University of Minnesota



Observations finales du Comité contre la torture, Cameroun, U.N. Doc. CAT/C/SR.950 et 951 (2010).


 

Comité contre la torture Quarante- deuxième session

26 avril – 14 mai 2010

 

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

VERSION AVANCÉE ET NON ÉDITÉE

Observations finales du Comité contre la torture

 

CAMEROUN

1. Le Comité contre la torture (« le Comité ») a examiné le quatrième rapport périodique du Cameroun (CAT/C/CMR/4) à ses 930ème et 944ème séances, les 28 avril et 7 mai 2010 (CAT/C/SR.930 et 944), et a adopté, à ses 950ème et 951ème séances, tenues le 12 mai 2010 (CAT/C/SR.950 et 951), les observations finales ci-après.

A. Introduction

2. Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique du Cameroun qui est conforme aux directives générales du Comité pour l’établissement de rapports périodiques, ainsi que les réponses écrites à la liste des points à traiter du Comité. Cependant, il regrette que l’État partie n’ait pas répondu à la lettre datée du 17 février 2006 par laquelle le Rapporteur du Comité chargé du suivi des observations finales concernant le Cameroun (CAT/C/CR/31/6) lui demandait des renseignements complémentaires.

3. Le Comité se félicite du dialogue constructif engagé avec la délégation de haut niveau qui a représenté l’État partie, et la remercie des réponses écrites apportées aux questions posées.

B. Aspects positifs

4. Le Comité se félicite de ce que, conformément à l’article 45 de la Constitution de 1972 telle que révisée le 18 janvier 1996, les traités et accords internationaux ratifiés par l’État partie, y compris la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« la Convention »), ont une autorité supérieure à celle des lois internes.

5. Le Comité note avec satisfaction des avancées normatives et institutionnelles réalisées par l’État partie depuis l’examen du troisième rapport périodique, en particulier :

a) le décret n° 2004/320 du 8 décembre 2004 portant organisation du Gouvernement et ainsi rattachant l’Administration pénitentiaire au Ministère de la justice ;

b) le décret n° 2005/122 du 15 avril 2005 portant organisation du Ministère de la justice créant une Direction des droits de l’homme et de la coopération internationale ;

c) la loi n° 2005/006 du 27 juillet 2005 portant statut des réfugiés ;

d) la loi n° 2005/007 du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale (CPP) ;

e) la loi n° 2005/015 du 29 décembre 2005 relative à la lutte contre le trafic et la traite des enfants.

6. Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie, le 18 mai 2004, de la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et deux de ses trois Protocoles, celui visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et celui contre le trafic illicite des migrants par terre, air et mer.

7. Le Comité note avec satisfaction la ratification du 28 mars 2009 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes.

8. Le Comité se félicite de l’accueil par l’État partie du Centre sous-régional des Nations Unies pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale ainsi que du soutien constant qu’il apporte à ses activités.

9. Le Comité note avec satisfaction la coopération de l’État partie avec l’Union européenne au programme d’amélioration des conditions de détention et respect des droits de l’homme, PACDET.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture et peines appropriées

10. Le Comité a noté que l’article 132bis du Code pénal contient une définition de la torture, mais il regrette que, même sur demande répétée, l’État partie ne lui a pas fourni une copie du texte. Le Comité n’est ainsi pas en mesure d’évaluer si l’État partie a pleinement intégré la définition de la torture conforme à l’article premier et quatre de la Convention. En outre, le Comité note avec préoccupation que la législation nationale ne prévoit pas l’application de peines appropriées en fonction de la gravité de l’infraction. (Articles 1 et 4)

L’État partie devrait donner au Comité les informations nécessaires afin qu’il puisse évaluer si l’État partie a intégré à son Code pénale une définition de la torture conforme à l’article premier et quatre de la Convention. Le Comité souligne que la définition de torture devrait préciser la finalité de l’infraction, prévoir de circonstances aggravantes, inclure la tentative de pratiquer la torture, et contenir des actes visant à intimider la victime ou une tierce personne ou à faire pression sur elles et envisager la discrimination, quelle qu’elle soit, comme motif ou raison d’infliger la torture. La définition devrait également prévoir l’incrimination de la torture infligée à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’un agent de la fonction publique ou de toute autre personne agissant à titre officiel. L’État partie devrait également veiller à ce que les dispositions érigeant en infraction les actes de torture et les rendant passibles de sanctions pénales soient proportionnelles à la gravité des actes commis.

