M. Bouabdallah Ltaief c. Tunisie, Communication No. 189/2001, U.N. Doc. CAT/C/31/D/189/2001 (2003).
Présentée par : | M. Bouabdallah Ltaief (représenté par l'organisation non gouvernementale Vérité-Action) |
Au nom du : | Requérant |
État partie : | Tunisie |
Date de la requête : | 30 juin 2000 |
Le Comité contre la torture , institué en vertu de l'article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Réuni le 17 novembre 2003,
Ayant achevé l'examen de la requête no 189/2001 présentée par M. Bouabdallah Ltaief en vertu de l'article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l'État partie,
Adopte ce qui suit:
DÉCISION AU TITRE DU PARAGRAPHE 7 DE L'ARTICLE 22
DE LA CONVENTION
1. Le requérant est M. Bouabdallah
Ltaief, ressortissant tunisien, né le 2 juin 1967 à Gabès (Tunisie), résidant
en Suisse depuis le 18 mars 1999 où il bénéficie du statut de réfugié. Il affirme
avoir été victime de violations par la Tunisie des dispositions de l'article
premier de la Convention, du paragraphe 1 de l'article 2 et des articles 4,
5, 11, 12, 13, 14, 15 et 16. Il est représenté par l'organisation non gouvernementale
Vérité-Action.
1.2 La Tunisie a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants et a fait la déclaration prévue
à l'article 22 de la Convention le 23 septembre 1988.
Rappel des faits présentés par le requérant
2.1 Le requérant déclare avoir été un membre actif de l'organisation islamique
ENNAHDA (ex-MTI). En juillet 1987, il a été arrêté alors qu'il faisait du camping
avec des scouts. Il précise qu'il a demandé aux agents de la sûreté s'ils intervenaient
sur la base d'une autorisation judiciaire, mais qu'il a été finalement contraint
de se taire sous la menace des armes. Au cours de son interrogatoire, il aurait
été privé de nourriture et de sommeil et intimidé en assistant à des scènes
de torture. Le requérant précise que sa famille, malgré des demandes auprès
de la police locale, n'a pu connaître le lieu de sa détention, et son père a
en outre été détenu toute une journée en raison de ses démarches.
2.2 Lors de sa détention dans les locaux du Ministère de l'intérieur, dans la
caserne de la Garde nationale à Bouchoucha et au siège du Département de police
du Gouvernorat de Gabès, le requérant déclare avoir subi huit séances de torture
dont il donne un descriptif détaillé.
2.3 Le requérant fait état de ce qu'on appelle communément la position du «poulet
rôti» (nue, mains liées, jambes pliées entre les bras, une barre de fer placée
derrière les genoux, la victime est suspendue entre deux tables) accompagnée
de coups, en particulier sur les plantes des pieds. Il précise que ses tortionnaires
soufflaient de la fumée de cigarette sur son visage afin de l'étouffer.
2.4 Le requérant déclare avoir également été victime de la pratique de la «position
à l'envers» (nue, mains liées dans le dos, la victime est suspendue au plafond
par une corde attachée à un seul pied ou les deux à la fois, la tête placée
en bas) accompagnée de coups de pied, de bâton et de cravache jusqu'à l'évanouissement.
Le requérant ajoute que ses tortionnaires lui ont attaché le pénis à un fil
qu'ils tiraient, par coups successifs, comme pour l'arracher.
2.5 Le requérant affirme qu'il a été soumis la «falaka» (les tortionnaires frappent
sur la paume des pieds attachés à une barre et soulevés).
2.6 Le requérant affirme, d'autre part, avoir subi la torture de la «chaise»
(nue, attachée à une chaise, les mains à l'arrière, la victime est battue sur
le visage, la poitrine et le ventre). Ses tortionnaires essuyaient son sang
à l'aide de papiers qu'ils enfouissaient, ensuite, dans sa bouche afin de taire
ses cris.
2.7 Le requérant était, par ailleurs, empêché de dormir et privé de toilettes
et de douche.
2.8 D'après le requérant, suite à ces tortures et mauvais traitements, il a
été par deux fois conduit en urgence à l'hôpital de Gabès, mais n'a pu recevoir
de visites ni contacter sa famille et son avocat.
2.9 Dans ces conditions, le requérant déclare avoir été contraint à des aveux,
et avoir été placé, au début du mois de septembre 1987, à la Prison du 9 avril
dans une cellule individuelle, sans possibilité de contacts extérieurs.
2.10 Le requérant a alors été présenté au juge d'instruction en la présence,
pour la première fois, de ses avocats. Le juge d'instruction s'est cependant
opposé à tout échange d'informations entre le requérant et ses avocats, a refusé
de donner la parole aux avocats, a dicté à sa secrétaire les accusations (1)
à l'encontre du requérant, mais s'est heurté au refus de signature du procès-verbal
de la séance par le requérant et ses défenseurs.
2.11 Le procès du requérant a, par la suite, été instruit devant la Cour de
sûreté de l'État durant un mois, et selon le requérant, a fait l'unanimité de
la presse internationale sur son caractère inique. Le requérant précise que
préalablement au procès, le Directeur de la sûreté de l'État, Moncef Ben Gbila,
a tenté sans succès de le convaincre de produire de faux témoignages sur d'autres
détenus, notamment des responsables de ENNAHDA, en contrepartie de sa libération.
Lors du procès, selon le requérant, le juge de la Cour de sûreté de l'État,
Hechmi Zemmal, l'a contraint à répondre de manière succincte au détriment de
ses droits à la défense. De plus, lors de la confrontation du requérant avec
un témoin présumé avoir été victime d'un acte de violence de sa part, ce dernier
a, selon le requérant, déclaré à plusieurs reprises que le requérant n'était
pas la personne en question. Alors que les avocats de la défense ont demandé
l'acquittement pour absence de preuves, le juge a retenu que le témoin était
sous le choc de sa confrontation, une nouvelle fois, avec son agresseur, et
a condamné, le 27 septembre 1987, le requérant à une peine de 10 ans de prison
ferme et de travaux forcés et à un contrôle administratif de 10 ans. (2)
2.12 Le requérant souligne qu'à l'instar des victimes de torture, son instruction
et son procès ne lui ont pas permis d'exprimer son expérience vécue de la torture
ni de dénoncer leurs auteurs. D'après le requérant, les juges interviennent
brutalement afin d'interdire de parler de ce sujet, même à l'endroit des avocats,
et la crainte d'être soumis à nouveau à la torture, au cas où le détenu invoque
ce problème devant le juge, joue un rôle moteur dans la systématique d'intimidation.
2.13 Le requérant a fait ensuite l'objet de plusieurs transferts dans et entre
les établissements pénitentiaires du pays (prison de Borj Erroumi à Bizerte,
de 1987 à 1992, détention en isolement avec trois prisonniers politiques (Fethi
Jebrane, Mohamed Charrada et Faouzi Sarraj); de 1992 à 1993, transfert dans
une cellule de droit commun; de 1993 à 1994, isolement total dans une petite
cellule; et de 1994 à 1996, regroupement avec deux responsables de ENNAHDA,
Habib Ellouz et Ajmi Lourimi; puis transfert à la prison d'El Kef et à la prison
centrale de Tunis de 1996 à 1997).
2.14 Le requérant déclare que les conditions de vie matérielle et le traitement
réservé aux prisonniers par l'administration pénitentiaire ont fait de son emprisonnement
une souffrance insoutenable. Il fait état du surpeuplement carcéral, de la saleté,
des maladies contagieuses et du manque de soins. Selon lui, les cachots de la
prison de Borj Erroumi étaient très exigus, sombres, non équipés en eau et en
WC, et avec un taux élevé d'humidité; sa nourriture se limitait à un morceau
de pain par jour et il était contraint de porter des habits sales et infectés
de poux. Il insiste sur le traitement discriminatoire appliqué aux prisonniers
politiques, ceci dans le cadre d'une politique de destruction physique et psychique.
À l'appui de cette affirmation, le requérant explique qu'il a été interdit à
plusieurs reprises de contacts et de prière commune. Il ajoute qu'il a été privé
de soins malgré ses demandes successives, ses menaces de grève de la faim et
son refus de sortir dans la cour de la prison. Selon le requérant, les visites
de sa famille étaient restreintes à 10 minutes et les femmes étaient contraintes
de quitter leur voile. Le requérant ajoute que dans le cachot no 2 de la prison
de Borj Erroumi, il a été attaché, complètement nu, par les mains et les pieds
à un lit durant trois jours. Le requérant déclare avoir subi à nouveau cette
punition durant six jours, suite à sa demande de soins pour ses maux rénaux.
