Observations finales du Comité contre la Torture, Fédération do Russie, U.N. Doc. A/52/44, paras. 31-43 (1996).
Convention Abbreviation: CAT
COMITÉ CONTRE LA TORTURE
EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 19 DE LA CONVENTION
Conclusions et recommandations du Comité contre la torture
A. Fédération de Russie
31. Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de la Fédération de Russie
(CAT/C/17/Add.15) à ses 264e, 265e et 268e séances, les 12 et 14 novembre 1996
(voir CAT/C/SR.264, 265 et 268) et a adopté les conclusions et recommandations
suivantes.
1. Introduction
32. Le deuxième rapport périodique de la Fédération de Russie n'a pas été présenté
dans les délais voulus, ce qui s'explique peut-être par le fait que ce pays
est dans une période de transition. Il est conforme, dans ses grandes lignes,
aux directives adoptées par le Comité pour la présentation des rapports.
33. Le Comité remercie les représentants de la Fédération de Russie de leur
exposé et en particulier des efforts faits pour répondre à la quasi-totalité
des nombreuses questions posées par le Rapporteur, par le Corapporteur et par
les membres du Comité.
2. Aspects positifs
34. La Constitution de la Fédération de Russie garantit le respect intégral
des droits de l'homme, y compris du droit à la sûreté de sa personne et à l'intégrité
physique.
35. La Constitution interdit la torture et toute forme de traitement dégradant
de l'individu.
36. L'adoption d'un nouveau Code pénal est accueillie avec satisfaction, compte
tenu en particulier de la criminalisation de divers faits constituant, lorsque
leurs auteurs sont des responsables de l'application des lois, des actes de
torture.
37. La création de la Commission présidentielle des droits de l'homme et la
désignation d'un médiateur aux droits de l'homme sont incontestablement un pas
dans la bonne direction. La mise en place de ces organes aura d'autant plus
de poids que les pouvoirs qui leur seront conférés pour suivre l'application
de la Convention et connaître des violations commises seront définis avec précision.
38. Le retrait de la réserve à l'article 20 et les déclarations d'acceptation
des procédures prévues aux articles 21 et 22 de la Convention sont accueillis
avec satisfaction.
39. L'attribution de ressources supplémentaires pour améliorer les conditions
de détention mentionnée par la délégation constitue un pas en avant.
40. Il a été pris dûment note de la volonté de réformer les institutions de
l'État, quoique avec difficulté, pour qu'elles soient conformes aux dispositions
de la Constitution et aux normes relatives aux droits fondamentaux de l'homme.
3. Facteurs et difficultés entravant la mise en oeuvre de la Convention
41. Le Comité prend note de l'existence des obstacles suivants :
a) La difficulté de remplir le vide institutionnel laissé par la rupture avec
le passé. L'appareil de l'État est, d'expérience, réfractaire au changement;
b) La difficulté de reconvertir les institutions et la machine de l'État. La
connaissance des obstacles qui entravent ce processus devrait amener les autorités
à redoubler d'efforts pour les surmonter;
c) L'absence de personnels dûment qualifiés en nombre suffisant pour mettre
rapidement en place le nouveau cadre légal et les rouages de l'État prévus par
la Constitution;
d) L'étendue du pays et la dilution de l'autorité entre les instances centrales
et les instances régionales qui compliquent encore la mise en place du nouvel
ordre;
e) Le manque de ressources pour faire face aux problèmes rencontrés dans la
mise en place du nouvel ordre légal. Il faudrait en priorité allouer les ressources
nécessaires à la réforme des institutions.
