auteurs d'abus
et de violations de la loi. Le Comité a considéré, néanmoins que l'État partie
n'a pas suffisamment démontré la pertinence de son argumentation dans les circonstances
propres au cas du requérant, qui se dit victime de violations de ses droits.
Le Comité a précisé qu'il ne mettait pas en doute les informations de l'État
partie sur l'existence de poursuites et de condamnations visant les membres
des forces de l'ordre pour divers abus. Mais le Comité a indiqué qu'il ne saurait
perdre de vue dans le cas d'espèce que les faits datent de 1991, et que si la
prescription est décennale, se posait dans le cas présent la question de la
prescription devant les juridictions nationales, sauf interruption ou suspension
du délai de prescription, information que l'État partie n'avait pas fournie.
Le Comité a noté en outre que les allégations du requérant avaient trait à des
faits anciens dénoncés publiquement auprès des autorités judiciaires et en présence
d'observateurs internationaux. Le Comité a indiqué ne pas avoir connaissance,
à ce jour, d'enquêtes diligentées spontanément par l'État partie. En conséquence,
il était d'avis que dans le cas présent il y avait très peu de chances que l'épuisement
des recours internes donne satisfaction au requérant, et il a décidé de faire
application de l'alinéa b du paragraphe 5 de l'article 22 de la Convention.
7.3 Le Comité a en outre pris note de l'argument de l'État partie faisant valoir
que la plainte du requérant constituait un abus du droit de soumettre des requêtes.
Le Comité a estimé que toute dénonciation de torture était grave et que seul
l'examen sur le fond pouvait permettre de déterminer si les allégations étaient
diffamatoires. De surcroît, le Comité a estimé que l'engagement politique et
partisan du requérant contesté par l'État partie ne s'opposait pas à l'examen
de cette plainte, conformément au paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention.
Observations de l'État partie quant au fond de la communication
8.1 Dans ses observations en date du 3 avril 2003 et du 25 septembre 2003, l'État
partie conteste le bien-fondé des allégations du requérant et réitère sa position
sur l'irrecevabilité de la requête.
8.2 Au sujet des allégations se rapportant à la «complicité» et à l'inertie
de l'État partie face aux «pratiques de torture», l'État partie explique qu'il
a mis en place un dispositif préventif (3) et dissuasif (4) de lutte contre
la torture afin de prévenir tout acte de nature à porter atteinte à la dignité
et à l'intégrité physique de la personne humaine.
8.3 Concernant les allégations se rapportant «à la pratique de la torture» et
«à l'impunité des auteurs de torture», l'État partie estime que le requérant
n'a présenté aucune preuve à l'appui de ses prétentions. Il souligne que, contrairement
aux allégations du requérant, il a pris toutes les mesures sur le plan de la
loi et dans la pratiques, au niveau des instances judiciaires et administratives,
afin d'empêcher la pratique de la torture et poursuivre ses éventuels auteurs,
conformément aux dispositions des articles 4, 5 et 13 de la Convention. De même,
d'après l'État partie, le requérant n'a présenté aucun motif justifiant son
inaction et son inertie devant les possibilités juridiquement et effectivement
ouvertes qui lui sont offertes pour saisir les instances judiciaires et administratives
(voir par. 6.1). Relativement à la décision de recevabilité du Comité, l'État
partie souligne que le requérant n'invoque pas seulement des «faits» remontant
à 1991, mais des «faits» remontant aux années 1995 et 1996, c'est-à-dire au
moment où la Convention contre la torture est pleinement intégrée en droit interne
tunisien et où il fait état de «mauvais traitements» dont il prétend avoir fait
l'objet lors de sa détention à «la prison civile de Mahdia». Les délais de prescription
ne sont donc pas écoulés, et il est donc urgent, pour l'intéressé, d'interrompre
ces délais, soit en agissant directement devant les autorités judiciaires, soit
en faisant des actes interruptifs. L'État partie fait également état des possibilités
de recours indemnitaires, offertes au requérant, pour toute faute grave commise
par un agent public lors de l'exercice de son service, (5) étant précisé que
le délai de prescription est de 15 ans.(6) L'État partie rappelle que les tribunaux
tunisiens ont toujours agi, de façon systématique, afin de remédier à tout manquement
aux lois réprimant les actes de torture (voir par. 4.10).