En outre, les agents de garde le giflaient et le frappaient de coups de poing
et de pied. D'après le requérant, en février 1994, le directeur de la prison
l'a violemment battu alors qu'il poursuivait une grève de la faim, était enchaîné,
et lui a ainsi fracturé le bras droit. Au retour du requérant de l'hôpital,
le directeur de la prison a ordonné son placement à nouveau en cellule de punition
où il a été enchaîné durant huit jours sans habit et couverture, aggravant ainsi
ses douleurs rénales. À la prison d'El Kef, placé durant 10 jours en cellule
punitive, le requérant ne disposait d'une couverture que de 22 heures à 6 heures
du matin malgré le froid de cette ville, de sorte qu'il ne parvenait plus à
marcher lors des trois derniers jours. Enfin, quelques jours avant sa libération,
le requérant a été placé dans une cellule de 3,5 m sur 2 m avec 24 autres prisonniers
à la prison centrale de Tunis. Selon le requérant, la toute petite fenêtre située
en haut de la cellule rendait la respiration difficile et le surpeuplement était
tel que les détenus ne parvenaient pas à s'asseoir.
2.15 Le requérant explique qu'afin d'atténuer ses supplices (dont l'isolement
punitif, pour des durées s'étalant de trois jours à un mois et 13 jours), il
a dû recourir à la grève de la faim au moins à 15 reprises, et pour des durées
de cinq à 28 jours.
2.16 Le jour de sa libération, le 24 juillet 1997, le requérant a été conduit
au centre de détention de Bouchoucha où il a été interrogé sur ses projets d'avenir
en tant que militant et sur ses codétenus. Selon le requérant, cette entrevue
a été suivie d'une séance de harcèlement psychique et de menaces. Le requérant
déclare avoir été libéré à 16 heures avec pour obligation de se présenter à
la police locale dès son arrivée dans sa région de Gabès. Le requérant y a alors
été soumis à un interrogatoire d'une durée de quatre heures. Il lui a été ordonné
de se présenter deux fois par semaine au Département régional de la police et
quotidiennement au poste de la police locale. D'après le requérant, ce contrôle
administratif s'accompagnait de contrôles policiers, y compris nocturnes, à
l'endroit de sa personne et de sa famille, de la privation du droit de travailler
et d'étudier, et pour son père et son frère, respectivement, du refus de délivrance
d'un passeport et de sa confiscation. Le requérant devait, en outre, obtenir
l'autorisation de la police locale pour tout déplacement en dehors de sa zone
de domicile, demande qui s'accompagnait d'un interrogatoire sur ses proches
et sur ses rencontres. Le requérant ajoute avoir été arrêté durant 48 heures,
en novembre 1998, lors de la visite du Président Ben Ali au Gouvernorat de Gabès.
Le requérant affirme que tout contact avec les habitants du quartier l'exposait,
ainsi que ses interlocuteurs, à des interrogatoires.
2.17 De par cette situation, le requérant explique avoir alors fui la Tunisie
pour la Suisse où il a obtenu le statut de réfugié.(3)
2.18 Le requérant a fourni une liste des personnes ayant pratiqué la torture
et des mauvais traitements à son encontre. (4)
2.19 Le requérant fait état des séquelles résultant de la torture et des mauvais
traitements à son encontre, à savoir, en 1988, une opération chirurgicale afin
d'extraire une substance à base de graisse s'étant développée à l'arrière de
la tête en raison des secousses violentes administrées sous la torture; des
traces de cigarettes éteintes sur ses pieds; des douleurs rénales liées aux
conditions d'isolement, et des problèmes psychiques (le requérant produit un
certificat médical attestant une affection neuropsychiatrique et le suivi de
traitements médicamenteux et psychothérapeutiques dans un centre psychiatrique
suisse).
2.20 Relativement à l'épuisement des voies de recours internes, le requérant
fait valoir que de tels recours en Tunisie, bien que consacrés par le droit,
sont impossibles dans la pratique du fait de la partialité des juges et de l'impunité
accordée aux auteurs de violations. Le requérant ajoute que les organes ayant
un rôle dans la défense des droits de l'homme, tels le Comité supérieur pour
les droits de l'homme et les libertés fondamentales et le Conseil constitutionnel,
sont de par leurs statuts incapables de soutenir des plaintes de torture. Le
requérant cite à l'appui de son argumentation des rapports d'organisations non
gouvernementales telles qu'Amnesty International, la Fédération internationale
des droits de l'homme (FIDH) et Human Rights Watch.
Teneur de la plainte
3.1 Le requérant affirme que le Gouvernement tunisien a violé les articles suivants
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants:
Article premier. Les pratiques ci-dessus exposées («falaka», position du «poulet
rôti», «position à l'envers», «chaise», etc.) dont le requérant a été victime
constituent des actes de torture.
Article 2, paragraphe 1. Non seulement l'État partie n'aurait pas pris des mesures
efficaces pour empêcher la torture, mais il a au contraire mobilisé son appareil
administratif et en particulier policier comme outil de torture contre le requérant.
Article 4. L'État partie n'aurait pas incriminé tous les actes de torture dont
le requérant a été victime au regard du droit pénal.
Article 5. L'État partie n'aurait pas engagé de poursuites à l'encontre des
tortionnaires du requérant.
Article 11. Les autorités n'auraient pas usé de leur pouvoir de surveillance
pour empêcher la torture, cette dernière étant au contraire prescrite par des
instructions à cet effet.
Article 12. L'État partie n'aurait pas diligenté une enquête sur les actes de
torture commis à l'encontre du requérant.
Article 13. L'État partie n'aurait pas garanti, dans les faits, le droit du
requérant de porter plainte devant les autorités compétentes.
Article 14. L'État partie aurait ignoré le droit du requérant de porter plainte,
et l'aurait ainsi privé de son droit à réparation.
Article 15. Le requérant aurait été condamné le 27 septembre 1987 à une peine
de prison sur la base d'aveux obtenus sous la torture.
Article 16. Les mesures et pratiques répressives ci-dessus exposées (isolement,
violation du droit aux soins médicaux, à la correspondance, restriction des
visites de proches, etc.) utilisées par l'État partie à l'encontre du requérant
constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants.
3.2 Le requérant se plaint également des atteintes portées à sa liberté de mouvement
et à son droit au travail lors des mesures de contrôle administratif ainsi qu'à
son droit de poursuivre des études.
Observations de l'État partie sur la recevabilité de la requête
4.1 Le 4 décembre 2001, l'État partie a contesté la recevabilité de la requête
au motif que le requérant n'avait pas utilisé ni épuisé les recours internes
disponibles.
4.2 L'État partie signale que le requérant est un activiste notoire du mouvement
extrémiste illégal ENNAHDA prônant la haine religieuse et raciale et pratiquant
la violence. L'État partie précise que le requérant a été condamné le 27 septembre
1987, par la Cour de sûreté de l'État, à 10 ans de prison ferme et travaux forcés
pour avoir perpétré un attentat terroriste à l'encontre de Ali Bouhlila, en
versant, le 21 mars 1987, de l'acide sulfurique sur son visage et son abdomen.
Selon l'État partie, le requérant a également été reconnu coupable, dans ce
même procès, de complicité dans d'autres actes terroristes.
4.3 L'État partie soutient que le requérant peut exercer les voies de recours
internes disponibles dans la mesure où les délais de prescription quant aux
faits allégués et qualifiés de crime en droit tunisien sont de 10 ans.
4.4 L'État partie explique que sur le plan pénal, le plaignant peut, y compris
à partir de l'étranger, déposer une plainte au représentant du ministère public
territorialement compétent. Il peut également charger un avocat tunisien de
son choix de déposer ladite plainte, ou demander à un avocat étranger de le
faire avec le concours d'un confrère tunisien.
4.5 Selon les mêmes règles de procédure pénale, le Procureur de la République
recevra ladite plainte et ouvrira une information judiciaire. Le juge d'instruction
saisi de l'affaire entendra l'auteur de la plainte conformément à l'article
53 du Code de procédure pénale. À la lumière de cette audition, il pourra entendre
les témoins, interroger les suspects, procéder à des constatations sur les lieux
et à la saisie des pièces à conviction. Il pourra également ordonner les expertises
et accomplir tous les actes tendant à la révélation des preuves, à charge et
à décharge, pour rechercher la vérité et pour constater les faits qui serviront
à la juridiction du jugement à fonder sa décision.
