University of Minnesota


Conclusions et recommandations du Comité contre la Torture, Maroc, U.N. Doc. CAT/C/CR/31/2 (2004).


Convention Abbreviation: CAT
COMITÉ CONTRE LA TORTURE
Trente-et-unième session
10-21 novembre 2003



EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION
Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Maroc


1. Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Maroc (CAT/C/66/Add.1 et Corr.1), ainsi que les informations orales complémentaires présentées par la délégation de l'État partie, lors de ses 577e, 580e et 589e séances (CAT/C/SR.577, 580 et 589), tenues les 12, 13, et 20 novembre 2003, et a adopté les conclusions et recommandations suivantes.


A. Introduction


2. Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique du Maroc, qui lui a apporté des informations détaillées sur les efforts entrepris depuis l'examen du deuxième rapport en 1999 par l'État partie pour mettre en œuvre la Convention, ainsi que les renseignements fournis oralement par la délégation marocaine, qui a apporté des informations utiles concernant des mesures de mise en œuvre de la Convention survenues depuis la soumission du troisième rapport, le 23 mars 2003. Le Comité remercie la délégation pour le dialogue franc et constructif noué avec lui.

3. Le troisième rapport a été soumis avec un léger retard, puisqu'il était prévu pour 2002. Il n'était pas tout à fait conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques, notamment en ce qu'il n'a pas consacré une partie aux mesures prises pour tenir compte des conclusions et recommandations précédemment formulées par le Comité.


B. Aspects positifs


4. Le Comité prend note des faits nouveaux positifs ci-après:

a) La déclaration par la délégation de l'État partie de l'intention du pouvoir exécutif, au plus haut niveau, ainsi que du pouvoir législatif, d'appliquer la Convention, qui est d'applicabilité directe au Maroc, et d'adopter des mesures institutionnelles, normatives et éducationnelles, en consultation avec des associations locales et internationales, de développer la coopération technique en matière de droits de l'homme, avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et avec des Organisations non gouvernementales (ONG); cette volonté politique s'est aussi exprimée par la libération de prisonniers politiques, dont un groupe de 56, qui ont été libérés en novembre 2002, et par l'indemnisation de victimes;


b) L'élargissement du mandat du Conseil consultatif des droits de l'homme (CCDH), la création d'un «médiateur», le diwan Al Madhalim, chargé d'examiner les cas de violations des droits de l'homme qui lui sont soumis, de présenter aux autorités compétentes les propositions et recommandations qui s'imposent; la création de la Fondation Mohamed VI pour la réinsertion des détenus, qui est présidée par le Roi lui-même; la création du Centre de documentation, d'information et de formation en droits de l'homme; la réforme des prisons, notamment par l'adoption de mesures en faveur des personnes soumises à toute forme de détention ou d'emprisonnement, notamment au profit des mineurs dans les Centres de sauvegarde de l'enfance, et par la mise en place de mesures garantissant des soins médicaux et une formation pour les détenus et prisonniers;


c) La réforme importante de la législation pertinente engagée par l'État partie, notamment du Code de procédure pénale et le projet de réforme du Code pénal, en consultation avec le CCDH et les associations compétentes en matière de droits de l'homme, en ce qu'elle consacre la présomption de l'innocence, le droit à un jugement équitable, le droit de faire appel et la prise en considération de besoins spécifiques des femmes et des mineurs;


d) Des efforts remarquables de développement de la formation et de l'éducation en matière de droits de l'homme, notamment l'organisation par le Centre de documentation, d'information et de formation en droits de l'homme de formations à l'intention de fonctionnaires de l'administration pénitentiaire, de professionnels en charge de la médecine carcérale et de la médecine légale;


e) L'accès accordé aux ONG locales indépendantes pour visiter les détenus et prisonniers;


f) Le versement d'indemnités, suite aux recommandations de la Commission d'arbitrage indépendante pour l'indemnisation des préjudices matériel et moral subis par les victimes de disparition et de détention arbitraire et leurs ayants droit, instituée auprès du CCDH;


g) L'assurance que l'État partie donnera suite aux recommandations et préoccupations formulées par le Comité.