8.4 Pour ce qui est du grief de non-respect des garanties de procédure judiciaires,
l'État partie les considère comme non fondées. D'après l'État partie, les autorités
n'ont pas privé le requérant de porter plainte devant la justice, et au contraire,
le requérant a choisi de ne pas faire usage des voies de recours internes. Concernant
«l'obligation» incombant aux juges de ne pas tenir compte des déclarations faites
sous la torture, l'État partie se réfère à l'article 15 de la Convention contre
la torture, et estime qu'il appartient au prévenu de présenter au juge au moins
un commencement de preuve pouvant attester qu'il a fait ses dépositions dans
des conditions contraires à la loi. Sa démarche consisterait donc à établir
la preuve de ses allégations par la présentation d'un rapport médical ou d'une
attestation prouvant qu'il aurait déposé une plainte auprès du ministère public,
ou même en présentant devant le tribunal des traces apparentes de torture ou
de mauvais traitements. Or, l'État partie explique que bien que le tribunal
ait ordonné, dans l'affaire concernant M. Thabti, une expertise médicale pour
tous les détenus qui le souhaitaient, le requérant a choisi délibérément de
ne pas faire cette demande, préférant réitérer chaque fois devant le tribunal
ses allégations de «mauvais traitements», et ce afin de focaliser sur lui l'attention
des observateurs présents à l'audience. Le requérant prétexte son refus de se
livrer à l'expertise médicale, ordonnée par le tribunal, par la «complaisance»
dont feraient preuve les médecins à son encontre. L'État partie répond que ceux-ci
sont désignés par le juge d'instruction ou le tribunal parmi les médecins relevant
de l'administration pénitentiaire et de médecins n'ayant aucun rapport avec
cette administration, jouissant d'une réputation et d'une intégrité au-dessus
de tout soupçon. Finalement, selon l'État partie, le requérant n'a pas cru utile
de présenter de plainte ni au cours de sa détention, ni lors de son procès,
et son refus de se prêter à une expertise médicale illustre le caractère infondé
de ses allégations et démontre une démarche s'inscrivant dans une stratégie
adoptée par le mouvement illégal et extrémiste «ENNAHDA» visant à discréditer
les institutions tunisiennes en alléguant avoir fait l'objet d'actes de torture
et de mauvais traitements, sans toutefois user des recours offerts.
8.5 En ce qui concerne les allégations se rapportant au procès, selon l'État
partie, bien que le requérant reconnaisse avoir bénéficié dans deux affaires
précédentes en 1983 et 1986 d'un non-lieu pour insuffisance de preuves, il continue
néanmoins à accuser systématiquement les instances judiciaires de partialité.
En outre, contrairement aux allégations du requérant selon lesquelles lors de
son procès et au cours de son interrogatoire, le juge d'instruction près le
tribunal militaire de Tunis lui aurait refusé l'assistance d'un avocat, l'État
partie précise que M. Thabti lui-même a refusé l'assistance d'un avocat. D'après
l'État partie, le juge d'instruction, conformément à la législation en vigueur,
a rappelé à l'intéressé son droit de ne répondre qu'en présence de son avocat,
mais le prévenu a choisi de se passer de l'assistance de son conseil, tout en
refusant de répondre aux questions du juge d'instruction. Face au silence de
l'intéressé, le juge l'a averti, conformément à l'article 74 du Code de procédure
pénale, qu'il procéderait à l'instruction de l'affaire, en faisant mention de
cet avertissement au procès-verbal. Concernant l'affirmation du requérant d'avoir
été condamné sur la base de ses aveux comme seuls éléments de preuve, l'État
partie précise que l'alinéa dernier de l'article 69 et l'article 152 du Code
de procédure pénale disposent que l'aveu de l'inculpé ne peut dispenser le juge
de rechercher d'autres éléments de preuve et que l'aveu comme tout élément de
preuve est laissé à la libre appréciation des juges. Et sur cette base, la jurisprudence
tunisienne en matière pénale considère constamment qu'il ne peut y avoir de
condamnation uniquement sur la base des aveux. (7) Dans le cas d'espèce, le
tribunal s'est basé, outre les aveux que l'intéressé a faits tout au long de
la procédure judiciaire, sur les affirmations des témoins, les témoignages de
ses complices et sur les pièces à conviction.