4.6 L'État partie précise que le plaignant peut, en outre, se constituer partie
civile devant le juge d'instruction en cours d'information pour demander une
réparation du préjudice subi en plus de la condamnation pénale des auteurs de
l'infraction dont il a été victime.
4.7 Si le juge d'instruction estime que l'action publique n'est pas recevable,
que les faits ne constituent pas une infraction ou qu'il n'existe pas de charges
suffisantes contre l'inculpé, il déclare par ordonnance qu'il n'y a pas lieu
à poursuite. Au contraire, si le juge estime que les faits constituent un délit
passible d'une peine d'emprisonnement, il renvoie l'inculpé devant le juge compétent,
en l'occurrence la chambre d'accusation lors d'un crime. Toutes les ordonnances
du juge d'instruction sont immédiatement communiquées à toutes les parties au
procès, y compris au plaignant qui s'est constitué partie civile. Après notification
dans les 48 heures, cette dernière peut interjeter appel dans les quatre jours
contre les ordonnances faisant grief à ses intérêts. Cet appel par déclaration
écrite ou orale est reçu par le greffier de l'instruction. S'il y a des présomptions
suffisantes de culpabilité, la chambre d'accusation renvoie l'inculpé devant
la juridiction compétente (tribunal correctionnel ou chambre criminelle du tribunal
de première instance), en statuant sur tous les chefs d'inculpation résultant
de la procédure. Elle peut également ordonner, s'il échet, un complément d'information
par l'un de ses conseils ou par le juge d'instruction, voire même des poursuites
nouvelles, informer ou faire informer sur des faits n'ayant pas encore fait
l'objet d'une instruction. Les décisions de la chambre d'accusation sont immédiatement
exécutoires.
4.8 Après notification, les décisions de la chambre d'accusation peuvent faire
l'objet d'un pourvoi en cassation par le plaignant constitué partie civile.
Ce pourvoi est recevable lorsque l'arrêt de la chambre d'accusation a dit qu'il
n'y a pas lieu à poursuivre, a déclaré soit l'irrecevabilité de l'action de
la partie civile, soit l'action publique prescrite, a prononcé l'incompétence
de la juridiction saisie, ou a omis de statuer sur un chef d'inculpation.
4.9 L'État partie souligne que, conformément à l'article 7 du Code de procédure
pénale, le plaignant peut se constituer partie civile devant la juridiction
saisie de l'affaire (tribunal correctionnel ou chambre d'accusation près le
tribunal de première instance) et, selon le cas, pourra interjeter appel, soit
devant la cour d'appel si l'infraction poursuivie est un délit, soit devant
la chambre criminelle près la cour d'appel s'il s'agit d'un crime. Le plaignant
pourra également se pourvoir en cassation.
4.10 L'État partie fait valoir, en second lieu, que les recours internes sont
efficaces.
4.11 Selon l'État partie, les juridictions tunisiennes ont, de façon systématique
et continue, agi pour remédier aux manquements à la loi et des condamnations
sévères ont été infligées aux auteurs des abus et violations de la loi. L'État
partie affirme que du 1er janvier 1988 au 31 mars 1995, la justice s'est prononcée
sur 302 cas d'agents de la police ou de la Garde nationale au titre de divers
chefs d'accusation, dont 227 s'inscrivent dans le cadre de l'abus d'autorité.
Les peines infligées varient de l'amende à l'emprisonnement pour plusieurs années.
(5)
4.12 L'État partie affirme que les motivations politiques et partisanes du requérant
ainsi que ses propos insultants et diffamatoires permettent de considérer que
sa plainte constitue un abus du droit de soumettre des communications.
4.13 L'État partie explique que le mouvement extrémiste, dont le requérant est
un membre actif, s'est illustré par plusieurs actes terroristes, dont un attentat
dans un hôtel à Monastir, en août 1987, ayant causé l'amputation des deux jambes
d'un touriste britannique. Ce «mouvement» n'est, en outre, pas reconnu au regard
de la législation tunisienne en vigueur.
4.14 L'État partie précise que les affirmations du requérant mettent en évidence
ses buts politiques et confirment le caractère partisan et orienté de ses allégations.
Il en est ainsi, selon l'État partie, lorsque le requérant affirme que, dans
un État où le peuple n'a pas le droit de s'exprimer sur les grands choix de
la vie publique, la légalité est de facto amoindrie par l'absence de moyens
de contrôle démocratique. L'État partie estime, en outre, que la communication
contient des propos diffamatoires et insultants à l'égard des institutions de
l'État tunisien telle l'affirmation du requérant selon laquelle toute l'administration
est au service de la machine policière qui fait de l'État un outil efficace
de torture.
Commentaires du requérant sur les observations de l'État partie
5.1 Le 3 juin 2002, le requérant a contesté l'argument de l'État partie sur
son prétendu refus de saisir la justice tunisienne afin d'user des voies de
recours internes. Il rappelle à titre introductif ses démarches entreprises,
sans succès, afin de saisir les autorités judiciaires et pénitentiaires de ses
plaintes de mauvais traitements, ayant résulté en une aggravation de sa situation,
source de peur et de retenue. Le requérant mentionne, à nouveau, les contraintes
insurmontables subies sous le régime du contrôle administratif, lequel représentait
également un risque certain de représailles en cas de plainte du requérant.
5.2 Le requérant considère que les procédures de recours excèdent des délais
raisonnables. Le requérant précise, à cet égard, qu'il avait fait part, en vain,
au juge des tortures pratiquées à son encontre afin que ce dernier engage les
mesures indispensables pour déterminer les responsabilités en ce domaine. Il
ajoute que, depuis plusieurs décennies, des plaintes déposées pour des cas de
décès intervenus suite à des tortures n'ont trouvé aucune réponse tandis que
les tortionnaires continuent à jouir de la protection de l'État.
5.3 Le requérant estime également que les procédures de recours ne donneraient
pas satisfaction. Le requérant affirme qu'il s'était plaint du traitement infligé
à sa personne devant le juge, et avait demandé, à cet égard, une expertise médicale,
mais en vain. C'est pourquoi, il était alors paru improbable au requérant d'obtenir
satisfaction devant les autorités judiciaires. Le requérant précise que son
cas devant le juge ne représentait pas une exception et il produit, à ce sujet,
un extrait d'un rapport du Comité pour le respect des libertés et des droits
de l'homme en Tunisie. Le requérant soutient que l'appareil judiciaire n'est
pas indépendant et ne lui a apporté aucune protection lors de sa condamnation.
Le requérant cite également des extraits de rapports de la FIDH et du Comité
pour le respect des libertés et des droits de l'homme en Tunisie à l'appui de
son constat de non-aboutissement des plaintes de torture et des pressions exercées
par les autorités afin d'empêcher le dépôt de telles plaintes. Le requérant
affirme, en outre, que le contrôle administratif, auquel il était astreint et
qui impliquait un contrôle permanent auprès de différentes autorités accompagné
d'actes d'intimidations, ne constituait pas une condition encourageante pour
le dépôt d'une plainte.
5.4 Le requérant conteste, en outre, l'argument de l'État partie sur la possibilité
de charger un avocat tunisien afin de porter plainte à partir de l'étranger.