Garanties juridiques fondamentales

11. Le Comité prend note des dispositions de l’article 37 et 116 du Code de procédure pénale stipulant que « la personne arrêté bénéficie de toutes les facilités raisonnables en vue d’entrer en contact avec sa famille, de constituer un conseil et consulter un médecin. » Néanmoins, le Comité s’inquiète de l’information reçue faisant état du fait qu’en pratique les personnes détenues ne bénéficient que rarement, dès le moment de leur arrestation, des garanties prévues au Code de procédure pénale. Par ailleurs, le Comité est vivement préoccupé par le fait que le délai de garde à vue fixé à 48 heures renouvelable une fois sur autorisation du Procureur de la République, n’est pas respecté dans la pratique et que les arrestations ne sont pas enregistrés de suite. Il s’inquiète en particulier des allégations crédibles que les prolongations des gardes à vue sont utilisées par les agents des forces de l’ordre pour extorquer de l’argent. (Articles 2 et 11)

L’État partie devrait mettre en œuvre sans délai des mesures efficaces pour que tous les suspects bénéficient dans la pratique de toutes les garanties fondamentales, dès leur mise en détention; en particulier, le droit d’avoir accès à un avocat, d’être examiné par un médecin indépendant, de contacter un proche et d’être informé de leurs droits au moment du placement en détention, y compris des charges retenues contre eux ainsi que d’être présenté dans les plus brefs délais devant un juge. En outre, les autorités devraient tenir à jour de manière systématique et régulière des registres d’écrou où figurent le nom de chaque personne détenue, l’identité des fonctionnaires qui effectuent la mise en détention, la date d’admission et de sortie du détenu ainsi que tout les autres éléments afférents à la tenue de tels registres.

Mécanisme de plaintes accessible et aide juridictionnelle

12. Le Comité s’inquiète sur les allégations reçues témoignant de difficultés d’accès à la justice pour les victimes d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, en particulier pour les femmes. Il s’inquiète également que le droit à l’aide juridictionnelle est limité aux accusés qui encourent une peine perpétuelle ou une peine capitale. (Articles 2 et 11)

L’État partie devrait prendre des mesures afin de faciliter l’accès à la justice de toute victime d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants et d’étendre la possibilité d’accès à l’aide juridictionnelle pour toutes les personnes démunies, indépendamment des peines qu’elles encourent.

Habeas corpus

13. Le Comité note les dispositions prévues dans le Code de procédure pénale sur l’habeas corpus et l’indemnisation pour garde à vue ou détention provisoire abusive ; cependant il s’inquiète que l’ordonnance d’habeas corpus doit être accompagnée par un ordre de libération du Procureur de la République. Il est également préoccupé que la commission d’indemnisation institué en vertu de l’article 237 du Code de procédure pénale, ne soit pas encore opérationnelle. (Article 2)

L’État partie devrait réviser son Code de procédure pénale afin de permettre à toute personne bénéficiant d’une ordonnance habeas corpus d’être libérée immédiatement. L’État partie devrait également mettre en œuvre sans délai la commission d’indemnisation.

Détention provisoire

14. Tout en prenant note des explications de l’État partie sur le problème du nombre élevé des détenus préventifs, le Comité s’inquiète vivement du nombre de détenus en détention provisoire qui, en 2009, s’élevait à 14,265 par rapport à 8,931 condamnés. Il s’inquiète également que le délai maximal de 12 mois de détention préventive en cas de délit et de 18 mois en cas de crime en vertu de l’article 221 du Code de procédure pénale, n’est pas respecté en pratique. (Article 2)

L’État partie devrait en urgence prendre des mesures afin de réduire la durée de la détention provisoire, en veillant notamment à ce que les délais maximales prévus par la loi en matière de détention provisoire soient respectées et en appliquant le principe selon lequel la détention préventive devrait être conçue comme une mesure exceptionnelle.

