Observations finales du Comité contre la Torture, Namibie, U.N. Doc. A/52/44, paras. 227-252 (1997).
Convention Abbreviation: CAT
COMITÉ CONTRE LA TORTURE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION
Conclusions et recommandations du Comité contre la torture
L. Namibie
227. Le Comité a examiné le rapport initial de la Namibie (CAT/C/28/Add.2) à
ses 293e et 294e séances, le 6 mai 1997 (CAT/C/SR.293 et 294/Add.1) et a adopté
les conclusions et recommandations suivantes :
1. Introduction
228. Le Comité remercie l'État partie de lui avoir présenté son rapport initial
et d'avoir répondu aux questions posées et aux préoccupations exprimées par
le Comité.
2. Aspects positifs
229. Le Comité se réjouit de la bonne volonté dont a fait preuve la Namibie
en adhérant à la Convention contre la torture ainsi qu'à d'autres instruments
relatifs à la protection internationale des droits de l'homme et au droit humanitaire.
230. Le Comité se félicite de l'attention accrue prêtée par le Gouvernement
à la question des droits de l'homme, ce qu'illustre le fait que les autorités
autorisent désormais les organisations non gouvernementales et les agents diplomatiques
à se rendre régulièrement dans les prisons et à rencontrer des prisonniers et
que les organisations non gouvernementales locales ont toute latitude pour agir
et s'occupent ouvertement d'une grande diversité de questions touchant aux droits
de l'homme.
231. Le Comité est satisfait de ce que la Constitution namibienne proclame expressément
que nul ne peut être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, et de ce que les témoignages obtenus sous la torture
ne sont pas des preuves recevables devant les juridictions namibiennes.
232. Le Comité salue l'amélioration de la politique appliquée par la Namibie
en matière d'asile et d'accueil des réfugiés, puisque désormais les demandeurs
d'asile provenant d'autres pays africains sont autorisés à entrer dans le pays,
où le statut de réfugié leur est accordé.
3. Facteurs et difficultés entravant l'application de la Convention
233. Le Comité est conscient que la République de Namibie, qui n'est devenue
un État indépendant qu'en 1990, doit assumer l'héritage de la période qui a
précédé l'indépendance, ce qui entrave les efforts méritoires qu'elle déploie
pour harmoniser pleinement l'ordre juridique namibien avec les exigences des
instruments internationaux relatifs au droit humanitaire.
234. Le Comité s'est efforcé de tenir compte de ce fait lorsqu'il a formulé
ses conclusions et recommandations. Toutefois, il lui faut souligner qu'aucune
circonstance exceptionnelle ne saurait jamais être invoquée pour justifier le
fait de ne pas se conformer à certaines prescriptions de la Convention contre
la torture.
4. Sujets de préoccupation
235. Le Comité s'inquiète de ce que la Namibie n'a pas incorporé dans sa législation
pénale, ainsi que le requièrent les articles 2 (par. 1) et 4 (par. 1) de la
Convention, une définition spécifique du délit de torture dont les termes soient
juridiquement compatibles avec la définition contenue à l'article premier de
la Convention. En l'absence d'une définition juridique précise de la torture
et autres infractions et d'un énoncé précis des peines appropriées applicables
au délit de torture et autres infractions, il est impossible aux tribunaux namibiens
de se conformer au principe de légalité (nullum crimen, nulla poena sine lege
previa) et à l'article 4 de la Convention.
236. Le Comité s'est également ému des cas présumés de torture dont il a été
expressément fait mention au cours de l'examen du rapport de l'État partie.
237. Le Comité déplore vivement que bien souvent, en raison du manque de personnel
judiciaire, la durée de la détention avant jugement puisse aller jusqu'à un
an.
238. Le Comité est préoccupé de ce que, quoique les cas de torture et de violences
commises par la police namibienne aient considérablement diminué depuis l'indépendance,
des actes pouvant être qualifiés de torture ou de peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants continuent d'être commis dans certaines régions du pays.
239. Le Comité s'inquiète aussi de ce que bien souvent l'État partie n'enquête
pas de façon prompte et impartiale sur des cas passés et présents de torture
ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants et qu'il n'engage pas de poursuites
judiciaires contre les coupables. La Namibie n'engage pas systématiquement de
procédures disciplinaires à l'encontre de fonctionnaires responsables d'actes
de torture ou de mauvais traitements.
240. Le Comité s'inquiète de l'absence de tout moyen juridique spécifique pour
indemniser les victimes de tortures ou d'autres mauvais traitements. Les procédures
en vigueur pour obtenir réparation, pour être indemnisés et bénéficier d'une
réadaptation semblent insuffisantes et bien souvent inefficaces. En outre, elles
réservent le droit à réparation et à indemnisation à la victime elle-même, sans
conférer, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l'article 14 de la Convention,
les mêmes droits aux ayants cause en cas de mort de la victime.
