Radivoje Ristic c. Yougoslavie, Communication No. 113/1998, U.N. Doc. CAT/C/26/D/113/1998 (2001).
Présentée par: Radivoje Ristic
(représenté par un conseil)
Au nom de: Milan Ristic (décédé)
État partie: Yougoslavie
Date de la communication: 22 juillet 1998
Le Comité contre la torture, institué conformément à l'article 17
de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants,
Réuni le 11 mai 2001,
Ayant achevé l'examen de la communication no 113/1998 présentée au
Comité contre la torture en vertu de l'article 22 de la Convention contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées
par l'auteur de la communication, son conseil et l'État partie,
Adopte ses constatations au titre du paragraphe 7 de l'article 22
de la Convention.
1. L'auteur de la communication, datée du 22 juillet 1998, est M. Radivoje Ristic, citoyen de la République fédérale de Yougoslavie. Il affirme que son fils, Milan Ristic, est mort des suites d'un acte de torture commis par la police, et que les autorités n'ont pas mené une enquête rapide et impartiale. La communication a été transmise au Comité, au nom de M. Ristic, par le Humanitarian Law Center, organisation non gouvernementale dont le siège est à Belgrade.
Rappel des faits présentés par l'auteur
2.1 L'auteur de la communication déclare que, le 13 février 1995, trois policiers
(Dragan Riznic, Uglješa Ivanovic et Dragan Novakovic) ont arrêté Milan Ristic
à Šabac alors qu'ils recherchaient une personne soupçonnée de meurtre. L'un
des policiers a frappé son fils derrière l'oreille gauche avec un objet contondant,
sans doute un pistolet ou une crosse de fusil, provoquant instantanément sa
mort. Les policiers ont alors déplacé le corps et, avec un instrument contondant,
brisé ses deux fémurs. Ce n'est qu'à ce moment là qu'ils ont appelé une ambulance
et l'équipe d'enquêteurs de la police, dont un expert en médecine légale, de
service.
2.2 Les policiers ont dit aux enquêteurs que Milan Ristic s'était suicidé en
sautant du toit d'un immeuble voisin, ce dont pouvait témoigner un témoin oculaire
(Dragan Markovic). Le médecin arrivé avec l'ambulance a constaté la mort de
Milan Ristic. Puis l'ambulance est partie, laissant le corps qui devait être
emmené par un fourgon mortuaire. L'auteur de la communication allègue qu'après
le départ de l'ambulance, les policiers ont frappé le défunt au menton, provoquant
des blessures sur le visage.
2.3 L'auteur de la communication fournit un exemplaire du rapport d'autopsie,
selon lequel la mort a été violente et provoquée par une lésion du cerveau provoquée
par une chute sur une surface dure. La chute permettrait aussi d'expliquer les
fractures décrites dans le rapport. L'auteur fournit également un exemplaire
du rapport du médecin arrivé avec l'ambulance. Il y est dit: «Par un examen
externe, j'ai constaté un faible saignement de la blessure située derrière l'oreille
gauche. À travers le pantalon, au-dessus du genou droit, on pouvait voir une
fracture ouverte du fémur et de petites traces de saignement. Autour de la blessure,
il n'y avait pas de traces de sang».
2.4 L'auteur fait valoir que les rapports médicaux ne concordent pas tout à
fait. Le médecin présent dans l'ambulance a indiqué explicitement qu'il n'a
pas observé de blessures au visage tandis que le rapport d'autopsie fait état
d'une lacération et d'un hématome au menton. En outre, l'auteur conteste ces
rapports en faisant valoir qu'il n'est guère possible qu'une chute d'une hauteur
de 14,65 m puisse ne pas avoir entraîné de blessures au visage, au talon, au
bassin, à la colonne vertébrale ou aux organes internes, ni d'hémorragies internes,
et n'avoir provoqué que des hématomes au coude gauche et derrière l'oreille
gauche. Par ailleurs, il note qu'il n'y avait pas de sang sur le sol.