Conditions de détention

15. Tout en prenant note des projets de l’État partie soutenus par la communauté internationale et de son engagement lors de l’examen périodique universel (A/HRC/11/21/Add. 1, Recommandation 76 (14, 21 et 33)) en vue d’améliorer la situation carcérale et les conditions de détention, le Comité demeure profondément préoccupé par les conditions de vie déplorables dans les lieux de détention. Les informations reçues par le Comité font état de surpopulation carcérale, de violences entre détenus, de corruption, y compris location des cellules et vente de matériel médical, de manque d’hygiène et de nourriture adéquate, d’insécurité sanitaire, d’absence de soins de santé adaptés, de violations du droit aux visites et du fait que certains prévenus auraient déjà purgés plus que leur peine en prison sans avoir été libérés. Il s’inquiète également de la contrainte par corps en vertu de l’article 564 du Code de procédure pénale, selon lequel les personnes, y compris les mineurs, ayant purgées leur peine sont maintenues en détention pour une période de 20 jours à 5 ans, en fonction de la somme due.

Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de l’absence de séparation systématique entre mineurs et adultes, prévenus et condamnés, femmes et hommes. Il s’inquiète également que les femmes peuvent être gardées par du personnel masculin. (Article 2, 11 et 16)

L’État partie devrait prendre des mesures urgentes afin de conformer les conditions de détention dans toutes les lieux de détention, y compris les gendarmeries et les commissariats de police aux règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (résolution 43/173 de l’Assemblée générale) et notamment :

a) Réduire la surpopulation carcérale en privilégiant dans sa politique pénale les peines autres que celles qui sont privatives de liberté, comme la mise à l’épreuve, les peines assorties du sursis, les travaux d’intérêt général, ainsi que les voies non -contentieuses de règlement de litiges, comme la médiation. Il devrait, dans le même sens, accroître le nombre de personnel judicaire et non-judicaire. Dans le cas des enfants en conflit avec la loi, l’État partie devrait veiller à ce que la détention ne soit utilisée qu’en dernier recours;

b) Améliorer la nourriture et les soins de santé offerts aux détenus;

c) Prendre les mesures appropriées afin de mettre un terme définitif aux allégations d’actes de corruption et de rançonnement dans les prisons;

d) Renforcer le contrôle judiciaire des conditions de détention ;

e) Réviser le Code de procédure pénale sur la contrainte par corps et adopter un nouveau système permettant aux détenus de payer leurs dettes ;

f) Réorganiser les prisons de manière à ce que les prévenus soient séparés des condamnés et améliorer les conditions de détention des mineurs en s’assurant qu’ils sont détenus à l’écart des adultes en toutes circonstances, ainsi que de développer davantage les centres pour la détention des mineurs en dehors de la prison ;

g) Prendre des mesures à ce que les femmes soient séparées des hommes et à ce qu’elles soient gardées par du personnel féminin uniquement ;
h) Fournir des informations détaillées sur les résultats et/ou difficultés rencontrées dans le développement du projet d’amélioration de la vie carcérale élaboré par le Cameroun avec le Fond Européen de Développement entre décembre 2006 et décembre 2010.

16. Le Comité s’inquiète vivement sur le nombre élevé de décès en détention selon les statistiques fournies par l’Etat partie, 178 détenus sont décédés entre janvier et octobre 2008, y compris 38 décès enregistrés pour lesquels la cause n’a pas été précisée. Il est également préoccupé par les informations sur l’utilisation excessive des armes par les forces de l’ordre lors des tentatives d’évasions par les détenus. (Articles 2, 11 et 16)

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures visant à prévenir la violence entre détenus et contre détenus et les décès en détention, et de faire en sorte que tous les cas de violence et décès dans les centres de détention fassent l’objet sans délai d’une enquête impartiale, approfondie et le cas échéant médico-légale, et que les responsables soient traduits en justice et condamnés. Le dépôt de plainte en justice par les détenus devrait être facilité.

17. Tout en se félicitant de l’étude menée par l’État partie afin de réviser le décret n° 92/52 du 27 mars 1992, le Comité s’inquiète de l’utilisation d’enchaînement et de mise en isolation comme mesure disciplinaire au milieu carcéral qui peuvent constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant. (Articles 11 et 16)

Le Comité encourage l’État partie à abroger le décret sur les mesures disciplinaires en milieu carcéral et de trouver des méthodes en conformité avec la Convention pour les détenus posant un risque à la sécurité.