8.6 Au sujet des allégations relatives aux conditions carcérales, et en particulier
au transfert d'une prison à une autre considéré comme une mesure abusive, l'État
partie explique que le transfert, tel que régi par les textes en vigueur, est
décidé en fonction des différentes phases du procès, du nombre des affaires
et des instances judiciaires territorialement compétentes. Les prisons sont
classées en trois catégories: celles pour les personnes détenues à titre préventif;
celle d'exécution pour les personnes condamnées à des peines privatives de liberté;
et celles semi-ouvertes pour les personnes condamnées pour cause de délit, habilitées
au travail agricole. D'après l'État partie, ayant passé du statut de détenu
à titre préventif à celui de détenu condamné à des peines privatives de liberté
et compte tenu aussi des besoins d'investigations dans l'affaire qui le concernait
ou encore dans d'autres affaires similaires, le requérant a été transféré d'une
prison à l'autre, conformément à la réglementation en vigueur. En outre, et
quel que soit le lieu carcéral, les conditions du requérant étaient conformes
à la réglementation relative à l'organisation des prisons régissant les conditions
de détention en vue d'assurer l'intégrité physique et morale du détenu. L'État
partie estime également non fondées les allégations du requérant assimilant
abusivement ses conditions de détention à des traitements dégradants. L'État
partie précise que les droits des détenus sont scrupuleusement protégés en Tunisie,
sans aucune distinction et quelle que soit la situation pénale; ceci dans le
respect de la dignité humaine, conformément aux normes internationales et à
la législation tunisienne. Une prise en charge médicale et psychosociale est
assurée ainsi que la visite des membres de la famille.
8.7 Contrairement aux allégations selon lesquelles les séquelles dont souffre
le requérant sont dues aux actes de torture, l'État partie soutient l'absence
de lien de causalité. De plus, d'après l'État partie, le requérant a été pris
en charge sur le plan médical pour des pathologies banales et a bénéficié des
soins appropriés. Enfin, suite à un examen par le médecin de la prison, le requérant
a été transféré au cabinet d'un ophtalmologue, lequel a prescrit une paire de
lunettes, délivrée le 21 janvier 1997.
8.8 Concernant les allégations de privation de visites, d'après l'État partie
le requérant a, conformément à la réglementation régissant les prisons, reçu
régulièrement la visite de son épouse Aicha Thabti et de son frère Mohamed Thabti,
comme cela est établi par les registres des visites des prisons où le requérant
a été incarcéré.
8.9 Pour ce qui est des allégations relatives au contrôle administratif et à
la situation sociale de la famille de M. Thabti, d'après l'État partie, le requérant
assimile le contrôle administratif auquel il a été soumis après avoir purgé
sa peine d'emprisonnement à un mauvais traitement, alors qu'il s'agit d'une
peine judiciaire complémentaire prévue par l'article 5 du Code pénal. L'État
partie estime, dès lors, que la peine ne peut être considérée comme un mauvais
traitement en vertu de la Convention contre la torture. Enfin, contrairement
aux allégations du requérant, l'État partie affirme que la famille du requérant
ne fait l'objet d'aucune forme de harcèlement ou de restriction et que son épouse
et ses enfants disposent de leurs passeports.
Commentaires du requérant
9.1 Dans ses commentaires du 20 mai 2003, le requérant a souhaité répondre à
chacun des points contenus dans les observations ci-dessus exposées de l'État
partie.
9.2 Concernant le dispositif préventif de lutte contre la torture, le requérant
estime que l'État partie se limite à une énumération d'un arsenal de lois et
de mesures d'ordre administratif et politique, lesquelles ne sont, selon lui,
nullement appliquées dans la réalité. Le requérant cite à l'appui de son constat
des rapports de l'organisation non gouvernementale «Conseil national pour les
libertés en Tunisie» (CNLT).(8)
9.3 Au sujet de la mise en place d'un référentiel législatif de lutte contre
la torture, le requérant estime que l'article 101 bis du Code de procédure pénale
a été adopté tardivement en 1999, en particulier suite aux préoccupations du
Comité contre la torture du fait que la formulation de l'article 101 du Code
pénal pouvait justifier de graves dérives en matière d'usage de la violence
en cours d'interrogatoires. Le requérant affirme également que ce nouvel article
n'a aucune application et joint une liste des victimes de la répression en Tunisie
entre 1991 et 1998 établie par l'organisation non gouvernementale «Vérité-Action».
Il précise également que les cas invoqués par l'État partie pour prouver sa
volonté d'agir contre la torture ne portent que sur des accusations d'abus de
pouvoir et de violences et voies de fait ainsi que sur des affaires de droit
commun, et non pas sur les cas de torture provoquant la mort et ceux concernant
des préjudices physiques et moraux causés aux victimes de la torture.
9.4 Concernant la pratique de la torture et l'impunité, le requérant maintient
que l'impunité des tortionnaires subsiste, et qu'en particulier aucune enquête
sérieuse n'a été ouverte contre les personnes soupçonnées de crimes de torture.