2.5 À la demande des parents de la victime, deux experts légistes ont examiné
le rapport d'autopsie et l'ont jugé superficiel et contradictoire, notamment
en ce qui concerne la cause du décès. Ils ont noté dans leur rapport que l'autopsie
n'avait pas été faite selon les règles de la médecine légale et que la conclusion
ne coïncidait pas avec les constatations. Ils ont proposé l'exhumation des restes
et la réalisation d'une autre autopsie par un médecin légiste. L'auteur de la
communication dit en outre que, le 16 mai 1995, les deux experts légistes susmentionnés
ont parlé avec le pathologiste qui avait réalisé l'autopsie et se sont rendus
sur les lieux supposés de l'incident. Ils ont constaté que ces lieux ne ressemblaient
pas à ceux décrits dans le rapport d'autopsie, ce qui donnait à penser que le
corps avait été déplacé. Dans une déclaration en date du 18 juillet 1995 adressée
au parquet, le pathologiste est convenu que les restes du défunt devaient être
exhumés et examinés par un expert légiste, et a souligné que, n'étant pas lui-même
spécialiste en médecine légale, il avait pu se tromper ou omettre certains détails.
2.6 Les parents de la victime ont déposé une plainte contre plusieurs policiers
auprès du procureur de Šabac. Le 19 février 1996, le procureur a rejeté la plainte.
Conformément au droit yougoslave, après le rejet d'une plainte pénale, la victime
ou la personne agissant en son nom peut soit demander l'ouverture d'une enquête,
soit déposer son propre acte d'accusation et passer directement au stade du
procès. En l'espèce, les parents ont présenté leur propre acte d'accusation
le 25 février 1996.
2.7 Le juge d'instruction a interrogé les policiers impliqués ainsi que les
témoins et a considéré qu'il n'y avait pas de motifs de croire que les policiers
avaient commis le délit allégué. La chambre pénale du tribunal de district de
Šabac a entériné la décision du juge d'instruction. Elle n'a pas jugé utile
d'entendre le témoignage des deux experts légistes et n'a pas envisagé la possibilité
d'ordonner une exhumation du corps et une nouvelle autopsie. Qui plus est, le
juge d'instruction a adressé aux parents le texte non signé d'une déclaration
que le pathologiste aurait faite devant le tribunal en leur absence et qui contredit
celle qu'il avait faite par écrit le 18 juillet 1995. L'auteur de la communication
explique par ailleurs que, en plus des contradictions sur le plan médical, il
y a beaucoup d'autres incohérences que l'enquête judiciaire n'a pas permis d'éclaircir.
2.8 Les parents ont fait appel de la décision du tribunal de district devant
la Cour suprême de Serbie, qui, en date du 29 octobre 1996, les a déboutés en
déclarant le recours infondé. Selon cet arrêt, le témoignage de Dragan Markovic
prouvait sans le moindre doute que Milan Ristic était vivant au moment où les
fonctionnaires de police Sinisa Isailovic et Zoran Jeftic étaient arrivés devant
l'immeuble où vivait M. Markovic. Ils répondaient à un appel téléphonique d'un
certain Zoran Markovic, qui avait remarqué au bord de la terrasse un homme dont
le comportement donnait à penser qu'il allait se suicider. Dragan Markovic et
les deux policiers avaient en fait vu Milan Ristic sauter depuis la terrasse.
Ils n'avaient rien pu faire pour l'arrêter.
2.9 Les parents ont de nouveau tenté de porter l'affaire devant la justice,
mais le 10 février 1997 le tribunal de district de Šabac a décidé que les poursuites
n'étaient plus possibles, compte tenu de la décision de la Cour suprême de Serbie.
Le 18 mars 1997, la Cour suprême a rejeté leur appel subséquent et confirmé
la décision du tribunal de district.
Teneur de la plainte
3.1 L'auteur considère, tout d'abord, que la police puis les autorités judiciaires
n'ont pas effectué une enquête rapide et impartiale. Tous les recours internes
ont été épuisés sans que le tribunal ait jamais ordonné ou officiellement engagé
une véritable procédure d'enquête. L'enquête préliminaire diligentée par le
juge d'instruction, qui a consisté à interroger les accusés et certains témoins,
n'a pas permis d'élucider les circonstances du décès et le tribunal n'a, à aucun
moment, ordonné un examen médico-légal. Le tribunal n'a pas non plus ordonné
l'audition d'autres témoins, tels que les employés des pompes funèbres, dont
le témoignage aurait pu être utile pour établir la chronologie des événements.