Journalistes et défenseurs des droits de l’homme

18. Le Comité est préoccupé par les allégations faisant état d’actes de harcèlement, de détention arbitraire, d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants et de menaces de mort dont sont victimes les journalistes et défenseurs des droits de l’homme, et par le fait que ces actes demeurent impunis. Tout en prenant acte des renseignements détaillées fournies par l’État partie, y compris la menée d’une enquête administrative sur la mort en détention, le 22 avril 2010, d’un journaliste, M. Germain Cyrille Ngota, alias Bibi Ngota, le Comité s’inquiète du nombre élevé de journalistes et défenseurs des droits de l’homme en détention et des allégations d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains et dégradants. Il s’inquiète également des informations sur la répression par les forces de l’ordre des manifestations de journalistes qui ont eu lieu pour contester les conditions dans lesquelles un journaliste est mort en détention. (Articles 2, 11, 12 et 16)

L’État partie devrait adopter des mesures efficaces pour faire cesser les actes de harcèlement, de détention arbitraire, d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants et les menaces de mort dont sont victimes les journalistes et défenseurs des droits de l’homme et pour prévenir de nouveaux actes de violence. Il devrait de plus veiller à ce qu’une enquête diligente, exhaustive et efficace soit menée rapidement et à ce que les auteurs de tels actes soient dûment punis. En outre, le Comité se joint à l’appel lancé par l’UNESCO de mener une enquête juridique, exhaustive et médico-légale en relation avec la mort du journaliste M. Ngota dans la prison de Kondengui.

Événements de février 2008

19. Le Comité prend note des enquêtes qui ont été diligentées sur les événements de février 2008 et le rapport établi en 2009, bien qu’il n’en ait pas reçu de copie. Il note également l’enquête administrative sur les allégations de violations des droits de l’homme, notamment le droit à la vie par les forces de l’ordre, qui a conclu que les forces de l’ordre auront agi en état de légitime défense. Cependant, le Comité s’inquiète des informations crédibles provenant de sources diverses faisant état d’exécutions extrajudiciaires, de détentions arbitraires, d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, et de violations aux droits à un procès équitable qui auront été commis par les forces de l’ordre contre des adultes et des enfants. Il s’inquiète également de l’absence d’enquêtes individuelles, impartiales, exhaustives et médico-légales à propos des allégations d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants par les forces de l’ordre. (Articles 2, 11, 12 et 16)

Le Comité recommande l’ouverture d’une enquête globale, indépendante et approfondie concernant les événements de février 2008. L’État partie devrait également publier le rapport sur les enquêtes qu’il a mené et en soumettre une copie au Comité pour son appréciation. Parallèlement, l’État partie devrait entamer des enquêtes promptes, impartiales, exhaustives et médico-légales au sujet des allégations reçues d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants par les forces de l’ordre et assurer que les responsables soient traduits en justice et condamnés à des peines appropriées.

Impunité

20. Tout en accueillant les informations transmises par l’Etat partie relatives aux poursuites des agents des forces de l’ordre, coupables de violations de la Convention, le Comité reste sérieusement préoccupé par :

a) les allégations crédibles faisant état de que les enquêtes et poursuites pour actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants ne se font pas systématiquement et quand les auteurs sont condamnés, ils le sont à des peines légères qui ne sont pas en rapport avec la gravité de leurs crimes;

b) le fait que les gendarmes et les militaires ne peuvent être poursuivis, dans les cas d’infractions commises dans une caserne militaire ou à l’occasion du service, qu’après autorisation du Ministère de la défense;

c) l’absence de mesures visant à assurer la protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement ou toute intimidation suivant le dépôt d’une plainte ou une déposition, pratiques qui font qu’un nombre restreint de plaintes sont déposées pour actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

d) l’article 30, paragraphe 2 du Code de procédure pénale selon lequel « l'officier, l'agent de police judiciaire ou l'agent de force de l'ordre qui procède à une arrestation enjoint à la personne à arrêter de le suivre et, en cas de refus, fais usage de tout moyen de coercition proportionnée à la résistance de l'intéressé » ;

e) le manque de données statistiques exhaustives sur le nombre d’enquêtes et poursuites d’agents des forces de l’ordre pour actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants. (Articles 2, 12, 13 et 16)