Contrairement aux prétentions de l'État partie, le requérant déclare avoir essayé
de porter plainte devant le tribunal militaire à plusieurs reprises, mais que
le Président du tribunal a toujours ignoré ses déclarations relatives à la torture
au motif de l'absence de rapport médical en sa possession. Selon les rapports
du CNLT, «il a régné au sein de la cour un long récit des accusés et de leurs
avocats des atrocités commises par les agents de la Division de la sûreté de
l'État». Or, selon le requérant, les autorités pénitentiaires ont sélectionné
seulement 25 détenus sur l'ensemble des personnes (170) devant être jugées devant
le tribunal militaire de Bouchoucha afin de les soumettre à un contrôle médical
par des médecins militaires. Le requérant affirme qu'il n'était pas informé
de ce contrôle lors de sa détention préventive, et ne s'en est rendu compte
que devant le tribunal. Selon le requérant, le Président a ingoré le fait que
les autres accusés n'avaient pas d'expertises médicales et il est faux de prétendre
que lui-même a renoncé de son propre gré à les requérir. Informé de ce fait,
le Président a simplement ignoré les contestations des avocats et des détenus,
dont le requérant, en violation flagrante des dispositions légales relatives
au droit du détenu à effectuer un rapport médical et de son droit constitutionnel
à être entendu, tel que d'ailleurs relaté dans le rapport du CNLT. Selon le
requérant, la preuve en est que l'État partie reconnaît qu'il a soulevé au cours
de l'audience des plaintes de mauvais traitements. Par ailleurs, selon le requérant,
alors qu'un État de droit doit donner suite, et d'office, à toute dénonciation
d'acte pénal qualifiable de crime, les autorités tunisiennes se sont toujours
contentées de qualifier les dénonciations de «propos mensongers contradictoires
et diffamatoires», sans se donner la peine d'ouvrir des enquêtes pour établir
les faits conformément aux exigences de la procédure pénale tunisienne. Le requérant
estime avoir rendu au moins vraisemblables ses allégations dans les détails
(noms, lieux et traitements infligés) de la torture subie alors que l'État partie
se contente de nier en bloc. Ce n'est pas pour leur appartenance aux forces
de l'ordre que des tortionnaires ont été cités par le requérant, mais pour des
violations concrètes et répétées dans le temps contre son intégrité physique
et morale et sa vie privée et familiale. L'ouverture d'une enquête, afin de
vérifier si une personne appartenant aux forces de l'ordre a commis des actes
de torture ou autre, ne constitue pas une violation de la présomption d'innocence,
mais une démarche juridique indispensable pour instruire un dossier et le soumettre,
le cas échéant, aux autorités judiciaires afin de le trancher. Relativement
aux recours juridictionnels, le requérant estime que l'État partie se contente
de reproduire son exposé sur les possibilités juridiques offertes aux victimes
contenu dans ses précédentes soumissions sans répondre à la décision de recevabilité
en son paragraphe 7.2, dernier alinéa. Le requérant réitère son argumentation
sur l'inutilité des possibilités légales théoriques exposées par l'État partie,
tout en exposant à l'appui de sa conclusion des cas pour lesquels les droits
des victimes ont été négligés. Le requérant précise que la jurisprudence citée
par l'État partie a trait à des cas de droit commun et non pas à des prisonniers
d'opinion.
9.5 Concernant l'inertie et l'inaction du requérant, ce dernier estime que l'État
partie se contredit en avançant que les actes de torture sont qualifiés de crime
en droit tunisien et donc poursuivis d'office, tout en attendant la dénonciation
par la victime pour agir. Par ailleurs, le requérant rappelle ses démarches
réelles ci-dessus exposées pour exiger une expertise médicale et une enquête
sur la torture subie. Il rappelle, en particulier sur la base d'un rapport du
CNLT, (9) les circonstances des expertises médicales de 25 détenus, ceci afin
de donner un semblant de respect des garanties de procédure, et le manque d'intégrité
des médecins désignés. (10) Il précise que les audiences devant le tribunal
militaire de Bouchoucha étaient enregistrées par vidéo, leur visionnement pouvant
permettre la vérification des déclarations du requérant.
9.6 Concernant les allégations se rapportant au procès, le requérant précise,
tout d'abord que les non-lieux dont il a bénéficié en 1983 et 1986 sont intervenus
dans un contexte politique d'apaisement (1983-1984, libération par étapes des
leaders du Mouvement de la tendance islamique devenue ENNAHDA en 1989) et de
légitimation d'un nouveau pouvoir (amnistie présidentielle après le coup d'État
de 1987), et qu'ils illustrent la dépendance de la justice au pouvoir exécutif
(démontrée par des rapports d'organisations non gouvernementales). (11) En second
lieu, relativement au refus de l'assistance d'un avocat, le requérant apporte
les rectifications suivantes et produit un rapport du CNLT. (12) Devant le juge
d'instruction Ayed Ben Gueyid, attaché au tribunal militaire de Tunis, le requérant
a insisté sur sa demande d'être assisté d'un avocat d'office ou mandaté par
sa famille. Le requérant a désigné Me Najib ben Youssef contacté par sa famille.