L'auteur de la communication soutient en outre que l'enquête réalisée n'était
pas conforme aux dispositions du Code de procédure pénale. Par exemple, la police
n'a pas immédiatement informé de l'incident le juge d'instruction de permanence,
comme l'article 154 l'y obligeait. De ce fait, l'ensemble des investigations
réalisées sur le lieu de l'incident a été réalisé par la police sans la présence
d'un juge. L'auteur de la communication fait valoir par ailleurs que les parents
de Milan Ristic ont pris l'initiative d'engager toutes les actions utiles pour
clarifier l'incident, alors que les organes administratifs compétents n'ont
rien fait dans ce sens.
3.2 Compte tenu de ce qui précède, l'auteur de la communication affirme que
l'État partie a violé plusieurs articles de la Convention, en particulier les
articles 12, 13 et 14. Il déclare que, même si les parents avaient la possibilité
d'obtenir réparation, il n'y a de facto aucune chance qu'ils obtiennent des
dommages et intérêts faute d'un jugement rendu par un tribunal pénal.
Observations de l'État partie
4. Le 26 octobre 1998, l'État partie a indiqué au Comité que, bien que tous
les recours internes aient été épuisés, la communication ne satisfaisait pas
à toutes les conditions exigées par la Convention. En particulier, aucun acte
de torture n'avait été commis, puisque la personne décédée n'avait eu aucun
contact avec les autorités publiques (la police). En conséquence, la communication
n'était pas recevable.
Décision du Comité sur la recevabilité
6. À sa vingt-deuxième session, en avril-mai 1999, le Comité a examiné la question
de la recevabilité de la communication et il s'est assuré que la même question
n'avait pas été examinée et n'était pas en cours d'examen devant une autre instance
internationale d'enquête ou de règlement. Le Comité a pris note de la déclaration
de l'État partie selon laquelle tous les recours internes avaient été épuisés
et a par ailleurs estimé que la communication n'était pas un abus du droit de
soumettre des communications et n'était pas incompatible avec les dispositions
de la Convention. En conséquence, le Comité a décidé, le 30 avril 1999, que
la communication était recevable.
Observations de l'État partie sur le fond
7.1 Dans un mémoire daté du 15 décembre 1999, l'État partie a soumis au Comité
ses observations sur la communication quant au fond.
7.2 L'État partie réaffirme son opinion selon laquelle la victime alléguée n'a
pas été soumise à la torture, du fait qu'à aucun moment elle n'a été en contact
avec les responsables de l'application des lois, c'est-à-dire les policiers.
En conséquence, il considère qu'il n'y a eu aucune violation quelle qu'elle
soit de la Convention.
7.3 L'État partie souligne également que les tribunaux du pays fonctionnent
de façon indépendante et ont conclu, à juste titre, et conformément à la loi,
qu'il n'y avait pas lieu d'ouvrir une enquête contre les auteurs allégués des
actes de torture. À cet égard, il fait valoir que l'auteur de la communication
n'a pas soumis toutes les décisions rendues par le tribunal et les autres documents
judiciaires susceptibles d'apporter au Comité un éclairage supplémentaire pour
examiner la communication. Lesdits documents ont été soumis à cet effet par
l'État partie.
7.4 L'État partie expose ensuite sa version des faits. À titre de remarque préliminaire,
il affirme que la victime alléguée avait l'habitude de consommer de l'alcool
et des drogues (bromazepan) et avait déjà fait une tentative de suicide quelque
temps auparavant. L'après-midi qui avait précédé sa mort, le 12 février 1995,
la victime alléguée avait absorbé des drogues (sous forme de comprimés) et était
de très mauvaise humeur parce qu'elle s'était querellée avec sa mère. Les éléments
susmentionnés ont été, selon l'État partie, confirmés par quatre des amis de
la victime alléguée qui avaient passé l'après-midi du 12 février 1995 en sa
compagnie. L'État partie indique également que les parents et l'amie de la victime
alléguée ont contredit cette déclaration.