5. Recommandations
241. La Namibie devrait promulguer une loi définissant le délit de torture dans
les termes de l'article premier de la Convention, et sa législation devrait
incorporer cette définition dans le système de droit pénal et de procédure pénale
namibiens, compte tenu tout particulièrement de la nécessité : a) de définir
la torture en tant qu'infraction distincte commise par, à l'instigation de ou
avec le consentement d'un agent de l'État (delictum proprium), cet acte étant
commis dans l'intention précise d'obtenir des aveux ou d'autres renseignements,
de punir arbitrairement, d'intimider, de faire pression ou pour tout autre motif
à visée discriminatoire; b) de légiférer en sorte que la complicité d'actes
de torture et la tentative de pratiquer la torture soient des infractions également
punissables; c) d'exclure la possibilité d'invoquer en justice quelque justification
que ce soit dans les cas de torture; d) de veiller à ce qu'aucune déclaration
obtenue par la torture ne puisse être invoquée comme élément de preuve dans
des procédures pénales et toutes autres procédures à l'exception de celles engagées
à l'encontre de l'auteur d'actes de torture; e) de faire en sorte qu'en droit
comme en pratique, il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale sur
toute allégation de torture qui paraît fondée.
242. Dans les domaines où il n'a pas encore été légiféré, l'État partie doit
promulguer des lois interdisant notamment la torture, ainsi que le prescrivent
la Convention contre la torture et d'autres instruments relatifs aux droits
de l'homme ayant force obligatoire pour la Namibie. La législation nationale
actuelle devrait être revue de manière plus approfondie à la lumière de la Convention
et dans la perspective de la protection des droits de l'homme en général.
243. La formation des membres des services de police, des forces de défense
nationale, de l'administration pénitentiaire et d'autres agents chargés de l'application
des lois, ainsi que du personnel médical, doit comprendre un enseignement relatif
à l'interdiction de la torture et d'autres traitements cruels, inhumains et
dégradants, conformément à l'article 10 de la Convention; cet enseignement doit
mettre l'accent sur la définition de la torture énoncée à l'article premier
de la Convention, et insister aussi sur la responsabilité pénale de ceux qui
commettent des actes de torture.
244. Des organes gouvernementaux indépendants composés de personnes d'une haute
autorité morale devraient être créés et chargés d'inspecter les centres de détention
et établissements pénitentiaires. Le Gouvernement devrait aussi mettre en place
une instance indépendante chargée d'enquêter sur les plaintes déposées contre
des membres de la police.
245. Le Gouvernement devrait tâcher de combler le retard accumulé dans le traitement
des affaires pénales, qui se traduit par une prolongation excessive et illégale
des détentions avant jugement, qui va à l'encontre du droit des accusés d'être
jugés dans un délai raisonnable.
246. Le Gouvernement devrait doter le Bureau du Médiateur du personnel et des
moyens financiers dont il a besoin pour commencer à exercer ses fonctions dans
le domaine de la protection des droits de l'homme, ainsi qu'il est prévu par
la Constitution namibienne.
247. Le Comité recommande que les diverses allégations de mauvais traitements
qui ont été portées à son attention fassent l'objet d'enquêtes et que les résultats
de celles-ci lui soient communiqués. Le Comité recommande aussi que les cas
de disparition d'anciens membres de la South West Africa People's Organization
(SWAPO) fassent promptement l'objet d'enquêtes impartiales conformément à l'article
12 de la Convention. Chaque fois qu'il existe des motifs raisonnables de penser
que ces disparitions sont à rattacher à des actes de torture ou à d'autres formes
de traitements cruels, inhumains ou dégradants, les ayants cause des victimes
décédées devraient, conformément à l'article 14 de la Convention, être indemnisés
équitablement et de manière adéquate. Les auteurs de ces actes devraient être
traduits en justice.
248. Les chefs coutumiers qui composent les tribunaux communautaires de Namibie
doivent ou bien être effectivement tenus de respecter les limites imposées par
la loi à leur pouvoir d'ordonner la mise en détention avant jugement des suspects,
ou bien être privés de ce pouvoir d'ordonner des mises en détention avant jugement.
249. Les autorités namibiennes devraient prendre les dispositions concrètes
voulues pour se conformer à l'article 3 de la Convention, c'est-à-dire pour
permettre aux réfugiés de demander un permis de résidence dans les cas où il
existe des motifs sérieux de croire qu'ils risqueraient d'être soumis à la torture
s'ils sont expulsés, refoulés ou extradés vers un autre pays.
250. Le Comité recommande que les châtiments corporels soient abolis dans les
plus brefs délais, puisqu'ils sont toujours autorisés par la loi de 1959 sur
les prisons et par la loi de 1977 sur la procédure pénale.
251. Le Comité recommande que les victimes de la torture en Namibie soient habilitées
à intenter, outre une action au civil pour obtenir réparation, une action au
pénal à l'encontre de leurs tortionnaires.
252. Compte tenu de la séparation existant normalement entre procédure disciplinaire
et procédure pénale, le Comité considère comme superflu le fait qu'en Namibie,
la possibilité d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre d'un tortionnaire
dépend de l'issue de la procédure pénale.