L’État partie devrait faire preuve d’un engagement ferme pour éliminer le problème persistant de la torture et de l’impunité. Il devrait :

a) Condamner publiquement et sans ambiguïté la pratique de la torture sous toutes ses formes, en s’adressant en particulier aux agents des forces de l’ordre, aux forces armées et au personnel pénitentiaire, et en accompagnant ses déclarations d’avertissements clairs quant au fait que toute personne commettant de tels actes, y participant ou en étant complice, sera tenue personnellement responsable devant la loi et soumise à des sanctions pénales;

b) Adopter immédiatement des mesures pour garantir dans la pratique que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet d’enquêtes promptes, impartiales et efficaces et que les responsables – agents de la force publique et autres – soient poursuivis et sanctionnés sans autorisation préalable de leur supérieur ou du Ministre de la défense. Les enquêtes devraient être menées à bien par un organe pleinement indépendant;

c) En cas de présomption de cas de torture, les suspects devraient être immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque que leur maintien puisse entraver l’enquête;

d) Veiller, dans la pratique, à ce que les plaignants et les témoins soient protégés contre tout mauvais traitement et tout acte d’intimidation lié à leur plainte ou à leur témoignage ;

e) Réviser l’article 30, paragraphe 2, du Code de procédure pénale et veiller à ce que tous les actes de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants fassent l’objet des poursuites pénales et de condamnations appropriées ;

f) Compiler dans les plus brefs délais des données statistiques pertinentes et compréhensives sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations, ainsi que les peines encourues dans les affaires de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants.

Conseil constitutionnel

21. Le Comité accueille avec satisfaction l’instauration le 21 avril 2004 du Conseil constitutionnel qui est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions. Il constate pourtant avec préoccupation que cette institution n’est toujours pas opérationnelle pour manque de nomination de ses membres. Il constate également qu’il y a une incertitude par rapport à la possibilité de renouvèlement du mandat des membres du Conseil constitutionnel. (Article 2)

L’État partie devrait accélérer la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel et veiller à ce que cette institution commence son travail dans les plus brefs délais. Il devrait envisager des changements rédactionnels aux lois n° 2004/004 et 2004/005 du 21 avril 2004 portant organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel et fixant le statut de ses membres pour éviter toute incertitude par rapport au renouvèlement du mandat de ses membres.

Organe de surveillance des forces de l’ordre – dites « Police des Polices »

22. Tout en prenant note de la création en 2005 d’une division spéciale de contrôle des services de police dite « Police des Polices » rattachée à la Délégation Générale à la Sûreté Nationale, le Comité relève avec préoccupation le manque d’indépendance et d’objectivité de cette institution. Il est préoccupé que les enquêtes sur les allégations d’actes illicites, y compris de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants, commis par la police, sont effectuées par des fonctionnaires de police de la division spéciale de contrôle des services de police. À cet égard, le Comité est préoccupé que seulement un nombre faible de plaintes portées contre des fonctionnaires de police sont acceptées, donnent lieu à une enquête prompte, impartiale et exhaustive, et aboutissent à des poursuites et des condamnations. (Articles 2, 12, 13 et 16)

L’État partie devrait créer une instance indépendante extérieure à la police, et faire en sorte que les allégations de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent l’objet d’enquêtes impartiales, approfondies et efficaces.

Justice militaire

23. Le Comité prend acte de la loi n° 2008/015 portant organisation judiciaire militaire. Pourtant, il s’inquiète des compétences étendues de la justice militaire envers des civils, s’il s’agit des infractions à la législation sur les armes de guerre et de défense, vol avec port d’arme à feu et toutes les infractions connexes. (Article 2)

Le Comité rappelle les compétences classiques de la justice militaire qui devrait se limiter à des crimes commis dans le cadre du service militaire et recommande à l’État partie de réviser sa législation afin d’exclure la compétence de la justice militaire en matière d’infractions commis par les civiles, y compris infractions contre la législation sur les armes de guerre, de défense, vol avec port d’arme à feu et toutes les infractions connexes.