C. Sujets de préoccupation


5. Le Comité est préoccupé par les questions suivantes:

a) L'absence d'information sur l'application complète de l'article 2 de la Convention, notamment dans les hypothèses prévues par les alinéas 2 et 3 relatifs à des circonstances exceptionnelles et à l'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique, comme cause d'exonération de la responsabilité pénale;


b) L'extension considérable du délai de garde à vue, période pendant laquelle le risque de torture est le plus grand, tant dans le droit pénal général que dans la loi antiterroriste, qui est intervenue postérieurement à l'examen du deuxième rapport périodique;


c) L'absence, pendant la période de garde à vue, de garanties assurant un accès rapide et approprié à un avocat et à un médecin, ainsi qu'à un membre de la famille des personnes gardées à vue;


d) L'accroissement, selon certaines informations, du nombre d'arrestations pour des motifs politiques pendant la période examinée, ainsi que l'accroissement du nombre de détenus et de prisonniers en général, y compris de prisonniers politiques, et l'accroissement du nombre d'allégations de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, impliquant la Direction de la surveillance du territoire (DST);


e) Le manque d'information sur les mesures prises par les autorités judiciaires, administratives et autres pour donner suite aux plaintes et procéder à des enquêtes, inculpations, procès et jugements contre des auteurs d'actes de torture, notamment dans le cas des actes de torture vérifiés par la Commission d'arbitrage indépendante pour l'indemnisation des préjudices matériel et moral subis par les victimes de disparition et de détention arbitraire et leurs ayants droit;


f) L'application aux actes de torture du délai de prescription prévu par le droit commun, qui priverait les victimes de leur droit imprescriptible à engager une action;


g) L'absence d'une disposition de droit pénal interdisant que toute déclaration obtenue sous la torture soit invoquée comme un élément de preuve dans une procédure;


h) Le nombre de morts en prison;


i) Le surpeuplement dans les prisons et les allégations de coups et de violence entre prisonniers.





D. Recommandations



6. Le Comité recommande à l'État partie:

a) Dans le cadre de la réforme en cours du Code pénal, de prévoir une définition de la torture strictement conforme aux dispositions des articles 1 et 4 de la Convention;


b) Dans le cadre de la réforme en cours du Code pénal, de prohiber clairement tout acte de torture, même en cas de circonstances exceptionnelles ou si un ordre a été reçu d'un supérieur ou d'une autorité publique;


c) De limiter au strict minimum le délai de garde à vue et de garantir le droit des personnes gardées à vue d'avoir rapidement accès à un avocat, un médecin et un membre de leur famille;


d) D'inclure dans le Code de procédure pénale des dispositions organisant pour toute personne victime d'un acte de torture son droit imprescriptible à engager une action contre tout tortionnaire;


e) De prendre toutes mesures effectives nécessaires pour éliminer l'impunité des agents de l'État responsables de tortures et traitements cruels, inhumains ou dégradants;


f) De veiller à ce que toutes les allégations de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent l'objet sans délai d'enquêtes impartiales et approfondies, notamment les allégations portant sur des cas et situations vérifiés par la Commission d'arbitrage indépendante précitée, et les allégations impliquant la DST dans des actes de torture; de veiller à ce que des sanctions appropriées soient appliquées aux coupables et que des réparations justes soient accordées aux victimes;


g) D'informer le Comité des résultats des enquêtes impartiales menées à la suite de toute mort en garde à vue, détention ou prison, en particulier celles dont il est allégué qu'elles sont le résultat de tortures;


h) Dans le cadre de la réforme en cours du Code pénal, d'intégrer une disposition interdisant que toute déclaration obtenue sous la torture soit invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, conformément à l'article 15 de la Convention;


i) De lever la réserve faite à l'article 20 et de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention;

j) De consacrer une partie de son prochain rapport périodique aux mesures prises pour tenir compte des conclusions et recommandations formulées par le Comité;

k) De fournir dans son prochain rapport périodique des informations statistiques ventilées, notamment par type d'infraction, âge et sexe de la victime, et qualité de l'auteur de l'infraction, sur les plaintes pour actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par des agents de l'État, et les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires qui s'en sont suivi. L'État partie devrait également fournir des informations sur les résultats de toute inspection de tout lieu de détention, et sur les mesures prises par les autorités pour trouver des solutions aux problèmes du surpeuplement des prisons et les suites données aux allégations de violence entre prisonniers.

7. Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations, de même que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l'examen du troisième rapport périodique de l'État partie, soient largement diffusés dans le pays dans les langues appropriées.

8. Le Comité demande à l'État partie de lui fournir d'ici un an des renseignements sur la suite que celui-ci aura donnée à ses recommandations figurant aux alinéas c), f) et g) du paragraphe 6 ci-dessus.



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