Cet avocat a conseillé de consulter Me Moustafa El-Gharbi, lequel n'a pu assister
le requérant que dès la quatrième semaine du procès, et n'a pu lui rendre visite
à la Prison du 9 avril qu'une ou deux fois, sous la surveillance rapprochée
des gardiens de prison. En réponse à la demande du requérant de bénéficier d'un
avocat, le juge d'instruction militaire a répondu «pas d'avocat», ce qui a conduit
le requérant à déclarer «pas d'avocat, pas de parole». Suite à cette déclaration,
le requérant précise avoir été violemment battu par les agents de police militaire,
dans une chambre à côté du bureau du juge d'instruction militaire, lors d'une
pause forcée et ordonnée par ce magistrat. Le requérant a été ensuite placé,
durant deux mois, en isolement à la Prison du 9 avril à Tunis. Suite à cette
sanction, le requérant a assisté à la première audience en l'absence du dossier
du juge d'instruction, point sur lequel le requérant s'est expliqué devant le
président du tribunal en rappelant ce qui s'était passé devant le juge d'instruction
militaire.
9.7 Concernant les allégations se rapportant aux aveux, le requérant maintient
avoir fait des aveux sous la torture et, se basant sur des rapports du CNLT,
déclare que de tels procédés sont utilisés dans les procès politiques et parfois
les affaires de droit commun. Eu égard au témoignage à charge du codétenu Mohamed
Ben Ali Ben Romdhane, le requérant affirme ne pas connaître cette personne,
que celle-ci ne figurait pas parmi les 297 personnes jugées au tribunal de Bouchoucha,
et demande à l'État partie de produire le procès-verbal du témoignage de cette
personne ainsi que le dossier judiciaire afin de vérifier si le tribunal a prononcé
son jugement sur la base d'aveux obtenus sous la torture. D'après le requérant,
la mention de ce témoin est une pure création des tortionnaires. À titre subsidiaire,
le requérant fait valoir que, quand bien même un témoin à charge serait intervenu,
l'accusé aurait dû avoir la possibilité de contester, voire d'être confronté
à lui, ce qui n'a pas été le cas.
9.8 Concernant les conditions de détention et les visites, le requérant estime
que l'État partie s'est, à nouveau, limité à des observations brèves et générales
en réponse à ses informations nombreuses, concrètes et circonstanciées. Le requérant
explique que ses transferts avaient un caractère punitif et n'avaient aucun
rapport avec les affaires pendantes devant la justice et fournit, à cet égard,
le récapitulatif suivant:
- 6 avril 1991, arrestation et détention dans le sous-sol du Ministère de l'intérieur;
le 13 mai 1991 transfert à la prison de Mornag au secret;
- 4 juin 1991, transfert à la police politique pour signer les procès-verbaux
de l'interrogatoire, sans en connaître le contenu; transfert auprès du juge
d'instruction militaire, puis vers 23 heures transfert à la Prison civile du
9 avril de Tunis, ce jusqu'à la fin novembre 1991 (dont deux mois en isolement);
- 1er décembre 1991, transfert à la prison de Borj Erroumi à Bizerte (à 70 km
du domicile familial);
- 4 juillet 1992, transfert à la Prison du 9 avril à Tunis, jusqu'au 15 septembre
1992, période correspondant aux audiences des jugements;
- 28 août 1992, condamnation du requérant à six ans de prison ferme et cinq
ans de contrôle administratif;
- 15 septembre 1992, transfert à la prison de Borj Erroumi à Bizerte, jusqu'au
4 juillet 1993;
- 4 juillet 1993, transfert à la prison de Mahdia (à 200 km du domicile), jusqu'au
19 septembre 1993;
- 19 septembre 1993, transfert à la prison de Sousse (à 160 km du domicile),
jusqu'au 4 avril 1994;
- 4 avril 1994, transfert à la prison de Mahdia, jusqu'à la fin décembre 1994;
- Fin décembre 1994, transfert à la Prison du 9 avril à Tunis; interrogatoire
au Ministère de l'intérieur accompagné de tortures durant quatre jours consécutifs;
- Fin décembre 1995, transfert à la prison de Mahdia; grève de la faim de la
mi-février à la fin février 1996 afin de réclamer l'amélioration des conditions
de détention;
- Fin février 1996, transfert à la prison El Houerib à Kairouan (à 250 km du
domicile) suite à la grève de la faim;
- 20 mars 1996, transfert à la prison de Sousse; trois semaines de grève de
la faim en janvier 1997 afin de réclamer l'amélioration des conditions de détention;
- 7 février 1997, transfert à Rejim Maatoug (à 600 km du domicile, en plein
désert);
- 27 février 1997, transfert à la prison de Sousse;
- 27 mai 1997, libération, contrôle administratif de cinq ans et assignation
à résidence à Nekrif-Remada (à 630 km du domicile familial);
- 1er octobre 1997, fuite de la Tunisie.