Arrêt de poursuites pénales dans « l’intérêt social » ou la « paix publique »

24. Le Comité constate avec préoccupation que le Code de procédure pénale en vigueur contient une disposition en vertu de laquelle le Ministre de la justice peut arrêter des poursuites pénales dans « l’intérêt social » ou « la paix publique ». Tout en prenant acte de l’article 2 de la loi n° 2006/022 fixant l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs qui contient des dispositions sanctionnant l’excès de pouvoir, ainsi que l’affirmation par l’État partie que cette procédure n’a été utilisée qu’une fois depuis l’entrée en vigueur en 2006, le Comité est préoccupé par l’absence de recours contre la décision du Ministre de la justice, ainsi que par l’absence d’une définition des termes contenus en l’article 64 du Code de procédure pénale. (Articles 2, 12 et 13)

L’État partie devrait réviser le Code de procédure pénale afin d’assurer que toute poursuite pénale aboutisse à un acquittement ou une condamnation du responsable. Tout arrêt de poursuites pénales sur décision du Ministre de la justice, y compris dans l’intérêt social ou la paix publique, devrait être susceptible d’un recours juridictionnel.

Lois sur l’état d’urgence et relative au maintien de l’ordre

25. Le Comité a pris acte avec préoccupation que la loi n° 90/047 du 19 décembre 1990 sur l’état d’urgence est en vigueur. Considérant les garanties en vertu du paragraphe 2, de l’article 2 de la Convention, le Comité constate avec préoccupation que la loi sur l’état d’urgence et la loi n° 90/054 relative au maintien de l’ordre prévoient en cas d’état d’urgence une garde à vue pour une durée de deux mois renouvelable une fois, et en cas de banditisme le délai de garde à vue peut être fixé pour une durée de 15 jours renouvelables. (Article 2)

L’État partie devrait veiller au respect des principes internationaux relatifs aux états d’exception en examinant notamment la nécessité du maintien de sa législation sur l’état d’urgence eu égard aux critères établis par l’article 4 du Pacte relatif aux droits civils et politiques auquel le Cameroun est partie depuis 1984. L’État partie devrait également veiller à la stricte application de la prohibition absolue de la torture, conformément au paragraphe 2, de l’article 2 de la Convention prescrivant qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu'elle soit, qu'il s'agisse de l'état de guerre ou de menace de guerre, d'instabilité politique intérieure ou de tout autre état d'exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

Surveillance systématique des lieux de détention

26. Le Comité note l’adoption de la loi n° 2004/016 qui a crée la Commission Nationale des Droits de l’homme et des libertés (CNDHL), établi en conformité aux principes de Paris (résolution 48/134 de l’Assemblée générale) et accrédité au « Statut B » par le Sous -Comité d’accréditation du Comité international de coordination des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CIC). Néanmoins, le Comité s’étonne que la Commission ait participé à l’examen du rapport du Cameroun, non pas en tant qu’organe indépendant, mais en tant que membre de la délégation de l’État partie. Par ailleurs, le Comité relève la basse fréquence de visites (d’après les informations émanant de l’Etat partie et de la CNDHL, la Commission a visité huit prisons entre l’année 2000 et 2010) et l’absence d’un suivi rigoureux par les autorités saisies par la Commission. Le Comité note également que certaines organisations non gouvernementales (ONG) bénéficient d’une accréditation leur permettant d’avoir accès aux prisons, mais s’inquiète des allégations sur les difficultés d’accès et la basse fréquence des visites effectués par les ONG. (Articles 2, 11 et 13)

L’État partie devrait donner tous les moyens humains et financiers nécessaires à la Commission nationale des droits de l’homme pour lui permettre de mener à bien son mandat, et veiller sur son indépendance. Le Comité encourage l’État partie à abolir le droit de vote reconnu aux représentants de l’administration au sein de la Commission des Droits de l’homme et des libertés. L’État partie devrait prendre toutes les mesures appropriées afin d’octroyer aux ONG la possibilité d’effectuer des visites régulières, indépendantes, inopinées et illimitées dans les lieux de détention.

