Conclusions et recommandations du Comité contre la Torture, Estonie, U.N. Doc. CAT/C/CR/29/5 (2002).
Convention Abbreviation: CAT
1. Le Comité a examiné le rapport initial de l'Estonie (CAT/C/16/Add.9) à
ses 534e, 537e et 545e séances, les 14, 15 et 21 novembre 2002 (CAT/C/SR.534,
537 et 545), et a adopté les conclusions et recommandations ci-après.
3. Le rapport, qui traite essentiellement
de dispositions juridiques mais ne rend pas compte de façon détaillée de la
mise en œuvre de la Convention dans la pratique et des difficultés rencontrées
à cet égard, n'est pas pleinement conforme aux directives générales adoptées
par le Comité pour l'établissement des rapports. Toutefois, le Comité prend
acte des réponses très complètes que la délégation a données à ses questions.
a) La nomination d'un chancelier de justice qui exerce aussi les fonctions de médiateur;
b) L'abolition de la peine de mort en 1998;
c) La possibilité d'appliquer directement, selon la Constitution, la définition de la torture donnée à l'article 1 de la Convention;
d) L'entrée en vigueur, le 1er septembre 2002, du nouveau Code pénal qui fait de la torture un délit et vise à instituer un système pénal souple et individualisé donnant aux détenus de meilleures chances de réinsertion en leur offrant la possibilité de travailler ou de faire des études;
e) L'amélioration des conditions dans les prisons et en particulier la suppression des cellules disciplinaires spéciales, la rénovation des centres de détention et la mise en service de la nouvelle prison de Tartu qui est conforme aux normes internationales. Le Comité se félicite également de l'entrée en vigueur, le 1er décembre 2000, de la loi relative à l'emprisonnement établie sur la base des Règles pénitentiaires européennes et de ce que le règlement intérieur de 2000 relatif aux conditions de détention autorise le Chancelier de justice et les membres du Service de protection de la santé à accéder librement à tous les locaux des établissements pénitentiaires;
f) La publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et les réponses données par l'État partie, grâce auxquels pourra s'instaurer un débat général avec la participation de toutes les instances intéressées;
g) L'engagement pris par l'État partie de continuer à publier sur le site Web du Ministère des affaires étrangères les observations finales des organes des Nations Unies créés en vertu d'instruments internationaux ainsi que les rapports soumis par l'Estonie à ces organes;
h) La ratification par l'État partie, le 30 janvier 2002, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;
i) L'assurance donnée par l'État partie
d'examiner la possibilité de ratifier le Protocole facultatif se rapportant
à la Convention.
a) L'article 1 de la Convention n'a pas encore été directement appliqué par des magistrats et l'application directe des traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, bien que possible en théorie, n'est pas largement pratiquée par les tribunaux;
b) La définition donnée de la torture à l'article 122 du Code pénal comme correspondant à «des sévices corporels continus ou des sévices entraînant de grandes souffrances» ne semble pas tout à fait conforme à l'article 1 de la Convention. Le Comité note que, d'après la délégation, l'article 122 garantit la protection de la santé physique aussi bien que mentale mais il estime que le libellé de cet article pourrait conduire à des interprétations restrictives et prêter à confusion;
c) Des cas isolés de mauvais traitements infligés à des détenus par des agents de l'État sont encore observés dans les commissariats de police. Bien que les actes de violence, y compris sexuelle, entre prisonniers dans les centres de détention et entre malades dans les établissements psychiatriques aient diminué, le risque de voir se produire de tels incidents reste élevé. Les conditions qui règnent dans les anciens centres de détention de la police restent préoccupantes;
d) Les conditions dans lesquelles un suspect ou un détenu peut être autorisé à voir un médecin de son choix - en supposant qu'un mÚdecin soit disponible - ne sont pas claires. En tout Útat de cause, le droit de communiquer avec un avocat et ½une personne dÚsignÚe╗ est limitÚ par des exceptions lÚgales dont les autoritÚs de police pourraient faire un usage abusif. D'une maniÞre gÚnÚrale, rien n'indique Ó partir de quel moment les personnes placÚes en garde Ó vue peuvent faire valoir leurs droits;
e) Selon le droit estonien, les immigrants en situation irrÚguliÞre et les demandeurs d'asile dÚboutÚs peuvent Ûtre placÚs dans des centres de dÚtention en attendant d'Ûtre expulsÚs; dans les cas o¨ la mesure d'expulsion ne peut Ûtre exÚcutÚe, ces personnes peuvent rester en dÚtention pendant de longues pÚriodes;
f) Les personnes de nationalité russe et les apatrides (catégories qui se recoupent) sont surreprésentés dans la population des détenus condamnés;
g) Aucun organe particulier ne semble être chargé de recueillir des données dans les centres de détention, qu'il s'agisse des commissariats de police, des prisons ou des établissements psychiatriques.