7.5 S'agissant des circonstances qui ont entouré la mort de la victime alléguée,
l'État partie se réfère à la déclaration faite par le témoin oculaire, Dragan
Markovic. Ce dernier a expliqué qu'il avait vu la victime debout au bord de
la terrasse, à 15 mètres au-dessus du sol, et qu'il avait immédiatement appelé
la police. Lorsque la police était arrivée, la victime avait sauté de la terrasse
et ni Dragan Markovic ni les policiers n'avaient pu l'en empêcher. L'État partie
indique également que les trois policiers qui sont accusés du meurtre présumé
de la victime sont arrivés après que celle-ci eut sauté et il en conclut qu'aucun
d'entre eux n'aurait pu entreprendre une action coercitive à son encontre.
7.6 Selon l'État partie, les éléments ci-dessus démontrent que la mort de la
victime alléguée est le résultat d'un suicide et que, par conséquent, aucun
acte de torture n'a été commis.
7.7 De surcroît, l'État partie relève que l'impartialité du témoin Dragan Markovic
ainsi que celle de S. Isailovic et Z. Jetvic, les deux policiers arrivés les
premiers sur les lieux de l'incident, est incontestable et confirmée par le
fait que l'auteur de la communication n'a pas réclamé l'ouverture d'une enquête
contre ces personnes, alors qu'il l'a fait pour d'autres personnes impliquées.
7.8 En ce qui concerne les procédures judiciaires qui ont suivi le décès de
la victime, l'État partie récapitule les différentes étapes de la procédure
et note que la principale raison pour laquelle une enquête n'a pas été ordonnée
est l'absence d'éléments ayant force probante pour établir un lien de causalité
entre la conduite des trois policiers défendeurs et la mort de la victime. L'État
partie soutient que les formes prescrites par la loi ont été strictement respectées
à toutes les étapes de la procédure et que la plainte a été examinée attentivement
par tous les magistrats qui ont eu à connaître de l'affaire.
7.9 Enfin, l'État partie insiste sur le fait que certaines omissions qui ont
pu se produire pendant les événements ayant suivi immédiatement le décès de
la victime alléguée et qui ont été mentionnées par l'auteur de la communication
étaient dénuées d'importance parce qu'elles ne prouvaient pas que la victime
alléguée soit morte à la suite d'actes de torture.
Observations de l'auteur sur le fond
8.1 Dans un mémoire daté du 4 janvier 1999, l'auteur renvoie à la jurisprudence
pertinente de la Cour européenne des droits de l'homme en rapport avec les articles
12, 13 et 14 de la Convention contre la torture. Dans un autre mémoire daté
du 19 avril 2000, l'auteur a réaffirmé les assertions qu'il avait formulées
dans sa communication et a soumis au Comité des observations supplémentaires
sur le fond.
8.2 Tout d'abord, l'auteur formule certaines remarques sur des points spécifiques
que l'État partie a soulevés dans ses observations, ou qu'il a ignorés. À cet
égard, l'auteur insiste surtout sur le fait que l'État partie s'est contenté
de soutenir que les trois policiers supposément responsables du meurtre n'étaient
pas impliqués dans la mort de la victime alléguée, sans répondre à l'argument
principal développé dans la communication, à savoir qu'il n'a pas été procédé
à une enquête rapide, impartiale et complète.
8.3 L'auteur insiste sur les éléments de fait ci-après à l'appui de ses affirmations:
b) Ce n'est que sept mois après la mort de la victime alléguée que le tribunal de district a été prié d'ouvrir une enquête;
c) Pour établir les faits de la cause, ledit tribunal de district ne s'est pas fondé sur le rapport de police qui avait été établi au moment du décès;
d) Dans son unique déposition, le témoin oculaire Dragan Markovic avait bien fait état de la présence sur les lieux des policiers Z. Jeftic et S. Isailovic, mais non de la présence des trois policiers défendeurs;
e) Les services de police de Šabac n'ont pas remis les photographies qui avaient été prises sur les lieux de l'incident, de sorte que le juge d'instruction a transmis une documentation incomplète au parquet;
f) Lorsque les parents de la victime alléguée ont engagé les poursuites, le juge d'instruction n'a pas ordonné que le corps de la victime alléguée soit exhumé et qu'il soit procédé à une nouvelle autopsie, alors qu'il avait admis que l'autopsie initiale «n'avait pas été exécutée conformément à toutes les règles de la médecine légale»;
g) Les autorités judiciaires yougoslaves ont omis de procéder à l'audition de nombreux autres témoins cités par l'auteur.