Formation sur l’interdiction de la torture

27. Prenant note des efforts considérables par l’État partie en matière de formation des agents de l’État en droits de l’homme, le Comité s’inquiète de ce que l’information, l’éducation et la formation du personnel de maintien de l’ordre, des établissements pénitentiaires, de l’armée, des juges et des procureurs ne sont pas suffisantes et ne portent pas sur toutes les dispositions de la Convention, particulièrement sur le caractère absolu de l’interdiction de la torture et la prévention des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité note aussi avec préoccupation que le personnel médical exerçant dans les lieux de détention ne reçoit pas de formation spécifique et exhaustive basée sur le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocol d’Istanbul) pour détecter les signes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. (Articles 10 et 15)

L’État partie devrait renforcer les programmes de formation destinés à l’ensemble du personnel chargé de l’application des lois et des forces armées concernant l’interdiction absolue de la torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que les formations à l’intention des procureurs et des juges concernant les obligations contractées par l’État partie en vertu de la Convention. Il s’agirait notamment d’une formation sur l’irrecevabilité des aveux et dépositions obtenus sous la torture.

L’État partie devrait faire en sorte que tout le personnel médical qui s’occupe des détenus reçoive une formation adéquate pour détecter les signes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants conformément aux normes internationales, telles qu’elles sont énoncées dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

Non-refoulement

28. Le Comité se félicite de l’accueil des réfugiés au Cameroun, mais regrette que le décret d’application de la loi nº 2005/006 du 27 juillet 2005 portant Statut des réfugiés n’ait pas encore été adopté. Il s’inquiète sur le pouvoir des chefs de poste frontière qui peuvent refouler des individus jugés indésirables ou d’autoriser ou non l’entrée d’un individu sur son territoire. Il regrette également le manque d’informations sur les recours juridiques pour s’assurer que ces personnes ne couraient pas un risque réel d’être soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans le pays de destination, ou qu’elles ne seraient pas ultérieurement expulsées vers un autre pays où elles courraient un risque réel d’être soumises à la torture ou à de traitements cruels, inhumains ou dégradants. (Article 3)

Le Comité recommande à l’État partie d’adopter d’urgence le décret d’application de la loi nº 2005/006 du 27 juillet 2005 portant Statut des réfugiés. Il devrait également réviser ses procédures et pratiques actuelles en matière d’expulsion, refoulement et d’extradition à fin de s’acquitter de ses obligations en vertu de l’article 3 de la Convention.

Pratiques nocives à l’égard des femmes

29. Le Comité réitère ses observations finales précédentes (voir CAT/C/34/Add.17, para. 11 (c)) en ce qui concerne des pratiques nocives, dans certaines régions du pays et parmi des populations réfugiés au Cameroun, telles que les mutilations génitales féminines et le repassage des seins, que l’État partie n’a pas entrepris résolument et systématiquement d’éliminer. (Articles 1, 2, 10 et 16)

Le Comité recommande que l’État partie adopte une loi interdisant les mutilations génitales féminines et les autres pratiques traditionnelles nocives, notamment le repassage des seins, quelles que soient les circonstances, et assure son effective application pratique. Il invite aussi l’État partie à concevoir des programmes en vue d’offrir d’autres sources de revenus aux personnes pour qui la pratique des mutilations génitales féminines et d’autre pratiques traditionnelles nocives constitue un moyen de subsistance. Il devrait également redoubler d’efforts en matière de sensibilisation et d’éducation des femmes comme des hommes au moyen de programmes d’information sur l’impérieuse nécessité de mettre fin à la pratique des mutilations génitales féminines et du repassage des seins.

Violence à l’égard des femmes

30. Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de cas de violences faites aux femmes et aux filles, notamment la violence familiale généralisée qui reste impunie. Par ailleurs, il réitère sa recommandation précédant (CAT/C/CR/31/6, para. 11 (d)), dans laquelle il a encouragé l’État partie à changer sa législation, en vue de mettre fin à l’exemption de peine de l’auteur d’un viol si celui- ci se marie avec la victime, qui était mineure lors de la commission du crime. (Articles 1, 2, 10 et 16)