5.5 Le requérant fait état des violations graves portées par les autorités à
l'exercice libre et indépendant de la profession d'avocat. Selon le requérant,
les avocats qui osent défendre des plaintes de torture sont victimes de harcèlements
et autres atteintes, y compris des condamnations à des peines de prison. Le
requérant cite, à titre d'exemple, les cas de Mes Néjib Hosni, Béchir Essid
et Anouar Kosri ainsi que des extraits de rapports et de déclarations d'Amnesty
International, de l'OMCT, de la FIDH et de la Commission internationale des
juristes. Le requérant ajoute, toujours sur la base de ces rapports non gouvernementaux,
que les plaintes déposées par des victimes de torture depuis plusieurs années,
particulièrement à la suite de la promulgation en 1988 de l'article 13 bis du
Code de procédure pénale instituant la possibilité de la visite médicale, ont
toutes été classées sans suite. Il est également précisé que, dans certains
cas, des expertises médicales ont été accordées après un long délai alors que
les traces de sévices avaient disparu; et qu'il arrive que des expertises soient
faites par des médecins de complaisance qui ne relèveront aucune anomalie dans
la condition physique des détenus même si des traces de torture peuvent être
évidentes. Le requérant estime que, dans ces conditions, nommer un avocat n'aura
pas une grande signification. Le requérant souligne, par ailleurs, que le dépôt
d'une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l'extérieur est susceptible
de tomber sous le coup de l'article 305, paragraphe 3, du Code de procédure
pénale tunisien, qui stipule que «peut être également poursuivi et jugé par
les tribunaux tunisiens, tout Tunisien qui commet en dehors du territoire tunisien
l'une des infractions mentionnées à l'article 52 bis du Code pénal, alors même
que lesdites infractions ne sont pas punissables au regard de la législation
de l'État où elles ont été commises». Le requérant considère qu'une plainte
de sa part à partir de l'étranger pourrait être assimilée à une offense au régime,
l'État partie ayant qualifié le requérant de terroriste. Enfin, le requérant
explique que sa situation de demandeur d'asile, puis de réfugié politique en
Suisse, ne lui permet pas de mener à terme une probable procédure, du fait des
restrictions posées quant au contact du réfugié avec les autorités de son pays.
Il explique que la cessation de toute relation avec le pays d'origine est l'une
des conditions de l'octroi de la qualité de réfugié et joue un rôle important
lors de l'appréciation de la révocation de l'asile. Selon le requérant, il peut
en effet être mis fin à l'asile lorsque le réfugié se réclame à nouveau spontanément
de la protection de son pays d'origine, par exemple en entretenant des contacts
étroits avec ses autorités ou en se rendant régulièrement sur place.
5.6 Le requérant conteste les explications de l'État partie quant à l'existence
de recours disponibles.
5.7 Le requérant estime que l'État partie s'est contenté de réciter la procédure
décrite au Code de procédure pénale, laquelle est loin d'être appliquée dans
la réalité, surtout dans les cas de prisonniers politiques. Le requérant cite
à l'appui de son constat des rapports d'Amnesty International, de Human Rights
Watch, de l'OMCT, de la Commission nationale consultative des droits de l'homme
en France, et du Conseil national pour les libertés en Tunisie. Le requérant
se réfère également aux observations finales sur la Tunisie du Comité contre
la torture en date du 19 novembre 1998. Le requérant souligne que le Comité
contre la torture a recommandé entre autres que l'État partie: a) garantisse
aux victimes de torture le droit de porter plainte sans crainte de faire l'objet
de représailles, de harcèlement, de traitements brutaux ou de persécutions de
toute nature, même si les résultats de l'enquête ne confirment pas leurs allégations,
et de demander et d'obtenir réparation si ces allégations s'avèrent justes;
b) fasse en sorte que des examens médicaux soient automatiquement prévus à la
suite d'allégations de violation et qu'une autopsie soit pratiquée dans tous
les cas de décès en garde à vue; c) fasse en sorte que les résultats de toutes
les enquêtes concernant les cas de torture soient rendus publics et que ces
informations comprennent le détail des infractions commises, le nom des auteurs,
les dates, lieux et circonstances des incidents et les sanctions imposées aux
coupables. Le Comité a, en outre, constaté qu'une grande partie de la réglementation
existant en Tunisie pour la protection des personnes arrêtées n'était pas respectée
en pratique. Il s'est également déclaré préoccupé par le large fossé qui existe
entre le droit et la pratique en ce qui concerne la protection des droits de
l'homme et particulièrement troublé par des rapports faisant état de pratiques
répandues de torture et d'autres traitements cruels et dégradants perpétrés
par les forces de sécurité et par la police et qui, dans certains cas, ont entraîné
la mort de personnes placées en garde à vue. Le requérant rappelle, en outre,
le manque d'indépendance de l'appareil judiciaire et des organes institués afin
de contrôler l'application des lois. Le requérant souligne, enfin, que la réponse
de l'État partie, dans le cas d'espèce, montre qu'aucune enquête interne n'a
été entreprise sur les informations suffisamment précises apportées dans la
présente requête.
5.8 Le requérant conteste l'argumentation de l'État partie sur l'efficacité
des recours internes.
5.9 Relativement aux 302 cas d'agents de police ou de la Garde nationale ayant
fait l'objet de décisions de justice d'après l'État partie, le requérant soutient
l'absence de preuve tangible de la véracité de ces cas non publiés et n'ayant
pas été rendus publics; l'absence de pertinence des 277 cas évoqués par l'État
partie au titre de l'abus d'autorité dans le cas d'espèce; ainsi que la référence
par l'État partie à des cas ne portant pas atteinte à l'image de la Tunisie
et donc ne couvrant aucun cas de traitement inhumain ou dégradant. Le requérant
précise que les cas avancés par l'État partie se situent au cours de la période
1988-1995, ayant fait l'objet des observations finales du Comité contre la torture
ci-dessus mentionnées. Enfin, se fondant sur des extraits de rapports en particulier
du Comité national pour les libertés en Tunisie et d'Amnesty International,
le requérant souligne l'immunité dont jouissent les fonctionnaires impliqués
dans des actes de torture, voire même les promotions accordées à certains. Le
requérant ajoute que la Tunisie a fourni son soutien à l'endroit de responsables
tunisiens afin qu'ils échappent à des mandats d'arrêt à leur encontre délivrés
à l'étranger sur la base de plaintes de victimes de torture.
5.10 Enfin, le requérant rejette le commentaire de l'État partie considérant
la présente requête comme un abus de droit. Selon le requérant, par ses qualifications
relatives à l'engagement politique et au terrorisme dans le cas d'espèce, l'État
partie prouve sa partialité et dès lors l'impossibilité d'introduire un recours
en Tunisie. En outre, le requérant souligne que l'interdiction de la torture
et des traitements inhumains et dégradants est une garantie qui ne souffre d'aucune
exception, y compris pour un terroriste. Le requérant estime que l'État partie
se livre, dans sa réponse à la présente requête, à une manœuvre politique sans
aucune pertinence juridique et constituant un abus de droit.
Observations supplémentaires de l'État partie sur la recevabilité de la requête
6.1 En date du 8 novembre 2002, l'État partie a contesté de nouveau la recevabilité
de la requête. L'État partie soutient que les prétentions du requérant relatives
à la saisine de la justice tunisienne et à l'utilisation des voies de recours
internes sont dépourvues de tout fondement et ne sont étayées par aucune preuve.
Il affirme que les procédures de recours n'excèdent pas des délais raisonnables
et que l'action publique relative aux allégations soulevées dans la requête
n'est pas prescrite car le délai de prescription dans le cas d'espèce est de
10 ans. L'État partie précise que contrairement aux allégations du requérant,
celui-ci a la possibilité de charger un avocat de son choix afin de porter plainte
depuis l'étranger. L'État partie ajoute que les allégations du requérant selon
lesquelles le dépôt d'une plainte devant les autorités tunisiennes depuis l'étranger
pourrait tomber sous le coup de l'article 305, paragraphe 3, du Code de procédure
pénale permettant de poursuivre les auteurs d'actes terroristes sont dépourvues
de tout fondement. L'État partie soutient que les recours internes devant les
instances judiciaires tunisiennes sont non seulement possibles dans le cas d'espèce
mais bel et bien efficaces tels qu'illustrés par le fait que des victimes de
violations en Tunisie ont obtenu satisfaction. En quatrième lieu, l'État partie
considère que le requérant fait un usage abusif du droit de soumettre des requêtes
en cherchant à déformer et à dénaturer les arguments avancés dans la réponse
de l'État partie du 4 décembre 2001.
Décision du Comité concernant la recevabilité
7.1 À sa vingt-neuvième session, le Comité a examiné la question de la recevabilité
de la requête et, dans une décision du 20 novembre 2002, déclaré qu'elle était
recevable.
7.2 Relativement à la question de l'épuisement des voies de recours internes,
le Comité a noté que l'État partie contestait la recevabilité de la requête
au motif que les recours internes disponibles et utiles n'avaient pas été épuisés.