8.5 En ce qui concerne l'obligation d'enquêter sur les incidents de torture,
de peine ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant, l'auteur se réfère à
la jurisprudence du Comité dans l'affaire Encarnación Blanco Abad
c. Espagne (CAT/C/20/D/59/1996), où celui-ci a fait observer que,
«en vertu de l'article 12 de la Convention, les autorités ont l'obligation de
procéder d'office à une enquête impartiale chaque fois qu'il y a des motifs
raisonnables de croire qu'un acte de torture ou de mauvais traitement a été
commis, sans que le motif du soupçon ait une importance particulière». L'auteur
se réfère également à la décision rendue par le Comité dans l'affaire Henri
Unai Parot c. Espagne (CAT/C/14/D/6/1990), selon laquelle l'obligation
de procéder à une enquête rapide et impartiale existe même lorsque la victime
a simplement fait état de tortures, sans pour autant déposer officiellement
plainte à ce sujet. Cette jurisprudence est confirmée par les arrêts de la Cour
européenne des droits de l'homme [ Assenov et consorts c. Bulgarie
(90/1997/874/1086)].
8.6 En ce qui concerne le principe qui veut que les actes de torture alléguée
ou autre mauvais traitement fassent rapidement l'objet d'une enquête, l'auteur
renvoie à la jurisprudence du Comité contre la torture qui a considéré qu'un
délai de 15 mois avant l'ouverture d'une enquête était abusivement long et non
conforme aux dispositions de l'article 12 de la Convention ( Qani Halimi-Nedzibi
c. Autriche , CAT/C/11/D/8/1991).
8.7 En ce qui concerne le principe de l'impartialité des autorités judiciaires,
l'auteur déclare qu'un organe ne peut être impartial s'il n'est pas suffisamment
indépendant; il se réfère à cet égard à la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l'homme pour définir à la fois l'impartialité et l'indépendance
d'un organe judiciaire conformément au paragraphe 1 de l'article 6 et à l'article
13 de la Convention européenne des droits de l'homme, et souligne que l'autorité
habilitée à offrir un recours devrait être «suffisamment indépendante» de l'autorité
présumée responsable de la violation.
8.8 En ce qui concerne l'existence de motifs raisonnables de croire qu'un acte
de torture ou autre mauvais traitement a été commis, l'auteur, se fondant là
encore sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, souligne
«l'existence de faits ou d'informations qui donneraient à un observateur objectif
l'assurance que la personne impliquée peut avoir commis l'infraction».
8.9 En ce qui concerne le droit à indemnisation et à réadaptation en cas d'acte
de torture ou autre mauvais traitement, l'auteur mentionne qu'un recours utile
implique également le versement d'une indemnité.
8.10 L'auteur souligne qu'à l'époque de l'établissement de sa communication
cinq ans déjà s'étaient écoulés depuis le décès de son fils . Il
soutient que, malgré des indices donnant fortement à penser que de graves brutalités
policières pourraient avoir été la cause du décès de Milan Ristic, les autorités
yougoslaves n'ont pas mené une enquête rapide, impartiale et complète susceptible
de conduire à l'identification des coupables et à leur sanction; elles n'ont
donc pas offert à l'auteur la moindre réparation.
8.11 S'appuyant sur d'abondantes sources, l'auteur explique que la brutalité
policière en Yougoslavie est un phénomène systématique; il estime en outre que
les procureurs ne sont pas indépendants et engagent rarement des poursuites
contre les policiers accusés de violence ou d'actes répréhensibles à l'encontre
des citoyens. En pareil cas, les mesures se limitent le plus souvent à une simple
demande d'information auprès des autorités de police et les manœuvres dilatoires
sont courantes.