9.9 Le requérant explique qu'à chaque transfert, sa famille devait rechercher
durant deux à trois mois son nouveau lieu de détention, dans la mesure où l'administration
pénitentiaire ne donnait de tels renseignements qu'au compte-gouttes. D'après
le requérant, ces transferts avaient pour but de la priver du soutien psychique
et moral de sa famille, et donc de le sanctionner. Le requérant précise que
les registres d'entrées et de sorties des prisons peuvent prouver ses explications.
Le requérant explique que le recours à la privation de visites constituait un
moyen de vengeance à son encontre chaque fois qu'il réclamait un droit et agissait
à cet effet, notamment par des grèves de la faim. En outre, la famille du requérant
rencontrait des difficultés à exercer le droit de visite en raison des multiples
transferts, des lieux de détention éloignés et des conditions de la visite (l'épouse
du requérant étant maltraitée afin de l'obliger à ôter son foulard); et la présence
permanente de gardiens entre deux grillages distants d'environ un mètre entre
l'épouse et le requérant).
9.10 Concernant les allégations se rapportant aux soins, le requérant réitère
avoir été privé de son droit de consulter un médecin afin de diagnostiquer ses
séquelles de torture, et porte l'attention du Comité sur le certificat médical
produit dans son dossier. Relativement au traitement invoqué par l'État partie,
le requérant précise que ce contrôle médical est intervenu trois semaines après
la grève de la faim; que des lunettes lui ont été prescrites sous peine de devenir
aveugle et que ces lunettes ne lui ont été remises qu'après environ deux mois.
9.11 Pour ce qui est du contrôle administratif, le requérant estime que toute
peine, même prévue par le Code pénal tunisien, peut être qualifiée d'inhumaine
et dégradante, si l'objectif poursuivi n'est ni la «rééducation du délinquant»
ni sa réconciliation avec son environnement social. Or, le requérant explique
avoir été astreint à un contrôle administratif à 650 km de son domicile familial
et donc assigné à résidence, ce qui n'était pas prévu par sa condamnation. Le
requérant ajoute qu'à chaque fois qu'il se présentait au poste de police pour
signature du registre de contrôle, il était maltraité (parfois même battu) et
humilié par les policiers. D'après le requérant, qui produit d'ailleurs un rapport
du CNLT, (13) le contrôle administratif ne sert qu'à assurer la mainmise par
la police du droit à la liberté de circulation de l'ex-détenu.
9.12 Concernant la situation de sa famille, le requérant fait état de la souffrance
subie à travers le contrôle policier et l'intimidation sous diverses formes.
Le requérant mentionne que son fils aîné a été giflé à maintes reprises devant
ses frères et sa mère à la porte de la maison en rentrant du lycée et interrogé
au poste de police de la région sur les moyens de survie de la famille. Les
membres de la famille n'ont, par ailleurs, disposé de leur passeport qu'à la
suite de l'arrivée du requérant, le 25 mai 1998, en Suisse où il a obtenu une
demande d'asile. Et les premiers membres de sa famille n'ont reçu leur passeport
que sept mois plus tard, soit le 9 décembre 1998.
9.13 Eu égard au mouvement ENNAHDA, le requérant soutient que cette organisation
est, contrairement aux explications de l'État partie, connue pour ses idéaux
démocratiques et son opposition à la dictature et à l'impunité. En outre, le
requérant conteste les accusations de terrorisme portées à son encontre par
l'État partie.
9.14 Finalement, selon le requérant, l'État partie tente de mettre l'entier
fardeau de la preuve sur la victime accusée d'inertie et d'inaction, se cache
derrière une panoplie de mesures légales permettant théoriquement aux victimes
de porter plainte, et se dérobe de son devoir de veiller à la poursuite d'office
des crimes dont celui de torture. Selon le requérant, l'État partie néglige
ainsi sciemment que le droit et la jurisprudence internationale en matière de
torture insistent plus sur le rôle des États et leurs devoirs pour permettre
l'aboutissement d'une procédure. Or, le requérant constate que l'État partie
porte la charge de la preuve uniquement sur la victime alors même que les preuves
à l'appui (dossiers de justice, registres de garde à vue, de visites, etc.)
sont uniquement détenus par l'État partie sans possibilité d'accès pour le requérant.