Dans le cas d'espèce, le Comité a constaté que l'État partie avait fourni un
descriptif détaillé à la fois des recours ouverts, en droit, à tout requérant
ainsi que des cas d'aboutissement de tels recours à l'endroit d'auteurs d'abus
et de violations de la loi. Le Comité a considéré néanmoins que l'État partie
n'avait pas suffisamment démontré la pertinence de son argumentation dans les
circonstances propres au cas du requérant, qui se dit victime de violations
de ses droits. Le Comité a précisé qu'il ne mettait pas en doute les informations
de l'État partie sur l'existence de poursuites et de condamnations visant les
membres des forces de l'ordre pour divers abus. Mais le Comité a indiqué qu'il
ne saurait perdre de vue dans le cas d'espèce que les faits datent de 1987 et
que, si la prescription est décennale, se posait dans le cas présent la question
de la prescription devant les juridictions nationales, sauf interruption ou
suspension du délai de prescription, information que l'État partie n'avait pas
fournie. Le Comité a noté en outre que les allégations du requérant avaient
trait à des faits anciens dénoncés auprès des autorités. Le Comité a indiqué
ne pas avoir connaissance, à ce jour, d'enquêtes diligentées spontanément par
l'État partie. En conséquence, il était d'avis que, dans le cas présent, il
y avait très peu de chances que l'épuisement des recours internes donne satisfaction
au requérant, et il a décidé de faire application de l'alinéa b du paragraphe
5 de l'article 22 de la Convention.
7.3 Le Comité a pris note en outre de l'argument de l'État partie faisant valoir
que la plainte du requérant constituait un abus du droit de soumettre des requêtes.
Le Comité a estimé que toute dénonciation de torture était grave et que seul
l'examen sur le fond pouvait permettre de déterminer si les allégations étaient
diffamatoires. De surcroît, le Comité a estimé que l'engagement politique et
partisan du requérant contesté par l'État partie ne s'opposait pas à l'examen
de cette plainte, conformément au paragraphe 2 de l'article 22 de la Convention.
7.4 Enfin, le Comité s'est assuré, comme il est tenu de le faire conformément
au paragraphe 5 a) de l'article 22 de la Convention, que la même question n'avait
pas été examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement.
Observations de l'État partie quant au fond de la communication
8.1 Dans ses observations en date du 3 avril 2003 et du 25 septembre 2003, l'État
partie conteste le bien-fondé des allégations du requérant et réitère sa position
sur l'irrecevabilité de la requête.
8.2 Au sujet des allégations se rapportant à la «complicité» et à l'inertie
de l'État partie face aux «pratiques de torture», l'État partie explique qu'il
a mis en place un dispositif préventif (6) et dissuasif (7) de lutte contre
la torture afin de prévenir tout acte de nature à porter atteinte à la dignité
et à l'intégrité physique de la personne humaine.
8.3 Concernant les allégations se rapportant «à la pratique de la torture» et
«à l'impunité des auteurs de torture», l'État partie estime que le requérant
n'a présenté aucune preuve à l'appui de ses prétentions. Il souligne que, contrairement
aux allégations du requérant, la Tunisie a pris toutes les mesures sur le plan
de la loi et dans la pratique, au niveau des instances judiciaires et administratives,
afin d'empêcher la pratique de la torture et poursuivre ses éventuels auteurs,
conformément aux dispositions des articles 4, 5 et 13 de la Convention. De même,
d'après l'État partie, le requérant n'a présenté aucun motif justifiant son
inaction et son inertie devant les possibilités juridiquement et effectivement
ouvertes qui lui sont offertes pour saisir les instances judiciaires et administratives
(voir par. 6.1). Relativement à la décision de recevabilité du Comité, l'État
partie souligne que le requérant n'invoque pas seulement des «faits» remontant
à 1987, mais des «faits» remontant aux années 1994, 1996 et 1997, c'est-à-dire
au moment où la Convention contre la torture est pleinement intégrée en droit
interne tunisien et où il fait état de «mauvais traitements» dont il prétend
avoir fait l'objet lors de sa détention à «la prison de Borj Erroumi», à la
prison d'El Kef et à la prison de Tunis. Les délais de prescription ne sont
donc pas écoulés, et il est donc urgent, pour l'intéressé, d'interrompre ces
délais, soit en agissant directement devant les autorités judiciaires, soit
en faisant des actes interruptifs. L'État partie fait également état des possibilités
de recours indemnitaires, offertes au requérant, pour toute faute grave commise
par un agent public lors de l'exercice de son service, (8) étant précisé que
le délai de prescription est de 15 ans. (9) L'État partie rappelle que les tribunaux
tunisiens ont toujours agi, de façon systématique, afin de remédier à tout manquement
aux lois réprimant les actes de torture (voir par. 4.10 et 4.11). Selon l'État
partie, le requérant s'est contenté d'avancer des propos considérés comme mensongers,
contradictoires, voire diffamatoires.
8.4 Pour ce qui est du grief de non-respect des garanties de procédure judiciaires,
l'État partie les considère comme non fondées. L'État partie fait état de l'inaction
et de l'inertie du requérant. D'après l'État partie, les autorités n'ont pas
privé le requérant de porter plainte devant la justice, et au contraire, le
requérant a choisi de ne pas faire usage des voies de recours internes. Concernant
«l'obligation» incombant aux juges de ne pas tenir compte des déclarations faites
sous la torture, l'État partie se réfère à l'article 15 de la Convention contre
la torture, et estime qu'il appartient au prévenu de présenter au juge au moins
un commencement de preuve pouvant attester qu'il a fait ses dépositions dans
des conditions contraires à la loi. Sa démarche consisterait donc à établir
la preuve de ses allégations par la présentation d'un rapport médical ou d'une
attestation prouvant qu'il aurait déposé une plainte auprès du ministère public,
ou même en présentant devant le tribunal des traces apparentes de torture ou
de mauvais traitements. Or, l'État partie explique que le requérant n'a pas
cru utile de présenter de plainte ni au cours de sa détention ni lors de son
procès, une telle démarche s'inscrivant dans une stratégie adoptée par le mouvement
illégal et extrémiste «ENNAHDA» visant à discréditer les institutions tunisiennes
en alléguant, de manière systématique, avoir fait l'objet d'actes de torture
et de mauvais traitements, sans toutefois user des recours offerts.
8.5 En ce qui concerne les allégations se rapportant au procès, l'État partie
soutient que l'affirmation du requérant de ne pas avoir apposé sa signature
au procès-verbal de son interrogatoire par le juge d'instruction est erronée.
D'après l'État partie, son avocat est bel et bien intervenu sur le fond, après
sollicitation du juge d'instruction, conformément aux règles de procédure pénale
en vigueur. L'État partie rappelle que le requérant a été entre autres condamné
pour avoir vitriolé sa victime, fait reconnu, d'après l'État partie, par l'inculpé
devant le juge d'instruction et devant le tribunal auprès duquel il a exprimé
ses regrets et affirmé que son acte lui avait engendré des troubles psychologiques
dus au sentiment de culpabilité et à l'atrocité de son acte. Relativement à
la déclaration du requérant d'avoir vainement entrepris des démarches afin de
demander une expertise médicale, l'État partie signale que le fait de demander
une expertise ne suffit pas en soi pour ordonner une expertise, mais requiert
la présentation de signes justifiant le recours à cette expertise. C'est ainsi
que le juge d'instruction a opposé une fin de non-recevoir à la demande de l'expertise
médicale du requérant car, selon l'État partie, l'interessé ne présentait aucune
trace apparente de violence.
8.6 Concernant les allégations se rapportant aux aveux, l'État partie estime
dépourvue de fondement l'affirmation du requérant d'avoir été condamné sur la
base de ses aveux comme seuls éléments de preuve. Il précise que l'alinéa dernier
de l'article 69 et l'article 152 du Code de procédure pénale disposent que l'aveu
de l'inculpé ne peut dispenser le juge de rechercher d'autres éléments de preuve
et que l'aveu comme tout élément de preuve est laissé à la libre appréciation
des juges. Et sur cette base, la jurisprudence tunisienne en matière pénale
considère constamment qu'il ne peut y avoir de condamnation uniquement sur la
base des aveux. (10) En outre, d'après l'État partie, l'allégation du requérant
d'extorsion sous la torture de ses aveux d'appartenance au mouvement ENNAHDA
est contredite par le certificat fourni par M. Ltaief aux autorités suisses
pour l'obtention de l'asile politique, puisque ce certificat émane du «chef
du mouvement ENNAHDA» et atteste l'appartenance à ce «mouvement».