Le Comité recommande que l’État partie sensibilise la population, au moyen de programmes d’information et d’éducation, au fait que toute forme de violence à l’égard des femmes et filles constitue une violation de la Convention. Le Comité demande à l’État partie de veiller à ce que la violence à l’égard des femmes et des filles, y compris la violence familiale, le viol, même lorsqu’il est conjugal et toutes les formes de sévices sexuels, soient érigés en infraction pénale, que les auteurs soient poursuivis et punis et les victimes réhabilitées et que les femmes et les filles victimes de violence aient immédiatement accès à des voies de recours, des moyens de protection et à la compensation. Par ailleurs, le Comité demande que l’État partie lève tous les obstacles qui empêchent les femmes et les filles d’avoir accès à la justice et recommande que les victimes de violence puissent bénéficier d’une aide juridictionnelle. En outre, le Comité réitère sa recommandation précédant de revoir sa législation en ce qui concerne l’exemption de peine d’un auteur qui se marie avec la victime de viol.

Récolte de données statistiques

31. Le Comité note que certaines données statistiques lui ont été communiquées, mais regrette l’absence de données détaillées et ventilées concernant les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de traitements cruels, inhumain ou dégradants imputés à des membres des forces de l’ordre, de même que concernant la traite des êtres humains, la violence familiale et la violence sexuelle. (Articles 1, 2, 12, 13, 14 et 16)

L’État partie devrait mettre en place un système efficace pour recueillir toutes les données statistiques pertinentes pour le suivi de la mise en œuvre de la Convention au niveau national, notamment celles qui concernent les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les compensations déboursées dans les affaires de torture et de mauvais traitements, de violence entre détenus, de traite des êtres humains et de violence familiale ou sexuelle. Le Comité reconnaît que la collecte de données personnelles soulève des problèmes délicats de confidentialité, et souligne que des mesures appropriées devraient être prises pour garantir qu’il n’est pas fait un usage abusif de ces données.

32. Le Comité prend note de la réponse de l’État partie concernant la recommandation formulée lors de l’Examen périodique universel de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de mettre en place un mécanisme national de prévention (A/HRC/11/21/Add. 1, Recommandation 76(1)) et l’encourage à prendre toutes les mesures nécessaires à fin de le ratifier dans les plus brefs délais.

33. Le Comité encourage l’État partie à poursuivre sa coopération technique avec le Centre pour les droits de l’homme et la démocratie en Afrique centrale, en tant que bureau sous-régional du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, pour mettre en œuvre les recommandations du Comité.

34. L’État partie devrait instaurer des mécanismes efficaces pour collecter des données et élaborer des statistiques pénales et de criminologie ainsi que toutes statistiques pertinentes quant au suivi de la mise en œuvre de la Convention au niveau national. L’État partie devra ainsi faire figurer dans son prochain rapport périodique les données suivantes qui permettront au Comité de mieux apprécier la mise en œuvre des obligations qui lui incombent au titre de la Convention :

a) Des statistiques sur la capacité d’accueil et la population de chaque prison sur le territoire du Cameroun, avec une ventilation, par sexe, par tranche d’âge (adulte / mineur), en distinguant les détenus à titre préventif des condamnés;

b) Des statistiques sur les violences dans les centres de détention, les commissariats de police et les locaux de gendarmerie;

c) Des statistiques sur les plaintes d’allégations de torture et les suites données;

d) Des statistiques sur les cas de corruption des agents chargés de l’application de la loi et sur les sanctions à leur encontre;

e) Des statistiques sur les cas d’extradition, d’expulsion ou de refoulement;

f) Des statistiques sur les violences à l’égard des femmes et des enfants et les résultats des poursuites initiées.

35. L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par le Cameroun au Comité, ainsi que les observations finales de celui-ci, dans les langues appropriées et par tous les moyens adéquats, notamment par le biais des médias et des ONG.

36. Le Comité invite l’État partie à mettre à jour son document de base du 19 juin 2000 (HRI/CORE/1/Add.109) en suivant les directives harmonisées pour l’établissement de rapports, approuvées récemment par les organes de suivi des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN/2/Rev.6).

37. Le Comite encourage l’État partie de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, signée le 6 février 2007.

38. Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité formulées aux paragraphes 14, 18, 19 et 25 qui précèdent.

39. Le Comité demande à l’État partie de présenter son cinquième rapport périodique le 14 mai 2014 au plus tard.

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