a) D'incorporer dans le Code pénal une définition du délit de torture qui réponde pleinement et clairement aux dispositions de l'article 1 de la Convention et de donner aux juges et aux avocats des informations très complètes sur le contenu de la Convention et sur son statut au regard du droit national;
b) De veiller à ce que les responsables de l'application de la loi, les personnels judiciaires et médicaux et toute personne qui participe à la garde, à l'interrogatoire et au traitement des détenus ou des malades psychiatriques reçoivent une formation concernant l'interdiction de la torture et de faire en sorte que les examens qu'il doivent subir pour être confirmés dans leurs qualifications contiennent un élément portant sur la connaissance des prescriptions de la Convention ainsi qu'une évaluation de leur comportement passé en ce qui concerne le traitement des prisonniers ou des patients. Il conviendrait que cette formation porte aussi sur les compétences à acquérir pour reconnaître d'éventuelles séquelles de torture.
c) De surveiller étroitement les actes de violence, y compris sexuelle, entre prisonniers et entre malades dans les centres de détention et les établissements psychiatriques afin de les prévenir;
d) De poursuivre la rénovation de tous les lieux de détention afin qu'ils soient conformes aux normes internationales;
e) De renforcer les garanties qu'offre le Code de procédure pénale contre les mauvais traitements et la torture et de veiller à ce que, en droit et en pratique, les personnes placées en garde à vue et en détention provisoire puissent voir un médecin de leur choix, notifier de leur détention une personne de leur choix et communiquer avec un avocat. Les exceptions légales autorisant la suppression de ces droits devraient être bien circonscrites. Les personnes privées de leur liberté, y compris les suspects, devraient être immédiatement informées de leur droit dans une langue qu'elles comprennent. Le droit donné aux suspects de bénéficier des services d'un avocat devrait également être accordé aux témoins et aux personnes ne faisant pas encore l'objet de poursuites pénales. L'État partie devrait définir une chronologie précise établissant exactement à quel moment doivent être appliqués et respectés les droits de tous les détenus.
f) D'élaborer un code de conduite à l'intention des fonctionnaires de police, des enquêteurs et de tous les autres personnels participant à la garde de détenus;
g) De fixer des délais juridiquement exécutoires pour la détention des immigrants en situation irrégulière et des demandeurs d'asile déboutés qui sont sous le coup d'un arrêté d'expulsion;
h) De procéder à une étude approfondie des raisons pour lesquelles les personnes de nationalité russe et les apatrides sont surreprésentés dans la population des détenus condamnés et d'établir un rapport à ce sujet;
i) D'envisager de ratifier la Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie;
j) De créer un mécanisme pour la collecte et l'analyse de données sur les questions relevant de la Convention dans les établissements pénitentiaires et psychiatriques;
k) D'envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.
7. Le Comité recommande à l'État partie, dans son prochain rapport périodique qui sera examiné comme son quatrième rapport périodique et devra être soumis avant le 19 novembre 2004:
a) De donner des informations détaillées concernant en particulier: i) le mandat précis et les résultats des visites du Chancelier de justice et des membres du service de protection de la santé dans les centres de détention; et ii) les résultats des interventions du Chancelier de justice en réponse aux plaintes qui lui sont soumises pour mauvais traitements ou actes de torture de la part d'agents de l'État;
b) D'expliquer comment, dans la pratique, sont garanties en permanence l'impartialité et l'objectivité des enquêtes sur les plaintes pour mauvais traitements déposées par des personnes placées en garde à vue;
c) De fournir des données statistiques ventilées, notamment par sexe, âge, nationalité et citoyenneté, sur les plaintes pour actes de torture et mauvais traitements commis par des agents de l'État, sur les poursuites engagées en réponse à ces plaintes et sur les sanctions pénales et disciplinaires prononcées.
8. Le Comité recommande en outre à l'État partie de diffuser largement dans le pays tous les rapports soumis par l'Estonie au Comité, les conclusions et les recommandations de ce dernier ainsi que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l'examen de ces rapports dans des langues appropriées, dont l'estonien et le russe, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.