8.7 Au sujet des allégations relatives aux conditions carcérales, et en particulier
aux mesures de transfert d'une prison à une autre considérées comme étant abusives
par le requérant, l'État partie explique que le transfert, tel que régi par
les textes en vigueur, est décidé en fonction des différentes phases du procès,
du nombre des affaires et des instances judiciaires territorialement compétentes.
Les prisons sont classées en trois catégories: celles pour les personnes détenues
à titre préventif; celles d'exécution pour les personnes condamnées à des peines
privatives de liberté; et celles semi-ouvertes pour les personnes condamnées
pour cause de délit, habilitées au travail agricole. D'après l'État partie,
étant passé du statut de détenu à titre préventif à celui de détenu condamné
à des peines privatives de liberté et compte tenu aussi des besoins d'investigations
dans l'affaire qui le concernait ou encore dans d'autres affaires similaires,
le requérant a été transféré d'une prison à l'autre, conformément à la réglementation
en vigueur. Quel que soit le lieu carcéral, les conditions du requérant étaient
conformes à la réglementation relative à l'organisation des prisons régissant
les conditions de détention en vue d'assurer l'intégrité physique et morale
du détenu. L'État partie précise que les droits des détenus sont scrupuleusement
protégés en Tunisie, sans aucune distinction et quelle que soit la situation
pénale, ceci dans le respect de la dignité humaine, conformément aux normes
internationales et à la législation tunisienne. Une prise en charge médicale
et psychosociale est assurée ainsi que la visite des membres de la famille.
L'État partie affirme que les conditions de détention du requérant ont été conformes
à la réglementation tunisienne régissant les établissements pénitentiaires,
qui est conforme aux normes internationales en la matière.
8.8 Contrairement aux allégations selon lesquelles les séquelles dont souffre
le requérant sont dues aux actes de torture, l'État partie soutient l'absence
de lien de causalité. L'État partie note, en particulier, que le certificat
médical attestant d'une affection neuropsychiatrique produit par le requérant
date du 29 juillet 1999, c'est-à-dire une dizaine d'années après les «faits».
L'État partie rappelle également les troubles psychologiques dont avait fait
état le requérant devant les juges (par. 8.5). De plus, d'après l'État partie,
contrairement à ses allégations, le requérant a bénéficié, durant son séjour
à la prison civile de Borj Erroumi, d'une prise en charge médicale adéquate
et de soins appropriés.
8.9 Concernant les allégations de privation de visites, d'après l'État partie
le requérant a, conformément à la réglementation régissant les prisons, reçu
régulièrement la visite de ses frères, de son oncle, de son père et de sa mère,
comme cela ressort des registres des visites des prisons où le requérant a été
incarcéré.
8.10 L'État partie rejette les allégations se rapportant à l'article 11 de la
Convention et fait valoir l'exercice d'une surveillance systématique (11) sur
les règles, instructions, méthodes et pratiques d'interrogatoire et sur les
dispositions concernant la garde (12) et le traitement des personnes arrêtées,
détenues ou emprisonnées.(13)
8.11 Pour ce qui est des allégations relatives à la situation sociale de la
famille de M. Ltaief, l'État partie soutient que celle-ci ne fait l'objet d'aucune
forme de harcèlement ou de restriction; et qu'elle vit dans des conditions décentes,
le père de l'intéressé recevant une pension.
Commentaires du requérant
9.1 Dans ses commentaires du 20 mai 2003, le requérant a souhaité répondre à
chacun des points contenus dans les observations ci-dessus exposées de l'État
partie.
9.2 Concernant le dispositif préventif de lutte contre la torture, le requérant
estime que l'État partie se limite à une énumération d'un arsenal de lois et
de mesures d'ordre administratif et politique, lesquelles ne sont, selon lui,
nullement appliquées dans la réalité. Le requérant cite à l'appui de son constat
un rapport de l'organisation non gouvernementale «Conseil national pour les
libertés en Tunisie» (CNLT). (14)
9.3 Au sujet de la mise en place d'un référentiel législatif de lutte contre
la torture, le requérant estime que l'article 101 bis du Code de procédure pénale
a été adopté tardivement, en 1999, en particulier suite aux préoccupations du
Comité contre la torture du fait que la formulation de l'article 101 du Code
pénal pouvait justifier de graves dérives en matière d'usage de la violence
en cours d'interrogatoires. Le requérant affirme également que ce nouvel article
n'a aucune application et joint une liste des victimes de la répression en Tunisie
entre 1991 et 1998 établie par l'organisation non gouvernementale «Vérité-Action».
Il précise également que les cas invoqués par l'État partie pour prouver sa
volonté d'agir contre la torture ne portent que sur des accusations d'abus de
pouvoir et de violences et voies de fait ainsi que sur des affaires de droit
commun, et non pas sur les cas de torture provoquant la mort et les cas concernant
des préjudices physiques et moraux causés aux victimes de la torture.
9.4 Concernant la pratique de la torture et l'impunité, le requérant maintient
que l'impunité des tortionnaires subsiste, et qu'en particulier aucune enquête
sérieuse n'a été ouverte contre les personnes soupçonnées de crimes de torture.
Le requérant estime que, dans son cas, l'État partie a opéré, dans ses observations,
un choix sélectif des faits en concluant que les allégations de mauvais traitements
remontent à 1987 alors que le requérant fait part de son «calvaire» en prison
de 1987 à 1997. Par ailleurs, selon le requérant, alors qu'un État de droit
doit donner suite, et d'office, à toute dénonciation d'acte pénal qualifiable
de crime, les autorités tunisiennes se contentent d'accuser les victimes alléguées
de terrorisme et de manipulation. Le requérant produit également une liste de
plaintes de personnalités publiques tunisiennes récemment déposées et ignorées
par les autorités. Le requérant estime avoir dressé un état détaillé de son
cas particulier (noms, lieux, dates et traitements infligés) alors que l'État
partie se contente de nier en bloc de tels traitements. Ce n'est pas pour leur
appartenance aux forces de l'ordre que des tortionnaires ont été cités par le
requérant, mais pour des violations concrètes et répétées dans le temps contre
son intégrité physique et morale et sa vie privée et familiale. L'ouverture
d'une enquête, afin de vérifier si une personne appartenant aux forces de l'ordre
a commis des actes de torture ou autre, ne constitue pas une violation de la
présomption d'innocence, mais une démarche juridique indispensable pour instruire
un dossier et le soumettre, le cas échéant, aux autorités judiciaires afin de
le trancher. Relativement aux recours juridictionnels, le requérant estime que
l'État partie se contente de reproduire son exposé sur les possibilités juridiques
offertes aux victimes contenu dans ses précédentes soumissions sans répondre
à la décision de recevabilité (par. 7.2, dernier alinéa). Le requérant réitère
son argumentation sur l'inutilité des possibilités légales théoriques exposées
par l'État partie.
9.5 Concernant son inertie et son inaction, le requérant estime que l'État partie
se contredit en avançant que les actes de torture sont qualifiés de crime en
droit tunisien et donc poursuivis d'office, tout en attendant la dénonciation
par la victime pour agir. Par ailleurs, le requérant rappelle ses démarches
réelles ci-dessus exposées pour exiger une expertise médicale et une enquête
sur la torture subie (demande d'examen médical refusée par le juge d'instruction,
attestation médicale d'affection neuropsychiatrique).
9.6 Le requérant maintient que ses avocats ont refusé de signer le procès-verbal
de l'interrogatoire devant le juge d'instruction, prouvant ainsi les conditions
anormales du déroulement de la procédure. Il constate, en outre, que de son
propre aveu mais par un raisonnement juridique selon lui étrange, l'État partie
reconnaît que le juge d'instruction a refusé sa demande d'expertise médicale
en raison de l'absence de trace apparente de violence. Le requérant explique
que le fait d'avoir gardé une personne en détention préventive au-delà des délais
prescrits par la loi afin de cacher les marques de torture, puis de lui refuser
le droit à une expertise médicale pour absence de traces apparentes de torture,
s'inscrit dans la logique d'institutionnalisation de la torture. Enfin, d'après
le requérant, l'État partie reconnaît ainsi l'avoir privé d'une démarche élémentaire
et évidente afin de fournir le commencement de la preuve qu'il requiert. Le
requérant ajoute que dans son affaire d'une extrême gravité, ayant entraîné
sa présentation devant un tribunal d'exception (la Cour de sûreté de l'État),
un tel refus l'a privé du dernier recours afin de pouvoir défendre ses intérêts.