Se référant à la jurisprudence européenne, (14) le requérant rappelle que la
Cour et la Commission européenne invitent les États parties, lors d'allégations
de torture ou de mauvais traitements, à «mener une enquête effective sur les
allégations de mauvais traitements» et non à se contenter de citer l'arsenal
théorique des voies ouvertes à la victime pour se plaindre.
Examen au fond
10.1 Le Comité a examiné la communication en tenant dûment compte de toutes
les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe
4 de l'article 22 de la Convention.
10.2 Le Comité a pris note des observations de l'État partie du 3 avril et du
25 septembre 2003 contestant la recevabilité de la requête. Il constate que
les éléments mis en avant par l'État partie ne sont pas susceptibles de permettre
un réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier,
de l'absence d'information nouvelle ou supplémentaire de l'État partie sur la
question des enquêtes diligentées spontanément par l'État partie (voir par.
7.2). Le Comité estime donc qu'il n'a pas à revenir sur sa décision de recevabilité.
10.3 Le Comité passe immédiatement à l'examen de la requête sur le fond et note
que le requérant impute à l'État partie les violations de l'article premier,
du paragraphe 1 de l'article 2 et des articles 4, 5, 12, 13, 14, 15 et 16 de
la Convention.
10.4 Le Comité note qu'en vertu des dispositions de l'article 12 de la Convention,
les autorités ont l'obligation de procéder immédiatement à une enquêteimpartiale
chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture
ou de mauvais traitement a été commis, sans que le motif du soupçon ait une
importance particulière.(15)
10.5 Le Comité constate que le requérant s'était plaint d'avoir subi des actes
de torture devant le tribunal militaire de Bouchoucha lors de son procès à compter
du 9 juillet 1992, en présence de la presse nationale et d'observateurs internationaux
des droits de l'homme. Il note en outre que l'État partie reconnaît que le requérant
a réitéré, à plusieurs reprises, ses allégations de mauvais traitements devant
le tribunal afin, selon lui, de focaliser l'attention des observateurs présents
à l'audience. Le Comité prend note également des informations détaillées et
étayées du requérant faisant état de ses grèves de la faim en juillet 1992 à
la Prison du 9 avril à Tunis durant 12 jours, à Mahdia en octobre 1995 durant
8 jours et en mars 1996 durant 10 jours, afin de protester contre les conditions
de détention et les mauvais traitements. Il relève que ces informations n'ont
pas été commentées par l'État partie et considère que l'ensemble de ces éléments
aurait dû suffire pour déclencher une enquête, qui n'a pas eu lieu contrairement
à l'obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, prévue par
l'article 12 de la Convention.
10.6 Le Comité note que l'article 13 de la Convention n'exige pas qu'une plainte
pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure prévue
dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration expresse
de la volonté d'exercer l'action pénale; il suffit que la victime se manifeste,
simplement, et porte les faits à la connaissance d'une autorité de l'État pour
que naisse pour celui-ci l'obligation de la considérer comme une expression
tacite mais sans équivoque de son désir d'obtenir l'ouverture d'une enquête
immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention.(16)
10.7 Or, le Comité constate, comme il a déjà été indiqué, que le requérant s'est
effectivement plaint de mauvais traitements auprès du tribunal militaire de
Bouchoucha et a eu recours aux grèves de la faim afin de se plaindre de la condition
qui lui était faite. Cependant, et contrairement à la jurisprudence au titre
de l'article 13 de la Convention, le Comité note la position de l'État partie
qui soutient que le requérant aurait dû formellement faire usage des voies de
recours internes afin de porter plainte, en particulier par la présentation
soit d'une attestation prouvant le dépôt d'une plainte auprès du ministère public,
soit de traces apparentes de torture ou de mauvais traitements devant le tribunal,
soit d'un rapport médical. Sur ce dernier point auquel le Comité souhaite porter
son attention, il ressort que d'un côté, le requérant soutient que le président
du tribunal de Bouchoucha a ignoré ses déclarations de torture au motif de l'absence
de rapport médical en sa possession; que le requérant n'a été informé qu'au
cours de son procès des contrôles médicaux effectués lors de la détention préventive
sur seulement certains accusés; et que le président du tribunal a ignoré ses
contestations en vue du respect de son droit à un rapport médical. D'un autre
côté, l'État partie affirme que le requérant a choisi délibérément de ne pas
faire de demande d'expertise médicale alors que le tribunal avait ordonné de
telles expertises pour tous les détenus qui le souhaitaient. Or, le Comité renvoie
à son examen du rapport présenté par la Tunisie en 1997, à l'issue duquel il
avait recommandé à l'État partie de faire en sorte que des examens médicaux
soient automatiquement prévus à la suite d'allégations d'abus, et donc sans
que la victime alléguée n'ait à formaliser une demande à cet effet.