8.12 Enfin, l'auteur se réfère expressément à l'examen le plus récent du rapport
périodique présenté par la Yougoslavie qu'a effectué le Comité et aux conclusions
qu'il a formulées à ce sujet, se déclarant «extrêmement préoccupé par les nombreuses
relations d'actes de torture commis par les forces de la police d'État que lui
ont faites des organisations non gouvernementales» (A/54/44/par.47)et également
«profondément préoccupé de l'absence d'enquêtes, de poursuites et de sanctions
suffisantes de la part des autorités compétentes à l'égard des tortionnaires
présumés ou des individus soupçonnés de violer l'article 16 de la Convention,
ainsi que des réactions insuffisantes aux plaintes des victimes, qui se traduisent
par une impunité de facto des auteurs d'actes de torture».(Ibid., par. 48)
Délibérations du Comité
9.1 Le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations
qui lui avaient été soumises par les parties concernées, conformément au paragraphe
4 de l'article 22 de la Convention. À cet égard, il regrette que l'État partie
n'ait fourni au Comité qu'une version différente des faits et note que des informations
plus précises sur le déroulement de l'enquête s'imposaient, notamment des
éléments expliquant pourquoi une nouvelle autopsie n'avait pas été effectuée.
9.2 Le Comité note également que l'auteur de la communication affirme que l'État
partie a violé les articles 2, 12, 13, 14 et 16 de la Convention.
9.3 S'agissant des articles 2 et 16, le Comité considère tout d'abord qu'il
ne relève pas de sa compétence d'évaluer la culpabilité de personnes supposées
avoir commis des actes de torture ou de brutalité policière. Sa compétence se
limite à déterminer si l'État partie a manqué à l'une quelconque des dispositions
de la Convention. Dans la présente affaire, le Comité ne se
prononcera donc pas sur l'existence d'actes de torture ou de mauvais traitements.
9.4 En ce qui concerne les articles 12 et 13 de la Convention, le Comité relève
les éléments ci-après, à propos desquels l'une et l'autre parties ont été en
mesure de soumettre des observations:
b) Bien que le juge d'instruction chargé du dossier lorsque les parents de la victime alléguée ont engagé les poursuites eût déclaré que l'autopsie «n'avait pas été effectuée selon toutes les règles de la médecine légale», il n'avait pas été ordonné d'exhumer le corps pour procéder à un nouvel examen médico-légal;
c) La déclaration faite le 13 février 1995 par l'un des trois policiers supposés responsables de la mort de la victime alléguée, déclaration selon laquelle la police avait été appelée au sujet d'une personne qui s'était suicidée , ne concorde pas avec les déclarations faites par un autre de ces policiers ainsi que par deux autres policiers et le témoin D. Markovic, selon lesquelles la police avait été appelée au sujet d'une personne qui risquait de sauter du toit d'un immeuble;
d) La police n'avait pas immédiatement informé de l'incident le juge d'instruction qui était de permanence, de façon qu'il puisse superviser l'enquête sur les lieux conformément à l'article 154 du Code de procédure pénale de l'État partie.
9.6 Compte tenu des éléments ci-dessus, le Comité considère que l'enquête effectuée
par les autorités de l'État partie n'était ni effective ni complète. Une véritable
enquête aurait en effet donné lieu à l'exhumation du corps et à une nouvelle
autopsie, ce qui aurait ainsi permis d'établir sur le plan médical la cause
du décès avec un degré satisfaisant de certitude.
9.7 En outre, le Comité note que six ans se sont écoulés depuis la survenance
de l'incident. L'État partie a eu amplement le temps de procéder à une véritable
enquête.
9.8 Vu ces circonstances, le Comité estime que l'État partie a violé les obligations
lui incombant en vertu des articles 12 et 13 de la Convention, à savoir diligenter
une enquête rapide et effective en cas d'allégation de torture ou de brutalité
policière grave.
9.9 En ce qui concerne les allégations de violation de l'article 14, le Comité
estime qu'en l'absence de véritable enquête pénale, il n'est pas possible de
déterminer si les droits à réparation de la victime alléguée ou de sa famille
ont été violés. Une telle conclusion ne pourra être formulée qu'au terme d'une
véritable enquête. Le Comité demande donc instamment à l'État partie de faire
procéder sans retard à pareille enquête.
10. Conformément au paragraphe 5 de l'article 111 de son règlement intérieur,
le Comité demande instamment à l'État partie d'assurer à l'auteur de la communication
un recours approprié, et de l'informer, dans les 90 jours à compter de la transmission
de la présente décision, des mesures qu'il aura prises en réponse aux constatations
formulées plus haut.