D'après le requérant, devant la lourde charge pesant alors sur lui, le moindre
doute et la moindre allégation de mauvais traitement devaient donner lieu à
une démarche de vérification. De plus, le refus du juge d'instruction d'accorder
l'expertise médicale amoindrissait les chances de l'accusé de refaire la demande
devant le juge (même si cela a bien été entrepris à nouveau).
9.7 En ce qui concerne les allégations se rapportant aux aveux, le requérant
maintient avoir fait des aveux sous la torture et, se basant sur des rapports
du CNLT, déclare que de tels procédés sont utilisés dans les procès politiques
et parfois les affaires de droit commun. Eu égard à la tentative de l'État partie
de déceler dans sa reconnaissance d'appartenance au mouvement ENNAHDA le signe
d'une contradiction (par.8.6), le requérant s'étonne de ce raisonnement étrange,
et explique qu'il a été condamné pour un prétendu acte d'agression au vitriol,
et non pas pour son appartenance au mouvement ENNAHDA.
9.8 Concernant les conditions de détention, le requérant estime que l'État partie
se réfugie derrière des textes de loi afin de dénoncer ses informations nombreuses,
concrètes et circonstanciées. Le requérant explique que ses transferts avaient
un caractère punitif et n'avaient aucun rapport avec les affaires pendantes
devant la justice. Il précise qu'il n'a jamais été question de transfert pour
besoin d'investigation et il demande à l'État partie de prouver le contraire.
9.9 Pour ce qui est des visites, le requérant estime que le recours à la privation
de visites constituait un moyen de vengeance à son encontre chaque fois qu'il
réclamait un droit et agissait à cet effet, notamment par des grèves de la faim.
Le requérant explique que les conditions mêmes des visites, à savoir les mauvais
traitements infligés aux membres de sa famille sur le lieu de visite et par
la police locale au retour, violent le cadre légal national et international.
9.10 Concernant les allégations relatives aux soins, le requérant porte l'attention
du Comité sur le certificat médical produit dans son dossier, et précise que
ce document n'a été fourni que 10 ans après les faits puisqu'il s'agissait de
la première occasion de le faire. Le requérant constate également que l'État
partie, d'une part, accepte l'existence de troubles psychologiques, mais uniquement
en raison du prétendu sentiment de culpabilité et non pas des tortures subies
et, d'autre part, refuse de produire le dossier permettant de s'assurer de la
portée des regrets rapportés devant le tribunal. Relativement au traitement
invoqué par l'État partie, le requérant requiert la production de son dossier
médical par l'État partie.
9.11 Pour ce qui est du contrôle administratif, le requérant estime que toute
peine, même prévue par le Code pénal tunisien, peut être qualifiée d'inhumaine
et dégradante si l'objectif poursuivi n'est pas notamment sa réconciliation
avec son environnement social. Or, le requérant rappelle en particulier la privation
arbitraire de continuer ses études, pendant mais surtout après ses 10 ans de
prison. Le requérant déplore qu'en dehors d'une remarque sur la reprise des
études, l'État partie se soit contenté de nier en bloc ses propos, sans investigation
ni preuve à l'appui. D'après le requérant, le contrôle administratif ne sert
qu'à assurer la mainmise par la police du droit à la liberté de circulation
de l'ex-détenu.
9.12 Concernant la situation de sa famille, le requérant fait état de la souffrance
subie à travers le contrôle policier et l'intimidation sous diverses formes,
la maltraitance lors des visites, et la privation des passeports durant des
années, situation perdurant à ce jour.
9.13 Relativement à l'application de l'article 11 de la Convention, le requérant
estime que l'État partie se contente, à nouveau, d'un exposé théorique de son
arsenal juridique et d'une référence aux activités du Comité supérieur des droits
de l'homme et des libertés fondamentales, institution non indépendante. Or,
se référant à des documents d'organisations non gouvernementales, (15) le requérant
fait état des violations relativement au contrôle de la détention et de la garde
à vue, telles la manipulation des dates de consignation des arrestations et
la détention au secret. Le requérant constate que l'État partie ne répond pas
à ses allégations précises de détention de plus de deux mois.
9.14 Pour ce qui est du mouvement ENNAHDA, le requérant soutient que cette organisation
est, contrairement aux explications de l'État partie, connue pour ses idéaux
démocratiques et son opposition à la dictature et à l'impunité. En outre, le
requérant conteste les accusations de terrorisme portées à son encontre par
l'État partie et s'inscrivant en fait dans le cadre d'affaire montée de toute
pièce.
9.15 Enfin, selon le requérant, l'État partie tente de placer le fardeau de
la preuve sur la victime accusée d'inertie et d'inaction, se protège derrière
une panoplie de mesures légales permettant théoriquement aux victimes de porter
plainte, et se dérobe de son devoir de veiller à la poursuite d'office des crimes
dont celui de torture. Selon le requérant, l'État partie néglige ainsi sciemment
que le droit et la jurisprudence internationales en matière de torture insistent
plus sur le rôle des États et leurs devoirs pour permettre l'aboutissement d'une
procédure. Or, le requérant constate que l'État partie porte la charge de la
preuve uniquement sur la victime alors même que les preuves à l'appui (dossiers
de justice, registres de garde à vue, de visites, etc.) sont uniquement détenus
par l'État partie sans possibilité d'accès pour le requérant. Se référant à
la jurisprudence européenne, (16) le requérant rappelle que la Cour et la Commission
européenne invitent les États parties, lors d'allégations de torture ou de mauvais
traitements, à «mener une enquête effective sur les allégations de mauvais traitements»
et non à se contenter de citer l'arsenal théorique des voies ouvertes à la victime
pour se plaindre.
Examen au fond
10.1 Le Comité a examiné la communication en tenant dûment compte de toutes
les informations qui lui ont été fournies par les parties, conformément au paragraphe
4 de l'article 22 de la Convention.
10.2 Le Comité a pris note des observations de l'État partie du 3 avril et du
25 septembre 2003 contestant la recevabilité de la requête. Il constate que
les éléments mis en avant par l'État partie ne sont pas susceptibles de permettre
un réexamen de la décision de recevabilité du Comité en raison, en particulier,
de l'absence d'information nouvelle ou supplémentaire de l'État partie sur la
question des enquêtes diligentées spontanément par l'État partie (voir par.
7.2). Le Comité estime donc qu'il n'a pas à revenir sur sa décision de recevabilité.
10.3 Le Comité passe immédiatement à l'examen de la requête sur le fond et note
que le requérant impute à l'État partie les violations de l'article premier,
du paragraphe 1 de l'article 2 et des articles 4, 5, 11, 12, 13, 14, 15 et 16
de la Convention.
10.4 Le Comité note qu'en vertu des dispositions de l'article 12 de la Convention
les autorités ont l'obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale
chaque fois qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture
ou de mauvais traitement a été commis, sans que le motif du soupçon ait une
importance particulière.(17)
10.5 Le Comité constate que le requérant affirme s'être plaint, en 1987, d'actes
de torture devant le juge d'instruction et lui avoir demandé une expertise médicale
à ce sujet, mais en vain. Il note en outre que l'État partie reconnaît que le
juge d'instruction a opposé une fin de non-recevoir à la demande d'expertise
du requérant dans la mesure où l'intéressé ne présentait aucune trace apparente
de violence. Le Comité considère que les faits à compter de 1987 représentent
une violation continue se poursuivant après la ratification par l'Etat partie
de la Convention. Le Comité estime, par ailleurs, que la réponse de l'État partie
faisant état de l'absence de trace apparente de violence ne répond pas forcément
aux plaintes du requérant d'actes de torture, lesquels, conformément à la définition
de la torture au titre de l'article premier de la Convention, résultent en «une
douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales» pouvant laisser des
traces non apparentes, mais réelles de violence. Le Comité note, à cet égard,
l'attestation d'affection neuropsychiatrique produite par le requérant. Le Comité
prend note enfin des informations détaillées et étayées du requérant faisant
état de ses grèves de la faim lors de sa détention de 1987 à 1997, au moins
à 15 reprises, et pour des durées de cinq à 28 jours, ceci afin de contester
les traitements subis. Le Comité constate que ces informations n'ont pas été
commentées par l'État partie. Le Comité considère que l'ensemble de ces éléments
aurait dû suffire pour déclencher une enquête, qui n'a pas eu lieu, contrairement
à l'obligation de procéder immédiatement à une enquête impartiale, en vertu
de l'article 12 de la Convention.