10.8 À la lumière des constatations ci-dessus, le Comité estime que les manquements
qui viennent d'être exposés sont incompatibles avec l'obligation faite à l'article
13 de la Convention de procéder à une enquête immédiate.
10.9 Enfin le Comité estime ne pas être en mesure de se prononcer sur les griefs
de violation d'autres dispositions de la Convention soulevés par le requérant,
dans l'attente de disposer des résultats de l'enquête sur les allégations de
torture et de mauvais traitements devant être diligentée par l'Etat partie.
11. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention, est d'avis que les faits dont il a été saisi font apparaître
une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
12. Conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur,
le Comité invite instamment l'État partie à procéder à une enquête sur les allégations
de torture et de mauvais traitements du requérant, et à l'informer, dans un
délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision,
des mesures qu'il aura prises conformément aux constatations ci-dessus.
[Adopté en anglais, en espagnol, en français (version originale) et en russe.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Les exemples donnés par l'État partie sont disponibles, pour information,
dans le dossier.
2. Le requérant rappelle également la requête 91/1997 A. c. Pays-Bas par laquelle
le Comité contre la torture a donné satisfaction à un requérant d'asile tunisien,
membre de l'opposition, en raison du risque sérieux qu'il soit soumis à la torture
s'il retournait en Tunisie.
3. Entre autres, enseignement des valeurs des droits de l'homme dans les écoles
des forces de sécurité, à l'Institut supérieur de la magistrature et à l'École
nationale de formation et de recyclage des cadres et agents des établissements
pénitentiaires et correctionnels; code de conduite destiné aux responsables
chargés de l'application des lois en matière de droits de l'homme; transfert
de la tutelle des établissements pénitentiaires et correctionnels du Ministère
de l'intérieur à celui de la justice et des droits de l'homme.
4. Mise en place d'un dispositif référentiel législatif: contrairement aux allégations
du requérant sur la non-incrimination par les autorités tunisiennes des actes
de torture, l'État partie explique avoir ratifié sans réserves la Convention
contre la torture, laquelle fait partie intégrante du droit interne tunisien
et peut être invoquée devant les tribunaux: dispositions pénales sévères et
précises incriminant la torture (art. 101 bis du Code pénal tunisien).
5. La loi du 1er juin 1972 relative au tribunal administratif permet d'engager
la responsabilité de l'État même lorsqu'il agit comme puissance publique si
ses représentants, agents ou fonctionnaires ont causé un dommage matériel ou
moral à autrui. La partie lésée peut demander à l'État la réparation du préjudice
commis (art. 84 du Code des obligations et des contrats), cela sans préjudice
de la responsabilité directe de ses fonctionnaires envers les parties lésées.
6. Jurisprudence du tribunal administratif (arrêts no 1013 du 10/05/1993, et
no 21816 du 24/01/1997).
7. Arrêt no 4692 du 30/07/1996 publié dans la Revue de jurisprudence et législation
(R.J.L.); arrêt no 8616 du 25/02/1974 R.J.L., 1975; et arrêt no 7943 du 03/09/1973
8. «Le procès tournant: À propos des procès militaires de Bouchoucha et de Bab
Saadoun en 1992» octobre 1992; «Pour la réhabilitation de l'indépendance de
la justice» avril 2000-décembre 2001.
9. Disponible pour information dans le dossier.
10. «Le rôle de quelques-uns des médecins n'était pas moins grave, et ce à travers
ce qu'ils ont commis au cours de la torture en assistant les tortionnaires sur
l'état de la victime et le degré de torture qu'elle peut supporter et, ceci
des informations recueillies des torturés ou dans les analyses effectuées dans
lesquelles des médecins célèbres ont sciemment caché la vérité des causes des
atteintes dont ont souffert les accusés au cours des scènes de la torture physique»
rapport CNLT, octobre 2002.
11. Rapport sur la Tunisie du 12 mars 2003 de la Commission internationale des
juristes.
12. Disponible pour information dans le dossier.
13. Disponible pour information dans le dossier.
14. Guide de jurisprudence sur la torture et les mauvais traitements: art. 3
de la Convention européenne des droits de l'homme, Debra Long (APT); affaire
Ribitsch c. Autriche; Affaire Assenov c. Bulgarie.
15. Communication no 59/1996 (Encarnación Blanco Abad c. Espagne)
16. Communication no 6/1990 (Henri Unai Parot c. Espagne) et no 59/1996 (Encarnación
Blanco Abad c. Espagne)