4. Sujets de préoccupation
42. Le Comité est préoccupé par :
a) Le fait que les actes de torture ne constituent pas une infraction spécifique
au regard du droit national, contrairement à ce que dispose l'article 4 de la
Convention;
b) Le fait que les décrets présidentiels Nos 1815 du 2 novembre 1993, 1226 du
14 juin 1994 et 1025 du 10 juillet 1996, en autorisant à placer des suspects
au secret pendant 9 jours dans un cas et 30 jours dans les autres cas, ouvrent
la porte à des violations des droits des détenus;
c) Les nombreuses allégations faisant état de tortures et de sévices infligés
à des suspects et à des personnes placées en garde à vue afin d'obtenir d'eux
des aveux, les allégations générales de sévices infligés à des détenus et l'absence
de mécanismes efficaces pour l'examen rapide de ces plaintes;
d) Le fait que, d'après les renseignements dont dispose le Comité, de jeunes
soldats de l'armée russe sont brutalisés par leurs aînés sans que les autorités
prennent les mesures qui s'imposent pour mettre fin à de telles pratiques;
e) L'absence de mécanismes efficaces pour l'examen rapide des plaintes pour
mauvais traitements ou relatives aux conditions de détention émanant de détenus;
f) La lenteur avec laquelle la législation interne est alignée sur la Constitution
et sur les normes relatives aux droits de l'homme. Il en résulte un décalage
entre l'ordre légal respectueux des droits de l'homme institué par la Constitution
et les modalités d'application de la loi;
g) La surpopulation carcérale qu'aggravent encore la médiocrité des conditions
de détention et le manque d'hygiène;
h) Le manque de formation de la police, du personnel pénitentiaire et du personnel
des organismes chargés de faire appliquer la loi en ce qui concerne les droits
des suspects et des prisonniers et les devoirs que leur impose la loi;
i) L'absence de mesures appropriées pour donner pleinement effet aux dispositions
de l'article 3 de la Convention et en assurer l'applicabilité, chaque fois que
nécessaire, y compris en matière d'extradition;
j) L'absence de compétence extraterritoriale qui rend difficile, voire impossible,
la mise en oeuvre de l'alinéa b) du paragraphe 1 de l'article 5 de la Convention;
k) Les nombreuses violations des droits de l'homme signalées pendant le conflit
en Tchétchénie, y compris des actes de torture, et le fait apparemment qu'elles
n'ont donné lieu à aucune enquête et n'ont pas été examinées rapidement et efficacement.
5. Recommandations
43. Le Comité recommande que l'État partie :
a) Fasse de la torture, telle qu'elle est définie dans la Convention, une infraction
spécifique passible de peines suffisamment sévères qui prennent en considération
la gravité des faits;
b) Accélère la formation du personnel, y compris du personnel médical, de tous
les organes chargés de l'application des lois et de la garde des prisonniers
quant aux pouvoirs et aux devoirs que leur confère la loi;
c) Adopte des programmes visant à informer les détenus et le public de leurs
droits ainsi que des moyens prévus par la loi pour les protéger;
d) Institue un mécanisme efficace pour surveiller le déroulement des enquêtes,
les conditions dans lesquelles s'effectuent les gardes à vue et les conditions
de détention;
e) Mette en place un mécanisme approprié chargé d'examiner dans le plus court
délai les plaintes de personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction et
de celles qui sont placées en garde à vue ou en détention et d'engager des poursuites
contre les responsables;
f) Améliore considérablement les conditions de détention, notamment en ce qui
concerne la place, les installations, l'alimentation et l'hygiène;
g) Abroge les lois, règles et règlements qui autorisent le maintien en garde
à vue, pour plus de 48 heures, sans décision judiciaire ainsi que ceux qui restreignent
l'accès à l'assistance en matière judiciaire. Le libre accès à un conseil devrait
être garanti à tout moment;
h) Établisse un comité indépendant chargé d'enquêter sur les allégations de
tortures et de traitements inhumains et dégradants mettant en cause des membres
des forces militaires de la Fédération de Russie et des séparatistes tchétchènes
en vue de traduire en justice ceux contre lesquels il existe des preuves relatives
à leur implication ou complicité dans de tels actes.