10.6 Le Comité note, en outre, que l'article 13 de la Convention n'exige pas
qu'une plainte pour torture soit présentée en bonne et due forme selon la procédure
prévue dans la législation interne et ne demande pas non plus une déclaration
expresse de la volonté d'exercer l'action pénale; il suffit que la victime se
manifeste, simplement, et porte les faits à la connaissance d'une autorité de
l'État pour que naisse pour celui-ci l'obligation de la considérer comme une
expression tacite mais sans équivoque de son désir d'obtenir l'ouverture d'une
enquête immédiate et impartiale, comme le prescrit cette disposition de la Convention.(18)
10.7 Or, le Comité constate, comme il a déjà été indiqué, que le requérant s'est
effectivement plaint des traitements à son encontre auprès du juge d'instruction
et a eu recours aux grèves de la faim afin de se plaindre de la condition qui
lui était faite. Cependant, et contrairement à la jurisprudence au titre de
l'article 13 de la Convention, le Comité note la position de l'État partie qui
soutient que le requérant aurait dû formellement faire usage des voies de recours
internes afin de porter plainte, en particulier par la présentation soit d'une
attestation prouvant le dépôt d'une plainte auprès du ministère public, soit
de traces apparentes de torture ou de mauvais traitements devant le tribunal,
soit d'un rapport médical. Sur ce dernier point auquel le Comité souhaite porter
son attention, il ressort que le requérant soutient s'être vu refuser sa demande
de contrôle médical par le juge d'instruction, et que l'État partie justifie
cette décision au motif de l'absence de traces apparentes de violence. Le Comité
rappelle qu'il s'agit de la part de l'État partie d'une réponse qui ne recouvre
pas nécessairement l'affirmation précise du requérant qui dénonce des actes
de torture ayant laissé des traces réelles, notamment neuropsychiatriques. Enfin,
le Comité renvoie à son examen du rapport présenté par la Tunisie en 1997, à
l'issue duquel il avait recommandé à l'État partie de faire en sorte que des
examens médicaux soient automatiquement prévus à la suite d'allégations d'abus.
10.8 À la lumière des constatations ci-dessus, le Comité estime que les manquements
qui viennent d'être exposés sont incompatibles avec l'obligation faite à l'article
13 de la Convention de procéder à une enquête immédiate.
10.9 Enfin, le Comité estime ne pas être en mesure de se prononcer sur les griefs
de violation d'autres dispositions de la Convention soulevés par le requérant,
dans l'attente de disposer des résultats de l'enquête sur les allégations de
torture et de mauvais traitements devant être diligentée par l'Etat partie.
11. Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l'article
22 de la Convention, est d'avis que les faits dont il a été saisi font apparaître
une violation des articles 12 et 13 de la Convention contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
12. Conformément au paragraphe 5 de l'article 112 de son règlement intérieur,
le Comité invite instamment l'État partie à procéder à une enquête sur les allégations
de torture et de mauvais traitements du requérant, et à l'informer, dans un
délai de 90 jours à compter de la date de transmission de la présente décision,
des mesures qu'il aura prises conformément aux constatations ci-dessus.
_________________________
[Adopté en anglais , en espagnol, en français (version originale) et en russe.
Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans le rapport annuel
présenté par le Comité à l'Assemblée générale.]
Notes
1. Les accusations portées contre le requérant ne sont pas précisées.
2. Les motifs retenus contre le requérant ne sont pas précisés.
3. Entrée sur le territoire suisse le 18 mars 1999. Date d'obtention du statut
de réfugié non précisée.
4. Disponible pour information dans le dossier.
5. Les exemples donnés par l'État partie sont disponibles, pour information,
dans le dossier.
6. Entre autres, enseignement des valeurs des droits de l'homme dans les écoles
des forces de sécurité, à l'Institut supérieur de la magistrature et à l'École
nationale de formation et de recyclage des cadres et agents des établissements
pénitentiaires et correctionnels; code de conduite destiné aux responsables
chargés de l'application des lois en matière de droits de l'homme; transfert
de la tutelle des établissements pénitentiaires et correctionnels du Ministère
de l'intérieur à celui de la justice et des droits de l'homme.
7. Mise en place d'un dispositif référentiel législatif: contrairement aux allégations
du requérant sur la non-incrimination par les autorités tunisiennes des actes
de torture, l'État partie explique avoir ratifié sans réserves la Convention
contre la torture, laquelle fait partie intégrante du droit interne tunisien
et peut être invoquée devant les tribunaux: dispositions pénales sévères et
précises incriminant la torture (art. 101 bis du Code pénal tunisien).
8. La loi du 1er juin 1972 relative au Tribunal administratif permet d'engager
la responsabilité de l'État même lorsqu'il agit comme puissance publique si
ses représentants, agents ou fonctionnaires ont causé un dommage matériel ou
moral à autrui. La partie lésée peut demander à l'État la réparation du préjudice
commis (art. 84 du Code des obligations et des contrats), cela sans préjudice
de la responsabilité directe de ses fonctionnaires envers les parties lésées.
9. Jurisprudence du Tribunal administratif (arrêts no 1013 du 10 mai 1993 et
no 21816 du 24 janvier 1997).
10. Arrêt n° 4692 du 30 juillet 1996, publié dans la Revue de jurisprudence
et législation (R.J.L.); arrêt n° 8616 du 25 février 1974, R.J.L. 1975; et arrêt
n° 7943 du 03 septembre 1973, R.J.L. 1974.
11. Outre la législation, des mécanismes institutionnels de protection ont été
progressivement mis en place, comme les visites inopinées dans des établissements
pénitentiaires du Président du Comité supérieur des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, et l'institution le 31 juillet 2000 de la fonction de
«juge d'exécution des peines», chargés de suivre concrètement l'application
des peines privatives de liberté et rendant des visites périodiques aux établissements
pénitentiaires.
12. Loi no 99-90 du 2 août 1999 ayant modifié et complété certaines dispositions
du Code de procédure pénale, et notamment réduit la durée de la garde à vue
à trois jours, renouvelable une seule fois pour la même période. Aux termes
de cette loi, les officiers de police judiciaire ne peuvent garder le suspect
pour une durée dépassant trois jours; ils doivent en aviser le procureur de
la République. Celui-ci peut, par décision écrite, prolonger la durée de la
garde à vue une seule fois pour la même période. L'officier de police judiciaire
doit informer le suspect de la mesure prise à son encontre, de son délai, et
lui énonce ce que lui garantit la loi, notamment la possibilité d'être soumis
à un examen médical durant la garde à vue. L'officier doit également informer
l'un des ascendants ou descendants ou frères ou sœurs ou conjoint du suspect
de son choix de la mesure prise à son encontre. Ces garanties sont davantage
renforcées à la faveur de la réforme de la Constitution du 26 mai 2002 ayant
élevé le contrôle judiciaire de la garde à vue au niveau d'une règle constitutionnelle
prenant soin de spécifier que cette mesure privative de liberté ne peut être
effectuée que sur mandat judiciaire.
13. Loi du 24 avril 2001 relative aux conditions d'incarcération et au traitement
des détenus consolidant les garanties de protection des détenus et permettant
la préparation des détenus à la vie active en leur donnant la possibilité d'exercer
un travail rémunéré.
14. «Pour la réhabilitation de l'indépendance de la justice», avril 2000-décembre
2001.
15. Rapport alternatif de la FIDH au deuxième rapport périodique de la Tunisie
au Comité contre la torture; communiqué en date du 20 février 2003 de l'Association
internationale de soutien aux prisonniers politiques en Tunisie.
16. Guide de jurisprudence sur la torture et les mauvais traitements: art. 3
de la Convention européenne des droits de l'homme, Debra Long (APT); affaire
Ribitsch c. Autriche; affaire Assenov c. Bulgarie.
17. Le Comité contre la torture a recommandé de rendre les articles pertinents
du Code pénal (en particulier l'article 101) conformes à la définition de la
torture contenue à l'article premier de la Convention (A/54/44, par. 88 à 105).
18. Communications no 6/1990 (Henri Unai Parot c. Espagne) et no 59/1996 (Encarnación
Blanco Abad c. Espagne).