Observations finales du Comité contre la Torture, Paraguay, U.N. Doc. A/52/44, paras. 189-213 (1997).
Convention Abbreviation: CAT
COMITÉ CONTRE LA TORTURE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION
Conclusions et recommandations du Comité contre la torture
J. Paraguay
189. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique du Paraguay (CAT/C/29/Add.1)
à ses 289e, 290e et 292e séances, les 2 et 5 mai 1997 (voir CAT/C/SR.289, 290
et 292) et a adopté les conclusions et recommandations suivantes :
1. Introduction
190. Le Paraguay a ratifié la Convention contre la torture en 1990. Elle n'a
pas fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention. La
République du Paraguay est également partie à la Convention interaméricaine
pour la prévention et la répression de la torture.
191. Le Comité a examiné à sa onzième session, en novembre 1993, le rapport
initial du Paraguay, présenté le 13 janvier 1993. Le deuxième rapport périodique
soumis le 10 juillet 1996 est établi conformément aux Directives générales concernant
la forme et le contenu des rapports périodiques, adoptées par le Comité en 1991.
2. Aspects positifs
192. Le Paraguay n'a pas promulgué de loi d'amnistie.
193. L'article 5 de la Constitution confère un rang constitutionnel aux instruments
relatifs à l'interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, et prévoit que ces délits sont imprescriptibles.
194. En vertu de l'article 137 de la Constitution, les traités, conventions
et accords internationaux approuvés et ratifiés, dont la Convention contre la
torture et la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression
de la torture, font partie du droit positif interne avec un rang immédiatement
inférieur à la Constitution mais supérieur aux lois.
195. Les garanties régissant la détention et l'arrestation, énoncées à l'article
12 de la Constitution, constituent un cadre juridique qui peut et doit faciliter
la prévention de la torture.
196. Les dispositions relatives à l'état d'exception énoncées dans la Constitution
sont compatibles avec le paragraphe 2 de l'article 2 de la Convention, selon
lequel aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée pour justifier
la torture.
3. Facteurs et difficultés entravant l'application de la Convention
197. Près de cinq ans après la promulgation de la Constitution nationale, l'institution
du défenseur du peuple n'a toujours pas été mise en place alors que son mandat
et ses attributions permettent des actions efficaces de promotion et de protection
des droits de l'homme et de prévention de la torture et d'autres traitements
cruels, inhumains ou dégradants, grâce à l'inspection systématique des lieux
où ces délits pourrait être pratiqués. La Constitution habilite également le
défenseur du peuple à prêter assistance aux victimes, à enquêter sur les plaintes
et à condamner ou dénoncer publiquement les cas de torture.
198. L'activité du ministère public est insuffisante, comme on peut le déduire
du rapport périodique, dans lequel il est indiqué qu'entre 1991 et la date de
présentation du rapport, le ministère public n'a mis en mouvement l'action pénale
que dans 15 affaires de contraintes physiques mettant en cause des agents de
l'État.
4. Sujets de préoccupation
199. La torture n'est pas définie dans la législation en vigueur et la définition
qui figure dans le projet de code pénal — actuellement en lecture devant l'organe
législatif — ne satisfait pas à l'obligation faite à l'article premier et à
l'article 4 de la Convention. La définition qui était donnée dans le projet
présenté était déjà insuffisante, mais la définition proposée au stade actuel
de l'examen du projet l'est encore plus.
200. Les informations que le Comité a reçues de sources dignes de foi, selon
lesquelles, si la pratique de la torture et des mauvais traitements ne constitue
plus, comme jadis, une politique officielle de l'État, les agents de l'État
continuent de recourir à cette pratique, notamment dans les commissariats et
dans les locaux de garde à vue, dans le but d'obtenir des aveux ou des renseignements
qui sont jugés recevables par les magistrats pour engager une procédure contre
les victimes de ces traitements. Le Comité est également préoccupé d'apprendre
des mêmes sources que les recrues qui accomplissent leur service militaire obligatoire
sont souvent soumises à des mauvais traitements physiques.
201. De même, le Comité s'inquiète d'informations reçues des mêmes sources au
sujet de l'intervention de groupes paramilitaires au service de certains grands
propriétaires terriens, qui expulsent les paysans des terres qu'ils occupent
depuis toujours et dont les agissements sont apparemment tolérés par l'État.
202. L'existence d'un mandat d'arrêt ne justifie en aucun cas la torture. Cependant,
le fait que de nombreuses arrestations aient lieu sans ordre écrit d'une autorité
compétente, hors les cas de flagrant délit, favorise la pratique de la torture
et les traitements cruels, inhumains ou dégradants, du fait du secret et de
la possibilité de prolonger la garde à vue au-delà de 24 heures, délai fixé
à l'article 12, paragraphe 5, de la Constitution pour déférer les personnes
en état d'arrestation au magistrat compétent.
203. En ce qui concerne le droit des victimes d'un acte de torture d'obtenir
réparation et d'être indemnisées équitablement et de manière adéquate, et les
moyens nécessaires à la réadaptation, droit consacré à l'article 14 de la Convention,
le Comité est préoccupé par le fait que le rapport de l'État partie ne mentionne
aucun programme de réparation et de réadaptation physique et psychique des victimes,
ce qui le conduit à penser qu'il n'en existe pas. En ce qui concerne le droit
d'être indemnisé équitablement et de manière adéquate, le Comité s'inquiète
de ce que la responsabilité de l'État pour les actes de ses agents n'est que
subsidiaire, comme il découle de l'article 106 de la Constitution, ce qui oblige
les victimes à engager elles-mêmes une action en justice pour obtenir saisie
des biens de leurs tortionnaires et ce n'est que si les responsables ne possèdent
rien, si leurs biens ne peuvent être retrouvés ou si leur valeur est insuffisante
que la victime peut se retourner vers l'État pour obtenir réparation.
204. Le Comité est également préoccupé par les lacunes de la législation en
ce qui concerne les dispositions visant à interdire l'expulsion, le refoulement
ou l'extradition vers un autre État lorsqu'il y a des motifs sérieux de croire
que l'intéressé risque d'être soumis à la torture, conformément à l'article
3 de la Convention. L'article 43 de la Constitution n'accorde cette protection
qu'aux personnes ayant obtenu l'asile politique.
205. Enfin, le Comité s'inquiète de l'absence dans la législation de dispositions
permettant de contribuer à la répression universelle de la torture et prévoyant
l'assistance judiciaire aux mêmes fins.
5. Recommandations
206. Le Comité contre la torture recommande à l'État partie de bien examiner
les dispositions relatives à la torture figurant dans le projet de code pénal,
qui est en lecture depuis déjà longtemps, et de régler toutes les questions
concernant la torture ou les autres traitements ou peines cruels, inhumains
ou dégradants par une loi spécifique qui contiendrait les dispositions nécessaires
pour satisfaire aux prescriptions de la Convention, et en particulier :
a) De définir la torture en des termes conformes à l'article premier de la Convention
et, étant donné que le Paraguay est également partie à la Convention interaméricaine
pour la prévention et la répression de la torture, d'énoncer expressément dans
la définition que la torture s'entend également de "l'application à toute
personne de méthodes visant à annuler la personnalité de la victime ou à diminuer
sa capacité physique ou mentale, même si ces méthodes et procédés ne causent
aucune douleur physique ou angoisse psychique", selon les termes de l'article
2 de cette Convention Voir Organisation des États américains, Basic Documents
pertaining to Human Rights in the Inter-American System, Washington, D. C.,
1996., dont le Comité tient compte en vertu du paragraphe 2 de l'article premier
de la Convention contre la torture;
b) De réprimer la torture du seul fait qu'elle a été employée, abstraction faite
des effets ou des séquelles dont souffrirait la victime, sans préjudice de l'aggravation
de la peine, justifiée par la gravité de ses effets ou séquelles;
c) D'inclure des dispositions qui facilitent les poursuites internationales
en cas de torture, conformément à la Convention et aux dispositions de l'article
43 de la Constitution, en vertu duquel les relations internationales reposent
sur la reconnaissance du droit international et la protection internationale
des droits de l'homme.
207. Il faudrait créer sans retard la fonction du défenseur du peuple et promulguer
rapidement la loi énonçant ses fonctions et donnant effet aux principes énoncés
à la section I du chapitre IV de la Constitution.
208. Il faudrait aussi diffuser les normes et instructions sur les questions
relevant de l'article 11 de la Convention, mettre en place des mécanismes systématiques
d'examen et de surveillance du respect de ces dispositions et en assurer le
fonctionnement en vue d'éliminer la pratique de la torture et d'autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
209. Il faudrait en outre améliorer la situation matérielle dans les prisons
et assurer aux détenus des conditions d'incarcération compatibles avec la dignité
humaine.
210. Le Comité recommande de mettre au point des programmes systématiques d'éducation
et d'information sur l'interdiction de la torture, dont l'intégration à la formation
professionnelle des catégories de personnel énumérées à l'article 10 de la Convention
doit être prioritaire et obligatoire.
211. Le Comité recommande également de faire les déclarations prévues aux articles
21 et 22 de la Convention.
212. Le Comité espère recevoir rapidement une réponse officielle concernant
les sanctions prises contre les agents de l'État qui ont commis des actes de
torture ou d'autres traitements cruels, inhumains et dégradants, réponse que
les représentants de l'État ont proposé de faire parvenir lors de l'examen du
rapport.
213. Enfin, le Comité recommande que le troisième rapport périodique soit soumis
dans les délais impartis, soit avant le 10 avril 1999.